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BRESIL « COUPE IMMONDE » : OÚ SONT LES NOIRS ?

par Tidiane N’Diaye (sur www.saphirnews.com)
BRESIL « COUPE IMMONDE » : OÚ SONT LES NOIRS ?

Durant l’effervescence de la Coupe du monde de football 2014, beaucoup de téléspectateurs ont remarqué la presque totale absence de Noirs dans les images d’un pays pourtant dit multiracial.

Au Brésil, l’abolition de l’esclavage y a été tardive (1888). Puis cette société admettra de fait le caractère multiethnique de sa formation. Toutefois, à l’image des autres sociétés post-esclavagistes, le Brésil instituera une hiérarchisation sociale grandement fondée sur la couleur.

La communauté des déportés africains y a cependant conservé des liens très forts avec ses civilisations d’origine. Les valeurs du continent noir ont été transmises des générations durant par les esclaves afro-brésiliens. Les négriers ont déporté dans ce pays près de 3,5 millions de captifs africains. Beaucoup venaient de l’Angola ou du Mozambique, mais nombre d’Africains des ethnies Fulah, Peul, Manding, Yorouba, Haoussa ou Wolof comptent dans ce lot.

Ces peuples de la Sénégambie (Afrique de l’Ouest), du Mali et plus généralement de l’ex-Soudan occidental étaient les héritiers de grandes civilisations, notamment les empires du Ghana, du Mali, de Songhaï et du royaume de Ségou. Beaucoup de ces déportés africains du Brésil connaissaient dans leurs pays d’origine une organisation militaire, politique et culturelle.

Supériorité intellectuelle
Comme tous les musulmans de l’Ouest africain, ils étaient lettrés et avaient été éduqués à l’école coranique, d’où leur supériorité intellectuelle vis-à-vis des maîtres portugais souvent analphabètes. Cette supériorité se manifestait tant sur le plan culturel que sur le plan technique par leur parfaite maîtrise de l’élevage du bétail et du travail des métaux.

Lors de l’insurrection de Bahia, en 1835, le Dr Francisco Gonçalvès, chef de la police locale, devait signaler à ses supérieurs que « la plupart des Noirs révoltés savaient lire et écrire, dans une langue inconnue par lui mais qui ressemblait à de l’arabe ». Ce jour-là (le 25 janvier 1835), en quelques heures, des esclaves yoroubas révoltés avaient réduit la ville de Salvador de Bahia en cendres.

En fait, bien avant ce soulèvement, la plupart des esclaves prêchaient la supériorité de l’islam sur la religion des maîtres portugais. Ils voyaient ces derniers comme des « yéffers » (« mécréants » ou « païens impurs »), « pakhés » (« incirconcis »), buveurs d’alcool et gibiers de l’Enfer.

Le corps enchaîné mais pas l’esprit
Les esclaves non musulmans, dont beaucoup venaient de la côte du golfe du Bénin où s’étaient développées des civilisations sans grandes influences extérieures comme les empires ashanti et dahoméen, s’accrochèrent, quant à eux, aux dieux animistes ou au culte du vaudou.
La tante du roi dahoméen Guézé, déportée par Adandoza, introduira dans le Nouveau Monde cette croyance africaine encore très répandue au Brésil et dans la Caraïbe, notamment à Haïti.

Tous ces facteurs socioculturels ont été déterminants dans la résistance des esclaves brésiliens, seul le corps était enchaîné mais pas l’esprit. La déculturation qui a plus ou moins fonctionné chez beaucoup de déportés africains des États-Unis et de certaines îles de la Caraïbe − par la « dénègrification », la conversion au christianisme ou par des politiques faussement assimilationnistes −, s’est heurtée au Brésil, à une résistance spirituelle plus efficace.
Toutefois, bien que sa composition soit pluriethnique depuis des siècles, la société brésilienne fonctionne toujours à deux vitesses. Au lendemain de l’abolition, dans un premier temps les Noirs sont allés grossir les rangs de la paysannerie rurale. Ensuite, la faillite et le déclin économique du secteur agricole les obligèrent à émigrer en masse vers les centres industriels du pays.

Pauvre, exploitée et toujours inconsidérée, la population noire demeure cependant au bas de l’échelle sociale comme la principale victime d’une discrimination économique et raciale, sournoise et ambiguë.

La plupart des dizaines de milliers de Brésiliens qui vivent en dessous du minimum vital appartiennent à leur communauté. Ce sont essentiellement des analphabètes, des assistés sociaux, des détenus, des prostitués ou des travailleurs de l’économie informelle. Ils sont également les grands exclus du système éducatif.

Au Brésil aussi subsiste dans l’inconscient collectif des descendants d’esclaves le même complexe d’infériorité vis-à-vis de la couleur blanche. Il est fréquent de voir des métis éviter la couleur noire en se qualifiant de « zébrés », de « demi-mûlatres » ou de « rouges foncés ».

En majorité cantonnée dans les banlieues pauvres et les favelas, la population noire reste exclue de l’ascenseur social. À titres égaux (formation, diplômes), un Noir a moins de chances d’obtenir un emploi qu’un Blanc. Malgré la loi, il n’est pas rare de voir spécifié « Blancs seulement » dans les offres d’emploi publiées par les journaux brésiliens. Un dicton populaire de Bahia dit : « Le Nègre riche est un homme blanc, et le Blanc pauvre est un Nègre. »

Ici aussi la route de l’intégration totale et de l’égalité sera longue pour les Afro-Brésiliens. Le concept tant vanté de démocratie raciale reste un mythe dans ce pays où l’expression « avoir bel air » signifie ressembler au Blanc.

Il est dès lors facile de comprendre l’absence de Noirs en masse dans les lieux de plaisir, voire sur les tribunes de la Coupe du monde, où le pouvoir d’achat détermine la présence et la place des uns et des autres.

Post-scriptum: 
Tidiane N’Diaye est anthropologue et écrivain. Parmi ses ouvrages parus : Le Génocide voilé (Gallimard, 2008) ; Par-delà les ténèbres blanches (Gallimard, 2010) ; Le Jaune et le Noir (Gallimard, 2013).

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