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CONÇEICAO EVARISTO, LA ROMANCIERE NOIRE QUI BOUSCULE LE BRESIL

Martin Lavielle
CONÇEICAO EVARISTO, LA ROMANCIERE NOIRE QUI BOUSCULE LE BRESIL

Souvent comparée à Toni Morrison, cette auteure issue des favelas a donné une voix à la communauté afro-brésilienne. Elle est désormais au programme du bac dans son pays. Rencontre.

« Je l’ai rencontrée il y a quelques années. Elle m’avait envoyé son livre, pour voir si on pouvait le traduire et l’éditer. Je l’ai commencé le soir, et l’ai fini dans la nuit. Je m’en veux de ne pas l’avoir connue plus tôt!» Depuis, l’éditrice et traductrice Paula Anacaona ne quitte plus son auteure fétiche, la Brésilienne Conçeicao Evaristo, quand elle séjourne à Paris. Nous l’avons rencontrée en marge d’une conférence à la Fondation Jean Jaurès, sur le thème de «l’écriture comme acte de résistance» (vidéo disponible ici).

Lorsqu’elle arrive dans la pièce, avec un léger retard «brésilien», sourit Paula Anacaona, elle donne tout de suite une impression de force tranquille. Et il en faut de la force lorsqu’on est une femme noire et brésilienne pour résister. Résister contre un système universitaire qui ne fait rien pour aider les minorités, résister contre les clichés persistants au sujet des femmes noires («des femmes de ménages bonnes en cuisine et au lit», dixit Conçeicao Evaristo), résister contre les diktats d’une société patriarcale et blanche.

Pour cette auteure de romans, de nouvelles et de poésie, l’écriture est bien «un acte de résistance, et aussi parfois de vengeance, quand il s’agit de briser un silence qui a été imposé et de s’approprier une écriture souvent blanche et masculine.»

Son regard, curieux mélange d’assurance et de malice, se dérobe parfois, au moment des réponses, pour aller creuser dans les souvenirs de son enfance.

Elle dit qu’on écrit «à partir de l’endroit où on est enraciné». Où sont ses propres racines?

Métaphoriquement, elles sont dispersées sur le sol africain, parce que les Afro-Brésiliens ne peuvent affirmer clairement leur ascendance. Mais concrètement, c’est au Brésil, à travers mes grands-parents et arrière-grands-parents, qui sont nés esclaves là-bas, que je suis enracinée.»

Cette dualité se retrouve tout au long de son œuvre, ses personnages se sentant, comme elle, tiraillés entre leurs origines africaines et un Brésil cherchant à éradiquer toute trace de cette tradition.

« L’Histoire de Poncia » et « Banzo » (sous-titré en français «Mémoires de la favela»), ses deux romans, regorgent de références à son histoire. Celle-ci débute en 1946, dans les favelas de Belo Horizonte, où elle grandit aux côtés de ses huit frères et sœurs. Alors que rien ne l’y prédestinait, elle se fraie un chemin jusqu’à l’université. Elle est la seule de sa fratrie à y accéder, et fait alors partie des 40 étudiants noirs inscrits au milieu de 10.000 blancs. Son premier roman se penche sur la vie d’une petite-fille d’esclaves, de la campagne aux favelas. Aujourd’hui, du haut de ses 70 ans, elle concède s’être inspirée de sa propre trajectoire pour raconter celle de son héroïne.

Mes premières sources d’inspirations restent le quotidien, la vie. C’est ce que j’appelle, dans un néologisme, "l’écrivit", né de la fusion des mots "écrit" et "vie".»

Beaucoup ont considéré que ses textes en faisaient la «Toni Morrison brésilienne».

C’est flatteur. A vrai dire, mon grand désir est de la connaître. C’est vrai que l’on nous compare souvent, une de mes amies a même fait sa thèse sur ce sujet. Je pense que cela a un lien avec ce qu’Edouard Glissant appelait la "transversalité historique", le fait que la traite des noirs ait laissé un héritage similaire à tous les peuples, quelle que soit leur destination.»

Une "conquête" des droits inachevée

Cette quête d’identité, entre ancêtres africains et héritage colonial, est au cœur des écrits d’Evaristo. Elle la cherche dans le passé. «C’est d’ailleurs quand la mémoire fait défaut que la fiction commence», explique-t-elle. Mais aussi dans le présent: elle se pose en témoin des évolutions des dernières décennies.

Aujourd’hui, les enfants noirs ont de toute évidence une meilleure condition de vie, en tout cas dans les grandes villes. Leur bien le plus cher, c’est d’avoir la possibilité d’affirmer leur identité. C’est une conquête qui a été rendue possible par des années de lutte des mouvements noirs brésiliens, mais elle est encore loin d’être complète.»

Evaristo revient sur plusieurs événements marquants, comme des festivals de littérature où, jusqu’à récemment, les seuls noirs invités étaient des chanteurs, et non des auteurs – sans même parler d’auteures. Mais aussi sur les années Lula, période charnière dans la marche vers l’égalité des Afro-Brésiliens, puisque de grandes politiques publiques de discrimination positive y ont été mises en place. A l’université, des quotas ont été fixés et les programmes se sont ouverts aux cultures «minoritaires», des indigènes aux Afro-Brésiliens.

Au programme du bac brésilien

Ces politiques publiques commencent à peine à «porter leurs fruits», selon Evaristo. Mais elle en est convaincue: «Aucun retour en arrière n’est possible. La communauté noire a pris conscience de ses droits grâce à ces politiques.» C’est avec cette détermination tranquille qu’elle regarde vers l’avenir. « Avenir», son mot préféré de la langue française.

La consécration est venue lorsque l’enfant des favelas a vu ses romans inscrits au programme du bac brésilien, le vestibular.

C’est évidemment une très grande satisfaction personnelle, commente-t-elle. Mais je garde aussi une certitude: je n’ai pas besoin de remercier perpétuellement pour cela. La littérature d’auteur(e) noire n’est pas là par faveur. Elle est là par droits.»

Martin Lavielle

 

Post-scriptum: 
Conçeicao Evaristo, née dans les favelas, est aujourd'hui au programme du bac brésilien avec ses romans. (Allan Richner)

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