.... « Et si, devant nos cris, devant notre vengeance, Nous avons tous des chefs. Il en faut, me direz-vous. Sinon ce serait l'anarchie. Ah ! L'anarchie dont le synonyme habituel est le foutoir ou le bordel. Pourtant le mot le plus proche de l'anarchie est le mot humanisme. Les sociétés les plus humaines, les civilisations les plus avancées, sont souvent proches de l'anarchie, au sens littéral ! Quelle utopie, l'anarchie ! Quel doux rêve aussi ! Considérer chaque homme, dans sa différence, dans son humanité faite d'actes de justice et de bonté et aussi d'erreurs, qui sache être digne et responsable. Arriver à cette perfection d'une société d'hommes ou de femmes d'honneur, animés d'un idéal simple, pacifique, le respect de l'autre et le respect de soi et aussi, et pourquoi pas, l'amour de l'autre et l'amour de soi.
Tendre vers un but commun, élever l'humanité à la condition divine, qu'hélas on délègue par manque d'ambition aux seuls Dieux, peu importe leurs noms. Car notre seul destin sur terre est de contribuer à faire évoluer l'espèce. Le rêve fou du poisson est d'être reptile, celui du reptile est d'être mammifère ou oiseau. Et le seul destin de l'homme est d'être Dieu car c'est ainsi que nous, pauvres hommes, nommons une essence d'ordre supérieur. Mais arrêtons là, si déjà nous étions simplement humains avant de nous préoccuper de métaphysique ou de théologie, ce serait un moindre mal.
Comme l'anarchie n'est pas pour demain, pas même le communisme, pas même le socialisme, il nous faut des chefs pour nous donner la voie. Et qu'ils soient le moins mauvais possible et certainement le plus proche de nous. Le malheur est que, bien souvent, un homme choisi chef, élu chef, nommé chef ou un homme qui s'est payé son statut de chef ou un homme qui a simplement confisqué le pouvoir et s'est autoproclamé chef, acquiert bien souvent les tares du chef. Cela commence par le sentiment de puissance, vanité, cela continue par celui de supériorité, vanité encore. Cela se poursuit par l'amour du pouvoir ; parler, agir, au nom des autres et souvent sans leur demander leur avis. S'y ajoute toujours le vice de l'argent et le mépris de ceux qui finalement ne sont pas chefs.
Citons deux vrais chefs pour l'exemple. Jacques Chirac qui pouvait embrasser successivement une vache montbéliarde au salon de l'agriculture et un béké de Martinique. On ne sait pas si la vache conserve la photo de l'instant, du baiser, dans l'étable mais le béké, oui, encadrée, sur son bureau. Les békés martiniquais doivent être très flattés d'avoir les honneurs échus aux races bovines françaises.
L'autre était Aimé Césaire, d'un autre genre. Qu'il s'adressât à un Chef d'Etat, plein d'onction, ou à un ouvrier martiniquais, sur un chantier de raccordement d'égout, le langage, le ton, le respect étaient exactement les mêmes. On lui pardonnera de ne pas avoir su faire de distinction entre un Chef d'Etat et un pauvre diable sur un chantier. Peut-être pauvreté du langage chez Césaire ? Peut-être humanisme et sans doute anarchie ! Lui ne savait embrasser que l'humanité.
Le chef fait peur d'abord parce qu'il est chef. Très souvent car il vous exploite, vous méprise, vous humilie, vous ignore, vous manipule, vous « chosifie » comme disait le vieux. Et aussi le chef vous inspire de la peur. Effectivement, il a le pouvoir de vous nuire, mais pas vous, sauf au magnum 357. Pourtant vous les respectez les chefs, même vous les aimez. Ah ! La généreuse soumission, retirer son chapeau, baiser l'anneau de l'évêque, serrer la main d'un chef, encornie par cette marque du grand chef, avoir serré des millions de mains. L'homme est très doué pour les dévotions, les soumissions.
Incapable d'être son propre chef, l'être humain s'en cherche partout des chefs, un qui gère sa pensée, un pour sa spiritualité, un pour ses opinions politiques, un qui gère sa morale, ses goûts, ses lectures, ses loisirs, tout. L'ambition humaine est au fond de devenir une sorte de masse molle et malléable, semblable à de la merde, l'odeur en moins. Et, me revient toujours cette phrase de la Harpe, « plus l'oppresseur est vil, plus l'esclave est infâme » .
