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AU BRESIL, LA FORET FAIT LES FRAIS DU VIRAGE POLITIQUE

Par Aude Massiot
AU BRESIL, LA FORET FAIT LES FRAIS DU VIRAGE POLITIQUE

Depuis le départ du pouvoir de Dilma Rousseff, les conservateurs favorables au lobby agroalimentaire défendent une législation dévastatrice pour l’Amazonie. Dans l’indifférence générale, les peuples autochtones tentent de stopper la catastrophe.

Au Brésil, la forêt fait les frais du virage politique

«Le Brésil vit des heures effrayantes, lâche Philip Fearnside, chercheur à l’Institut national de recherche en Amazonie (INPA). Avec la récession, les forces politiques conservatrices s’alignent pour démanteler des protections environnementales et sociales vitales qui pourraient exposer le pays et une grande partie de l’Amazonie à de graves dangers.» Un an après le départ forcé de Dilma Rousseff à la suite d’accusations de corruption, le Brésil n’arrive pas sortir la tête de l’eau. En plus de la crise sociale et économique qui perdure, la forêt amazonienne, poumon de la planète, est attaquée de plus belle. Et le gouvernement et le Congrès sont les premiers à tirer.

Fearnside scrute la forêt brésilienne depuis plus de trente ans. Alors que la déforestation avait largement diminué de 2004 à 2012, elle a repris depuis cinq ans, pour s’accélérer en 2016. Selon l’Institut national sur la recherche spatiale (INPE), 8 000 kilomètres carrés de forêt ont été détruits en Amazonie en 2016, soit un bond de 29 % par rapport à 2015. Ce chiffre comprend seulement la déforestation légale. En rajoutant son pendant illégal, une superficie équivalente à celle de la France aurait disparu l’an dernier. Des pans entiers sont détruits au profit de la production de soja et de l’élevage extensif de bovins. A cela s’ajoute la construction de barrages hydroélectriques, de routes et de ports. D’après le chercheur, ce n’est pas près de s’arrêter. «Tous les indicateurs le montrent. Il y a de plus en plus d’investissements dans la forêt amazonienne, assure Philip Fearnside. Les projets d’infrastructures en cours encouragent la spéculation sur ces terres. Leur valeur monte énormément quand on construit une route dessus ou à proximité.»

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) corrobore cette tendance. Selon l’institution onusienne, le Brésil est le pays qui a perdu le plus de forêt entre 2010 et 2015, soit 0,2 % par an. Une destruction considérable pour le deuxième territoire ayant le plus de couverture forestière au monde (derrière la Russie) : il possède 12 % de la forêt mondiale, sur 59 % du pays.

«Ruralistas»

Les facteurs sont multiples pour expliquer cette recrudescence. Une augmentation du prix du soja et du bœuf a rendu plus rentable l’exploitation des terres. Mais c’est surtout l’arrivée des conservateurs au pouvoir, il y a un an, qui coûte cher à l’Amazonie. Avec la chute de Dilma Rousseff, et la reprise en main du pouvoir par Michel Temer, le «bloc ruraliste», ces élus qui représentent les intérêts de l’agrobusiness, a gagné en puissance. Il contrôle maintenant 40 % de sièges au Parlement. «Le président Temer a mis plusieurs leaders de ce bloc politique très puissant au pouvoir : Blairo Maggi au ministère de l’Agriculture, et Osmar Serraglio à la Justice, entre autres», dénonce Christian Poirier, de l’ONG américaine Amazon Watch. Pour le premier, le conflit d’intérêts est flagrant. La famille Maggi est le plus gros producteur de soja au monde. Le ministre de l’Agriculture est lui-même propriétaire de 16 % du groupe, qui a des intérêts dans les secteurs de l’énergie, des engrais, des transports et de la production de caoutchouc.

Sous prétexte de rendre à l’économie brésilienne sa compétitivité, les «ruralistas» sont sur le point de faire passer un arsenal de lois et d’amendements à la Constitution pour saper certaines protections environnementales et empiéter sur des terres autochtones. Un texte, tout juste approuvé par une commission du Congrès, permettrait l’ouverture de 1,1 million d’hectares de forêt, aujourd’hui protégés, à l’exploitation. Le système de permis va aussi être élagué. Un amendement à la Constitution autoriserait la construction de barrages ou de routes, en déposant seulement une étude d’impact environnemental, peu importe ses résultats. Une autre loi fédérale prévoit de limiter à une seule étape les demandes d’autorisation pour déforester légalement, et donne des échéances extrêmement courtes aux agences environnementales pour rendre leur avis, sans quoi le projet est approuvé automatiquement. «La majorité de ces lois ont été introduites en 2016, au moment de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, entre mars et août, indique Philip Fearnside. Durant cette période, tous les sénateurs étaient concentrés sur l’affaire. Il a été facile pour les "ruralistas" de faire passer leurs lois rapidement. Certaines attendaient dans les tiroirs depuis trente ans.»

