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Du Morne-des-Esses au Djebel – de Raphaël Confiant : les Martiniquais engagés dans la guerre d’Algérie

Tawfiq Belfadel ("Lecture-Monde")
Du Morne-des-Esses au Djebel – de Raphaël Confiant : les Martiniquais engagés dans la guerre d’Algérie

L’écrivain Raphaël Confiant a publié son nouveau livre en septembre 2020, un roman intitulé Du Morne-des- Esses au Djebel.

La fiction a principalement lieu en Algérie pendant  la guerre (1954-1962). Celle-ci est à son apogée. La France use tous les moyens : « Arrestations arbitraires, villages rasés, champs détruits au bulldozer, chantage sur les femmes et  les vieux et surtout exécution sommaires des présumés fellaghas(…) »  (p173). De leur coté, les Algériens (dits les « Arabes » ou les « Indigènes » dans le roman) défendent fermement leur terre.

L’armée française est constituée alors de soldats de métiers et d’appelés, venus de diverses nationalités. Le roman est centré sur trois Martiniquais engagés dans cette  guerre :

Il y  a d’abord Ludovic Cabont, un lieutenant du village Morne-des-Esses qui a fait l’école Saint-Cyr. Il est affecté dans la 10ème division parachutiste à Alger. Alors qu’il va passer au grade de colonel, il  déserte après avoir vu les atrocités de l’armée française. Ainsi, il devient fellagha pour lutter contre la France. « Je quitterais cette armée qui n’était pas la mienne et tournerais le dos à cette guerre qui m’a été imposée … » (p260), dit-il.

Ensuite, il y a Juvénal Martineau, un lieutenant qui a fait aussi l’école Saint-Cyr. « Ce fringuant Mulâtre plus français dans l’âme que les Français bon teint… » (p254). Comme Cabont, il est affecté à la 10ème division parachutiste. Cependant,  Il reste fidèle à la mère-patrie malgré les exactions horribles.

Enfin, il y a Dany Béraud, un jeune étudiant à la Sorbonne. Découvrant à Paris l’humiliation faite aux Algériens, il ignore l’appel de l’armée française et  s’engage dans le maquis algérien en passant  par  le Maroc. D’autres personnages secondaires complètent la fiction, pris aussi dans les rouages de cette guerre.

Trois Martiniquais,  une seule guerre, trois chemins différents. Alors quels destins seront-ils réservés à ces jeunes ? L’Indépendance de l’Algérie changera-t-elle leurs décisions préalables ? Reverront-ils leur Martinique natale ?

Le roman n’est pas un document historique mais une fiction insérée dans d’un fond historique réel, celui de la guerre d’Algérie. Un récit mêlant  réel et fiction.  L’angle du roman est original, unique : il explore le rôle des Martiniquais dans cette guerre. Un rôle très important que ce soit pour la France ou pour l’Algérie. « Djebel, autrement dit l’Algérie, cette terre qu’on disait presque désertique et accablée de soleil, de l’autre coté de la Méditerranée, où se déroulait une guerre qui s’entêtait à ne pas dire son nom » (p269).

À travers une fiction, Confiant rend un vibrant hommage à  ces soldats effacés dans les deux rives : la France chante le courage des Français-Blancs (ceux de l’Héxagone) et l’Algérie glorifie seulement ses Algériens (dits arabo-musulmans). Autrement dit, le roman précise que  les soldats Martiniquais (comme ceux des autres nationalités) ont été effacés de l’Histoire. « La guerre, c’est bon pour nous, les Nègres, nous qui avons souffert dans ce fichu pays de Martinique », crie une maman pour dénoncer l’appel à la guerre. (p104).

Le roman véhicule deux points de vue différents portés sur l’Histoire : celui de l’Algérie et celui de la France. L’auteur marque bien sa distance vis-à-vis des faits. Tantôt  les narrateurs parlent de fatmas, de prostitution, de fellaghas-terroristes, de mission civilisatrice, de rébellion… ; tantôt, les narrateurs parlent de crimes français, de viols, d’indépendance, de droit à la terre algérienne…

Par exemple, contrairement à son ami et compatriote, Cabont choisit l’Algérie ; «  Après deux ans et demi de présence en Algérie, j’avais commence à comprendre, contrairement à mon compatriote Mulâtre Martineau, que la France et son armée n’avaient rien à faire dans ce pays » (p240). Martineau reste fidèle à la France et juge Cabont comme traitre.

En plus de l’angle historique, le roman dénonce le racisme contre les Martiniquais. Humiliés à cause de la couleur de peau bien qu’ils défendent corps et âme la France dans les différentes guerres ; certains en sont retournés avec un membre au moins, ou en cercueils et effacés de l’Histoire.  « Le lieutenant Cabont est un singe savant, messieurs ! »,   dit le capitaine (18).

Le roman est aussi un va-et-vient entre Algérie et Martinique. Derrière la guerre d’Algérie, c’est l’histoire de la Martinique qui se tisse. Les narrateurs évoquent l’esclavage,  l’engagement des Martiniquais  dans l’armée française à travers diverses guerres… Ainsi dans un même chapitre, voire dans un même paragraphe, on bascule de l’Algérie vers la Martinique. Parfois, il s’agit de parallèles ou de comparaisons entre la condition algérienne et celle des Martiniquais.«  Il songea à ces veillées mortuaires de sa campagne du Morne-des-Esses au cours desquelles d’intarissables conteurs…le terrifiaient bonnement » (309). Le titre est un exemple très clair.

