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DE LA LANGUE ET DE LA CULTURE JOUANAKAERIENNES (OU KALINAGUIENNES)

Raphaël Confiant
DE LA LANGUE ET DE LA CULTURE JOUANAKAERIENNES (OU KALINAGUIENNES)

Le terme « créole » provoquant apparemment une poussée de boutons sur certains individus (moyennement alphabétisés, mais qui se prennent pour des intellectuels), cela ne me gêne absolument pas d’abandonner ce terme au profit, par exemple, du jouanakaérien (de « jouanakaéra » ou « îles aux iguanes », terme avec lequel les Caraïbes désignaient la future Martinique) ou même le « kalinaguien » (de « kalinago » terme par lequel les Caraïbes se désignaient eux-mêmes).

«Créole», je m’en contrefous! Ce qui m’importe, c’est un terme qui puisse définir ma langue et ma culture, et donc mon identité, de la plus exacte des manières, c’est tout. Et cette identité n’est ni amérindienne ni française ni africaine ni indienne, mais un mélange imprévisible et continu d’éléments appartenant à ces différentes cultures:

  • apports amérindiens: pêche, poterie, vannerie, lexique (balawou, kouliwou, kachiman, manikou, zanndoli, mombin, goyave, manioc, tabac, matoutou etc…).
     
  • apports français: carnaval, combat de coq, chanter-noël, chalbari (charivari), lexique provenant des dialectes d’oïl du XVIIe siècle, en particulier le normand (hallier, mitan, bailler/donner, chatrou ou satrouille, quand-et-quant etc.), phonologie («r» amuisé, nasalisation régressive etc.).
     
  • apports africains: musique, chants, danses, contes, titim/devinette, lakou (micro-quartier), magico-religieux dit «tjenbwa», koudmen (entraide agricole ou autre), pharmacopée ou lapotikè kréyol, lexique «agoulou, bozanmbo, kongolio, akra, soukougnan, danma etc.), syntaxe (verbes sériels: kouri-monté-désann, postposition de l’article défini et du possessif etc.).
     
  • apports indiens: hindouisme, cuisine (colombo), vêtement (madras), pharmacopée, lexique «vèpèlè, pousari, vatialou, kapli etc.).

La culture jouanakaérienne est donc un brassage séculaire de tous ces apports dans les pires conditions qui puissent se concevoir: celle de l’esclavage. L’esclave, patiemment, obstinément, s’est reconstruit, a reconstruit une nouvelle langue et une nouvelle culture, qui lui ont permis de survivre dans l’enfer plantationnaire. Pas seulement l’esclave, mais aussi «l’homme de couleur libre» et plus tard, après l’abolition, l’engagé indien et chinois, l’immigrant moyen-oriental enfin. Le Béké a, malgré lui, porté sa pierre également à l’érection de cette identité jouanakaérienne. Malgré lui ! Nos lumpen-intellectuels savent-ils que les tout premiers textes en langue jouanakaérienne ont été écrits par des Békés? Notamment, en 1843, «Les Bambous» de François Marbot, traduction en jouanakaérien des fables de La Fontaine. Cela ne les dédouane évidemment pas du pêché esclavagiste et un jour viendra, quand Jouanakaéra (ex-Martinique) sera libre où il faudra, comme en Afrique du Sud, instaurer des «Commissions Vérité et Réconciliation». Vérité d’abord, réconciliation après évidemment! Et pas réconciliation en zappant la vérité comme tentent de le faire ces messieurs-dames de «Tous Créoles».

Le jouanakaérien n’est ni le français ni le wolof ni le tamoul. La culture jouanakaérienne est une culture neuve, originale, complexe, contradictoire parfois, bref humaine. Plus difficile à assumer certainement que les «cultures ataviques» (E. Glissant) d’Europe, d’Afrique ou d’Asie), mais en tout cas, tout à fait en phase avec l’irréversible mondialisation qui affecte depuis bientôt quatre décennies l’ensemble de la planète. Nous, Jouanakaériens, sommes, en effet, un modèle d’identité ouverte, multiple, rhizomatique, toujours renouvelée, en opposition avec les identités figées, fermées et xénophobes de l’Ancien Monde. Mais nous l’ignorons encore parce que quatre siècles de domination se sont employés à minorer et à mépriser la langue et la culture jouanakaériennes. Si bien que certains se veulent farouchement Français, d’autres tout aussi farouchement Africains et depuis quelque temps fiévreusement Indiens. C’est ridicule ! Grotesque même.

Ces personnes me demanderont pourquoi utiliser les mots «jouanakaéra» ou «kalinago» qui sont des termes amérindiens. Je les renvoie à Jean-Jacques Dessalines, premier président de la jeune république haïtienne, qui le 1er janvier 1804, en proclamant, sur la place centrale de la ville des Gonaïves, l’indépendance de son pays que les colons avaient nommé «Saint-Domingue», refusa de les imiter. Ces colons français, espagnols, anglais ou portugais s’étaient, en effet, complus à nommer les territoires qu’ils venaient de conquérir de termes colonialistes: Nouvelle-Angleterre, Nouvelle-Espagne, Nouvelle-Grenade ou Nouvelle-France (l’actuel Québec). Les révolutionnaires haïtiens, au terme d’une longue guerre de douze ans qui leur permit de se libérer du joug français, se refusèrent à rebaptiser leur pays «Nouvelle-Guinée» ou «Nouveau-Congo».

Ils le rebaptisèrent «Ayiti». Comme ses premiers habitants taïnos le désignaient c’est-à-dire «Pays de hautes montagnes». Comment comprendre ce choix? Très simple: ce pays est désormais à nous, c’est le nôtre. Nous en sommes les nouveaux autochtones, les néo-autochtones puisque sa population originelle, les Tainos, ont été génocidés.

Quant à nous, notre pays à nous est donc Jouanakaéra et notre langue le jouanakaérien.

Raphaël Confiant

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