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4. NÉOCOLONIALISME ET POSITIONNEMENTS ENVERS LA MÉTROPOLE

Jean Bernabé
4. NÉOCOLONIALISME ET POSITIONNEMENTS ENVERS LA MÉTROPOLE

Le choix par les élites guadeloupéennes, guyanaises et martiniquaises d’une décolonisation par intégration à la nation française est un choix tout à la fois paradoxal et inscrit dans une certaine logique historique. Nos pays sont en réalité en proie aux effets et méfaits d’une manière de néocolonialisme très singulier et très ambigu. Malgré des aspects apparemment positifs, ce dernier constitue un frein à une émancipation véritable. Ce frein peut-il être desserré? A quelles conditions?

Les pays colonisés qui ont eu accès à l’indépendance par séparation d’avec leur métropole n’ont pas toujours été à l’abri des séquelles de la colonisation. Le terme néo-colonialisme caractérise précisément la situation dans laquelle un pays croit avoir accédé à la souveraineté alors qu’il reste victime, sous une autre forme, d’une dépendance non seulement par rapport à l’ancienne puissance coloniale, mais encore par rapport à d’autres pays. Dans ce cas, la prétendue décolonisation n’aura été qu’un changement de décor sur une scène quasi identique. Ce qui rend possible le néocolonialisme, c’est la complicité subjective ou objective des dirigeants du pays anciennement colonisé avec les forces extérieures qui le mettent en coupe réglée. En d’autres termes, le néocolonialisme résulte du passage d’une colonisation gérée de l’extérieur (exocolonisation) par une métropole donneuse d’ordre à une colonisation gérée de l’intérieur (endocolonisation) par les sbires locaux de cette métropole, que ces derniers soient consentants ou qu’ils subissent, à leur corps défendant, la loi du plus fort.

La situation de nos pays appelés DOM ou DFA : l’amalgame délétère entre deux modes de colonisation

Qualifier de néocoloniale la situation de nos pays est assurément choquant pour tous ceux qui pensent que, légalement intégrés à la République Française et partie prenante d’une nation indépendante, ces territoires ne peuvent plus en aucune façon être concernés par une qualification coloniale, quelle qu’elle soit. À y regarder de près, le statut légal de ces pays, singulièrement de la Martinique, ne saurait masquer la réalité, pour peu que cette dernière soit judicieusement analysée. Je ne doute pas que la majorité des Martiniquais se sente profondément française et considère que notre situation socio-économique, pour être critique, ne nous autorise pas à nous situer dans un cas de figure différent de celui d’un département hexagonal défavorisé, tel que la Lozère. De surcroît, avec les progrès des technologies nouvelles de la communication, le développement des transports transatlantiques et la densification de la mondialisation, la Planète devient un grand village dans lequel les contraintes de la géographie se trouvent grandement réduites, voire annihilées dans certains cas comme, par exemple, celui de la visioconférence ou encore de la formation en ligne. Il n’empêche que la Martinique étant officiellement la France, la gestion de ce pays s’inscrit dans un amalgame complexe et ambigu qui relève tout à la fois de l’exocolonisation et de l’endocolonisation.

  • exocolonisation, puisque l’État français a quitté son habit d’ancienne métropole pour revêtir celui de «néo-métropole». Néo-métropole, parce que le cordon ombilical qui la relie aux départements ultrapériphériques, tout en assurant une certaine sécurité matérielle (diversement appréciée et inégalement répartie) n’a fait que créer puis approfondir un gouffre, notamment celui de l’angoisse : angoisse d’une incapacité de véritable production locale, angoisse d’une présence-absence à l’environnement caribéen, angoisse d’un avenir sans horizon pour la jeunesse, angoisse du génocide par substitution ou par dilution dans un tout sans véritable repère, angoisse de divisions idéologiques et claniques empêchant de «faire peuple», angoisse du largage. Nul n’ignore, par ailleurs, que l’existence des Martiniquais soit reliée à la quête du «toujours plus», acquis de l’extérieur, alors que le spectre d’une crise de plus en plus âpre présente la menace d’un «désormais moins». Cette dépendance, les indépendantistes la condamnent à juste titre, mais, dans le même temps, on peut noter qu’ils refusent d’utiliser le mot « métropole » pour désigner la France. Si on peut comprendre la cause affective de ces crispations, en revanche, on ne peut nier le paradoxal déni de la réalité véhiculé par un tel refus lexical.
     
