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DÉSONTOLOGISME ET RÉONTOLOGISME DES ESCLAVES ET DES MARRONS

Par Anny Dominique CURTIUS
DÉSONTOLOGISME ET RÉONTOLOGISME DES ESCLAVES ET DES MARRONS

Cent cinquante ans après l’abolition de l’esclavage aux Antilles françaises, qui a été en grande partie possible grâce aux actions décisives de femmes et d’hommes marrons, nous venons ici tenter de repenser les complexités, les grandeurs et les misères du marronnage. Il s’agira de considérer tout d’abord l’avant-marronnage, c’est-à-dire la période au cours de laquelle les esclaves subissent ce que nous appelons un processus de {désontologisme}, autrement dit de chosification de leur corps et d’annihilation de leur humanité. Puis nous explorerons les différentes pratiques des marrons au sein d’un second processus que nous appelons {réontologisme}, c’est-à-dire la réaffirmation de leur identité, leur capacité à créer une culture en recomposant sur la terre nouvelle les traces qui leur restaient de leur culture africaine et ce, tout en résistant au système esclavagiste.
Il convient d’articuler ce travail autour de la notion de l’ontologie puisque le système esclavagiste a fondamentalement déshumanisé les esclaves, en a fait des non-êtres que le {Code Noir} déclarait d’ailleurs être meubles (49). Aussi, par le biais de ces deux axes, le désontologisme et le réontologisme, nous problématisons non seulement cette réification des esclaves mais aussi ce processus de contre-réification mis en place par les esclaves sur la plantation et poursuivi par les marrons.

Le désontologisme, c’est la destruction de tous les paramètres socioculturels africains en fonction desquels les esclaves se reconnaissent avant leur capture. Ils doivent ainsi renaître à une “ nouvelle ontologie ”, qui leur est imposée et qui répond à un besoin : d’une part, le développement d’une économie impérialiste dont les principes sont l’accumulation excessive de profits par le biais de l’exploitation d’une main d’œuvre servile, et d’autre part, la constitution de grandes missions “ civilisatrices ” et expansionnistes. Soulignons qu’un lourd appareil répressif accompagne cette ontologie. Il est construit sur des bases juridiques ({Le Code Noir}) et pratiques (asservissement, tortures, viols sur le navire négrier et dans les plantations). Enfin, il importe de considérer la thèse moraliste sur laquelle les esclavagistes se sont appuyés pour légitimer leurs pratiques, thèse dont le développement sera du ressort de l’Eglise. En effet, le Père Labat révèle dans {Nouveau voyage aux isles de l’Amérique}, que le roi Louis XIII consentit à l’introduction d’esclaves dans les îles, après qu’on lui eut démontré que c’était un moyen d’inspirer ces derniers du culte du seul vrai Dieu, de les retirer de l’idolâtrie et de leur faire épouser jusqu’à leur mort la religion chrétienne (38). Ainsi comme le stipulaient les huit premiers articles du {Code Noir}, la vie des esclaves devait être menée dans le respect de la morale chrétienne, par la pratique d’une série de cultes tels le baptême, la participation assidue aux offices, le mariage.

En tant que processus de dépossession de l’esclave de toute son historicité, le désontologisme doit être vu comme la reconstitution d’un “ être ”, non pas en tant qu’être humain, mais en tant qu’“ être ” réifié esclave. Aussi, les guillemets que nous utilisons au début du paragraphe précédent pour les termes “ nouvelle ontologie ”, soulignent-ils d’une part le fait que le système esclavagiste façonne un autre être, lui confère une autre dimension, celle d’un objet / meuble / colonisé et d’autre part, que l’idéologie esclavagiste est profondément contradictoire, puisqu’elle se donne pour objectif de “ civiliser ” et de christianiser ceux qu’elle a juridiquement considérés comme meubles.
Commencé dès l’espace du négrier, puis poursuivi dans la plantation, le désontologisme en tant que processus de dépouillement socioculturel et identitaire, déstructure la personnalité de l’esclave à plusieurs niveaux. On peut considérer d’une part, la perte d’un environnement social et religieux, qui a régi toute la raison d’être au monde de l’esclave avant sa capture et d’autre part, l’imposition du christianisme dont les principes ne sont pas enseignés aux esclaves. Soulignons que l’on cachait l’essentiel de la doctrine chrétienne aux esclaves, de peur que ces derniers ne l’utilisent pour légitimer leur rébellion. Enfin, il y a lieu de remarquer cette impossibilité pour l’esclave de pratiquer sa religion, de retrouver son ordre ontologique et son obéissance, afin de survivre, à des principes chrétiens et des lois esclavagistes.

Il importe maintenant de considérer cet autre processus qu’est le réontologisme et qui est mis en œuvre par les esclaves eux-mêmes, sur la plantation, à partir du moment où ils décident de ne plus vivre cette expérience traumatique, de défier l’ordre esclavagiste, de marronner et de donner ainsi un profond sens de quête identitaire à leur fuite de la plantation, à leur nomadisme permanent. Sous cet angle, nous considérons l’acte même du marronnage comme un refus total de ce désontologisme-chosifiant, imposé à l’esclave sur le négrier et dans la plantation. Le réontologisme marronneur peut donc être lu comme un réveil après le vide, réveil au cours duquel tout un effort de recomposition des traces, de récupération d’une ontologie africaine, est mis en œuvre par les marrons. (...)

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