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CE QUE XAVIER DARCOS DISAIT DES LANGUES CREOLES DE GUYANE...

CE QUE XAVIER DARCOS DISAIT DES LANGUES CREOLES DE GUYANE...

{En visite d'inspection en Guyane, Xavier Xarcos se dit effrayé par la cacophonie linguistique qui y règne et par l'extrême difficulté à y enseigner la langue française. Visiblement, comme le montre l'article ci-après, le maire de Périgueux, qui porte aux nues la langue de sa région, l'occitan, n'a pas une très bonne opinion des langues créoles. C'est le moins qu'on puisse dire...}

L’été dernier, j’ai acheté à la Maison de la Presse de Fumel, sans savoir de quoi il s’agissait exactement, un livre intitulé Périgord, Occitan et langues de France, paru en 2005. Ce sont les actes d’un colloque qui s’est tenu à Périgueux en juin 2001, à l’occasion du centenaire de la Félibrée du Bournat, sous l’égide de l’Institut Eugène le Roy et la bienveillante tutelle de Xavier Darcos, alors maire de Périgueux[2].

Un livre dont l’intérêt est proportionnel à la déception qu’il procure…

Cet ensemble est donc déjà un peu défraîchi. Qui plus est, il est fort mal édité (très nombreuses coquilles, textes non relus, etc.), souvent mal écrit, et globalement décevant : très peu de choses sur les langues de France autres que l’occitan et dans l’ensemble très superficielles[3] et une approche globale de la question linguistique en Périgord pour le moins frileuse et ambiguë. L’ouvrage en lui-même est une expression de cette frilosité et de cette ambiguïté. Dans l’avant propos signé de Guy Mandon, on trouve par exemple les mots suivants, fort étonnants : « Beaucoup de textes en langues régionales ne sont pas traduits : il faut alors se reporter aux ouvrages cités ! Mais il m’a semblé que refuser, avec l’auteur [sic ! mais lequel ? celui dont il est question ci-dessous ?], la traduction c’était préférer le risque d’incompréhension à celui du rendez-vous manqué avec la grande beauté de ces exquis morceaux de littérature » (p. 10). Je me suis mis à la recherche de ces nombreux morceaux exquis… Il n’y en a quasiment pas : l’occitan, même en citation d’auteurs est largement absent du volume, à l’exception d’un article de Marie-France Notz sur Arnaud Daniel, que le même Mandon présente ainsi : « la communication ici présentée montre ainsi et la subtilité des mots et le raffinement de la chose. Qu’on nous pardonne l’absence de traduction ! Nous avions si peur de passer à côté d’une aussi belle langue et du moment de bonheur que fut cette évocation » (p. 14). Flagornerie pure ! Si des textes ont besoin de traduction (fût-ce en occitan moderne !), ce sont bien justement ceux d’Arnaud Daniel, troubadour au style obscur, hermétique, « trobar ric » [trouver riche] et « trobar clus » [trouver fermé, hermétique], tant, comme le dit Notz elle-même, il est « difficile à comprendre ». De même, on nous présente comme un « grand moment » la conférence de Le Roy Ladurie ; or le papier présenté par le fameux historien, qui devait initialement parler de son Histoire de la France des régions, est pourtant insipide et tout à fait hors sujet, qui nous entretient du voyage des frères Platters en pays Catalan à la fin du XVIe siècle.

Plusieurs raisons me conduisent cependant à consacrer une note à ce livre : d’abord parce qu’il n’a manifestement eu que fort peu d’écho (du moins à en juger par sa présence plus que discrète sur la toile) ; ensuite parce qu’il présente un cas, hélas assez commun dans nos contrées, d’ouvrage consacré à l’occitan et aux langues de France, dont on attendrait – étant donnée la situation d’extrême urgence dans laquelle se trouve nos langues – une véritable attention et même un certain engagement, mais qui se révèle en fait foncièrement hostile à une quelconque transformation des politiques linguistiques qui, par une asphyxie préméditée, conduisent les « patois » à une mort inexorable. Tout au plus, est-on disposé à les réhabiliter comme langues, mais seulement à titre posthume. Du moins tel est l’esprit qui anime manifestement les organisateurs du colloque et éditeurs de l’ouvrage et d’une partie des intervenants, l’un d’eux n’étant nul autre que notre actuel ministre de l’Éducation. Comme on verra, les propos de ce dernier sont assez sidérants, et méritent d’être connus bien au-delà de nos régions… Malgré tout,– et c’est la troisième raison d’en rendre compte – se font aussi entendre dans cet ouvrage collectif des voix dissidentes qui défendent des positions plus cohérentes. Enfin il présente quelques aspects historiques et d’érudition intéressants.

