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ECOLE : DE VRAIES QUESTIONS ATTENDENT DE VRAIES REPONSES

Par Michel Louis
ECOLE : DE VRAIES QUESTIONS ATTENDENT DE VRAIES REPONSES

{{En 2003, le regretté Michel Louis, brillant universitaire guadeloupéo-martiniquais (Faculté de Droit) décédé l'an dernier, faisait une analyse du système scolaire en Martinique qui est toujours d'actualité.}}

Disons-le sans ambages. En prenant le risque de ne pas être compris.
La crise est grave, au plan de l’Ecole en Martinique, - institution sociale qui pour nous va de l’enseignement primaire à l’université et qui a en charge l’éducation et l’enseignement. D’autant que les apparences permettent de voiler par des constats et des discours fallacieux et ainsi peuvent tromper.

Ecartons comme non significatifs les quelques exemples qui font illusion. Disons-le alors tout net, sans détour : la médiocrité et l’ignorance s’étendent de manière alarmante. Médiocrité, c’est à dire insuffisance quant à la qualité, à la valeur. Ignorance, c’est à dire manque d’instruction, de savoir intellectuel, de culture générale. Les résultats du système d’enseignement en offrent ici, en effet et singulièrement, tous les caractères. C’est le constat affligeant que peut faire tout enseignant sensé, en observant l’évolution de ces dernières années.

Certes, dans le monde occidental, cette situation n’est pas nouvelle, notamment en ce qui concerne l’ensemble du groupe social. Il y a plus de vingt ans, Christopher LASCH n’écrivait-il pas déjà (Le complexe de Narcisse, Paris, 1981, p. 177-78) : « La société moderne qui a réussi à créer un niveau sans précédent d’éducation formelle, a également produit de nouvelles formes d’ignorance. Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision,…, de faire des déductions logiques, de comprendre des textes écrits autres que rudimentaires. »

Ou encore, ce résultat d’une enquête de l’OCDE en 1995 qui concerne la capacité à comprendre et à utiliser l’information écrite, la littératie : 40,1 % de français se classent au niveau le plus bas !
Mais quand cette situation caractérise le système scolaire, institution essentielle dans l’évolution d’une société, dans un petit pays où la matière grise se révèle une des rares ressources, il s’agit, en le disant avec force, de provoquer un certain moment de réflexion, de doute, de remise en question, et non de chercher à décourager ou à dévaloriser. Malgré la difficulté.

L’illusion du bac …

Continuerons-nous, en effet, à croire que l’échec scolaire, constat quasi unanime, est mesurable et en particulier par le seul taux de réussite aux examens ? Continuerons-nous à croire que le taux de réussite au baccalauréat manifeste dans son évolution une progression du niveau général ? C’est ne tenir aucun compte de ce que, président de jury du baccalauréat à plusieurs reprises, j’écrivais au recteur d’académie, dans un courrier daté du 22 septembre 2000 : « J’ai pu noter à la session de juin notamment, que plusieurs candidats avaient été admis au baccalauréat sans avoir eu une seule moyenne, mis à part l’EPS, aux épreuves terminales du premier groupe…. Ceux-là, et d’autres encore, manquent assurément des bases les plus élémentaires permettant de suivre avec succès des études supérieures. »

Continuerons-nous à croire, comme l’affirment les auteurs du texte relatif aux Humanités créoles, que « cet enseignement .. réconciliera tous les élèves martiniquais avec ce qu’ils apprennent, recentrera leur plaisir d’apprendre et … donnera du sens à l’Ecole, …» C’est oublier ce point du rapport de l’Inspection générale concernant le système éducatif de la Guadeloupe et présenté en février 2003, point tout aussi valable pour la Martinique : « Les résultats scolaires ne sont pas produits que par des facteurs externes au système éducatif. Ils sont d’abord le produit de celui-ci. Certaines faiblesses pèsent défavorablement sur ces résultats. Elles concernent des aspects pédagogiques, d’organisation ou de comportement. » (page 18).

L’accession au savoir … ?

L’attitude quasi générale, voire le réflexe conforme en cela à un comportement social commun, consiste à attribuer la faute à ceux que l’on croit coupables. L’on peut ainsi dire : les élèves ne sont pas motivés, ils ne travaillent pas, sont indisciplinés, font preuve de violence, ne témoignent d’aucun intérêt … C’est sans doute juste. Mais combien d’entre nous se sont-ils posé la question de savoir comment ces élèves apprennent ?

