Une association dénonce l'engagisme mis en place après l'abolition de l'esclavage pour faire venir d'Inde à la Réunion une main-d'œuvre bon marché.
D'une démarche à l'origine spirituelle est née une action en justice. Abady Egata-Patché, chef d'entreprise établi à Saint-Paul, à la Réunion, vient de déposer une plainte auprès du procureur de la République de Saint-Denis visant l'Etat français pour « crime contre l'humanité ».
« C'est une action réfléchie », appuie le septuagénaire, président de l'association Mémoire crève-cœur, qui entend épuiser tous les recours légaux, jusqu'à, le cas échéant, la Cour européenne des droits de l'homme. Abady Egata-Patché reproche à la France l'engagisme. Entre 1828 et 1861, la Réunion sent que la fin de l'esclavage est proche. Il faut donc trouver une nouvelle main-d'œuvre, bon marché. Les colons se tournent vers l'Inde. Au total, entre 120 000 et 150 000 Indiens sont acheminés sur l'île pour réaliser les tâches les plus pénibles. Ils signent un contrat de cinq ans, doivent travailler vingt-six jours par mois pour un salaire de 12 francs (une trentaine d'euros). Maltraités, privés d'école, de culte et de leur langue
« Les contrats n'étaient pas respectés. Ils étaient très mal traités », argumente Abady Egata-Patché. Il y a trois ans, il effectue son premier voyage spirituel en Inde pour renouer avec son passé et l'histoire de sa famille. Au total, il y retournera une dizaine de fois. C'est lors de l'avant-dernier séjour qu'il se décide à porter plainte : « Quand j'ai vu le port de Pondichéry, j'ai repensé à mes ancêtres qui ont été déracinés pour venir travailler à la Réunion et qui sont partis de là en bateau. » Pour le Réunionnais, l'engagisme était en fait un esclavage qui ne disait pas son nom : « Les liens ont été complètement coupés. Quand les gens montaient sur le bateau, on les renommait. » Sur l'île, les engagés étaient privés d'école, de culte, et on leur faisait perdre leurs repères culturels. Ils ne pouvaient pas parler leur langue. « Les colons les obligeaient à assister à la messe », poursuit-il. Seuls les malades, trop usés, pouvaient rentrer au pays. Bon nombre ne survivaient pas au voyage aux côtés des animaux. Pour Abady Egata-Patché, cette immigration douloureuse continue de peser sur la société réunionnaise : « Les Indiens étaient des non-violents. La violence les a gagnés quand ils sont montés sur le bateau. Ils ont commencé à boire, beaucoup se sont suicidés. Les familles ont été marquées, et ça influence encore leur vie aujourd'hui. On connaît le père, le grand-père, mais rarement l'arrière-grand-père. Il y a un manque de repères. » Cette action pourrait faire des émules aux Antilles où une association regroupant les Guadeloupéens d'origine indienne envisage de s'associer à la plainte réunionnaise.