Le gang des inspecteurs généraux d’histoire et géo

Deux inspecteurs généraux d’histoire et de géographie semblent avoir eu l’initiative de cette rencontre et donnent le ton de l’entreprise. Il s’agit de Guy Mandon et de Xavier Darcos. Ils en ont invité un troisième : Jean-Louis Nembrini (aujourd’hui directeur général de l'enseignement scolaire). Si je mets en avant la profession et la qualité de ces intervenants, c’est qu’il est largement question d’éducation dans les propos de Mandon et de Darcos. On connaît l’extraordinaire promotion par notre actuel ministre de l’Éducation de l’occitan et des autres langues de France. Je parle ici bien sûr par antiphrase, et les propos de nos inspecteurs sont intéressants, qui disent en gros, de manière contournée, mais assez claire, que l’occitan est merveilleux et que son déclin est fort dommage, mais qu’il n’est certes pas question de changer quoi que ce soit à cette situation, et surtout pas au sein de l’Éducation Nationale.

Le pétard mouillé des « grandes retrouvailles »

Le lecteur sent très vite où l’on veut le mener à la lecture de l’avant propos de Guy Mandon, texte embarrassé et confus, tissus de phrases creuses, de lieux communs et de sous-entendus fielleux, agrémentés d’un généreux usage de la brosse à reluire (voir supra). Le ton est donné lorsque l’auteur salue l’initiative de la création de l’Institut Eugène le Roy par le sénateur maire Darcos, et le travail de son administrateur Gérard Fayolle (qui signe l’article conclusif du livre), en disant les deux hommes « animés par la conviction que le temps des déchirements politiques autour des régionalismes intégristes était passé » (p. 9). C’est quoi un régionalisme intégriste ? Sont sans doute visés par là les mouvements occitanistes des années 60-70 analysés par François Dubet durant le colloque (voir infra), mais faute d’éclaircissements, nous en sommes réduits aux supputations… Par contre le texte est tout vibrant des éloges clicheteux sur l’exception française : la France possède une « langue au statut depuis longtemps universels » (p. 9), elle est la Nation qui donna « à l’Europe des Lumières sa langue et à l’Europe le drapeau de l’émancipation » (p. 19). Aussi ne s’étonne-t-on pas de rencontrer un hommage appuyé à l’école de Jules Ferry et à la déploration du retard du Périgord dans la scolarisation, mise en rapport avec la persistance de l’occitan. Le Périgord, dit-il, « a surtout souffert d’être trop longtemps privé de ce qui lui était indispensable dès lors que les langues régionales – malgré elles évidemment – n’étaient plus capables de cet apport » (p. 19). Quel « apport » ? Le discours embrouillé ne le dit pas, mais on comprend bien qu’il s’agit des lumières du savoir et du progrès. Je note que les « langues régionales » sont déclarées incapables d’un tel apport, ce qui évidemment est faux : il est plus correct de dire que, dégradées en patois, elles en ont été jugées incapables, et encore trouverait-on de nombreuses exceptions. Dans son article (« De la fin du moyen âge au XXe siècle : De la langue d’oc au patois, du patois à l’occitan »), Mandon insiste sur cette idée, montrant à quel point il rattache la pratique de l’occitan à une culture archaïque et dépassée, au risque d’ailleurs d’interprétations historiques pour le moins étonnantes.

