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DE QUOI BENZEMA EST-IL LE SYMPTOME ?

par Jérôme Latta http://latta.blog.lemonde.fr/
DE QUOI BENZEMA EST-IL LE SYMPTOME ?

Karim Benzema s'est donc mis dans de beaux draps, ceux de Mathieu Valbuena, avec son intervention dans le "chantage à la sextape" de ce dernier. L'affaire fait immanquablement grand bruit, alimentée par de multiples fuites dont le sens aura d'abord été contradictoire, avant d'accabler – selon l'expression consacrée – l'attaquant du Real Madrid.

LE FOOTBALLEUR ET CEUX QU'IL OBSÈDE

 

On sent bien que Karim Benzema voudrait ne représenter que lui-même. Il décline en cela, sur un mode mineur, l'égocentrisme poussé à son extrême par Nicolas Anelka (autre matrice nationale de la détestation, mais d'une détestation que lui aura délibérément cultivée). Il y entre, pour une part, l'envie légitime de ne pas être emmerdé, pour dire cela vulgairement, c'est-à-dire de ne pas être poursuivi pour ce qu'il est, d'être simplement un footballeur qui fait – bien – son travail. Cette attitude comprend aussi, pour une autre part, le refus d'assumer des responsabilités qui sont pourtant inhérentes au statut contemporain du footballeur ; en d'autres termes de ne pas accepter les contraintes ("obligations") qui accompagnent indissociablement les avantages de ce statut : notoriété et contrats lucratifs.

 

Ce refus relève en partie d'une forme d'immaturité et d'incompréhension, par les footballeurs, du milieu où ils évoluent et qui les sacre, mais il se comprend par ailleurs. Depuis une quinzaine d'années, ils cristallisent des enjeux qui les dépassent complètement, se voient assigner des exigences d'exemplarité exorbitantes et font l'objet de procès délirants. Ils sont devenus une projection fantasmatique pour de nombreux commentateurs (pas seulement sportifs), lesquels importent constamment dans le football les pathologies nationalistes et identitaires qui se sont emparées d'eux. On peut ensuite difficilement s'étonner que certains manifestent un repli de nature défensive, voire une hostilité sourde : celle que l'on perçoit, à tort ou à raison, chez Benzema et quelques autres.

 

LE FOOTBALL, ENTREPRISE D'ÉDIFICATION MORALE ?

 

Si le procès des footballeurs professionnels est général, l'équipe de France aura été particulièrement instrumentalisée. Le violent retour de balancier après la célébration des champions du monde 1998 s'est fait en plusieurs étapes, le point d'orgue ayant été, évidemment, le désastre de Knysna – précédé et suivi de divers psychodrames au moment de l'Euro 2012 et d'autres "affaires" (Zahia, escapade des Espoirs et autres faits-divers). Désormais, il est exigé du comportement des internationaux une sorte d'exemplarité, au point de devenir un critère implicite de sélection que même Manuel Valls exige [1]. Non sans contradiction avec des exigences sportives qui restent inchangées (quelle indulgence aurait-on pour des Bleus bons garçons qui se feraient rosser régulièrement ?), et non sans l'hypocrisie qu'implique le caractère factice d'une communication culminant à coups de tweets gentils et de selfies joyeux.

 

Il faudrait interroger le rapport qu'entretiennent d'autres pays de football avec leurs "méchants" nationaux, qu'ils se comportent mal sur le terrain (là où un Benzema ne s'est jamais fait remarquer par de mauvais gestes) ou en dehors [2]. Comparaison ne valant pas raison, il faudrait surtout se demander si le football a – à ce point – vocation à incarner des "valeurs" et à devenir une entreprise de moralisation publique et d'édification des foules. De cela aussi, le cas Benzema est exemplaire.

