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Emmanuel Farhi, économiste et professeur à Harvard, est mort

Jean Tirole (in "Le Monde")
Emmanuel Farhi, économiste et professeur à Harvard, est mort

Brillant théoricien, il avait reçu le Prix du meilleur jeune économiste de France en 2013. Il a notamment travaillé sur la fiscalité, la macroéconomie et la finance internationale. Emmanuel Farhi est décédé le 23 juillet, à l’âge de 41 ans.

Emmanuel Farhi nous a quittés, jeudi 23 juillet, à l’âge de 41 ans. Titularisé professeur à Harvard seulement cinq années après son doctorat à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), il était le meilleur macroéconomiste, et sans aucun doute un des meilleurs économistes de sa génération. Ce théoricien de l’économie, qui était promis au prix Nobel, a transformé la théorie de la fiscalité, la macroéconomie et la finance internationale. Il est né le 8 septembre 1978, à Paris. Son père, André Farhi, était comme lui économiste et sa mère, Danièle Debordeaux, spécialiste des politiques sociales.

Lors de son doctorat, obtenu en 2006, il conceptualise, en collaboration avec Ricardo Caballero et Pierre-Olivier Gourinchas, les conséquences des déséquilibres financiers mondiaux générés par une pénurie de titres mobilisables dans les pays à forte épargne, et l’afflux de liquidités qui en découle aux Etats-Unis. Prémonitoire de la crise de 2008, tant ce déséquilibre contribua au boom immobilier et à l’augmentation de la titrisation aux Etats-Unis…

Toujours dans sa thèse, Ivan Werning et lui posent les fondements d’une taxation progressive du patrimoine et du capital pour construire un débat raisonné sur un sujet très sensible. La première phrase de l’article en dit long sur son contenu : « L’un des plus grands risques dans la vie est la famille dans laquelle on naît. » Ces auteurs nous ont par ailleurs permis de mieux comprendre le rôle dual de l’impôt comme outil de redistribution (des plus riches vers les plus pauvres) et comme assurance sociale (des actifs vers les chômeurs, par exemple) rendue nécessaire par l’hétérogénéité des trajectoires individuelles.

Des idées novatrices

Une série d’articles d’Emmanuel Farhi transforme alors la macroéconomie keynésienne. En analysant les conditions de sa validité et aussi ses limites, sans jamais tomber dans le piège de ces a priori qui mettent des œillères à la réflexion. En explicitant les imperfections au niveau microéconomique, seule façon de fonder une analyse normative et donc de formuler des recommandations de politique économique : ajustement lent des prix, difficulté pour la banque centrale à faire baisser les taux d’intérêt nominaux en dessous de zéro quand les espèces garantissent le maintien de la valeur nominale, contraintes de solvabilité des banques et des entreprises, liquidité disponible dans l’économie, et, avec Xavier Gabaix, aspects comportementaux des agents. Ses travaux, qui garderont toute leur pertinence dans l’économie post-Covid, en effet, eurent une finalité unique : profondément soucieux du bien commun, il voulait améliorer nos politiques économiques.

Sa curiosité insatiable l’amena ensuite vers les fondements de la finance internationale

Par exemple, il eut l’idée d’utiliser la politique fiscale pour faire baisser les taux d’intérêt réels quand la banque centrale ne peut plus ajuster les taux nominaux à la baisse : une augmentation de la TVA recréant un peu d’inflation, accompagnée d’une trajectoire décroissante des taxes sur le travail pour neutraliser l’impact de cet ajustement des prix à la consommation sur les incitations des entreprises à changer leurs prix. Très technique pour le profane, mais des idées novatrices pour guider la politique publique, que seule une réflexion profonde peut apporter.

Sa curiosité insatiable l’amena ensuite vers les fondements de la finance internationale. Son travail avec Matteo Maggiori porte sur un monde dans lequel les actifs sans risque, l’un des thèmes favoris d’Emmanuel Farhi, sont fournis par un ou plusieurs pays de réserve. Ces travaux illustrent sa capacité à capturer dans un modèle très simple l’essence d’une question importante qui n’avait pas été comprise auparavant. Un pays – pensons aux Etats-Unis, dont le dollar sert depuis longtemps de monnaie de réserve – répond à une demande de placements de la part des investisseurs du reste du monde.

Ses qualités intellectuelles et son discours toujours parfaitement argumenté en faisaient un conseiller très écouté des décideurs publics

La nécessité de fournir quand nécessaire la liquidité demandée à l’étranger peut à terme entraîner un risque de défaut souverain et donc saper la confiance dans cette monnaie ; ou alors le pays dominant ne fournit pas cette liquidité et sa monnaie peut être détrônée par une autre devise : c’est le « dilemme de Triffin ». Ils analysent la possibilité qu’un monde multipolaire soit plus instable qu’un monde à monnaie de réserve unique et réconcilient le point de vue keynésien avec celui de la stabilité financière.

