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Emile Désormeaux, disparition d'un grand éditeur

Emile Désormeaux, disparition d'un grand éditeur

   Il était un homme discret, un peu énigmatique, adepte de l'humour au second degré. Un vrai chef d'entreprise à la fois imprimeur, libraire, éditeur et patron de presse. L'œuvre que laisse Emile DESORMEAUX est considérable et les générations futures lui en seront reconnaissantes car c'est à lui que nous devons la réédition pendant trois décennies des œuvres de Victor SCHOELCHER, de G. SOUQUET-BASIEGE, de Pierre DESSALLES, de Lafcadio HEARN ou encore de Raphaël TARDON. Il avait la passion de l'histoire antillaise et par conséquent du Livre avec un grand "L". Il savait fabriquer de beaux livres, des livres durables, cela à une époque où l'Internet n'existait pas encore ni les e-books. Outre, nos grands auteurs du passé, E. DESORMEAUX avait également la passion des encyclopédies et celles qu'il a publiées, s'entourant des meilleurs spécialistes dans les différents domaines, sont indépassées à ce jour.

   Martiniquais au plus profond de lui (il avait rédigé l'histoire de sa famille dans un ouvrage intitulé Sang mêlé), cela ne l'empêchait pas d'avoir une vision caribéenne de son métier. La plupart de ses encyclopédies englobaient également la Guadeloupe et la Guyane. Il avait d'ailleurs formé un bataillon de commerciaux extrêmement performants qui sillonnaient les villes et les campagnes de nos trois pays pour y vendre, à crédit, des ouvrages qui constituaient pour les acheteurs un véritable investissement culturel. A cette époque, dans les années 70 à 95 du siècle dernier, l'Internet n'avait pas encore détourné les gens du papier. Fréquentant assidument sa librairie de la rue Galiéni, à Fort-de-France, il m'aborda un jour pour me proposer d'être à la fois lecteur dans sa maison d'édition et contributeur (pour le créole) s'agissant de ses encyclopédies. Ayant accepté, il m'octroya alors des années durant un petit bureau à l'étage de sa librairie où je venais le mercredi et le samedi matin pour y lire les manuscrits qu'il recevait. Notre collaboration fonctionna sans anicroches pendant des années et c'est d'ailleurs dans son Dictionnaire encyclopédique des Antilles et de la Guyane en 7 volumes, dirigé par le Pr Jack CORZANI (dont il avait d'ailleurs publié le très beau Littérature des Antilles et de la Guyane) et paru en 1993, que je publiai pour la première fois mon dictionnaire du créole martiniquais Ce dernier devait être republié en 2007 par les éditions Ibis Rouge et un autre formidable éditeur, Jean-Louis MALHERBE.  

   Emile DESORMEAUX n'a jamais confondu "Livre" et "Littérature" comme se plaisent à le faire nos chers politiciens, peu prompts à aider l'édition (et encore moins "Livre" et "Poésie" comme le croit un certain Béké médiatique et crétin). Ce natif de Rivière-Pilote et fier de l'être, frère du célèbre chanteur Djo DEZORMO, aimait, on l'a vu, l'histoire, mais aussi l'anthropologie, la sociologie, la linguistique, l'économie, la botanique, l'ornithologie etc. L'essentiel des livres qu'il publia sont à ranger dans ces disciplines et il n'a, en tout et pour tout, publié qu'un ou deux littérateurs modernes. Je n'ai, pour ma part, jamais essayé de le convaincre de publier un seul des nombreux manuscrits de roman ou de poésie, plutôt médiocres, il est vrai, que nous recevions.

   J'ai mis fin à ma collaboration avec lui suite à une erreur grossière de ma part, un manque de vigilance inacceptable, mais notre amitié n'en a jamais souffert. Voici : nous avions reçu le manuscrit d'une histoire d'un de nos trois pays (je ne souhaite pas dire lequel) par un universitaire (dont je ne souhaite pas révéler le nom). Je lis le texte, suis emballé par lui et rédige une note de lecture dans laquelle je presse DESORMEAUX de le publier. Il acquiesce, me faisant confiance, et comme d'habitude, il fabrique deux éditions : l'une en broché, grand public si l'on préfère ; l'autre en relié, c'est-à-dire en édition de luxe. Tout va pour le mieux pour le meilleur des mondes jusqu'au jour où je reçois un courrier recommandé de trois chercheurs d'un organisme appelé ORSTOM (l'IRD d'aujourd'hui) accusant l'auteur de plagiat et exigeant d'être reçus pour en apporter les preuves. Effectivement, ces éminents personnages débarquent dans mon bureau un samedi matin, rue Galiéni donc, à l'étage de la librairie Désormeaux, et devant ce dernier et moi-même ébahis, abasourdis, assommés même, de nous démontrer que le fameux historien avait en fait pillé leurs travaux et fait un collage de leurs différents articles publiés dans la revue (assez confidentielle) de l'ORSTOM.

   Résultat des courses : saisie immédiate de tous les exemplaires se trouvant dans les librairies de nos trois pays et mise au pilon (destruction) du stock se trouvant à l'imprimerie DESORMAUX, à la zone des Mangles. Perte sèche pour nous : 90.000 francs. C'était ou ça ou un procès pour plagiat en bonne et due forme. Confus, dévasté, je rédige alors sur le champ ma lettre de démission que DESORMEAUX accepte et dès le samedi suivant, je reviens dans sa librairie comme simple acheteur et de reprendre nos discussions comme si de rien n'était. Jamais il ne m'en a voulu. Jamais il ne m'a fait le moindre reproche. Des années durant notre amitié a ainsi perduré jusqu'à sa retraite, moment où je l'ai perdu de vue.

   Emile DESORMEAUX : un grand monsieur...

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