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CESAIRIEN, OUI, CESAIRISTE, NON, CESAIROLATRE SURTOUT PAS !

Raphaël CONFIANT
CESAIRIEN, OUI, CESAIRISTE, NON, CESAIROLATRE SURTOUT PAS !

   Les élections municipales vont bon train et comme d'habitude, on verra fleurir sur toutes les lèvres des citations d'Aimé CESAIRE.

   Au PPM (Parti Progressiste Martiniquais) bien sûr, mais aussi chez toutes celles et tous ceux qui chercheront, sur les tréteaux, à dorer ou redorer leur blason, tout en se donnant un vernis de culture à peu de frais. CESAIRE paratonnerre, CESAIRE bouclier, CESAIRE alibi, CESAIRE vache à lait intellectuelle. CESAIRE par ci, CESAIRE par là. Ce serait amusant, voire même comique, si tous ces citateurs et toutes ces citatrices avaient lu le Grand Homme, réellement lu et relu car une pensée, une pensée forte, ne prend sens que dans la relecture. Et dans la relecture critique c'est-à-dire adaptée au présent et non une relecture religieuse, biblique, qui s'appliquerait en tous temps et en tous lieux.

   Avant d'examiner ce que pourrait être ladite relecture de l'œuvre de CESAIRE, je me permets de rappeler un distinguo que j'avais opéré dans mon livre consacré à celui-ci, Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle, paru en 1992. Juste avant d'en venir à ce distinguo, je rappelle que ce livre avait été perçu par les césairistes et les césairolâtres comme une démolition en règle du Père de la Négritude. Et pourquoi ? Parce que la plupart de mes détracteurs ignorent le sens du mot "paradoxal". Je n'ai pas de temps à perdre à leur expliquer. Ils et elles sont allés à l'école française comme moi-même et appris la langue de Molière qu'ils vénèrent plus que de raison d'ailleurs. Pour TI SONSON, par contre, je peux au moins lui dire que "paradoxal", n'est synonyme d'aucun des mots suivants : "traitre", "lâche", "vendu" ou "scélérat". Cela signifie : qui a emprunté deux chemins opposés en même temps. D'ailleurs, pendant que césairistes et césaitôlâtres me vouaient aux gémonies, CESAIRE me recevait, quelque temps après la sortie de mon livre, à diverses reprises (et à l'insu des hiérarques du parti), dans son désormais célèbre bureau de l'ancienne mairie de Fort-de-France. Il trouvait normal que les plus jeunes critiquent les plus anciens. Lui-même avait critiqué la génération d'avant la sienne, celle qui avait réclamé à cors et à cri, dès la fin du 19è siècle, l'assimilation. Car, contrairement à ce que beaucoup croient, la loi de départementalisation de 1946 n'est pas le début de l'assimilation, mais bien l'accomplissement d'un désir ancien d'assimilation.

 

 

    Venons-en maintenant au distinguo entre césairien, césairiste et césarolâtre ! Et cela pour dire d'emblée qu'aucun Martiniquais qui se respecte, aucun Martiniquais qui se veut Martiniquais d'abord et avant tout, ne peut pas ne pas être césairien. CE N'EST TOUT SIMPLEMENT PAS POSSIBLE ! Cela, parce que CESAIRE a redonné sa dignité à la part "nègre" de notre identité plurielle, part qui fut niée pendant l'esclavage et rejetée après l'abolition. Il nous a réconciliés avec l'Afrique en détruisant l'image fausse et mensongère de celle-ci que le colon nous avait fourré dans le crâne. Mais, dans le même temps, il n'a jamais voulu que nous retournions en Afrique ! CESAIRE voulait domicilier l'Afrique aux Antilles et non nous domicilier en Afrique. Cela signifie très clairement défendre et développer au maximum tous les traits de notre culture qui y sont liés et c'est ce qu'il a cherché très concrètement à faire à travers le SERMAC, le Festival Culturel de Fort-de-France etc.

   CESAIRE nous est donc fort utile aujourd'hui face à la déferlante afro-centriste ou panafricaniste qui sévit en Martinique, en particulier dans une certaine jeunesse habilement manipulée par des idéologues et démagogues qui leur font confondre koko et zabriko. Car si le panafricanisme est une idéologie tout à fait respectable en Afrique, chez nous, elle n'a guère de sens. Déjà, sur le continent africain, rassembler ce dernier d'Alger à Johannesburg est problématique, tout aussi problématique d'ailleurs que le paneuropéanisme ("L'Europe de Dunkerque à Vladivostok" de Charles DE GAULLE), allez voir chercher à y englober les Noirs des trois Amériques ! L'écrivain de Saint-Kitts, Caryl PHILLIPS a une formule décapante à ce sujet : "Africa is not a psychiatrist". Autrement dit, l'Afrique n'est pas un psychiatre. Elle n'est pas là pour soigner les problèmes existenciels des uns et des autres. Quant au grand poète noir équatorien, Diogenes Cuero CAICEDO il déclare sans ambages : "Yo no soy afrodescendiente, yo soy de America, naci en este continente, no me llamen afro porque yo soy negro, con mucho orgullo lo digo !". (Je ne suis pas Afro-descendant, je suis natif des Amériques, je suis né sur ce continent, ne m'appelez pas Afro, mais Nègre et je le dis avec beaucoup d'orgueil !).