  • endocolonisation, puisque cette situation de dépendance est gérée en interne depuis 1946 (date de la départementalisation), dans un premier temps par un Conseil Général subordonné à un préfet (encore assez proche du gouverneur des colonies), puis par deux instances, l’une, départementale et l’autre, régionale, ayant davantage de prérogatives mais toutes deux mal identifiées et inopportunément spécialisées. Malgré certaines manifestations de volontarisme et d’initiative, liées au dynamisme de certains leaders progressistes, les diverses collectivités territoriales (municipalités comprises) gèrent, en définitive, une programmation récoltée en aval et non pas pensée en amont par elles. D’ailleurs, même tactiquement impliqués dans la gestion locale, les indépendantistes n’en maintiennent pas moins leur stratégie de rupture. Cette tactique, pour judicieuse qu’elle soit, est néanmoins de nature à brouiller le message indépendantiste aux yeux des masses populaires. Qui ne voit alors que notre pays de trouve dans une véritable impasse? Cette dernière ne disparaîtra pas, quand bien même les deux instances gestionnaires supérieures seront fondues en une assemblée unique.

Les options intégrationnistes et sécessionnistes

L’autonomisme, issu du départementalisme, a toujours correspondu à la volonté d’accéder aux mêmes droits que le peuple qui a fait la révolution de 1789. En réalité, la départementalisation de 1946 -- ce qui est de nature à en limiter la crédibilité -- n’a pas mis moins d’une cinquantaine d’années avant d’être entièrement coulée dans la législation requise. Cela dit, les deux options intégrationnistes, ne l’oublions pas, ont toujours constitué une puissante clause de sauvegarde contre l’impérialisme américain, celui, disait Césaire, «dont on ne réchappe jamais». À n’en pas douter, on doit y voir, compte tenu de l’imaginaire de nos pays, caribéens par la géographie et européens par le statut, un des obstacles majeurs au développement de l’indépendantisme, ennemi déclaré de l’entreprise intégrationniste. Nous voilà dans un tunnel bien obscur!

Que faire en vue de la sortie à l’air libre?

Un dialogue large et massif s’impose au sein de pays-Martinique. Il est question non pas de tirer mécaniquement un trait sur des fondamentaux idéologiques, mais d’affronter et de penser ensemble notre réalité de façon pragmatique. Il est urgent d’analyser sans complaisance les insuffisances stratégiques sous-jacentes aux différents positionnements avérés (départementalistes, autonomistes et indépendantistes) au regard de leur objectif avoué, voire proclamé: la défense, la promotion de la Martinique. Non pas prendre une posture unanimiste dédiée à un rassemblement de façade, mais ouvrir la voie à une relance en acte de la responsabilité martiniquaise. Face à l’urgence mortifère des défis auxquels notre pays se trouve confronté, s’impose une analyse concertée des différentes stratégies de sauvegarde, promesses et insuffisances comprises, avant d’emprunter dans la synergie la plus vaste possible les chemins d’une dynamique salutaire dans sa dimension la plus démocratique possible, c'est-à-dire la plus proche des intérêts collectifs. Il y a lieu de cheminer hardiment entre les postures absolutistes et les errements relativistes afin de s’ancrer dans «la réalité de la réalité martiniquaise». Sans renoncer en aucune façon aux exigences de l’émancipation du peuple martiniquais.

Pour atteindre ces objectifs, nous devrons nous engager collectivement dans des entreprises de pensée et d’action solidaires en vue de l’auto-refondation d’un peuple martiniquais malmené par l’histoire, mais promis à une conscience plus affirmée de lui-même comme peuple. Nous devons kolétetkolézépol!

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5. Le rapport à la terre : problématique et enjeux d’une réforme agraire.

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