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Comment le séisme a transformé la littérature haïtienne contemporaine

Ayibopost.com
Comment le séisme a transformé la littérature haïtienne contemporaine

Le séisme du 12 janvier 2010 a changé beaucoup de choses dans les pratiques en Haïti, dans nos rapports avec le réel, le rêvé, le divin et l’imaginaire.

La littérature, comme espace de manifestation de l’imaginaire par excellence, n’a pas été exempte des conséquences du séisme. Le discours littéraire vient toujours apporter un élément manquant au discours scientifique, car si la science permet de comprendre le monde, la littérature, comme nous l’apprend Yanick Lahens, « nous donne la saveur du monde ».

Quelques mois après le séisme, des auteurs haïtiens, voire étrangers, ont commencé à publier des livres (allant des recueils de poèmes au récit) avec pour trame le séisme. Rapidement, des chroniqueurs et critiques littéraires ont commencé à regrouper ces textes sous l’appellation « d’écritures du séisme » ou « d’écriture de la catastrophe ». Aujourd’hui, dix ans après le tremblement de terre, il ne s’agit point de parler d’« écritures du séisme », mais d’un évènement qui aura bouleversé la littérature haïtienne contemporaine, allant du sujet central dominant, à la représentation de cette littérature et à son expansion à l’international.

Des Duvalier à « La Chose »

Jusque dans les années 2000, et même au-delà, le grand roman haïtien contemporain est un roman sur la dictature des Papa et Baby Doc ou sur l’exil, ce dernier découle dans bien des cas de la dictature. De Marie Vieux-Chauvet (Les Rapaces) à Kettly Mars (Saisons Sauvages), en passant par Antony Phelps (Mémoires en colin-mailliard), Gérard Étienne (Le Nègre crucifié), FrankÉtienne (Mûr à crever), Dany Laferrière (Le cri des Oiseaux fous), Émile Ollivier (Passages, les Urnes Scellées), Évelyne Trouillot (La mémoire aux abois), Marie-Célie Agnant (Un alligator nommé Rosa)… ces récits, et bien d’autres, ont permis de brosser l’image du régime totalitariste des Duvalier père et fils (1957-1986) ou de la fuite forcée des Haïtiens vers des contrées nouvelles parfois indomptables.

Au lendemain de la chute du régime des Duvalier, les écrivains, longtemps contraints au silence, à la métaphore et parfois exilés, ont produit une œuvre consistante sur le régime. Antony Phelps écrivait lui-même « mon Pays si triste est la saison qu’il est venu le temps de se parler par signes ». La thématique de la dictature a continué à inspirer les écrivains pendant trois décennies, devenant le grand sujet du romanesque haïtien jusqu’en 2010, où le tremblement de terre de janvier semble avoir changé la donne.

Quelques mois seulement après le tremblement de terre, Pierre Moïse Célestin, Yanick Lahens, Marvin Victor, Rodney Saint-Éloi et Markenzy Orcel ont publié sur le séisme. Pierre Moïse Célestin avec son recueil de poèmes Le Cœur sous les décombres publie l’un des premiers livres de création sur le tremblement de terre. Il expulse de sa voix de poète errant ce vers qui continuera de nous marquer « Saurais-je un jour dans mes errements/De poète pactisant avec la lumière/Le nombre de cœurs oubliés/Sous les décombres ? ».

Les romans de Marvin Victor (Corps mêlés) et de Makenzy Orcel (Les Immortelles) et le récit de Yanick Lahens (Failles) ont rapidement conquis le public et sont restés de véritables succès de la production littéraire haïtienne contemporaine. Depuis, une longue série d’œuvres de tout genre s’en suit, allant du théâtre aux nouvelles. Des auteurs comme Dominique Batraville (L’Ange du Charbon), Guy Régis Junior (De toute la terre le grand effarement), Kettly Mars (Aux frontières de la soif), Gary Victor (Soro), Dany Laferrière (Tout bouge autour de moi), James Noël (Belle Merveille)… ont contribué à enrichir cette « écriture du séisme ».

Si Anthony Phelps parlait « par signes » pour échapper à la dictature, dans son roman Les Immortelles, Makenzy Orcel a peur d’invoquer le tremblement de terre. Pour deux raisons, d’abord par ce que les putes du Centre-ville qu’il dépeint dans ce roman ne savaient pas ce que c’était qu’un séisme, mais aussi par ce qu’elles avaient peur de l’évoquer pour ne pas le « détourner ». Makenzy Orcel baptise le tremblement de terre « La Chose ». La même hésitation à nommer, voire à parler, revient aussi dans le roman Corps Mêlés de Marvin Victor. Ursula Fanon, héroïne du roman, se retrouve dans une impossibilité de parler après ce drame, ne sachant pas par quel bout tenir son histoire et celle de sa fille : par la naissance ou par la mort ? La vie de cette enfant pour son père n’était que silence.

Vers une littérature mondialement reconnue

Tous les écrivains contemporains n’ont pas écrit sur le séisme. La même chose est valable aussi pour la dictature des Duvalier. Certains écrivains sont vigilants aux effets de mode, aux commandes des éditeurs pour vendre. Louis-Philippe Dalembert a même été considéré comme l’Haïtien qui ne veut pas écrire sur le séisme, sauf qu’il n’est pas le seul. Toutefois, si certains écrivains résistent à tomber dans la « tentation du sujet à la mode », il ne fait aucun doute que le séisme a permis aux écrivains haïtiens d’être plus connus sur la scène internationale.

Avant le tremblement de terre, la littérature haïtienne était certes connue à l’internationale, mais parfois par des experts.

Avant le tremblement de terre, la littérature haïtienne était certes connue à l’internationale, mais parfois par des experts, des enseignants ou d’anciens expatriés et « amis d’Haïti ». Le tremblement de terre a permis aux auteurs haïtiens de toucher un public moins expert, devenant plus attentifs au sort d’Haïti, mais aussi à l’imaginaire haïtien. Ils cherchent dans la littérature ce qu’aucun livre d’histoire, de sociologie et d’articles journalistiques n’a pu raconter. Ils cherchent l’inénarrable, le ressenti, le vécu…

L’émergence de nouvelles voix/voies

Le séisme a aussi permis de renouveler le paysage littéraire haïtien ou à le diversifier en ouvrant la voie à de nouvelles voix. Jusque-là les grandes stars de la littérature étaient Dany Laferrière, Frankétienne, Lyonel Trouillot, Yanick Lahens, Gary Victor… ceux que nous appelons la génération 50 ou d’après Duvalier. Ces dix dernières années, des écrivains comme James Noël, Markenzy Orcel, Marvin Victor, Nehemy Pierre-Dahomey, Jean Watson Charles ont pu émerger ou commencent à émerger sur la scène internationale. D’autres comme Jeudi Inema, Illéus Papillon, Coutechève Lavoie Aupont bénéficient de la reconnaissance de leurs pairs au niveau national, parfois à l’international.

Cette diversification des voix ne peut qu’enrichir cette littérature puisqu’elle n’ouvre en rien un conflit entre les générations, mais campe nos écrivains à hauteur d’homme, à hauteur de leur plume et impose la littérature haïtienne contemporaine comme l’une des plus riches de l’espace francophone.

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