
In Annales de l’Université du Bénin, Tome XIII 1993, Série Lettres, Presses de l’UB, Lomé, 1993, pp.83-91.
Le Togo, comme le Bénin voisin, fait partie de ces rares pays de l’Afrique de l’Ouest francophone, où jusqu’à ses dix dernières années encore, les investigations archéologiques étaient inconnues. Malgré l’importance incontestable de la tradition orale dont les récits ne remontent guère au-delà de trois siècles, la profondeur historique des peuples qui habitent ces territoires reste fragmentaire, ou repose sur les mythes. Or l’histoire de l’homme remonte à l’environ 5 millions d’années, dont il n’existe de documents écrits que sur des périodes récentes, pour retrouver les races des origines lointaines de ces peuples. L’archéologie, dont le but est de reconstituer le passé, s’est employée avec les moyens dont elle dispose, à éclaircir les période dites « obscures » de leur histoire.
{{I-PROBLEMATIQUE GENERALE DES RECHERCHES A NOTSE ET TADO}}
1) Les objectifs de la recherche
Depuis 1980, les recherches archéologiques démarrées au Togo par le Professeur Merrick POSNANSKY de l’Université de Californie à Los Angeles, ont été poursuivies par l’équipe de Dovi KUEVI et de Dola AGUIDAH. De 1984 à 1990, nous avons effectué des travaux sur les sites de Notsé et de Tado. Les principaux objectifs de ces recherches consistent en l’étude des cultures matérielles et celle de la technologie de la céramique et de la métallurgie du fer dont les vestiges s’observent en surface. Au-delà de l’étude approfondie des matériaux et des techniques traditionnelles d’exploitation, se pose le problème fondamental et crucial de chronologie. En somme, il s’agit de déterminer à partir des vestiges matériels recueillis à Notsé et à Tado, le lien de parenté réel ou supposé entre les peuples occupant le pourtour du Golfe du Bénin.
Nous tenterons, dans cet exposé, de présenter les résultats des recherches entreprises à Notsé et à Tado, les deux grands foyers de civilisation de la sous-régions.
2) Délimitation géographique
Notsé et Tado sont deux villes qui revêtent une grande importance dans la région dénommée aire Culturelle Ajatado. Les populations qui habitent l’aire culturelle ajatado -délimitée par les cours inférieurs de la Volta et de l’Ouémé- se réfèrent toutes de loin ou de près à Tado, et au peuple aja proprement dit.
Des traditions d’origine, il ressort que ce peuple est « issu d’un métissage entre un groupe de Yoruba émigré d’Oyo probablement entre le XIIe et XIIIe siècle, et les autochtones Alu et Azanu qui habitaient alors le petit hameau d’Azamé, sur les bords du Mono. Le hameau s’agrandit devient Tado berceau du peuple aja. Le royaume de Tado, qui vit alors le jour, rayonna sous la conduite de ses rois sur un vaste territoire, jusqu’au XVe siècle, lorsque éclatèrent des conflits de succession occasionnant des migrations qui habitent la majeure partie du golfe du Bénin, se disent, exceptés quelques groupes, issues de Tado. Elles sont unanimes à reconnaître une primauté à cette localité d’où, pour des raisons diverses, émigrèrent certains lignages, qui vers Notsé, qui vers Allada, les deux principaux foyers secondaires de cette civilisation. L’éclatement de ces deux foyers au début du XVIè siècle sera à l’origine de la fondation des royaumes d’Agbomé et de Porto-Novo (Xogbonu) en République du Bénin, et de l’émergence du peuplement éwe au Togo et au Ghana.
Notons que la ville de Notsé est présentée dans les sources orales comme le berceau historique du peuple ewe dans son ensemble. Le fait que les populations concernées célèbrent une fête rituelle dite « Agbogbozan » pour commémorer le souvenir de leur vie commune à Notsé, corrobore ces récits oraux. Cependant ces raisons, si importantes soient-elles, ne suffisent pas à justifier l’intérêt scientifique de l’étude du site de Notsé. Les principaux objectifs consistent à connaître l’organisation interne de la cité, à repérer les anciennes zones d’habitation, à rétablir la configuration de l’enceinte Agbogbo, à rechercher et étudier les témoins de la culture matérielle enfouis depuis plus de quatre ou cinq siècles au moins. Il s’agit par ailleurs de déterminer le rôle que l’ancienne cité des Ewé a joué dans le concert des villes en contact avec la côte aux XVIè et XVIIè siècles.
3) Méthode de recherche
La problématique générale des recherches définies plus haut a nécessité plusieurs années de travaux entrepris sur le terrain, -à Notsé et à Tado- des études du matériel recueilli, et des analyses en laboratoire depuis 1981. Ces travaux ont abouti au repérage des vestiges visibles en surface, aux sondages et aux fouilles ayant permis la mise au jour des vestiges apportant de substantiels résultats sur l’histoire de ces populations.