Ainsi analyse-t-il l’analphabétisme massif des Périgourdins au XVIIe siècle comme un signe l’échec de la Contre-réforme, à ses yeux inséparable de la maîtrise de la lecture et de l’écriture et engageant un indiscutable progrès civilisationnel : « privés du savoir lire et écrire, les Périgourdins le sont aussi des moyens d’entrer dans une autre culture, celle qui entoure et accompagne des pratiques religieuses faisant appel à des démarches plus personnelles et à une vision plus construite du monde, bref à l’épanouissement d’une approche plus individualiste et personnelle » (p. 84). Je me contenterai de constater seulement que là où elle a triomphé, la Contre-réforme (en Italie, Espagne) s’est fort bien accommodée de l’analphabétisme, développant d’ailleurs une propagande par l’image permettant de faire l’économie de la lecture et de l’écriture. On sait que la Contre-réforme a du reste violemment réprimé l’édition des textes religieux en langue vernaculaire, partout où elle a pu (voir les livres de Gigliola Fragnito, La Bibbia al rogo et Proibito sapere). Qu’elle offrait potentiellement aux masses populaires une « vision plus construite du monde », comme l’affirme aussi Mandon, est également on ne plus discutable. Et d’abord « plus construite » que quoi ? Pas un mot ici sur la culture orale populaire, dont on se contente de supposer qu’elle offre une vision du monde déficiente. Notons d’ailleurs que dans les régions occitanes marquées par la Réforme, l’histoire de la langue, dans ses grandes lignes, a été la même, encore qu’il y a sans aucun doute des différences importantes à relever (voir les ouvrages de Robert Lafont sur cette question, ici la distinction confessionnelle n’est pas même évoquée).

Ce sur quoi, par contre, insiste l’auteur, ce sont les « ravages » qu’a pu faire en Périgord « la privation scolaire », ne mettant jamais en doute l’idée que l’alphabétisation ne saurait se faire en autre chose qu’en français : « l’amour pour la langue d’oc ne doit tout de même pas faire oublier que le vrai malheur est celui de cette grosse minorité d’élèves privés d’école encore pour une ou deux générations » (p. 90). Mais quel rapport entre l’amour pour la langue d’oc et les retards de l’alphabétisation (en français) du Périgord ? Cet argument, hélas souvent utilisé, est évidemment complètement vicié, qui repose sur la hiérarchie entre langue orale et langue écrite, et l’affirmation qu’il est plus grave de rester analphabète que de perdre sa langue, et que l’on n’a pas le droit de se plaindre de cette perte, puisqu’on y a gagné au change le lire et l'écrire. En sourdine, l’argument est bien ce grossier paralogisme suivant lequel l’amour immodéré pour la langue d’oc est une forme de justification de l’analphabétisme qui n’a que trop longtemps duré dans nos régions. « Amour immodéré » : c’est que la modération consiste en l’occurrence à subordonner cette affection à un amour premier et essentiel pour le français, un amour éperdu de reconnaissance pour le don d’un alphabet que seule pouvait apparemment nous faire cette langue ! Cela permet d’écarter sans même l’effleurer la question d’une alphabétisation bilingue. Car, l’on en revient toujours au même point : l’occitan est une belle langue à condition de rester le plus possible extérieure à l’école, ou au moins d’y être plutôt une objet qu’un sujet d’étude, une matière enseignée plutôt qu’un médium d’enseignement (bref toute la différence entre une langue vive et une langue morte). Les récriminations par lesquelles se termine l’avant-propos sont à cet égard très révélatrices : « Si on regarde le contenu de l’enseignement des établissements bilingues tel que le proposait le Bulletin Officiel de l’Éducation nationale à la rentrée 2001, on voit bien les difficultés que nous risquons rencontrer [sic] à enseigner certains cours de discipline scientifique ou faire fonctionner un conseil de classe en langue d’Oc ». Quand on va voir le texte en question, on se demande de quelles difficultés il s’agit, et quels sont ces épouvantails de l’enseignement bilingue agités devant nous par Mr l’inspecteur général. Aussi, lorsqu'il invoque les « grandes retrouvailles » avec l’occitan (certes pour ajouter qu’elles sont « encore dans leur enfance »), nous sommes fondés à nous demander comme il conçoit alors les choses…

