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Culture et Développement

ASPECTS DE LA QUESTION A ZIGUINCHOR, VILLE DE DIVERSITE, DE BRASSAGES ET DE DIALOGUE CULTURELS

Pr Mamadou Mané, historien sur Scoopsdeziguinchor.Com
ASPECTS DE LA QUESTION A ZIGUINCHOR, VILLE DE DIVERSITE, DE BRASSAGES ET DE DIALOGUE CULTURELS

Scoopsdeziguinchor.Com : Conseiller Technique au Cabinet du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Depuis novembre 2009 ; Secrétaire Général de la Commission Nationale pour l’UNESCO, au Ministère de l’Education Nationale (2006 à 2008), et en cette qualité, Coordinateur de la participation du Sénégal à la Conférence Générale de l’UNESCO de 2007 ; Secrétaire Général de la Commission Nationale pour la FRANCOPHONIE (1993-2000) avec rang et appellation de Conseiller Technique à la Présidence de la République et de Représentant Personnel Adjoint du Président de la République au Conseil Permanent de la Francophonie (CPF) à Paris ; titulaire du Diplôme d’Etudes Approfondies –DEA, Histoire- (1976) délivré par l’Université Panthéon Sorbonne, Paris ; Pr Mané Mamadou, 61 ans, est un Ziguinchorois bon teint. Comme bien des intellectuels du pays et de la diaspora (que nous saluons et remercions au passage), cet historien nous a fait l’honneur de nous envoyer, en guise de contribution, une réflexion qu’il a partagée avec l’ASC Stella de Ziguinchor. A notre tour, nous vous la proposons in extenso. Vigilance, elle est pleine d’enseignements !

"La culture, aujourd’hui, n’est plus perçue comme un simple passe-temps que l’on se donne en période de farniente. Son apport au développement, reconnu et consacré de par le monde, est illustré, entre autres choses, par l’essor des industries culturelles dites aussi créatives. Le fait est que de plus en plus de pays, notamment ceux du Nord, investissent dans les industries culturelles qui, à l’ère de la globalisation des échanges entre sociétés et cultures, se sont développées, non seulement par leur rentabilité économique, mais aussi en tant que puissant vecteur de la promotion de l’image et de la vision du monde de ces pays, comme l’a bien analysé, dans une étude consacrée à la mondialisation culturelle, Jean Tardif, anthropologue canadien et Consultant en affaires internationales. Ce dernier soutient même, citant un économiste américain, Jeremy Rifkin, auteur d’un ouvrage célèbre sur la nouvelle économie culturelle intitulé L’Age de l’accès, que « la production culturelle sera l’enjeu principal du commerce mondial au XXIè siècle ».

C’est pourquoi il est heureux et hautement pertinent que ce thème de l’interaction entre culture et développement figure parmi ceux choisis par la Stella de Ziguinchor pour animer la série de conférences que cette association sportive et culturelle nous offre, à l’occasion de la célébration, en cette fin d’année 2010, du cinquantenaire de sa naissance. Que le Comité de pilotage, à l’origine de cette excellente initiative, en soit vivement félicité! Naturellement, j’associe à ces hommages l’ensemble des membres de l’association dont la mobilisation est également pour beaucoup dans la réussite que connaît cette fête commémorative.

En effet, la Casamance en général et Ziguinchor en particulier n’ont pas attendu la consécration internationale du binôme Culture-Développement pour démontrer, de fort belle manière, la place centrale du fait culturel dans tout processus de développement durable. A preuve, l’espace casamançais s’est révélé, depuis toujours, comme un carrefour de peuples, devenu par la suite un creuset culturel dont les diverses composantes ont su merveilleusement surmonter ce qui pouvait les opposer, les dresser les unes contre les autres pour arriver à s’interpénétrer et à nous léguer ainsi une tradition de brassage culturel et biologique. Celle-ci continue de faire de notre région, encore aujourd’hui, l’un des hauts lieux de la diversité culturelle dans l’ensemble national sénégalais.

