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DE LA TRANSMISSION GENERATIONNELLE DES TRAUMATISMES

DE LA TRANSMISSION GENERATIONNELLE DES TRAUMATISMES

Les blessures psychiques, nous le savons aujourd'hui, se transmettent de génération en génération, comme l'explique brillamment le professeur de médecine Aimé CHARLES-NICOLAS dans le quotidien FRANCE-ANTILLES. Dans les pays "normaux", ce sont pour l'essentiel des blessures liées à la famille alors que dans les pays polytraumatisés comme la Martinique, elles sont d'abord collectives (traite, esclavage, exploitation post-abolition etc.), mais aussi familiales. Une sorte de double peine en quelque sorte. 

   Comment en guérir ? Est-ce que les commémorations des révoltes (22 mai, Insurrection du Sud de 1870, affaire de l'OJAM, décembre 59, Février 74 etc.), nous permettent peu à mais, mais inexorablement, de sortir de ce que le Pr CHARLES-NICOLAS qualifie de "haine" chez certains d'entre nous ? La haine aide à vivre, précise-t-il dans l'interview, mais on vit mal. Il faut d'abord s'interroger sur cette notion de "haine" qu'il ne définit pas, mais dont on comprend qu'elle vise l'(ex-)oppresseur. Comment se manifeste-t-elle ? Comment la détecte-t-on ? Est-on bien sûr qu'il s'agisse de "haine" ?

   J'ai, pour ma part, de fort doutes quant à cette notion car s'il existe bien un peuple au monde qui est peu haineux envers ses oppresseurs (et cela pour autant qu'il existe un "peuple noir"), ce sont bien les Africains et les Noirs des Amériques. J'ai un vieux voisin, cultivateur de son état et créolophone presque unilingue, qui l'exprime à sa façon pince-sans-rire :

   "Jou Neg ké fè an 11 septanm, man ké pwan yo o sérié !" (Le jour où les Nègres feront un 11 septembre, je les prendrai au sérieux !).

   C'est abruptement dit et c'est un Nègre qui le dit. Sinon, n'importe lequel d'entre nous qui a vécu un tout petit peu en France sait bien que si les Français dits "de souche" craignent les Arabes, ils affichent plutôt une forme de condescendance, parfois souriante, envers les Nègres. S'ils trouvaient ces derniers dangereux, ils les craindraient. Et ici même en Martinique, dès qu'un Blanc se montre sympathique, essaie de parler créole et cherche à s'intégrer, on l'appelle "chaben". Donc j'ai beau chercher partout, je ne vois pas où se trouve la haine qu'évoque le Pr CHARLES-NICOLAS. Sauf s'il veut parler d'une poignée de militants "noiristes" qui ne représentent qu'eux-mêmes et qui se complaisent dans la célébration d'une Afrique mythique alors que personne ne les empêche d'aller vivre dans l'Afrique réelle.

   Le Martiniquais moyen n'est aucunement haineux envers le Blanc. En décembre 1959, on a caillassé les voitures des "Métros", mais les Békés ont pu circuler sans aucun problème. En février 2009, ce fut l'inverse : il y avait des Métros dans les manifestations tandis que les Békés se terraient à Békéland. Cela démontre que nous savons, à différentes époques de notre histoire, distinguer entre les Blancs, quitte à faire des erreurs d'appréciation, mais nous ne mettons pas tous les Blancs dans le même sac alors que les racistes en Europe ou en Amérique du Nord, rejettent indistinctement les Noirs.