gendarmerie d'Apatou, sur le fleuve Maroni

Où l’on découvre l’idéologie linguistique d’un ministre de l’Éducation Nationale

L’exposé de Xavier Darcos (« Quel statut pour les langues régionales dans le système éducatif français ? »), quant à lui, est assez ahurissant. Il s’agit d’une sorte de conversation à bâtons rompus, sans doute saisie à partir de l’enregistrement, très verbeuse, frôlant parfois l’incohérence et trahissant plus d’une fois une connaissance plus qu’approximative du sujet[4]. Ce discours, tout en portant l’occitan au pinacle, vise en substance à montrer qu’en matière d’éducation au moins, on ne saurait faire pour lui ce qu’il mériterait. En effet – logique imparable – il faudrait alors en faire autant pour des langues qui lui sont de beaucoup inférieures ! Car Darcos ne doute nullement qu’il existe une « hiérarchie » entre les langues, et il n’hésite pas à utiliser d’ailleurs le terme : « J’ai commencé par l’Occitan en le mettant en haut de la hiérarchie, une déférence hiérarchique ». Donc, fort de ces hiérarchies, un homme de bon sens aura envie de dire : « Va encore pour les langues d’Oïl, le Provençal [qui n’est donc pas de l’occitan pour Darcos ?], l’Alsacien et le Mosellan », mais « ça se complique évidemment lorsque l’on va vers des langues qui sont quasiment [sic !] autochtones, des langues en particulier des régions, territoires ou départements français qui sont lointains, où là, il n’y a ni écriture, ni transmission orale claire ». Ni transmission orale claire : les territoires d’outre-mer, qui ont fait entendre dans les semaines passées leurs revendications économiques mais aussi culturelles, et lingusitiques, apprécieront… « Je pense en particulier à toutes les langues créoles de Guyane qui sont une grande difficulté pour que l’administration arrive à s’y repérer, particulièrement le créole, où l’on trouve des bases lexicales anglo-néerlandaises qui se sont compliquées de Portugais et d’Anglais… » (p. 171). La description n’est guère claire, ni soignée, on en conviendra, mais le créole mérite-t-il mieux pour notre inspecteur ? Fier d’avoir eu à inspecter la Guyane, comme il le dit, remontant le fleuve Maroni, il revint cependant de son voyage effrayé par ce qui lui apparut une belle cacophonie linguistique ; d’où, explique-t-il, le « désarroi dans lequel se trouve l’enseignement primaire guyanais », non pas pour enseigner toutes ces langues barbares, mais – rassurons-nous – le français seul ! Il est pour le moins étonnant de retrouver pour la Guyane, dans la bouche d’un inspecteur appelé à devenir Ministre de l’éducation, les propos que l’on tenait jadis pour les campagnes françaises. Le mépris, à peine voilé pour ces lambeaux de créoles et autres parlures « quasi-autochtones », vaut bien en effet celui que le mot de patois suffit à évoquer.

L’occitan, nous explique l’alors maire de Périgueux, certes, ce n’est pas pareil ! « On a là un appareil littéraire, un appareil critique, une histoire, des cours, des seigneurs, des troubadours, une histoire littéraire qui fait que l’on peut dire : « Écoutez, lorsque l’on voit ce qu’est l’occitan, pourquoi ne serait-il pas intégré dans l’éducation française ? »». C’est raisonner sans compter avec tous les autres prétendants, pour inférieurs qu’ils soient ! Car voilà, si l’on dit « va pour l’Occitan, va pour le Mosellan, pour les dialectes Rhénans, il faut aussi dire, va pour les langues mélanésiennes, va pour les langues Guyanaises » (p. 171). Et alors, vous vous rendez compte ? – Pas très bien, mais d’autres que moi auraient eu tôt fait de crier purement et simplement au racisme ! Enfin, on aura compris qu’il s’agit de fournir des arguments pour justifier la création du moins de postes possibles en occitan, comme dans les autres langues, y compris par l’invention d’hypothèses absolument spécieuses : « Si demain au collège de Périgueux ou de Marmande, un élève demande à faire l’option lourde, à la place de l’espagnol faire le choix du breton ou d’une langue mélanésienne, nous aurons certainement des difficultés à trouver un professeur qui viendra assurer cet enseignement pour lui ». Mais voilà, il apparaît en gros que c’est la même chose pour l’occitan… en Occitanie même ! Notre limousin en est un brillant exemple. On ne peut tout de même pas généraliser l’offre et créer des sections en veux-tu en voilà !