J’y reviendrai, le temps de faire quelques développements sur les interrelations entre Culture et Développement que j’évoquais tantôt et qui inspirent de plus en plus les programmes et les projets des organismes du système des Nation-Unies. A ces structures onusiennes, s’est imposée la nécessité d’agir dans le sens d’une mondialisation maîtrisée qui ne soit pas à sens unique et qui, devant aller à l’encontre de l’uniformisation culturelle de notre planète, accorderait leur place aux valeurs identitaires des peuples. Ce qui favoriserait un meilleur dialogue entre celles-ci, et non plus leur affrontement plus ou moins violent, comme l’a prédit avec un certain pessimisme l’universitaire américain aujourd’hui disparu, Samuel Huntington, dans un livre retentissant, intitulé Le Choc des civilisations. L’ouvrage défraya la chronique à sa parution en 1996.

Ainsi, les Nations-Unies lancèrent, à la fin des années 80 du siècle dernier, la Décennie Mondiale pour le Développement Culturel (1988-1997). Grâce à cette initiative de l’ONU, s’est enclenché le processus de la reconnaissance officielle de ce que, depuis lors, l’on appelle la dimension et l’approche culturelles du développement, confirmant et illustrant la vision que le poète Léopold Sédar Senghor avait de la Civilisation de l’universel, celle-ci lui ayant été inspirée par l’œuvre remarquable du Père Pierre Teilhard de Chardin, un des grands humanistes français du XXè siècle.

C’est dire que quand Senghor, au milieu des années 1930 en compagnie d’amis antillais tels que Aimé Césaire et Léon Gontran Damas, appuyé également par son compatriote Alioune Diop, fondateur de Présence Africaine, lançait le mouvement de la Négritude, c’était pour affirmer que la primauté restait à la Culture ; que le combat culturel, dans la lutte pour l’émancipation des peuples colonisés, demeurait fondamental pour leur réarmement moral et éthique. Et nos chantres de la Négritude n’étaient pas seuls à faire ainsi montre de détermination dans l’engagement en faveur de l’action culturelle. Ils ne tardèrent pas à bénéficier du soutien de cadets aussi talentueux que Cheikh Anta Diop, un autre Sénégalais, Franz Fanon, Joseph Ki-Zerbo, pour ne citer que ceux-là, qui à leur tour, assumant et dépassant le champ d’action à dominante littéraire de leurs aînés, allaient investir le créneau des sciences sociales et humaines. Il en résulta des études et des recherches de grande valeur scientifique sur le riche patrimoine historico-culturel du monde noir dont l’unité, dans la diversité de ses composantes, émergeait aux yeux de tous comme une réalité à magnifier.

Les élites africaines prenaient donc conscience, notamment à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale en 1945, de ce que rien de durable et de grand, pour un peuple, ne pouvait se réaliser sans la mobilisation de ses ressources culturelles à même de lui procurer un sentiment de fierté et d’attachement à ses valeurs identitaires. D’autant qu’un des objectifs de l’entreprise coloniale européenne était justement d’œuvrer à la dépersonnalisation des peuples qu’elle tenait sous son joug.

Ce bref rappel historique m’a paru utile pour bien situer les enjeux culturels dans la dynamique, enclenchée au siècle dernier, pour la réhabilitation, l’émancipation politique et socioéconomique des peuples noirs. Et l’on peut citer quelques-uns des événements marquants de ce processus, à savoir les deux Congrès des Ecrivains et Artistes noirs, successivement tenus à la Sorbonne à Paris en 1956 et à Rome en 1959, sous l’égide de la Société Africaine de Culture (SAC), structure animée par Alioune Diop que je nommais tantôt. Ce dernier, dont on a célébré cette année, successivement à Saint-Louis du Sénégal (sa ville natale) et à Dakar, le centenaire de la naissance, sut, au moment où il créait entre 1947 et 1949 la revue et la maison d’édition Présence Africaine, bénéficier du parrainage et du soutien d’intellectuels français de renom comme André Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Georges Balandier, pour ne m’en tenir qu’à eux.

C’est de ces deux congrès, qui connurent un succès retentissant, qu’était née l’idée d’organiser une autre grande rencontre internationale, cette fois-ci en terre africaine. L’événement rassemblerait, animé par diverses manifestations artistiques , tout ce que le monde noir comptait d’intellectuels et de créateurs de talent-et ils étaient nombreux- pour faire apprécier au reste de l’humanité la créativité et la vitalité de nos peuples que la longue nuit coloniale n’a pu détourner des valeurs fondamentales de leur héritage historico-culturel. Vous aurez deviné l’allusion ainsi faite au Premier Festival Mondial des Arts Nègres, tenu à Dakar en 1966, et dont le Sénégal fête, en ce mois de décembre 2010, la 3è édition, après celle qui eut lieu à Lagos, au Nigéria, en 1977.