Le roman s’inscrit en outre dans la créolité. Il s’agit d’un mouvement créé à la fin des années 1980 par Confiant et ses amis Chamoiseau et Bernabé (lire Éloge de la créolité). Contrairement à la Négritude de Césaire et à l’Antillanité de Glissant, la créolité peint le réel créole tel quel en dépassant les clichés des îles paradisiaques. Ainsi, le roman évoque le travail dans les plantations, la situation des femmes délaissées par les hommes, les enfants-rejetons, le complexe d’infériorité chez tant de citoyens, la pauvreté…

Autrement dit, ce roman est un miroir de la vraie Martinique. « Il y a deux sortes de gens à peau claire dans ce pays (Martinique). D’abord, les Mulâtres, mélange depuis des siècles de Békés et de Négresses, et puis, d’un autre coté, les rejetons accidentels de n’importe quel Blanc de passage » (pp64-65).

L’ethnographie est omniprésente. Çà et là, qu’il s’agisse de la Martinique ou de l’Algérie, le lecteur découvre des légendes, des contes, des traditions, des mots en dialecte (créole, dialecte algérien)…Le caractère ethnographique sert surtout à peindre le caractère créole du roman. « Les conteurs berbères différeraient des à la fois des acteurs européens et des conteurs créoles » (p315)

Les éléments relatifs à l’Algérie _ historiques, géographiques, culturels, etc _ sont peints avec une justesse parfaite. Cela est du certes a une grande documentation ; et le séjour que Confiant a passé en Algérie en 1974 (enseignant d’anglais) lui aurais beaucoup servi. Par exemple, le roman est plein de mots et phrases empruntés au dialecte algérien qui sont bien utilisés et dans le bon contexte.  «  ana men Wahran.saken fi Mdina Jdida » (je suis d’Oran. J’habite à la Nouvelle Ville) (p365).

L’auteur rend également hommage à deux grands noms martiniquais : Fanon et Glissant. Césaire est écarté : cela signifie peut-être le désaccord intellectuel entre Confiant et le poète. «  Sinon l’homme politique qu’il était également n’avait guère fait entendre sa voix, au contraire de Frantz Fanon et d’Edouard Glissant, à propos des évènements qui se déroulaient outre-Méditerranée » (p353).

La structure du roman est superbe. Le roman est constitué de longs chapitres mais sa structure est fragmentaire. Les narrateurs changent (extérieur-Je), la linéarité est brisée, la narration est brouillée par les va-et-vient entre Algérie et Martinique. Cela donne de l’importance au roman et captive le lecteur. 

L’auteur a glissé des éléments autobiographiques dans cette fiction : ses origines (Martinique), lieux de son enfance (Fort-de-France, La rue des Syriens…), le séjour en Algérie, la créolité…

Simple et dense, lucide et poignant, imprégné d’humanité, à la lisière du réel et de l’imaginaire,  ce roman est un  hommage aux soldats martiniquais effacés de l’Histoire par racisme et injustice. C’est aussi une toile  réaliste de la créolité martiniquaise.

***

Point fort du livre : angle thématique unique

Belle citation : «  C’est que très vite, nous avons dû nous rendre à l’évidence : ce pays-là(…) se refusait encore. Il se refusait à travers ses femmes. Le corps de l’Algérienne demeurerait un pur mystère » (p07)

L’auteur : né en 1951 en Martinique, Raphaël Confiant est un écrivain de langue française et de créole. Il est essayiste et   universitaire. Auteur de nombreux ouvrages en français et en créole.

Du Morne-des-Esses au Djebel, Raphaël Confiant, éd. Caraïbéditions, Antilles, 2020, 424p.

Par TAWFIQ BELFADEL

Commentaires

Stromaed | 15/02/2021 - 22:37 :
Quand on sait que le martiniquais Fanon a été le théoricien et la colonne vertébrale intellectuelle de la lutte anti coloniale algérienne (et d'ailleurs) la martinique à travers lui à pris largement sa part dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. D'ailleurs la plus importante avenue d'Alger porte son nom ainsi que divers hôpitaux dans tout le pays. En ce qui concerne le rapport Stora édulcorant le passé comme cherche à le faire systématiquement le pouvoir en place (refusant de s'excuser pour les crimes de guerre) la menace gronde et l'histoire têtu nous rappelle constamment les atrocités commises qu' aucun historien ne saurait effacer d'un trait de plume
redaction | 16/02/2021 - 14:09 :
Il faut savoir à un moment ou un autre arrêter le délire mémoriel. Que la France reconnaisse ou pas ses crimes en Algérie ne changera RIEN à la situation de l'Algérien moyen qui n'a qu'une idée en tête : émigrer en France ou au Québec. Ce désastre est dû à l'accaparement éhonté des richesses pétrolières et gazières par une camarilla de corrompus et de prédateurs DES LE LENDEMAIN DE L'INDEPENDANCE. C'est pourquoi il importe, dès avant l'accession de l'indépendance, de toujours mettre hors d'état de nuire les corrompus sachant que la corruption, ce n'est pas seulement détourner des millions d'euros, de dollars ou de dinars. Cela commence dès l'instant où l'on place ses enfants aux meilleurs postes sans que pour autant ils aient la moindre compétence !

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