 

CE QUE BENZEMA REPRÉSENTE

 

Avec cette affaire, Benzema tend un bâton pour se faire battre à ceux qui n'en demandaient pas tant, et qui n'en avaient d'ailleurs nul besoin pour lui tomber dessus sous des prétextes extraordinairement fallacieux. Pour preuve, le procès grotesque qui lui a été fait pour avoir… inconsidérément craché après la Marseillaise jouée au stade Santiago-Bernabeu en hommage aux victimes du 13 novembre, par une coalition de procureurs aussi dignes que Nadine Morano, Marc Cohen, Élisabeth Lévy, Robert Ménard, Pierre Ménès et Bruno Roger-Petit. La tentation devait être trop grande, pour ces esprits simplificateurs au verdict facile et aux intentions douteuses, de rapprocher l'attaquant du Real Madrid des terroristes du 13 novembre. À ce titre, qu'ils veuillent en substance le déchoir de sa nationalité sportive est assez en phase avec la période.

 

En réalité, Karim Benzema n'a jamais été vilipendé seulement pour ce qu'il fait, mais pour ce qu'il est – ou plutôt pour ce qu'il représente au yeux de ceux qui le vilipendent, et de qui il est le problème bien avant d'en être un en soi. À leurs yeux, l'affaire du chantage leur donne raison, alors qu'elle ne saurait légitimer a posteriori le procès qu'ils lui ont intenté depuis le début, essentiellement pour délit cumulé de faciès et de sale gueule. Jeune Arabe qui a réussi, footballeur parmi les mieux payés au monde, il refuse les relations de complaisance avec les médias et s'obstine à poser avec morgue devant ses voitures de luxe [3], fort peu soucieux de lisser son image et de donner des gages de civilité (ne serait-ce qu'en marmonnant la Marseillaise).

 

LE PROCÈS DES ORIGINES

 

Benzema est peut-être un sale type, tout en étant un excellent professionnel. Demandons-nous pourquoi, dans sa profession et dans ce pays, ce serait intolérable – quand dans la classe médiatique et politique qui s'acharne sur lui, il est parfaitement toléré d'être un sale type, voire un mauvais professionnel. Benzema a très probablement de "mauvaises fréquentations". Certains de ses pairs ont rompu avec les leurs après des expériences cuisantes (Éric Abidal par exemple, dont la voiture et un appartement prêtés à un "ami" avaient servi, à son insu, à un trafic de stupéfiants), d'autres, raconte Grégory Schneider dans Libération, en leur versant une sorte de solde de tout compte. Mais envisageons un instant la violence sociale qui s'exprime quand on exige d'une personne issue des milieux populaires qu'elle renie ses origines – alors qu'on la renverra toujours à celles-ci, quoi qu'elle fasse.

 

Les "excuses sociologiques" sont, sous cette appellation fallacieuse, de plus en plus proscrites de nos jours, comme s'il ne fallait plus jamais chercher à comprendre (comprendre toutes les causes, et non exonérer de toute responsabilité), mais se contenter de condamner avec une frénésie vindicative. Si l'enquête confirme contre Benzema ce que ses éléments connus aujourd'hui suggèrent, il sera évidemment hautement condamnable pour ses actes. Mais on pourrait souhaiter qu'il ne soit condamné, publiquement, que pour ces actes-là, et que tous ceux – footballeurs ou non – qui lui ressemblent ne le soient pas avec lui au nom de ce régime d'amalgame et de stigmatisation qui s'est emparé de notre pays .

 

[1] "S’il n’est pas exemplaire, il n’a pas sa place dans l’équipe de France", a déclaré le premier ministre.

[2] C'est-à-dire demander aux Néerlandais comment ils ont vécu Mark Van Bommel, aux Allemands Harald Schumacher, aux Italiens Marco Materazzi, aux Anglais John Terry, aux Argentins Diego Maradona, aux Uruguayens Luis Suarez, etc.

[3] Morgue et ostentation du luxe par ailleurs glorifiées par les campagnes de publicité des grands équipementiers, qui font constamment l'apologie de l'individualisme.

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