 

 

    Domicilier l'Afrique aux Antilles, cette idée géniale de CESAIRE, ce programme plutôt, reste à accomplir malgré tout ce qui l'a déjà été. Par exemple, s'il est bien d'avoir mis le créole à l'école, il serait tout aussi bien de proposer l'apprentissage d'une grande langue africaine également. Nos compatriotes d'origine indienne, notamment en Guadeloupe, apprennent bien l'hindi et le tamoul. Pourquoi le wolof, le bambara, le lingala ou le swahili ne le seraient-ils pas ? Et à l'Université des Antilles, il aurait été également opportun de créer une Licence de Langues et Cultures Africaines. Ou au moins de dispenser des cours dans ce domaine. Cela aurait aussi comme intérêt de barrer la route à tous ces savants auto-proclamés, ces égyptologues à la petite semaine, qui prolifèrent, notamment sur le Net, et qui, par exemple, racontent que le créole descend directement de...l'égyptien pharaonique !!! Ils faisaient sourire Alain ANSELIN, dont Cheick Anta DIOP disait qu'il était son seul vrai successeur, lequel ANSELIN  publiait sa revue, Cahiers Caribéens d'Egyptologie, au sein du GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créole), dirigé par le créoliste Jean BERNABE, fondateur des "Etudes créoles" au sein de notre université. Il ne passait pas son temps à raconter des âneries soi-disant "kémites" sur YouTube ou Facebook.

 

 

   CESAIRE nous est donc utile, avec son idée de domiciliation de l'Afrique aux Antilles, pour lutter contre les chimères afro-centristes. Il l'est aussi s'agissant du mot "Nègre". En effet, comme chacun sait, il s'est employé à le réhabiliter durant tout sa vie, depuis le Cahier d'un retour au pays natal en 1939 dans lequel il poussa "le grand cri nègre qui ébranlera les assises de la terre" jusqu'à "Nègre je suis, Nègre, je resterai" qui date de 2005. Or, aujourd'hui, les afrocentristes récusent ce terme et nous abreuvent, sur le Net, de désignations soi-disant valorisantes comme "Kémite" ou "Kamite". Ces grands savants ne savent même pas une première chose, pourtant banale ou plutôt qu'apprend tout élève de classe de 6è : le sens des mots n'est pas immuable. Avec le temps, ils peuvent changer de sens ou plus exactement de connotation. Ainsi "slave" voulait dire "esclave" ! "Juif" fut longtemps une insulte. "Nègre" aussi. Et de même que les Slaves ont réhabilité leur nom, de même que les Juifs ont redonné dignité à leur nom, CESAIRE et d'autres l'ont fait pour "Nègre". Et nos grands bavardeurs sur YouTube ou Facebook ignorent aussi, apparemment, une deuxième chose qu'apprend tout étudiant fraîchement arrivé sur les bancs de l'université : il n'y a aucune relation entre un mot et la chose qu'il désigne. Ou plus exactement, il s'agit d'une convention. Le mot "cheval", par exemple, n'a aucun rapport avec le quadrupède qui court dans les hippodromes. C'est si vrai que les anglophones appellent le même animal "horse" et les hispanophones "caballo". Croire donc qu'en substituant "Nègre" à "Kémite", cela change quoi que ce soit à notre situation est tout simplement risible.

   Mais passons...