Avec son ancien étudiant David Baqaee, il travaillait ces temps derniers sur de nouvelles méthodes permettant d’analyser la macroéconomie en tant que réseau d’industries en interaction et de voir comment les chocs économiques se répercutent et ont des effets en cascade, triplant l’impact du choc pétrolier dans les années 1970, ou causant aujourd’hui les effets économiques dévastateurs de la pandémie due au coronavirus.

Quête du bien commun

J’ai eu le privilège de travailler avec Emmanuel Farhi depuis ses années de doctorant. En commençant par le lien entre liquidité et stabilité financière : d’abord pour analyser les conséquences des bulles financières sur les booms et les récessions économiques ; ensuite sur l’idée que le fort endettement des banques à court terme avant 2008 faisait l’objet d’un comportement moutonnier naturel obligeant les banques centrales à mettre en place des sauvetages monétaires. Ces deux travaux appelaient de leurs vœux une réglementation macroprudentielle, mise en œuvre dans la décennie écoulée. Nous avons ensuite analysé les cercles vicieux créés par l’interdépendance financière mutuelle entre les banques et leurs souverains, une grande préoccupation actuelle en Europe.

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Plus récemment, nous avons insisté sur la nécessité d’adopter des politiques saines face à la croissance du shadow banking. Enfin, ces derniers mois, nous travaillions sur la « politique industrielle monétaire », capturant l’ensemble des stratégies des Etats comme les Etats-Unis, et aujourd’hui la Chine, destinées à attirer l’épargne et l’activité économique sur leur territoire. Emmanuel Farhi fut constamment un collaborateur soucieux de la rigueur dans sa quête du bien commun ; et sa générosité, son humour et sa bonne humeur communicative en firent un ami cher.

Emmanuel Farhi ne resta jamais dans sa tour d’ivoire. Membre du Conseil d’analyse économique à partir de 2010, il s’impliqua dans la vie politique et intellectuelle française. Quelques heures avant son décès, il participait à une réunion de la commission d’experts sur les grands défis économiques qu’Olivier Blanchard et moi avons l’honneur de présider. Ses qualités intellectuelles et son discours toujours parfaitement argumenté en faisait un conseiller très écouté des décideurs publics et de nos institutions, telles que la Banque de France, dont il avait reçu un prix et qu’il conseillait activement.

« Un vrai modèle »

Il était resté très proche de la France, où il revenait dès que possible. Il appréciait sa culture et son art de vivre. Amoureux de poésie et de littérature françaises, amateur d’opéra, il était très sociable et plein d’humour. Pur produit de l’école républicaine méritocratique, iI s’engageait aussi dans la vie scientifique de son pays.

« J’admirais son intelligence hors du commun et sa profondeur d’esprit dès que nous parlions de recherche », Nicolas Werquin, chercheur de la Toulouse School of Economics

Il venait plusieurs fois par an à la Toulouse School of Economics (TSE), partageait sa passion de l’économie avec nos jeunes chercheurs et étudiants, siégea longtemps à son conseil scientifique et appartenait à son conseil d’administration. Il organisait des conférences en France et en Europe (comme une, très remarquée, en septembre 2019 à la Banque centrale du Luxembourg avec les plus grands experts mondiaux du système monétaire international).

Avec tout son talent, il aurait pu être pétri de certitudes, mais il restait toujours modeste et à l’écoute des autres. « Emmanuel était pour moi un vrai modèle. J’admirais son intelligence hors du commun et sa profondeur d’esprit dès que nous parlions de recherche, bien sûr, mais aussi l’attention qu’il portait aux jeunes chercheurs, son humilité, sa générosité et sa gentillesse. » Ainsi me le résumait Nicolas Werquin, un jeune chercheur de la TSE, dans un témoignage, représentatif de dizaines d’autres, que j’ai reçu.

Toutes mes pensées vont à sa mère, à sa compagne, Micol, à ses proches, ainsi qu’à tous ses étudiants, collaborateurs et à la communauté scientifique et professionnelle. Nous avons perdu un penseur sans égal et un formidable être humain.


Emmanuel Farhi en 5 dates

8 septembre 1978 Naissance à Paris

2006 Chercheur associé, Ecole d’économie de Toulouse

2010 Professeur d’économie, université Harvard

2013 Prix du meilleur jeune économiste de France

23 juillet 2020 Mort à Cambridge (Massachusetts, Etats-Unis)


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