Deux méthodes de recherche sont adoptées sur les deux sites : l’enquête archéologique synchronisée avec l’enquête ethnologique.
A la suite de la prospection, dont le but est d’observer minutieusement la région à étudier, de déterminer les zones d’implantation des fouilles, une série de sondages a été pratiquée afin de s’assurer de l’intérêt archéologique des sites. L’enquête ethnologique a consisté à fournir des informations sur les anciennes technologies ; -la poterie, le fer, la vannerie, le tissage, l’architecture traditionnelle permettant ainsi d’étudier et de comprendre le matériel exhumé des fouilles.
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{{II-RESULTATS DES TRAVAUX ET INTERPRETATION}}
L’observation de terrain, les informations recueillies à partir des sources orales, l’analyse du matériel exhumé, ont permis d’appréhender l’environnement géo-culturel et l’organisation socio-économique des habitants de la région.
4) Le site de Notsé
La ville de Notsé est située à 95 km au nord de Lomé, la capitale. La prospection des sites de Notsé et des sites qui lui sont associés a permis d’identifier d’ancienne zones d’habitation matérialisées par des vestiges lithiques, de repérer le tracé de l’enceinte, et d’en relever les dimensions. D’autres vestiges, notamment des tessons de poterie, des ossements humains et animaux, des pipes des perles, des cauris et des pavements en tessons de poterie constituent des vestiges d’un intérêt historique incontestable trouvés dans les fouilles.
a) Les sites de polissoires et de meules
Les sites de rochers comportant des polissoires et des meules ont été découverts à Kpévu à 5 km au sud-est, à Kpota à 2 km à l’ouest et à Kussilokpè à 7 km au sud-ouest Notsé. Les polissoires sont des traces d’affûtage des outils en pierre ou en métal, tandis que les meules servent à écraser les grains.
Deux types de polissoirs et de meules ont été observés : des polissoirs effilés et des meules de forme ovoïdes. Les premiers s’organisent sur un filon de roche granitique s’imposant sans un cours d’eau nommé « Kpévu » ayant servi de voie de communication entre Notsé et les villages du Moyen-Mono ; un grand rocher porte des milliers de meules de forme ovoïde. Ceux ci seraient certainement liés à la pratique de l’agriculture au moment où les populations ont écrasé ou moulus les céréales.
Le fait que les populations actuelles n’ont conservé aucun souvenir de ces lieux autorise à penser que ces structures témoignent probablement de l’occupation antérieure de région avant la période des grandes migrations historiques au XVè siècle.
{{POLISSOIRS DE KPEVU (NOTSE)}}
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Pour supposer une datation des ces traces, une prospection extensive des secteurs concernés et des sondages au pied des affleurements de granit s’avèrent indispensables pour la connaissance de l’industrie lithique dans la région.
b) L’enceinte de Notsé : Agbogbo
Le repérage du tracé a nécessité une prospection extensive dans le but de faire le relevé des tronçons encore visibles et d’établir la cartographie du site à partir des dimensions précises jusqu’alors inexistantes.
ENCEINTE DE NOTSE
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Cette prospection archéologique, effectuée au sol et complétée par les données de sources oral, révèle que l’enceinte de Notsé était habitée par endroits. Une dizaine de fossés ont été aussi repérés à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte. Celle-ci présente dans l’ensemble un aspect irrégulier avec des courbes concaves et convexes, des hauteurs plus ou moins importantes à divers endroit, dues à l’effet de l’érosion différentielle. De forme trapézoïdale, l’enceinte présente des dimensions actuellement estimées comme suit : 14, 450 km de périmètre, limitant une superficie de 14 km2 environ ; les hauteurs varient entre 0 et 2,50 m et l’épaisseur de 1 à 4 m. les dimensions originales sont estimées comme suit : l’épaisseur varie entre 6 et 8 m et la hauteur entre 4 et 6 m.