Enfin, et je n’invente rien, notre politique se félicite de ce que, fort heureusement, l’on n’est pas ici dans la même situation que dans certains départements et territoires d’Outre-mer : là bas « il y une revendication politique extrêmement forte » [on s’en est aperçu, en effet !] : « Imaginez que vous disiez : en Guadeloupe, à partir de maintenant, on enseigne plus les langues créoles, vous repartiriez roulé dans le goudron et les plumes ! Nous sommes en face de quelque chose qui appartient à l’identité, à l’histoire, d’une manière tellement uniforme, unanime, qui organise tellement la pensée politique, l’idéologie locale, qu’il est hors de question d’y toucher » (p. 176). Donc, amis des langues de France – c’est le pouvoir même qui vous en fait la leçon – vous ne serez jamais entendu si vous ne politisez pas vos revendications ! Ce s propos valent même pour une clé possibile sur les concessions récentes quand à la possibilité d'organisr un enseignement de créole en Île-de-France. En tout cas, s'il est un ministre qui a bien mérité le goudron et les plumes, c’est bien Darcos, et pas seulement pour sa politique en matière d’enseignement des langues ! Il est d’ailleurs assez étrange de se dire que l’on lutte depuis neuf semaines bientôt contre un adversaire au discours aussi misérable, qui n’est même pas à la hauteur de son cynisme.

slogan sur un mur de mairie en Guadeloupe

De la « citoyenneté culturelle » ? oui, mais point trop n’en faut…

Quant à Jean-Louis Nembrini, le troisième du gang (« Langues régionales et droits de l’homme »), il commence très fort : « limiter (…) le mot « patois » au sens qu’on lui donne souvent aujourd’hui, nourri d’un fort sentiment de frustration et vecteur de condescendance ou de mépris, serait contraindre les faits et la pensée » (p. 180). Cela veut donc dire qu’il y a un beau et bon usage du mot ? A partir de là, on peut craindre le pire… Pourtant, l’auteur développe une démonstration historique et politique tout à fait favorable aux langues : après le temps de la citoyenneté civile, puis celui de la citoyenneté politique et enfin celui de la citoyenneté sociale, voici venu le temps de la « citoyenneté culturelle », qui ne peut que passer par la reconnaissance des langues de France. L’État français, d’ailleurs, va dans le bon sens : n’est-ce pas « en conformité avec ses décisions pratiques » qu’il a « honoré de sa signature la Charte européenne des langues régionales » ? C’est ainsi qu’une preuve se retourne en contre preuve, puisque la Charte, comme on le sait, n’a jamais été ratifiée et ne le sera apparemment pas de si tôt ! De toute façon, nous sommes avertis : « l’Espagne ou le Royaume-Uni ne sont pas la France » et de préciser : « les principes de l’universalisme qu’a fait la République par ses choix particuliers, par exemple en accordant au droit du sol la prééminence absolue sur le droit du sang, en refusant aussi que l’individu puisse être contraint par sa communauté d’origine mais en acceptant comme une richesse les cultures qui s’épanouissent sur son territoire, doivent demeurer une référence intangible et le ciment de la Communauté des citoyens. » (p. 191) Ces propos sont tout simplement insultants pour l’Espagne et le Royaume-Uni qui ne sont certes pas des pays du droit du sang (l’Espagne combine, comme la France d’ailleurs mais selon d’autres modalités, jus soli et jus sanguini, quant au Royaume-Uni, il est plus purement attaché au jus soli que la France), et peuvent tout autant que la France prétendre à l’universalisme des droits de l’homme[5]. Et puis, il faut ajouter tout de même ceci, concernant le droit du sol dont s’enorgueillit tant la France. Une seule et unique question : les sans-papiers, sur notre sol, ont-ils « droit » au droit du sol ? Autrement dit, nous n’avons aucune leçon à donner en la matière, et surtout pas de ces leçons, qui au nom de la supériorité du droit français, justifient les restrictions, de fait, des droits culturels.

Le mouvement occitan est-il soluble dans l’eau claire ?