De ce côté-là, martiniquais, vous êtes très forts, des champions même. Trois siècles d'esclavage ne vous ont pas suffit. Un siècle de colonisation non plus. Vous en redemandez, des coups de fouet et du mépris ! Toujours et encore ! Vous n'en avez pas assez dans votre comportement masochiste. Que l'on vous flagelle toujours plus, c'est si bon ! Je veux parler de votre soumission inconditionnelle à la France. Vous adhérez, aveugles, à sa puissance, à son rayonnement, à ses valeurs universelles et surtout à son pognon. Et plus elle vous méprise, la France, plus vous baissez le pantalon pour qu'elle vous « empoigne » plus profond. Alors que faire ? Puisque vous aimez çà au fond de vous ! Vous n'avez même plus de discernement pour vous rendre compte que vous ne ressemblez plus à rien, vous avez disparu en termes d'identité et de dignité, de différence et de culture, zappés de la planète. Vos vieux qui s'en vont un par un, ressemblaient encore à quelque chose. Vous à rien ! Vous êtes dans ce « no man's land » identitaire. Suédois, berlinois, espagnol, chinois, martiniquais, autant de différences entre vous que l'épaisseur d'une ficelle.
Dans sa grande compréhension des peuples exploités, çà c'est l'expérience, la France vous a délégué des pouvoirs politiques, très importants, l'état civil et l'éclairage municipal. Parfois un peu plus certes. Mais globalement vous n'avez pas le pouvoir de l'argent, le libre arbitre non plus mais celui des engueulades politiques, sans fin, à perte de vue, d'obscures questions techniques, utiles certes, paperassières, qui donnent à vos élus, dans leur grotesque livrée tricolore, le sentiment de faire quelque chose de concret.
Vous allez vous empoigner quelques mois pour le fameux article 74, de la constitution française et vous n'avez pas encore réfléchi au préambule de la constitution martiniquaise . Dans 30 ans, bandes d'empotés, on vous l'accordera peut-être, l'article 74 à chacun, à titre posthume. Jamais l'on ne se déplacera à Versailles pour vous la donner cette obole. Trop loin, Versailles de Paris et pas le temps pour s'occuper de ces petites fièvres ultramarines. Je suis un doux rêveur mais qui rêve vraiment ?
Mais jamais n'est évoquée la question primordiale, fondamentale et unique. Pouvons-nous être libres et responsables de notre destin ? Et les solutions qu'elle impose ne sont jamais évoquées non plus car vous perdez votre temps dans vos incessantes chamailleries, d'étiquette et de préséance ou ce sont des lamentations gémissantes, largo lacrymosa, sur la colonisation, le chœur des pleureuses.
« Frères humains qui après nous vivrez » dirait Villon, il vous faut simplement une Révolution.
Tout simplement et non trop simplement.
Comme en 1789 en France ou comme en 1801 en Haïti. Ce n'est pas quimbois ni vaudou à comprendre. Seulement il faut des hommes pour çà. On « authentifie » un nouveau pape à ces mots « bene habet et bene pendentent ». Ce n'est qu'un vieux patois officiel du Vatican qui parle de graines. Or il en faut pour faire une révolution comme pour être pape.
Il faudrait déjà vérifier tout ce qui dégorge de l'aéroport du Lamentin. Que l'on cesse ces singeries avec madras et alpinias, anthuriums, accras et Trois-Rivières, dès qu'un roitelet français pose le pied à la Martinique. Vous pouvez aussi envahir les pistes d'atterrissage et l'avion ira ailleurs car certains n'ont pas à mettre le pied à la Martinique, ce n'est pas un salon où l'on se montre à l'occasion de tel ou tel show, souvent électoral.
Il faut aussi faire dans l'incivilité voire la désobéissance incivique. Il y a tant de façons de saper un système, de faire une révolution. Il faut y réfléchir. Mais sûrement pas en « utilisant le système » où vous êtes confinés, vous n'arriverez à rien. Avez-vous déjà vu un pays donner les moyens de s'autodétruire ? Moi pas. Un référendum sur la révolution, c'est çà que vous voulez ? Même les enfants de chœur à l'église, s'il en reste, se foutraient à pouffer. Le système a ses propres balises et garde-fous et surtout gardes mobiles. Et le système français vous noiera car sa logique n'est pas la vôtre.