On le voit, le Sénégal, notre pays, a toujours été aux avant-postes du combat culturel des peuples de notre continent. C’était le cas sous le Président Senghor qui mit tout son prestige de poète de renommée mondiale au service de l’image de marque de notre pays, tout en nous léguant, à son départ du pouvoir, des institutions et des infrastructures culturelles dont nous continuons de nous honorer, même si certaines d’entre elles sont, aujourd’hui, quelque peu tombées en désuétude.

Il en est de même de ceux qui, après lui, ont accédé à la magistrature suprême du pays. Le premier, Abdou Diouf, a instauré, entre autres événements culturels, la Biennale des Arts de Dakar et le Grand Prix du Président de la République pour les Lettres, sans oublier ses réalisations en matière de décentralisation de l’action culturelle au profit de toutes nos régions qui ont ainsi pu, à travers l’organisation périodique de journées culturelles, participer à l’effervescence artistique du pays , notamment dans les domaines de la musique, du théâtre, de la danse ; le second, Maître Abdoulaye Wade, succédant au Président Abdou Diouf et préservant les acquis, nous gratifie en ce moment de grands travaux et de monuments, parmi lesquels figurent, à Dakar, le Monument de la Renaissance Africaine inauguré en avril de cette année, en présence de plusieurs autres Chefs d’Etat africains, et le Parc Culturel en finition avancée. Le Festival Mondial des Arts Nègres, exhumé de ses cendres, n’est pas en reste dans l’agenda culturel du Président Wade.

De fait, le Sénégal, à l’instar de beaucoup d’autres pays, mais aussi parce qu’il ne dispose pas de ressources naturelles abondantes, a tôt compris tout le profit qu’il pouvait tirer de ses traditions culturelles, riches et variées. Car la diversité de ses ethnies, de ses langues, de ses religions a toujours su se déployer dans une dynamique de brassages féconds qui est pour beaucoup dans cet esprit de dialogue, d’ouverture et donc d’hospitalité si caractéristique de ses populations.

A cet égard, je vous renvoie à l’excellent ouvrage de Makhtar Diouf, chercheur-économiste sénégalais, qui a pour titre Sénégal, les ethnies et la nation. L’auteur y traite, entre autres sujets, de la parenté à plaisanteries, des correspondances ou équivalences entre nos divers patronymes, de l’émergence des formations étatiques ayant marqué le passé précolonial du pays, de l’ampleur des migrations anciennes ayant mis en contact, avec certes des hauts et des bas, divers groupes ethniques de l’espace guinéo-sénégambien. En un mot, il porte à notre connaissance des éléments pertinents sur les fondements historiques de la nation sénégalaise, nation qui était en gestation avancée bien des siècles avant la colonisation française. Ce qui en fit d’ailleurs, au moment des indépendances africaines, l‘une des plus harmonieuses en Afrique de l’Ouest.

Il devenait ainsi aisé à notre peuple d’être fier de ses valeurs de culture, de les assumer par une démarche et un vécu faits d’enracinement et d’ouverture, de les promouvoir en entreprenant de les faire connaître du monde entier, d’autant que les Sénégalais se révèlent comme de grands voyageurs devant l’Eternel. Le résultat est là visible et palpable : notre pays garde encore intacte sa bonne réputation de terre d’accueil et de dialogue, parce que terre de culture, avec les retombées heureuses de cette image sur le développement de notre tourisme dont l’orientation culturelle, acceptée de tous, est à renforcer.

De tout cela, qu’en est-il de Ziguinchor où nous voici réunis pour, grâce à la Stella, plancher sur le vécu culturel et le devenir socioéconomique de la ville ?

Le moins que l’on puisse en dire, c’est que la situation s’est fortement dégradée, comme si, au fil des ans, la ville, de plus en plus peuplée, s’était détournée de son riche potentiel socioculturel, avec ce que cela peut entraîner de préjudices sur sa croissance économique et sur le bien-être de ses populations.