J’ai aussi trouvé de l’intérêt à l’article du sociologue François Dubet sur l’histoire de l’occitanisme (« La langue comme question sociale et politique »), pour discutable qu’il soit. Il décrit le grand mouvement des années 60-70, « comme une défense de la langue dans une conscience sociale qui prend plusieurs aspects : conscience nationale, luttes économiques, affirmations populistes liée[s] au nouveaux mouvement sociaux issus de mai 68, tentatives de se former en acteurs politiques » (p. 95). Il s’arrête en particulier sur le rôle majeur de Robert Lafont (qu’il aurait fallu articuler avec celui de Félix Castan, auquel il n’est même pas fait allusion) d’une République décentralisée et fédérale. Dubet associe ce refus du nationalisme à l’adoption du thème central de « colonialisme interne » (dont il refuse de se demander, s’empresse-t-il de préciser, s’il est vrai, vraisemblable ou faux), essentiel « pour fixer l’ambition sociale et culturelle de la conscience occitane qui se forme ». Cette « vision girondine » est donc aussi une « vision sociale et socialisante » et l’on peut dire que l’occitanisme « n’a pas raté Mai 68 » (p. 98). Par contre, selon lui, « l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 contribue […] à l’affaiblissement du mouvement occitan ». Beaucoup d’occitanistes, selon lui (il manque des noms et des chiffres, mais cela est en effet probable), ont été purement et simplement assimilés à cette époque par les partis de gauche (p. 101). Quant à la situation actuelle, il l’aborde à travers une réflexion pour le moins nonchalante :« S’il est bon de baptiser les rue[s] et les villes de noms occitans, s’il est bien de promouvoir des fêtes occitanes, s’il est utile de défendre les calendreta [sic][6] et le CAPES d’occitan, point n’est besoin pour cela d’un mouvement occitan organisé et autonome ». Mais ne voit-il pas que toutes ces initiatives, éparpillées de-ci de là, ne sont politiquement et culturellement, que cela à quoi nous en sommes réduits, de reculade et reculade ? Certes, la question culturelle a été mise au centre, désormais, de ce qui reste du mouvement occitaniste et je serais le premier à m’en féliciter, si je ne voyais que sans le relais politique (qu’il soit déclaré occitaniste, ou qu’il se coule dans d’autres formes d’engagement), notre voix ne cesse de s’affaiblir, je veux dire sa résonance politique et médiatique ne cesse de s’étioler, quoi que puissent prétendre certains qui n’évoluent sans doute que dans le seul milieu occitaniste (et dans les régions méridionales, parce qu’ici un tel discours serait impensable). Et cela est un désastre pour la culture et la langue occitanes elles-mêmes. Lorsque Dubet parle du succès de « certains thèmes occitans dans la classe politique », j’aimerais bien savoir auxquels il pense. Quand il dit que le projet occitan « s’est diffusé dans la société », et que le mouvement « a contribué à une profonde mutation du récit historique et de l’imaginaire national français », son optimisme me paraît en tout cas pour le moins exagéré. Il est d’ailleurs entièrement contredit par le livre même dans lequel figure son texte il figure, un livre pourtant consacré à l’occitan et où l’on retrouve à l’œuvre, comme on l’a vu plus haut, les mythes éternels du récit national, utilisés contre toute velléité de politique culturelle occitane. Par contre, je partage ses mots de conclusion : « A l’heure de ce que nous appelons la globalisation, nous savons que nous vivrons dans plusieurs mondes culturels et dans plusieurs espaces politiques. L’universalisme moderne peut offrir une chance au local que le projet des Lumières, revisité par le jacobinisme et par l’Empire, avait renvoyé dans l’enfer du passéisme et du privé » (p. 102). Sauf que, là encore, on n’a affaire qu’à un vœu pieux : il faudrait donner des gages, par sa propre approche de la question, de cet investissement de la culture locale (Hic Rodhus, hic salta !). Outre la faute sur calandreta, on ne peut que noter dans le texte l’absence de toute référence un tant soit peu sérieuse à la production culturelle occitane, dont la richesse est sans aucun doute pour beaucoup dans la persistance d’un mouvement culturel né des ruines du mouvement social et politique des années 70.