Il faut saper, démolir le système et prendre le pouvoir. La liberté se conquiert, s'arrache, pour soi-même comme pour un peuple. Elle ne s'accorde pas, jamais, par bulle pontificale. La liberté se mérite aussi. Il faut s'être beaucoup dépouillé pour en être digne. Prendre le pouvoir, non pour le posséder mais pour être simplement libres et debout . Voilà, le seul idéal révolutionnaire, aucune doctrine, être un homme ou des hommes libres. Cela vous fait donc si peur que çà la liberté et la verticalité ?
Un grand soulèvement populaire qui n'aura d'autre fin que la liberté et pas de compromis, pas d'Etats généraux et généreux, de commissions, de moratoire, de palabres, de fortes préoccupations, de révérences, de primes forcément exceptionnelles, de quignons de pain en somme.
Seulement la liberté ! Merde ! C'est pas dur à organiser une révolution ! Et que les pleutres soient châtiés, puisqu'on ne peut plus les châtrer.
Mais, je l'avoue, je me laisse emporter par le romantisme révolutionnaire. Tout bon psychanalyste vous dira que la condition d‘esclave est plus confortable que celle du maître. Et je pense qu'à défaut d'être de bons martiniquais, vous ferez de bons français. On se souviendra de vous pour la prochaine guerre. D'ici là vous n'existez pas pour nous autres français sauf sur vos passeports et nos paradisiaques possessions et notre paradisiaque fiscalité aussi. Pour vous non plus, à vous voir, vous n'existez pas du moins en terme de différence avec la France au point qu'il me serait plus facile et moins coûteux en faux-frais, d'aller porter le feu révolutionnaire dans le Cantal, zone rurale essentiellement peuplée de ruminants. Mais alors simplement, humblement, puisque vous êtes de bons français, je vais vous livrer un texte en français, écrit par un français, sur la façon de parler à un roi français quand on est un forgeron français. Cela concerne une période lointaine de l'histoire française dont on a pratiquement oublié à quoi elle a servi.
Palais des Tuileries, vers le 10 août 92. Arthur Rimbaud
Lisez, méditez et relisez ce texte, écrit par un gamin de 18 ans. Sachez que quelques années plus tard, après avoir pas mal voyagé en Europe, s'être adonné à toutes les dépravations et fortement saoûlé à l'absinthe, lui que l'on voyait toujours crasseux et infréquentable, a foutu le camp de son grand pays, la France, pour l'Afrique, l'Abyssinie exactement. Il y vécut de vagues commerces en se foutant pas mal de la poésie et des honneurs littéraires, lui qu'on appela, l'homme aux semelles de vent, et revint mourir à Marseille à 39 ans. Curieuse histoire que ce poète mort pour la poésie à 19 ans, parti vivre si loin, le pays abyssal. Il s'agissait du plus grand poète que nous ayons eu dans notre pays, dans notre histoire.
Et bien comme réponse à la question de la liberté , il n'a rien dit, il l'a prise la sienne, il s'est tu à jamais et il est parti, c'est tout ! A 25 ans seulement !
Pour être franc, à voir tourner le monde, en embrassant l'humanité d'un regard métallique, froid et sans concessions, avec ma seule sensibilité et mon idéal de justice, dérisoire et vain, une morale naïve, bricolée d'honneur et de foutreies de ce genre, je pense que je vais pas tarder à me taire et à foutre le camp, moi aussi. J'ai près du double, question piges, ou je suis pas assez dépouillé pour la mériter la liberté ou plus con que lui sans doute, çà c'est sûr ! Car je m'use les méninges du matin au soir et une partie de la nuit à vouloir ceci pour les uns, cela pour les autres, prisonnier de mes utopies.
Moi qui voulait caresser les cheveux du monde, généreux et rassurant, avec tendresse et bonté, ici un ami, là un peuple, ce monde, les uns, les autres, que je voulais aimer, partout, toujours, me rendent un rire affreux de catin saoûle, la connerie et la vulgarité comme morale et règles de vie. Faut faire quelque chose ! Se tirer, loin avec seulement Mozart dans la besace.
Arthur Rimbaud a écrit de la plus belle manière ce que j'ai ressenti de plus beau dans ma vie, mais sa vie m'a bien plus frappé, interrogé que sa poésie. Rimbaud n'est plus aujourd'hui une énigme pour moi ! Il est mon sherpa, ma résignation, l'assurance que chantait Aragon qu' « il n'y a pas d'amour heureux » ….. Thierry Caille |