La situation actuelle de la Stella, plus ou moins léthargique, ainsi que celle d’autres associations qui l’ont précédée en disent long sur ce processus de déclin culturel qui frappe Ziguinchor. Et pourtant, sans passéisme de ma part, il y a 40 ans et plus, que les choses semblaient bien parties ! C’était du temps où la ville brillait de mille feux, dans un bouillonnement culturel et intellectuel qui encourageait les ASC (associations sportives et culturelles) à diversifier leurs activités et à ne pas limiter leurs loisirs de vacances au seul domaine du sport.

Ainsi que je l’indiquais dans une précédente contribution consacrée justement à la Stella, Ziguinchor émergeait, en ces temps-là, comme un foyer culturel parmi les plus dynamiques et les plus en vue au Sénégal. Ses navétanes étaient courus où affluaient, en provenance aussi bien de la Casamance même que des autres régions du pays, des vacanciers composés en majorité d’élèves et d’étudiants. C’est ce contexte, instauré dès la fin des années 1930, qui y donna naissance à une vie associative intense, animée par des groupements de jeunes tels que la Fraternelle, celle-ci ayant inspiré plus tard d’autres comme l’Amitié, l’Etoile du Sud, la Stella qui, toutes, avaient fini par s’affirmer comme des cadres de référence pour l’expression artistico-citoyenne de la jeunesse ziguinchoroise.

Alors, quelle explication au déclin actuel qui semble perdurer ? Plusieurs facteurs y ont concouru, les uns d’ordre conjoncturel, les autres relevant de causes structurelles.

En effet, au début des années 1980, éclate le conflit de Casamance auquel Jean-Claude Marut, géographe-chercheur français, spécialisé en géopolitique, a consacré un livre bien fouillé, paru en avril de cette année, où il apporte un nouvel éclairage à la question. C’est un conflit qui a plongé toute la région dans une crise aux conséquences désastreuses sur la vie des populations dont la sécurité, la stabilité, le besoin de paix, tout comme les ressources naturelles, sont mis en péril. En témoignent les milliers de déplacés qui, fuyant la furie des armes, se sont vus, pour la plupart, contraints de se réfugier dans les pays limitrophes. S’y ajoute la terrible tragédie, en septembre 2002, du naufrage du « JOOLA », navire qui, dan le cadre des efforts déployés pour désenclaver le sud du pays, assurait la liaison maritime Dakar-Ziguinchor. Nous en sommes encore meurtris, sans savoir comment nous en relever et voir le bout du tunnel.

C’est dans ces circonstances que des bonnes volontés décidèrent de se tourner vers le riche passé de la ville et de sa région pour tenter d’y puiser de nouveaux ressorts aptes à nous réarmer moralement et à nous faire rebondir, dans un esprit fécond de solidarité, de partage et d’entente pour que revive l’ensemble de la région. La mobilisation donna lieu à la création, en 2004, du Rassemblement des Ziguinchorois pour le Centenaire (RAZIC) qui, en décembre de la même année, réussit à organiser, dans la liesse populaire, la célébration du centenaire de la ville comme capitale régionale de la Casamance, à la suite de Sédhiou, une autre ville chargée d’histoire.

On sait, après cette célébration, ce qu’il est advenu de ce rassemblement qui avait pourtant suscité beaucoup d’espoir : le mouvement n’eut pas de suite et se disloqua dans une certaine confusion, tombant dans le même oubli qui frappa d’autres mouvements antérieurs, comme le COREZI (Comité pour la Rénovation de Ziguinchor) et l’ASDEC (Association pour le Développement de la Casamance).

