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André Schwarz-Bart, une vie écrite entre parenthèses

Frédérique Briard
André Schwarz-Bart, une vie écrite entre parenthèses

Deux livres reviennent sur la vie recluse de l’auteur du "Dernier des Justes", l’un, autobiographique signé de sa femme Simone Schwarz-Bart et du journaliste Yann Plougastel ; l’autre, poétique, d’Ernest Pépin.

Il s’est retiré du monde comme un animal blessé rentre dans sa tanière, après avoir connu la gloire. En 1959, André Schwarz-Bart remporte le Prix Goncourt pour son premier roman, le Dernier des Justes, publié au Seuil. Couronnée par un succès public et considérée comme majeure par Elie Wiesel ou Françoise Giroud, l’œuvre demeure une référence dans l’histoire de la littérature et de la Shoah.

Mais à l’époque, certains lui reprochent des incohérences historiques, d’autres l’accusent même de plagiat. Cette déconvenue sera suivie par d’autres, au point que l’écrivain d’origine polonaise s’enfermera dans le silence jusqu’à sa mort en 2006, cessera de publier et brûlera ses manuscrits.

Dans un livre paru l’automne dernier, sa femme, Simone Schwarz-Bart, également écrivaine, revient avec la plume du journaliste Yann Plougastel sur l’itinéraire de cette vie écorchée. Dans un autre, signé par Ernest Pépin et sorti en ce début d’année, le poète guadeloupéen rend un hommage poétique à ce couple soudé par l’amour au-delà de la mort, ciment inaltérable de l’existence tourmentée d’André Schwarz-Bart.

l’idéal de l’œuvre anonyme

« Etre juif, c’est être capable de compassion envers la souffrance des autres peuples. Nous ne sommes pas les seuls à avoir souffert. La Shoah permet de comprendre les autres génocides » affirmait l’écrivain à sa femme. A travers l’histoire de son mari - ses parents, ses frères et sa tante exterminés à Auschwitz, la Résistance, la culpabilité d’avoir réchappé à la mort - Simone Schwarz-Bart découvre la sienne, celle de sa Guadeloupe natale, de l’esclavage, des Noirs marrons (les résistants et fugitifs). Mieux, la paire fusionne ses infortunes distinctes, appréhende la Traite et la Shoah dans un même élan, selon le principe des vases communicants.

« Il me disait quelquefois que pour lui, l’idéal était dans l’œuvre anonyme. Cet acte d’amour à travers l’écriture nous modifiait insidieusement, il devenait moi, et moi lui » confie Simone. Après le Dernier des Justes et au gré de ses pérégrinations entre la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et Dakar, André Schwarz-Bart imagine en effet un « cycle antillais » sur l’esclavage, sujet qui le taraude depuis longtemps. Premier volume du cycle, qui en comptait sept, Un plat de porc aux bananes vertes est publié au Seuil en 1967, il est écrit à quatre mains, avec Simone.

D’aucuns n’entendent pas la démarche, s’indignent du rapprochement des deux tragédies mais aussi qu’un Blanc s’octroie le droit d’écrire sur les Noirs quand paraît en 1972 le deuxième volume, La Mulâtresse Solitude, toujours au Seuil, signé du seul nom d’André Schwarz-Bart. « Ni les siens ni les miens n’ont compris ce qu’André voulait écrire en tissant des liens entre leurs histoires » se désole sa veuve. Elle dissèque cette blessure au fil des pages sans amertume ni regrets mais avec une douce mélancolie. Le couple finit par se réfugier dans une maison, La Souvenance, proche de Goyave, en Guadeloupe. « Nous avons vécu là pendant plus de trente ans, à l’abri du bruit et de la fureur du monde. J’y réside toujours », conclut Simone Schwarz-Bart.

La Souvenance

La Souvenance, c’est ce berceau de l’amour et de la création que la prose d’Ernest Pépin s’attache à dessiner, sous forme de conte, comme pour prolonger l’incipit de Yann Plougastel qui ouvre Nous n’avons pas vu passer les jours : « Il était une fois une Noire farouche et un petit Juif solitaire, qui vécurent longtemps ensemble, eurent deux garçons et écrivirent une demi-douzaine de romans, sans voir le temps passer… ».

S’inspirant de la tradition orale antillaise - où le conteur intervient en interpelant le public sous forme de questions-réponses, « Yé krik ? Yé Krak ! » - l’écrivain guadeloupéen se fait le griot des Schwarz-Bart. Il endosse tantôt la parole du narrateur, tantôt la voix de Simone ou celle d’André, mêle l’histoire personnelle du couple à l’Histoire avec un grand H de la Guadeloupe et à son imagination fertile. Havre de paix, la Souvenance est un écrin de nature qui épouse et forge la complicité des deux passionnés. « Car moi le porte-parole, écrit Pépin, je vous le dis devant l’Eternel, André et toi vous êtes la même chair partagée en deux corps (…) L’amour ne juge pas, ne critique pas, il s’ouvre comme une fleur qui se réjouit de la rosée du matin ».

Trempée dans un verbe poétique, la fantaisie d’Ernest Pépin va même jusqu’à réincarner André Schwarz-Bart après sa mort en un petit oiseau charmeur venu parler à l’oreille de Simone : « Pour te rendre visite, j’ai enfourché les vents solaires, j’ai avalé des trous noirs en me nourrissant d’étoiles vivantes ». S’ensuivent une magnifique déclaration d’amour et un éclatant hymne à la vie, pages marquantes de ce livre. A 69 ans, Ernest Pépin signe avec La Souvenance un hommage bouleversant à ce couple mythique mais finalement peu connu de la littérature et un de ses plus beaux romans.

Nous n’avons pas vu passer les jours, de Simone Schwarz-Bart et Yann Plougastel, éditions Grasset, 208 pages, 19€

La Souvenance, d’Ernest Pépin, Caraïbéditions, 216 pages, 17,30€

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