Réponse du berger à la bergère

L’ouvrage contient cependant aussi des articles qui répondent en fait indirectement aux précédents : il eût été sans doute fort difficile de n’inviter à un colloque sur le thème en question que des gens aussi « raisonnables » que des inspecteurs généraux ! Plus positivement, on peut aussi se réjouir de cette pluralité de vues. Il y a d’abord la courte présentation de Marie-Anne Châteaureynaud (« L’occitan aujourd’hui en Périgord, une langue vivante ? »), qui présente les résultats de sa thèse de socio-linguistique. L’auteur apporte quelques données de fond quant à la diffusion des idées occitanes, mais aussi de la limite de cette diffusion. On note en particulier les résultats d’un sondage effectué en 1997 : 35 % des sondés déclarent comprendre l’occitan et le même pourcentage se déclare très attaché à l’occitan et jusqu’à 56 % déclarent souhaiter un enseignement pour leurs enfants. Mais à la question « le parlez-vous ? » le pourcentage significativement tombe à 19 %. Qu’en est-il dix ans plus tard ? En tout cas la demande scolarisation existait très fortement en 97 et existe probablement tout aussi fortement dix ans plus tard, Darcos, ne peut le nier, et elle est même assez massive (plus de la moitié de la population !). Les résultats sur la dénomination sont aussi importants : 40 % disent patois et seulement 19 % occitan, auquel il faut ajouter cependant, les 8 % qui parlent de langue d’Oc. Autre donnée significative, qui devrait donner matière à réfléchir au rectorat : 26 % ignorent s’il existe un enseignement et 26 autres % affirment qu’il n’existe pas… Et notons qu’ils ne se trompent pas complètement, car la question des lieux scolaire est déterminante : quelle est aujourd’hui l’offre scolaire en primaire pour le Périgord ?

Philippe Martel, dans un article auquel je souscris pleinement (« l’Occitanie, la France et l’Europe, hier et aujourd’hui »), rappelle une évidence : « Non ce n’est pas seulement la fatalité, sous son nom actuel de Modernité qui a amené son déclin, mais un processus historique bien précis, de nature politique, idéologique et aussi sociale » (p. 131).

Bernard Poignant, qui venait de publier alors, Langues de France : osez l'Europe ! apporte une défense et illustration de la position du conseil de l’Europe et de l’esprit de la Charte des langues régionales ou minoritaire », très utile, car l’auteur y répond de la manière la plus claire et la plus concise, textes en main, aux accusations récurrentes dont la Charte fait l’objet en France : favoriser le communautarisme, le séparatisme et les nationalismes régionaux.

Monument à Arnaut Daniel. Salbertrand (Italie, Val de Suse)

Multilinguisme médiéval

L’ouvrage contient également quelques articles d’histoire médiévale, digne de lecture : ceux de Gérard Gouiran (« Bertran de Born et les Plantagenêts »), d’André Gabriel (« l’instrumentarium médiéval ») et de Jean Roux (« Périgeux et le Périgord médiéval, entre latin, oc et oïl »). Jean Roux insiste sur le fait qu’« en Périgord comme dans l’ensemble du domaine linguistique de la langue d’oc, c’est l’occitan qui a commencé à concurrencer le latin dans la rédaction des actes juridiques et administratifs, chartes, terriers, actes notariés, délibérations de conseils de villes… accédant ainsi au statut de langue écrite ‘officielle’ » (p. 57). Cette documentation permet ainsi de montrer, pour Périgueux, la proximité de l’occitan au XIVe et au XVe siècle avec celui qui est encore parlé et écrit aujourd’hui. Roux donne en particulier une démonstration, à partir d’un exemple frappant, de la perte du code graphique, par la confrontation de textes du début et de la fin du XVe siècle, époque à laquelle l’écrit occitan d’ailleurs se raréfie: le mot « senhor » (seigneur en français, orthographié ainsi dans les texte) y est désormais écrit « seignour », c’est-à-dire sur la base du code graphique du français. Enfin, une chose très intéressante est la description du Périgueux médiéval qu’il propose, aux antipodes de l’image d’une communauté refermée sur elle-même, et qui montre combien le multilinguisme et ce que l’on appelle aujourd’hui multiculturalisme, étaient alors une réalité sans doute plus forte que celle que nous connaissons : « La situation linguistique de l’époque en ce qui concerne la diversité dialectale de l’occitan et la compréhension entre les dialectes était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui : on entend quotidiennement dans Périgueux par les marchants de Bergerac, de Sarlat et de beaucoup plus loin, les gascons qui forment la grande majorité es garnisons anglaises, les pèlerins de passage, toutes les formes dialectales de l’occitan. Celles aussi bien sûr de la langue d’oïl. On y entend bien d’autres langues : les bretons de Du Guesclin, les gallois servant dans les troupes françaises, les arbalétriers génois de Bertrand de L’Isle-Jourdain, les basques, les aragonais, les anglés d’Anglaterra. Un médecin de Séville demande et obtient des consuls le droit d’exercer son art à Périgueux. Le Périgueux médiéval résonne bien plus que celui d’aujourd’hui de toutes les langues d’Europe » (p. 64). Un monde, bref, aux antipodes de la fiction selon laquelle le français nous aurait sauvé de la clôture et de l'enfermement régional.