En fonction des résultats acquis, Merrick POSNANKY conclut sur la fonction occupée par l’enceinte. L’extension importante de l’ouvrage, ses épaisseurs irrégulières et la position des fossées à l’intérieur ont permis à POSNANKY de le qualifier d’enceinte de prestige construite par le souverain régnant à l’époque, pour délimiter son territoire et asseoir son autorité. Or, les sources orales recueillies dans la plupart des villes issues de Tado, rapportent que les enceintes étaient destinées à un usage défensif. Cette conception de défense du territoire aurait intéressé le souverain, d’autant qu’elle devenait le mode de fortification le plus efficace et le plus courant dans la tradition ajatado. On peut donc supposer que l’enceinte de Notsé, vu ses dimensions irrégulières n’a jamais été terminée. Néanmoins, elle demeure un ouvrage défensif dans la conscience collective.
c) Repérage d’anciens quartiers à Notsé
La prospection extensive a permis la découverte de deux anciens quartiers ignorés et inexistants sur les cartes de Notsé. Ces anciennes zones d’occupation matérialisées par des indices archéologiques (tessons de poterie décorés, fourneaux de pipe--), ont été identifiés à 4 et 1,2 km au sud-ouest du quartier Alinou. Ce sont les quartiers Azakpodzi et Wotsegbeme inconnus de la population actuelle et sur lesquels les vieux d’un certain âge détiennent encore quelques souvenirs. Ces deux secteurs et deux autres -Alinou et Dakpozi- ont été retenus pour les sondages et les fouilles.
Ils ont livré une abondante quantité de vestiges dignes d’intérêt historique. Il s’agit de sépultures humaines, d’ossements animaux, d’un mobilier funéraire, d’objets métalliques, de tessons de poterie, de pipes et de pavements en terre cuite.
A Dakpodzi, l’un des pavements -sorte de mosaïque en terre cuite- a été minutieusement fouillé à 50 cm. L’originalité de pavement provient du fait qu’il est constitué de quatre niveaux superposés, avec à l’intérieur un vase circulaire incrusté en profondeur. La découverte de cette structure soulève des questions sur sa fonction et sa technique de réalisation. De l’avis des informateurs, il s’agirait d’un autel où leur ancêtres accomplissaient certaines cérémonies. En effet, le lieu a retrouvé sa fonction cérémonielle depuis 1948, date à laquelle des Ewé y ont repris les rites de libation le jour de la fête de Agbogbozan.
PAVEMENT DE DAKPODZI
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5) Tado
Tado est situé à 72 km à vol d’oiseau à l’est de Notsé, à 10 km environ de la frontière du Togo et de la République du Bénin.
Un simple parcours de terrain laisse découvrir une importante moisson de vestiges variés, témoins d’une occupation remontant à plusieurs siècles. Ce sont des pipes et des poteries entières, des tessons de poterie, des scories et laitiers (déchets de métallurgie de fer), ruines de fourneaux. Pour l’heure, les investigations à Tado sont limitées aux prospections extensives dans le but de repérer et d’identifier le maximum de vestiges susceptibles d’apporter les informations sur la profondeur historique de la région. En effet, la prospection effectuée dans tous les quartiers de Tado a permis de repérer plusieurs enceintes qui, vraisemblablement, limitent des espaces anciennement habités. D’un autre côté de grandes jarres entiers enterrées à plus d’un mètre de profondeur sont souvent découvertes au cours des travaux de construire des citernes et des maisons d’habitation.
Les poteries ramassées en surface ou exhumées en sondages portent des décors complexes différents de ceux retrouvés jusqu’alors sur les autres sites de Notsé. Cette excellente facture les classe parmi « les plus belles production africaines » fait observer le professeur jean DEVISSE, lors de sa mission d’évaluation à Notsé et à Tado en 1987. Il poursuit : « la qualités des pâtes, de la cuisson, des décors (variés et somptueux), la diversité des formes qu’évoquent les tessons retrouvés poussent le chercheurs à penser qu’il s’agit d’une production de grande valeur, destinée à une clientèle « riche » ou aristocratique » ; en somme, les recherches à Tado et les sites qui lui sont associés ne concernant pas seulement l’histoire des anciennes technologies (poterie, métallurgie du fer), mais aussi celle de l’organisation de l’espace et de la société, celle de l’économie et de la politique dans l’ancien Tado. Dans l’attente d’une étude approfondie, les vestiges recueillie témoignent de l’existence d’importants centres de production (métallurgie du fer, production de la poterie), d’une activité intense et d’une vie socio-économique relativement développée.
En guise de conclusion, cette étude sur les deux formes de civilisation l’aire culturelle ajatado, si modeste soit-elle, a le mérite d’apporter quelques éclaircissements sur l’émergence d’agglomérations de type urbain à une période qui reste à déterminer. Pour l’heure, il est prématuré de conclure, car les objectifs définis plus haut ne sont pas encore tous atteints. C’est pourquoi nous proposons une collaboration scientifique régionale, entre les chercheurs du Togo et ceux de la République du Bénin, étant entendu que les populations tels les Fon, Mahi, Aïzo, Savi, Houéda.. se refèrent aussi à Tado. Ces recherches globales et comparatives des populations issues de Tado permettront de retracer leur unité culturelle et les ruptures intervenues depuis plusieurs siècles.
POTERIE DE TADO
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