Ce démantèlement n’est pas nouveau. En 2012, année où la déforestation a recommencé à augmenter, le code forestier a été refondu afin de faciliter l’obtention d’autorisations pour déboiser légalement. La nouvelle version a aussi permis d’effacer l’ardoise de nombreux coupables de déforestation illégale. Ces changements se sont faits progressivement. «Avec la forte baisse de la déforestation entre 2004 et 2012, il y a eu beaucoup de propagande et de publicité du gouvernement, qui affirmait que la situation était sous contrôle. Cette rhétorique très dangereuse perdure aujourd’hui, assure Philip Fearnside. Même certains politiciens pensent que la déforestation est contenue.» Dans ce contexte, il est plus facile de justifier les importants projets d’infrastructures prévus dans la région. Une autoroute est en cours de construction pour relier Manaus, au cœur de l’Amazonie, à Porto Velho, dans «l’arc de la déforestation», la périphérie où la forêt est réduite à des îlots boisés. Un autre axe routier, qui lui traverse l’Amazonie sur 1 800 kilomètres, reliant Santarem à Cuiaba, est en train de passer de l’état de chemin boueux à une route goudronnée. Ces deux voies vont ouvrir la moitié de ce qui reste de l’Amazonie aux investissements et à la circulation de camions remplis de soja, prêts à rejoindre les ports du bassin de l’Amazone et de ses affluents. La famille Maggi compte justement sur cet accès pour faciliter le transport de ses produits par voie fluviale. Une série de barrages est aussi en projet sur le deuxième plus long fleuve du monde.

Les ravages de la déforestation ne se cantonnent pas à l’Amazonie. Le Cerrado, une région de savane qui occupe 20 % du territoire brésilien, au sud de la forêt amazonienne, est rongé par l’étalement agricole. «Il est beaucoup plus facile d’obtenir des autorisations pour déboiser dans le Cerrado, décrit Cristiane Mazzetti, du programme sur l’Amazonie brésilienne à Greenpeace. Seulement 20 % de la zone est protégée.» Et celles-ci pourraient diminuer rapidement, avec les nouvelles mesures voulues par le bloc ruraliste.

Face à ces attaques, la société civile peine à mobiliser la population. «Avec la crise politique et économique, protéger les forêts est devenu la dernière des priorités du gouvernement, ajoute Cristiane Mazzetti. Les citoyens eux-mêmes se sentent plus concernés par leur régime de retraite menacé que par le futur de l’Amazonie.» Les peuples autochtones (1,5 million de personnes au Brésil) sont devenus les figures de proue de l’activisme pour protéger l’Amazonie, où ils vivent majoritairement. Sous la bannière du mouvement Terra Livre, près de 3 000 autochtones se sont rendus à Brasília du 24 au 28 avril pour demander au gouvernement de stopper sa politique dévastatrice. C’est la plus grande mobilisation indigène depuis trois décennies.

Mais cet engagement leur coûte cher. Selon l’ONG Global Witness, le Brésil est le pays le plus dangereux pour les militants environnementaux. Entre 2010 et 2015, ils sont 207 à y avoir perdu la vie, dont 50 en 2015. La majorité sont des autochtones. Dernier exemple de cette violence, le 30 avril, 200 fermiers brésiliens ont attaqué à la machette des membres de la communauté gamela, dans l’Etat de Maranhão (nord-est). Treize d’entre eux ont été hospitalisés et certains ont perdu leurs mains et pieds.

Exactions

Pour Christian Poirier, d’Amazon Watch, le pouvoir en place a une responsabilité dans la multiplication de ces exactions. «Le racisme ouvert du gouvernement stimule un racisme plus macabre, plus violent contre ces peuples», défend le militant. «La terre ne remplit pas les ventres», a revendiqué le ministre de la Justice, Osmar Serraglio. Pour lui, si les autochtones veulent s’intégrer dans la société brésilienne, ils doivent travailler et accepter les grands projets d’infrastructures qui empiètent sur leur territoire. Dans cette optique, les «ruralistas» défendent un amendement constitutionnel qui transfère du gouvernement au Parlement, où ils sont largement représentés, le pouvoir décisionnel sur la création de nouvelles réserves autochtones. Ces zones sont les plus protégées de la déforestation.

En parallèle, le ministère de l’Environnement s’est vu amputer de 51 % de son budget en mars.La Fondation nationale de l’Indien, organisme créé pour protéger les indigènes, a subi des coupes similaires, alors que son directeur a été renvoyé début mai pour un désaccord avec Osmar Serraglio.

En plus d’être dévastateur pour la biodiversité et la vie autochtone, le phénomène est une menace pour le climat mondial. Les forêts jouent un rôle de captation des émissions de gaz à effet de serre. Selon deux études internationales, la destruction de la végétation tropicale serait responsable de l’émission de 3 milliards de tonnes de CO2 par an. Soit un dixième des émissions planétaires. De quoi mettre en péril l’objectif brésilien, fixé dans le cadre de l’accord de Paris, de réduire ces émissions de 43 % d’ici à 2030 (par rapport à 2005). Le gouvernement brésilien s’est aussi engagé à mettre fin au déboisement illégal d’ici à 2030. Pour Cristiane Mazzetti, c’est insuffisant : «L’échéance est trop lointaine ! Et ils ne parlent pas d’arrêter la déforestation légale.»

Mardi, Greenpeace et 90 autres organisations internationales ont lancé le mouvement #Resist pour exiger des élus brésiliens qu’ils cessent leur démantèlement socio-environnemental. Mais la militante écologiste reste pessimiste. Seul espoir : un sursaut de la société brésilienne, engourdie par plusieurs années de crise politique.

Aude Massiot

Post-scriptum: 
La forêt amazonienne de l’Etat de Mato Grosso, au Brésil, en octobre 2015. Une partie de sa surface est désormais réservée à la culture de soja. Photo Paulo Whitaker. Reuters

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