D’autres maux sont à évoquer qui n’aident pas à la restauration de la bonne image d’antan de Ziguinchor. En effet, comment comprendre qu’une ville, aux atouts aussi immenses, ne puisse pas bénéficier d’infrastructures culturelles dignes de ce nom ? Il y a certes l’espace qu’offre l’Alliance franco-sénégalaise qui, avec sa belle architecture d’inspiration diola, vient de temps en temps en aide à quelques producteurs de spectacles et à de rares conférenciers ou artistes-plasticiens. Quant au Complexe culturel des Cases, ses travaux de construction, démarrés depuis plus d’une décennie, sont aujourd’hui à l’arrêt, le chantier ressemblant davantage à un site en ruines qu’à autre chose. Le Centre Culturel Régional, une création du Ministère de la Culture comme celui-ci l’a fait dans toutes les autres régions du pays, se signale par son nouveau siège, mais dont la faible capacité d’accueil ainsi que le dénuement en équipements de qualité ne lui permettent pas de donner la pleine mesure de la mission qui lui est assignée. Je n’oublie pas le Village artisanal qui, en place depuis de longues années, s’efforce de bénéficier des retombées du tourisme dans la région, encore qu’il pourrait mieux faire en matière de production de qualité pour se rendre plus attrayant.

Que dire du CDEPS (Centre Départemental d’Education Populaire et Sportive) ? Il s’anime comme il peut avec ses activités d’encadrement socioculturel de la jeunesse et pourrait rappeler à certains nostalgiques la belle époque où le lieu s’appelait La Maison des Jeunes qui fit, entre autres événements, les beaux jours d’orchestres locaux de talent comme la Symphonie Jazz, le Casa Créole Band et, beaucoup plus tard, l’Espérencia Jazz. Le répertoire de l’Espérencia Jazz, sous la direction du maestro Prosper Sonko, récemment arraché à notre affection, a beaucoup inspiré la musique des Frères Tourékunda. Ces derniers, rayonnant sur la scène mondiale du show-biz au cours des décennies 1980 et 1990, ont ainsi porté haut le flambeau de la musique sénégalaise, en exploitant avec brio le riche folklore de la Casamance dont ils sont originaires.

Dans l’ambiance culturelle plus ou moins stagnante, pour ne pas dire morose, d’aujourd’hui, il convient toutefois de se réjouir de l’initiative prise par la nouvelle équipe municipale d’organiser, en décembre de l’année dernière, le premier festival de Ziguinchor, avec l’engouement populaire que l’événement, bien médiatisé, a suscité. Souhaitons-lui vivement d’avoir une prochaine édition, l’effet feu de paille étant à craindre.

En attendant, où est le musée devant sauvegarder et promouvoir nos arts et traditions populaires en péril et dont la ville est à doter ? Je ne parle même pas des salles de cinéma qui ont disparu de la quasi-totalité des villes du Sénégal. Où sont les bibliothèques publiques, les salles multimédias, les centres sociaux, dont la jeunesse, en quête de savoir et de formation, mais aussi d’emplois, a tant besoin? Où voit-on, dans la ville, des places publiques, des ronds-points et des espaces verts dignes de ce nom ? Leur aménagement et leur décoration auraient pu permettre de mobiliser nos artistes-plasticiens, nos architectes, nos urbanistes, nos artisans pour offrir en permanence aux Ziguinchorois un cadre où il fait bon vivre et travailler, avec des chances certaines d’y attirer investisseurs et autres bailleurs de fonds ? Où sont les monuments et autres sites à la gloire des figures marquantes de l’histoire de la région ?

A cet égard, signalons qu’un effort est quand même fait par les autorités locales pour baptiser nos rues, avenues et stades de noms qui évoquent quelques-unes de ces figures. Pour autant, l’on peut déplorer que l’espace public de la ville ne porte pas assez son histoire ni ne reflète, comme il convient, les aspects les plus représentatifs de son patrimoine culturel.

Vous l’aurez remarqué, je me présente à vous, davantage chargé d’interrogations sur des faits constatables que de solutions toutes faites au sujet desquelles je ne livre que quelques pistes. C’est que la réflexion, à mon humble avis, devra être collective sur les conditions à même de renforcer les capacités de notre ville comme un espace où culture et développement reprendraient leur interaction harmonieuse pour le plein épanouissement des populations. Un diagnostic correct et sans complaisance est à faire de la situation pour qu’ensemble, la main dans la main, avec détermination, nous puissions aider à faire renaître Ziguinchor qui, avec tout ce qu’elle recèle comme ressources humaines et naturelles de qualité, nous donne des raisons supplémentaires d’être fiers de lui appartenir.