Combien d’entre nous continuent à croire que l’on peut transmettre le savoir ? Combien pratiquent sans même y réfléchir ce que Paolo FREIRE à nommé “Conception bancaire de l’enseignement”: dicter, à travers un cours, des savoirs que l’élève sera chargé d’apprendre par cœur – sans même souvent comprendre – et qu’on lui demandera par des questions choisies et appropriées de déstocker lors du contrôle ou de l’épreuve d’examen. C’est réduire l’apprentissage à la mémorisation. Et ces pratiques encouragent la conformité, la dépendance, l’irrationalité.
On oublie ainsi et facilement ce que nous ont enseigné de grands pédagogues : les savoirs que l’on enseigne ne peuvent être transmis que comme l’on transmet des informations. Pour qu’ils soient réellement efficaces et se structurent en savoir, en connaissance, il faut qu’ils soient intégrés, classés, reliés, par tout un système d’interprétation. Seul alors l’élève peut construire, bâtir, sa connaissance, son savoir. « Plus importantes que ces connaissances apparaissent les méthodes et les techniques par lesquelles on les acquiert … Il est donc capital que l’élève soit formé aux méthodes et techniques » dit Jean PIAGET. Enseignons-nous vraiment ces méthodes et techniques d’apprentissage qui permettent l’accession au savoir et amènent à l’acquisition de l’esprit critique ? Il y a là, je crois, matière à réflexion.

Car de telles pratiques ne seraient-elles pas, entre autres, à l’origine de cet ennui avoué par une grosse majorité de lycéens de Martinique (70 %), lors du Colloque sur les Lycées organisé il y a quelques années par le ministre de l’Education national ?

Accuser l’enseignant alors ? Certainement pas.

Outre que cela ne serait pas le signe d’une attitude positive, que ce serait encore dénoncer sans réfléchir et enclencher une énième polémique stérile, ce serait injuste vis à vis de ceux, nombreux, dont le souci est conforme à une vocation et sont conscients d’exercer encore un métier, non une profession, un métier noble.

Mais il ne s’agit pas non plus d’accréditer des propos tels ceux tenus, selon un hebdomadaire, par le recteur d’Académie : « Je suis allé visiter plusieurs établissements : l’ambiance que j’y ressens est une bonne ambiance. On trouve des équipes mobilisées en faveur des élèves, des équipes motivées, et une satisfaction de se retrouver au sein de cette famille éducative. » Sans doute est-ce la fonction qui oblige à de tels dires, mais ils obscurcissent, masquent l’atmosphère morale qui imprègne la plupart des établissements.

La légitimité de l’enseignant, en effet, est aujourd’hui mise en cause. Et conséquence d’une situation qui se dégrade, d’une reconnaissance et d’une valorisation sociales qui ne sont plus, la lassitude envahit le corps des maîtres, la déprime s’installe, les congés de maladie se multiplient, les vacances sont vécues comme un heureux moment de fuite, quand la peur de l’autre (souvent de l’élève) n’ inhibe pas de manière chronique.
Qui donc s’inquiétera vraiment ?

La hiérarchie administrative ou pédagogique ? Mais a-t-elle la volonté réelle d’aller au fond des choses ou est-elle là pour appliquer les directives venues d’en haut ?

Et qu’attendre des syndicats de personnels quand l’un des plus importants affirme n’avoir qu’un souci : “défendre les intérêts des travailleurs” ?

Quant aux parents d’élèves, dont nous savons qu’une majorité milite pour ce qu’elle considère comme l’intérêt immédiat de ses propres enfants, ils ne peuvent dans ces conditions, et ce n’est peut-être pas leur rôle, intégrer la distance nécessaire à une réflexion qui ne semble pas, à priori, les concerner directement.

Les élus ? Observez les différents plans de développement qu’ils projettent, les propositions statutaires qu’ils avancent, et cherchez la place accordée à l’enseignement… Pourtant si l’on veut développer, si l’on souhaite des changements statutaires, n’est-ce pas d’abord pour ceux qui demain en auront la responsabilité mais qui, aujourd’hui, sont encore élèves ou étudiants ?

L’enjeu, on le voit, est de taille.

Aujourd’hui que nous sommes à la croisée des chemins. Rien ne changera si de vraies questions n’engendrent pas de vraies réponses dans ce domaine de l’éducation. J’affirme enfin qu’il s’agit là pour notre société d’un authentique problème politique, au sens noble du terme.

{{ Michel LOUIS}}, universitaire

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