   Je me demande même si dans les situations de domination extrême, telle que l'esclavage, s'il y a haine, ce ne serait pas surtout la haine de soi. Allons plus loin  : est-ce que la haine de soi n'est pas plus forte que la haine de l'oppresseur. Pourquoi ? Parce qu'on s'en veut que soi ou ses ancêtres soient tombés si bas, qu'ils se soient laissés capturer, torturer, humilier, déshumaniser. On abhorre en quelque sorte le vaincu qui est en soi. Cela donne ce qu'un écrivain camerounais auquel je demandais ce qu'il faisait pour promouvoir la langue bamiléké, me rétorqua froidement : "Je m'en fous de ces conneries...l'arbre à palabres, le tambour, les langues africaines...tout ça n'a servi à rien face à l'envahisseur européen. Je n'ai pas à m'agenouiller devant des ancêtres qui se sont montrés des incapables". Dans une autre formulation moins rude, ça donne : "Nous avons été colonisés parce que nous sommes colonisables".

 

                                                                                                                                INDEPENDANCE

 

   Autre point de désaccord avec le Pr CHARLES-NICOLAS, c'est quand il prend l'exemple d'Haïti pour démontrer que l'indépendance n'entraîne pas la disparition des structures psychiques issues de l'univers esclavagiste. En fait, Haïti n'a jamais été indépendante ou plus précisément, elle n'a jamais pu vivre son indépendance normalement. Dès le lendemain de ce 1er janvier 1804 au cours duquel Dessalines proclama l'indépendance, les puissances coloniales de l'époque (France, Espagne et Angleterre) ont mis en place un blocus autour du pays pour empêcher ce dernier de commercer avec l'extérieur. Puis, la France a exigé, en 1825, le paiement d'une prétendue "dette" d'un montant d'1 million de franc-or pour reconnaître l'indépendance de son ancienne colonie, chose dont s'est acquittée Haïti rubis sur l'ongle pendant près d'un siècle, chose qui a considérablement grevé le budget national. Ensuite, les Etats-Unis ont envahi Haïti en 1915, obligeant la paysannerie à livrer une sorte de deuxième guerre de libération etc... A l'inverse, quand 162 ans plus tard, Barbade devient indépendante, 140 pays se pressent à son chevet. Les deux Chine, Taiwan et la Chine continentale, se bousculent pour avoir les faveurs de cette pourtant minuscule nation. Et ce fut à peu près la même chose pour presque tous les pays de la Caraïbe anglophone. Si donc, on veut parler d'indépendance, qu'on cite celle de ces pays-là et non l'indépendance tronquée, fracassée d'Haïti dont le peuple, au courage extraordinaire, paie jusqu'à aujourd'hui les conséquences.

   Dans ces pays, l'indépendance a au moins guéri de l'obsession à l'encontre Blancs créoles. Car enfin, il est tout e même extraordinaire que ce soit la Martinique qui a le plus faible pourcentage de Békés de la Caraïbe, soit 1% de la population, qui fasse de ce groupe le pivot de son existence, voire de sa destinée. Je n'ai jamais vu un seul graffiti "BEKES DEHORS !" à Barbade (5% de Békés), Trinidad (7%) ou Jamaïque (3%). Et pourquoi ? Parce que ces pays sont indépendants et les Békés ont eu le choix soit de partir soit de rester, mais en s'écrasant. En ne revendiquant pas le pouvoir politique et en se pliant aux directives économiques des dirigeants "noirs". Que les Békés barbadiens continuent à se marier entre eux ou à vivre dans des ghettos dorés, ça, les Barbadiens de couleur s'en foutent dès l'instant  où les premiers investissent, produisent, tissent des liens commerciaux avec l'extérieur, ouvrent des hôtels etc... Seule l'indépendance à permis ce détachement, cette indifférence envers les Békés. Et pourtant ce détachement n'empêche nullement Barbade d'être en pointe, avec d'autres pays anglophones de la Caraïbe, dans le combat des "réparations", cette exigence que les pays européens paient pour les crimes qu'ils ont commis durant quatre siècles.

   Certes, la souveraineté politique ne guérit pas d'un coup de baguette magique les traumatismes générationnels, d'autant que celui de l'esclavage en est l'un des pires, mais elle y aide grandement...

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