A l'approche des élections territoriales (prévues en juin mais susceptibles d'être reportées si le covid recommence à faire des siennes) chaque mouvement ou parti émet des propositions qui permettraient de mettre fin à l'hémorragie : 4.000 jeunes s'en vont chaque année rien qu'en Martinique. Tous évoquent le retour au pays de ces derniers par le biais de mécanismes qui jusqu'à présent n'ont guère fait leurs preuves, sauf de manière anecdotique. En effet, si favoriser le retour de cinq ou six jeunes chaque année est une excellente chose pour ceux-ci, cela est loin, très loin de régler le problème. On est très loin du compte !
Or, quel parti s'est intéressé au sort de celles et ceux qui sont partis depuis longtemps, qui ont fait leur vie dans l'Hexagone et y ont fait des enfants ? Quel parti possède une branche "Emigration antillaise" autre que symbolique ? Sans même parler de certains qui ne s'y sont jamais intéressés, allant même jusqu'à qualifier les Antillanopéens de "traitres" au pays. A ce sujet d'ailleurs et à l'instar de nos cousins africains d'Europe qui ont inventé le terme "Afropéen", il serait bon que nous nous débarrassions une fois pour toutes des désignations vaguement méprisantes de "Négropolitain" ou de "Negzagonal". D'abord, il n'y a pas qu'en "métropole" (Négropolitain) ou dans l'Hexagone (Negzagonal) que nos compatriotes émigrent mais aussi en Allemagne, en Belgique, en Angleterre, en Suisse etc. Outre qu'ils ont souvent une connotation peu flatteuse, ces désignations sont désormais en décalage avec la réalité migratoire. Sans même parler du fait que des Antillais émigrent aussi au Québec, au Etats-Unis, voire même au Japon. Les plus nombreux se trouvant pour l'heure en Europe, le terme "Antillanopéen" semble le plus adapté.
Pour en revenir à nos partis politiques, ils sont très forts pour collecter des procurations dans notre émigration dès qu'il y a la moindre élection. Aux dernières municipales, dans une commune de la côte caraïbe, un maire sortant avait réussi à en avoir pas moins de...400, chose qui n'a pas pu ne pas peser dans sa réélection ladite commune n'ayant qu'un peu plus de 3.000 habitants. Sauf qu'une fois l'élection passée, celles et ceux qui à Grigny, Garge-les-Gonesses ou Sevran avaient donné procuration sont aussitôt oubliés ! On ne les reverra qu'en juillet ou en août, pour les vacances, et encore même pas chaque année. Sinon, de temps à autre, tel maire participe, en France, à quelque soirée festive de l'association des émigrés de sa commune et donne à ces derniers le sentiment qu'il s'intéresse à eux mais on en reste là.
Il ne serait pas juste de faire peser la question du retour des Antillanopéens au pays sur les seules épaules de nos décideurs politiques. En effet, la raison principale du départ vers l'ailleurs est le manque d'emplois en Martinique et en Guadeloupe, ce qui fait que nos chefs d'entreprises ont aussi leur part de responsabilité dans cet exode. Non pas qu'il faille exiger d'eux qu'ils embauchent les 4.000 jeunes qui s'en vont chaque année, ce qui est évidemment impossible vu l'état de délabrement de l'économie antillaise, mais au moins que dans leurs prévisions d'embauche, ils prévoient des postes pour des Antillanopéens. Il ne s'agit nullement là non plus d'instaurer une sorte de préférence régionale à l'embauche laquelle virerait à la préférence raciale, ce qui est illégal, mais qu'ils aient le souci de prospecter dans notre émigration chaque fois qu'il y a soit un départ à la retraite soit un besoin d'embauche au sein de leur entreprise. Au moins prospecter ! Mais pour cela, il faudrait établir des liens, des réseaux, autres que symboliques ou festifs.
Si politiques et chefs d'entreprise prenaient à bras le corps la question migratoire et ne la traitaient pas comme quelque chose de secondaire, ce serait tout bénéfice pour la Martinique et la Guadeloupe. Et pour tous les Antillanopéens qui souhaitent rentrer au pays. Ce serait un moyen (pas le seul évidemment) d'enrayer le vieillissement de notre population lequel est beaucoup plus dangereux à terme que la baisse démographique. En effet, les débats se focalisent trop sur cette dernière et certains voient, écrivent-ils, avec effroi le jour où nos pays n'auront chacun que 300.000 habitants. Or, notre voisine, la Dominique, n'a que 80.000 habitants mais les jeunes y constituent la majorité de la population alors que nous, avec nos presque 400.000 habitants chacun, nos moins de 30 ans sont en passe de devenir minoritaires, s'ils ne le sont déjà.
Notre problème migratoire consiste, en fait, à avoir du sang neuf. Des personnes en âge de procréer.
Il y a également une autre piste que peu de gens (et surtout pas nos politiques) osent aborder : celle de l'immigration dite "clandestine" dans nos deux îles. Le sentiment anti-haïtien et anti-saint-lucien est si fort dans certaines communes qu'il serait suicidaire électoralement parlant de réclamer la régularisation au plus tôt des immigrés caribéens qui vivent et travaillent chez nous. Pourtant, il est de notoriété publique que des milliers d'entre eux sont employés dans maintes exploitations bananières notamment. On en voit même y travailler certains dimanches ! On n'est pas encore au stade des sinistres "bateys" de Saint-Domingue mais on n'en est pas loin dans certains cas. Toutes choses que les autorités de l'Etat n'ignorent nullement quoiqu'elles ferment les yeux tout en ne se gênant pas pour expulser du territoire ceux qui se font prendre lors de quelque contrôle de police.
Chacun se souvient que par trois fois au cours du demi-siècle écoulé, la France a procédé à la régularisation de dizaines de milliers d'immigrés "sans papiers" arabes et africains. Les enfants de ces derniers sont devenus des Français et c'est en grande partie grâce à eux que la France n'a pas subi la même baisse démographique que ses voisins européens. Régulariser, la France sait faire ! Il n'y aurait donc rien de saugrenu pour nos parlementaires de demander que la même politique soit appliquée en Martinique et en Guadeloupe. Régulariser des immigrés est même devenu banal à travers le monde : l'Allemagne d'Angela Merkel a accueilli 1 million de réfugiés syriens. Plus près de nous, la Colombie vient d'en faire de même avec 800.000 réfugiés vénézuéliens et de manière très crue, un haut responsable politique de ce pays a déclaré que c'était une excellente chose parce que ces Vénézuéliens étaient pour la plupart jeunes, ce qui permettrait de lutter contre le vieillissement de la population colombienne.
A côté de toutes les pistes qui ont été mises jusqu'à présent sur la table pour lutter à la fois contre la baisse de notre démographie et le vieillissement de notre population, il apparaît que celle qui favoriserait le retour des Antillanopéens (ou "installés de longue date en Europe") et celle qui consisterait à régulariser tous nos immigrés caribéens devraient être examinées sans plus tarder. Avant qu'il ne soit trop tard plus exactement...
(NB. Pour qu'il n'y ait aucune ambigüité, pour nous, un Antillanopéen n'est pas quelqu'un qui est parti de la Martinique ou de la Guadeloupe depuis seulement deux ans, trois ans ou cinq ans. En effet, il n'est pas question d'empêcher nos jeunes de voir le monde, de se confronter à d'autres cultures et modes de vie, d'apprendre d'autres langues et de se forger de l'expérience. Nous voulons parler d'adules installés en Europe de longue date et qui, très naturellement, après vingt ou vingt-cinq ans passés à l'extérieur, souhaitent revenir au pays natal.)
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