   Tout Martiniquais est donc forcément "césairien" pour au moins les deux choses que l'on vient d'expliquer : la domiciliation de l'Afrique aux Antilles et la réhabilitation du mot "Nègre". Mais tout Martiniquais n'est pas "césairiste" ! Est césairiste qui a adhéré ou est sympathisant du parti politique fondé par Aimé CESAIRE en 1958, le PPM (Parti Progressiste Martiniquais). C'est le droit le plus absolu de certains Martiniquais d'être césairistes, mais ils n'ont pas le droit de nous empêcher de nous proclamer "césairien" ! Ils n'ont pas le droit de considérer que la pensée de Césaire leur appartient en propre. Ils n'ont pas le droit d'opposer Négritude et Créolité alors que l'Eloge de la créolité (1989) est dédié à CESAIRE (mais aussi à GLISSANT et au grand écrivain haïtien FRANKETIENNE). Cela d'autant plus__et c'est là le paradoxe !__que la pensée disons intellectuelle de CESAIRE a très peu de rapports, sinon aucun rapport avec sa pensée politique. Celui qui a lancé le concept novateur et majeur de Négritude, celui qui a écrit le terrible et décapant Discours sur le colonialisme (1950) n'est pas exactement la même personne qui a été le rapporteur de la loi de départementalisation de 1946. Cela n'a rien de bizarre ! Nous sommes tous, les uns et les autres, pétris de paradoxes et cela tout au long de notre vie. Sauf que cela n'a aucune conséquence (mis à part sur notre petite vie personnelle à nous d'individu-lambda) alors que lorsqu'un Leader fondamental, un Grand Timonier ou un Père du Peuple se montre paradoxal, cela affecte tout un peuple, toute une nation.

   Sinon, il existe une dernière catégorie d'admirateurs de CESAIRE que j'ai appelé dans mon live les "césairolâtres". Pour ces personnes, il fut un Grand-Père, un Papa, un demi-Dieu tant de son vivant qu'après sa mort. Si la césairolâtrie est compréhensible et pardonnable chez certaines personnes du peuple qui ont bénéficié de l'aide de la mairie de Fort-de-France du temps où CESAIRE en était le maire (et l'on sait combien il a fait pour les gens de Trénelle et de Volga-Plage !), elle est inadmissible chez ceux qui se proclament intellectuels. Ecrire un livre, comme l'a fait Edouard DELEPINE, qui fut mon prof d'histoire au lycée Schoelcher et pour qui j'ai une grande estime intellectuelle (mais pas politique ! surtout pas !) avec pour titre "Aimé Césaire. Nous sommes des nains sur l'épaule d'un géant", relève tout simplement de l'idolâtrie la plus affligeante. Toute forme d'idolâtrie est affligeante.

 

  

  CESAIRE fut un grand homme, un très grand homme, mais il a commis, notamment au plan politique, certaines erreurs graves que nous payons aujourd'hui. Refuser de le reconnaître, c'est sombrer dans la religion, la religion césairiste. Chose dont il avait lui-même horreur ! Et je le sais parce qu'il me l'a dit de vive-voix.

   Il m'avait dit aussi ne pas aimer du tout toutes ces personnes qui ne le lisent pas mais qui se réclament de lui à tout bout de champ, ressortant toujours la même, unique et sempiternelle citation tel un mantra (Mon peuple, quand, hors des jours étrangers, cesseras-tu d'être le jouet sombre au carnaval des autres ?). Vous au moins vous m'avez lu, même si vous me critiquez, parfois injustement d'ailleurs m'avait-il lancé avec son léger zozotement si charmant. Lu et relu, avais-je précisé, non sans une certaine arrogance juvénile (cela se passe en 1993) dont je m'en suis toute suite voulu, ce qui l'avait fait sourire. C'est que presque 40 ans d'âge nous séparait. Une demi-vie...

   J'avais même poussé le culot jusqu'à lui dire, lors de notre deuxième rencontre, que la langue créole avait réhabilité le mot "Nègre" des siècles avant lui puisque, dans notre langue (maternelle pour certains, matricielle pour d'autres), son premier sens est : "Homme, Personne". En effet, quand on dit "Fout Neg-tala kouyon !", cela ne signifie absolument pas "Qu'est-ce ce Nègre est bête !", mais "Qu'est-ce que cette personne est bête !". C'est bien pour cela qu'on est obligé d'ajouter une couleur après ce mot si on veut lui donner un sens ethnique ou racial : Neg wouj, Neg Nwè, Neg blé etc... CESAIRE avait souri énigmatiquement, puis m'avait rabaissé le caquet, moi qui croyait marquer un point sur lui : "Notre ami commun Jean BERNABE m'a déjà expliqué ça ! Il vient souvent me voir, vous savez, et depuis très longtemps. Je suis d'accord avec cette analyse...". Et pan sur mon bec !

   Je suis et je demeure plus que jamais (surtout à cause du déferlement afrocentriste) un CESAIRIEN. Mais je ne suis pas un césairiste, même si je respecte nombre de gens qui appartiennent au parti politique fondé par CESAIRE, et ne serai jamais un césairolâtre. Ni un Fanonolâtre ni un Glissantolâtre non plus d'ailleurs... 

    Un petit conseil pour finir aux césairistes et césairolâtres à l'approche des élections municipales : arrêtez de croire et de faire croire que CESAIRE est votre propriété privée !... 

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