Pour toutes ces raisons et déraisons, si vous passez par Périgueux ou Fumel, arrêtez-vous à la Maison de la Presse : il vous en coûtera 20 euros.

Jean-Pierre Cavaillé

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[1] « Maintenant mon cœur, je vous dira/ quel bon cœur ont les crocodiles./ Combien de larmes ont coulé/ de leurs doux yeux de crocodile !/ Quel bonheur que celui va,/ Pour rencontrer le crocodile./ En ce monde horrible et si dur,/ Oh! s'il vous mange, quel bonheur!/ Quel bonheur d'être aussi certain,/ qu'au moins, ici, quelqu'un vous pleure. », Max Rouquette, Bestiari I, p. 36-37 écouter la version chantée de Laurent Cavalié

[2] Guy Mandon (sous la direction de), Périgord, Occitan et langues de France, Actes du colloque de Périgueux (29 et 30 juin 2001), Périgueux, Copédit, 2005.

[3] On y trouve deux articles insignifiants sur le catalan et le basque et un texte plus substantiel de Ghjacumu Thiers sur l’individuation du corse, avec une très claire définition de théorique de la question « on désigne par ce terme l’ensemble des processus symboliques et socio-politiques par lesquels les locuteurs d’une communauté donnée déclarent parlent une variété particulière, originale et linguistiquement distincte et autonome des autres systèmes connus. Au gré des intérêts de cette communauté, le statut social et politique de la vérité en question peut être modifié au cours de l’histoire, allant jusqu’à entraîner à terme une nouvelle définition linguistique. C’est ce qui s’est passé pour notre langue qui se trouvait, il n’y a pas si longtemps encore, définie comme un dialecte toscan ou italien » (p. 143). Notons bien qu’il existe bien de tels efforts d’individuation par des groupes de locuteurs (ou de promoteurs non locuteurs, donnée à prendre en compte) de certains de ce que nous considérons, sur des bases à la fois linguistiques et socio-linguistiques, comme des dialectes de l’occitan. Le problème théorique considérable posé par cette approche est de concevoir, finalement, que la linguistique se laisse déterminer par la représentation de la langue qui s’impose ou domine à un moment donné parmi les locuteurs. La linguistique deviendrait en quelque sorte le bureau d’enregistrement des représentations socio-linguistiques dominantes. Cela n’est bien sûr pas acceptable, même s’il l’on ne peut nier qu’il existe, pour le meilleur et pour le pire, un lien dialectique entre ces représentations et le savoir linguistique (pour s’en convaincre, il suffit de nous rappeler qu’en effet il y a eu une linguistique des « patois », tant que la représentation sociolinguistique des langues minorées en France comme patois a dominé).

[4] Soit par exemple : « Si vous allez à la Réunion, vous allez trouver un Institut national de formation qui, pour le 1er degré, permet de s’initier à toutes les langues canaques », p. 177. Les canaques de la Réunion peuvent se réjouir !

[5]

« Les Pays Bas, la Belgique, l’Espagne et le Portugal attribuent leur nationalité non seulement à l’enfant nés de leur nationaux, mais aussi, selon les modalités diverses, à l’enfant qui est né sur leur territoire d’un parent qui y est lui même né. Le Royaume-Uni et l’Irlande ont, pour leur part opté pour le jus soli : est citoyen britannique à sa naissance l’enfant né dans le Royaume Uni d’un citoyen britannique ou d’une personne qui y est établie. Le droit du sol et le droit du sang se complètent d’ailleurs : le double droit du sol fait des français jure soli qui donnent naissance à des français jure sanguini ». Michèle Mateno, « Pour tout savoir sur le code de nationalité français ».

[6] On voit que le seul mot occitan du texte compte deux fautes… il faut évidemment lire « calandretas ». Dans la communication de Darcos, il est aussi écrit les « calendrettes » (alors que la francisation devrait évidemment être calandrettes).

Source : http://taban.canalblog.com/archives/2009/03/22/13085450.html

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