Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

Alain Anselin, de l'Egypte antique aux Isles de l'Amérique

Raphaël CONFIANT
Alain Anselin, de l'Egypte antique aux Isles de l'Amérique

   Il avait coutume de signer ses courriels "la Momie" lorsqu'il s'adressait à ses proches amis et collègues, son tout dernier datant de la semaine dernière quand il répondait à notre ami commun Mourad YELLES, universitaire algérien. C'est qu'en plus d'être un savant considérable, Alain ANSELIN avait un grand sens de l'humour et de l'autodérision. L'Egypte antique était sa passion, non pas au ses vulgaire du terme comme c'est le cas aujourd'hui chez de trop nombreux afro-centristes incultes, mais au sens scientifique du terme.

   Il avait appris à lire la difficile, très difficile écriture hiéroglyphique, chose que ce gardent bien de faire les innombrables pyramidophiles qui pullulent sur le Net, et dialoguait avec les égyptologues les plus réputés du monde. Lorsqu'il approcha, dans les années 90 du siècle dernier, le GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créole) et son directeur de l'époque, Jean BERNABE, ce fut également avec humour :

   "Vous travaillez sur une langue qui a 300 ans d'âge, mois, je travaille sur une qui en a 3.000, donc on peut s'entendre ! Ha-ha-ha !"

   Très vite, il devint chargé de cours en égyptien ancien dans le cadre des licences de Sciences du langage et de Créole, initiant un nombre incalculable d'étudiants non seulement à cette langue millénaire, mais également à la civilisation qu'elle a portée. Il était un disciple critique du célèbre égyptologue sénégalais Cheick Anta DIOP lequel avait cherché à prouver, dans des ouvrages devenus classiques, que l'Egypte antique était "noire" ou en tout cas africaine. Qu'elle devait peu à la Mésopotamie et à la Grèce antique comme ne cessaient de le répéter depuis de lustre les savants occidentaux. Alain ANSELIN était, dans le même temps, un grand connaisseur et amoureux de l'Afrique de l'Ouest dont il lisait plusieurs des langues telles que le wolof, le bambara et le peuhl. Il écrivit d'ailleurs un ouvrage important sur les Peuhls, éclairant l'origine complexe de ce peuple qui fut parfois victimes de sanglantes guerres inter-ethniques, notamment dans la Guinée de Sékou TOURE. 

   Alain ANSELIN avait réussi à désigner le point de convergence entre la Négritude de CESAIRE et la Créolité : non pas retourner en Afrique, mais domicilier l'Afrique aux Antilles. Prendre donc acte de l'histoire et du passé (passé dont DESCARTES écrivait qu'est la seule chose que Dieu lui-même ne peut pas changer), en assumer les tragédies (la Traite, l'esclavage, l'engagisme etc.), sans rancoeurs ni esprit de revanche, mais sans complaisance non plus, sans complaisance aucune envers le discours lénifiant de la réconciliation aveugle.

   Notre jeune langue de 300 ans disposait, à la Faculté des Lettres et Sciences humaines, de sa revue : "ESPACE CREOLE". Alain ANSELIN en créa une pour sa vieille langue de 3.000 ans avec son disciple Fabrice SILPA, maître de conférences en Sciences du langage : "CAHIERS CARIBEENS D'EGYPTOLOGIE". Deux revues publiées donc par le GEREC lequel, loin de s'enfermer dans le créole, contrairement à ce que répétaient ses détracteurs, avait, dans le même temps, favorisé l'enseignement du tamoul et la fabrication d'une méthode d'apprentissage de cette langue par cassettes-audio grâce au Pr LOGANADIN de l'Université de Bordeaux. Puis de l'enseignement du chinois (grâce à Hui-Ping DODE, maître de conférences sur le campus de Schoelcher) ainsi que le japonais grâce à l'invitation régulière d'universitaires nippons, notamment le Pr Kunio TSUNEKAWA, grand traducteur des écrivains antillais, en particulier ceux de la Créolité.

   Alain ANSELIN observait et participait à cette frénésie intellectuelle avec une joie communicative. Il n'était pas un esprit étroit, enfermé dans sa seule discipline. Ayant vécu dans l'émigration en France, ce Martiniquais, qui s'est toujours refusé de séparer son île de la Guadeloupe, avait également étudié ce qu'il désignait joliment sous le nom de "troisième île" et qu'un peu sottement, nous appelons les "Négropolitains". L'histoire antillaise l'avait intéressé aussi, notamment la période esclavagiste et la geste des Marrons auxquels il consacra nombre d'articles novateurs. Savant, oui, il l'était, mais homme comme tout le monde aussi puisqu'il adorait le football qu'il avait pratiqué dans son jeune temps, cela dans la région parisienne. Nous fûmes surpris lorsqu'il nous appris qu'il avait de longues conversations téléphoniques avec Lilyan THURAM qui jouait alors à la Juventus de Turin. Dans ce qu'il nommait sa "République de Dillon", à la périphérie de Fort-de-France, il arrivait, de temps à autre à Alain ANSELIN de taper dans un ballon avec ses élèves du lycée professionnel qui l'adoraient. 

   C'était un homme secret. Discret sur sa vie privée et s'interdisant de s'immiscer dans celle des autres. Il n'aimait pas s'exposer dans les médias tout en respectant ces derniers. Ce qui explique qu'il soit très peu connu du grand public alors même qu'il suffit d'ouvrir n'importe quel numéro de ses Cahiers Caribéens d'Egyptologie pour se rendre compte qu'il réussissait à obtenir des articles des plus grands noms de l'égyptologie mondiale. Il était d'ailleurs régulièrement invité aux plus importants colloques de cette discipline un peu partout à travers le monde.

   Quel sort lui réservera OSIRIS, le "juge suprême des âmes", garant de la survie des défunts dans "le monde souterrain" ? Assisté par quarante-deux juges et d'ANUBIS, le dieu à tête de chacal noir, il préside, en effet, le tribunal divin pendant "la pesée de l'âme". Ce tribunal accorde soit la vie éternelle soit la refuse, condamnant le défunt au néant. Sans doute OSIRIS se souviendra-t-il de cette pensée du pharaon PTAHHOTEP qui convient si bien à notre ami défunt :

   "La science est une bénédiction pour qui la saisit et une malédiction pour qui la fuit, mais on ne doit jamais être orgueilleux de son propre savoir puisqu'il n’y a pas de limite dans la science et que personne ne peut arriver à la perfection".

   Alain, sav ki nou la épi'w !...

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.