Le temps des vacances est bien celui que j’affectionne désormais.
Désormais et même si depuis quelques années, la société m’a mise en congé de longue durée, je n’ai pas cessé d’avoir des activités et j’ai appris à choisir le moment de faire une halte, de faire choix du lieu pour en profiter. C’est ainsi. Hub et moi, nous aimons faire ces parenthèses dans notre quotidien. En vous disant cela, je pense à ma grand-mère, une vieille négresse que j’adorais. Quand elle quittait Case Pilote pour passer quelques semaines au Morne Rouge, chez sa sœur, elle disait : « Je suis en villégiature ».
Cette année, nous avons pris nos distances avec les îles, pour les villages d’une France hexagonale et profonde. Notre première halte est Wasselonne, située au cœur de la Vallée de la Mossig dans le département du Bas-Rhin. Nous sommes reçus dans une grosse et confortable maison alsacienne, placée dans un écrin naturel de vergers et de collines, aux contreforts des Vosges, à proximité immédiate de la Route des Vins.
Notre compagnie est agréable, aimante, aux petits soins. C’est le peuple d’Hub qui nous reçoit, une joyeuse troupe de cinq à cinquante ans, dont huit particulièrement (de 7 à 20 ans, une majorité de filles) , totalement en extase face à ce grand-père de Martinique qui, je le conçois, mérite bien ces transferts. En outre des découvertes, d’une région historique de la plaine du Rhin, frontières de l’Allemagne et la Suisse, l’Alsace reflète ce mélange de cultures, dont les similitudes ne nous est pas étrangères aux Antilles.
Entre les tablées pantagruéliques et les discussions enflammées, les questionnements incontournables sont en premières lignes. Les grands : Comme se porte la Martinique, les petits y vont sans ambages « C’est quoi être chaben ? ». Les réponses de GpH (Grand-père Hubert) , ne peuvent souffrir d’à peu près encore moins de zenzolades, sous peine de créer plus de doutes que le fait l’éloignement des racines.
Dans cette rencontre, ô combien familiale, j’ai choisis ma place, celle d’accompagner la jeunesse là où elle veut bien me faire un espace, la lecture en fait partie. C’est ainsi que j’ai découvert avec un plaisir sans mélange, dans leur collection jeunesse, un auteur : Elizabeth Bowen, un roman « Emmeline » (prénom d’une de la tribu de JpH). Je suis d’abord surprise du choix que me fait notre Emelyne , une jeune fille de vingt ans, chabine en diable, et qui a vu le jour dans la grande cité universitaire qu’est Strasbourg. En deuxième année de fac plus ou moins ratée, selon les dires des parents, elle ne semble pas embarrassée par les histoires d’amour passion-langueur-chagrin. Aussi suis-je surprise en découvrant l’écriture d’Elizabeth Bowen ,
L’auteur donne une réelle importance aux fleurs de jardin, aux lieux, aux paysages avec délicatesse dans un style fluide et poétique ! Mais revenons à notre roman.
Elizabeth Bowen est Irlandaise, née le 7 juin 1899 à Dublin et décédée le 22 février 1973 à Londres, c’est un auteur moderniste du vingtième siècle, avec une écriture similaire à celle de Virginia Woolf . Son premier livre, est un recueil de nouvelles, genre dans lequel elle passera maître par la suite. Les caractéristiques de son talent s'affirment en une pénétrante intuition, une redoutable perspicacité, un curieux mélange de sympathie et d'ironie envers les petitesses humaines, un esprit caustique, un style incisif.
L’histoire se situe dans la première moitié du vingtième siècle. Emmeline et Cecilia, l'une célibataire, l'autre veuve, partagent le même toit londonien. Issues de la bonne société, les jeunes femmes attirent les convoitises masculines. Et en dépit de leurs différences, toutes deux sont à la recherche du même grand amour. Cécilia en quête d’un nouveau mari, fait la connaissance de Julien Towers, Emmeline quant à elle se laisse charmer par Mark Linkwater, un butor profiteur. Deux histoires qui conduiront l’une au mariage, l’autre au suicide .
Emmeline, n’a pas trente ans, grande mince, elle a le geste plutôt nonchalant. Elle dirige une agence de voyages avec son associé. C’est une jeune femme secrète, naïve, peu encline aux confidences, timide et peu sûre d'elle dans le domaine affectif, très indépendante pour son temps dans le domaine professionnel.
Cécilia, est au contraire, audacieuse, sûre d'elle, charmante, pétillante, à l'humour incisif. Son bref mariage avec feu Henry, le frère d’Emmeline, n’a pas perdu son caractère d’évènement Cécilia est une veuve stupéfaite. Elle se sent perdue dans la vie et l’incrédulité qui avait marqué son entrée dans le bonheur donne le ton à sa douleur. Peu sujette à la nostalgie, la jeune femme se laisse facilement séduire
Elizabeth Bowen dresse un portrait déchirant de ce duo féminin. À travers l’insaisissable et l’anodin, confidences, engouements, joutes oratoires ou lourds silences, avec un art du tragique confondant. L'odieuse Lady Waters, tante des deux filles n'a pas d'enfants et ne tolère absolument pas que ces deux jeunes femmes soient sans mari. Deux femmes qui cherchent l'amour, l'une conventionnelle, l'autre trop en avance sur son temps, ce qui les conduira vers un destin contraire....
Un ouvrage rempli d'amertume et de psychologie à propos des femmes au début du vingtième siècle où les sentiments n'étaient rien dans la société de ce temps là au regard des bonnes moeurs.....
Une lecture à la fois intime et lumineuse comme peuvent en offrir les romans anglais de l'entre-deux-guerres...