D’autant que notre ville dispose encore d’un atout majeur qui lui est reconnu et envié partout au Sénégal, ainsi qu’à l’étranger, et qui fait également sa renommée. Il s’agit de la réalité et du dynamisme de la diversité culturelle qui y prévaut. Car l’une des caractéristiques de la diversité à Ziguinchor est qu’elle n’est pas vécue comme une simple juxtaposition de communautés ethniques, linguistiques et religieuses.

Celles-ci, depuis toujours, vivent et assument leur pluralisme comme une réalité fortement imprégnée des valeurs nées des brassages à l’origine de leurs liens multiséculaires. De sorte qu’elles ont conscience de vivre une identité multiple enrichissante, aux antipodes des identités meurtrières. Identités meurtrières, faites de fanatisme, de repli sur soi et d’exclusion, de crispation et de frilosité que l’écrivain Amin Maalouf, d’origine libanaise et donc bien au fait de la question, a stigmatisées avec force, en en faisant le thème et le titre d’un de ses best-sellers.

C’est donc dire qu’ici, à Ziguinchor, diversité va de pair avec interculturalité, symbiose, enracinement et ouverture, au sens senghorien le plus fort de ces concepts qui sont à l’œuvre même dans les pires moments, comme lors du naufrage du « Joola ». Ce sens élevé de la vie en commun, de l’entente, de l’hospitalité, du partage, parce que participant de l’identité de notre ville au cosmopolitisme avéré et bien assumé, il est de notre devoir à tous de le préserver contre les tentations, par moments réelles, de l’enfermement sur soi, de la division, de l’intolérance.

A ce propos, pour illustrer encore les choses, j’emprunterais à un autre écrivain, Raphaël Confiant, natif de la Martinique et grand chantre de la créolité, sa DIVERSALITE, néologisme qu’il a forgé par la contraction en un seul mot des termes de diversité et d’universalité et qui est sa façon, à lui aussi, de fustiger l’approche-ghetto, sectaire, que d’aucuns ont des valeurs identitaires et de la diversité culturelle.

Je pourrais également citer un autre grand intellectuel, le professeur Musanji Ngalasso-Mwatha, originaire de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre), éminent spécialiste de sociolinguistique et de linguistique africaine, disciplines qu’il enseigne à l’université Michel Montaigne, à Bordeaux3. Voici ce qu’il dit fort justement des liens entre culture et développement : « la culture d’un peuple n’est ni un frein ni une composante secondaire du développement ; elle est son essence même. Car le développement, ce n’est pas seulement la croissance, c’est aussi une manière d’accéder à une existence intellectuelle et spirituelle satisfaisante ; ce n’est pas seulement avoir plus, c’est aussi et peut-être d’abord être mieux ».

C’est le moment de revenir à notre chère Stella pour nous réjouir de la voir, après un parcours de 50 ans dont il faut se féliciter, être toujours là, présente, ambitionnant de retrouver son dynamisme d’antan dans le domaine socioculturel qui est le sien. Et le plus magnifique dans ce parcours de la Stella, c’est cette relève des pères fondateurs qui a pu être assurée par ceux et celles qui nous gratifient de ces retrouvailles d’aujourd’hui. Une relève merveilleusement constituée de femmes et d’hommes compétents et engagés, également prêts à bousculer, s’il le faut, certains conservatismes et archaïsmes pour le renouveau de l’association.

A cette fin, nul doute qu’au sortir de cette commémoration sera élaboré et mis en œuvre un important programme de relance des activités de la Stella. De la sorte, ensemble avec d’autres associations, la contribution de la Stella à la renaissance de SIKITIOR, cette autre appellation affectueuse de notre ville, n’en sera que plus marquante.

En ce village planétaire qu’est devenu le monde d’aujourd’hui où les valeurs de diversité, d’échanges et de dialogue culturels, prônées par l’UNESCO, s’efforcent d’être partout à l’honneur, Ziguinchor peut s’enorgueillir, au regard de son parcours historique et de son vécu culturel, de les avoir anticipées de longue date.

Puissent tous ces acquis, ainsi que notre mobilisation pour relever les défis, œuvrer à redonner à notre ville son image d’espace de diversalité ! Et à vous tous, femmes et hommes férus de culture, qui me faites l’honneur de former cet auditoire de qualité, je suis reconnaissant de votre aimable attention."

Pr Mamadou Mané

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