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Ethiopie : l’échec d’un système politique basé sur le fédéralisme éthnique

Ethiopie : l’échec d’un système politique basé sur le fédéralisme éthnique

L’Ethiopie connaît actuellement l’une des croissances les plus fortes du continent africain. Pourtant, malgré son dynamisme économique, le pays est déchiré par plusieurs années de violences opposant non seulement les groupes ethniques entre eux, mais également les populations et l’Etat. Avec les violences survenues le 22 juin dernier dans la région Amhara, la crise socio-politique et humanitaire qui secoue le pays semble loin d’être résolue.

Des millions de déplacés internes sur fond de violences récurrentes

Depuis le début des années 2000, l’Ethiopie s’est muée en championne africaine de la croissance économique. A coup d’investissements dans les infrastructures, le pays des négus s’est construit une économie si dynamique, que l’agence de notation Moody’s a indiqué que celle-ci devrait continuer à croître autour des 8% au cours des prochaines années.

Malheureusement, c’est pour un tout autre record, beaucoup moins glorieux, que le pays a fait la une des médias ces dernières semaines. D’après les Nations Unies, l’Ethiopie est le pays comptant le plus de déplacés internes, en Afrique et dans le monde. Rien qu’en 2018, le nombre déplacés dans le pays est passé de 1,6 million en début d’année, à près de trois millions.

D’après les Nations Unies, l’Ethiopie est le pays comptant le plus de déplacés internes, en Afrique et dans le monde. Rien qu’en 2018, le nombre déplacés dans le pays est passé de 1,6 million en début d’année, à près de trois millions.

Cette situation est essentiellement due aux violences intercommunautaires qui sévissent dans le pays depuis plusieurs années.

 1Oromo Liberation Front rebels

Les violences intercommunautaires ruinent les efforts de développement du pays.

 

En mai dernier, plusieurs membres de la communauté Gumuz avaient trouvé la mort lors d’affrontements avec la communauté Amhara. Fin 2017, des affrontements interethniques entre Oromos et Somalis de la région d'Oromia avaient causé le décès de 61 personnes. Ces affrontements meurtriers poussent des centaines de milliers de personnes à quitter leurs maisons, pour s’installer dans des abris de fortune. Près de 700 000 personnes ont dû fuir leurs foyers en raison des conflits entre les peuples Gedeo et Gudji. Plus de 200 000 Oromos ont été expulsés de la région occidentale de Benishangul-Gumuz depuis septembre, tandis que les autorités Benishangul ont accusé il y a quelques mois, les Amhara, d’avoir tué plus de 200 personnes dans un conflit territorial.

 

Fédéralisme ethnique

Pour comprendre l’enjeu des rixes survenant entre les différentes communautés éthiopiennes, il faut remonter aux origines du système politique en vigueur dans le pays.

Pour comprendre l’enjeu des rixes survenant entre les différentes communautés éthiopiennes, il faut remonter aux origines du système politique en vigueur dans le pays.

En 1991, lorsque le régime militaire et autoritaire (Derg) de Mengistu Hailémariam est renversé, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) prend le pouvoir. Composé de quatre partis ethniques à savoir l’Organisation démocratique populaire oromo (ODPO), le Mouvement national démocratique amhara (MNDA), le Mouvement démocratique populaire éthiopien du Sud (MDPSE) et le Front de libération du peuple tigré (FLPT), la nouvelle coalition veut trouver un moyen d’impliquer toutes les ethnies du pays (80 environ) dans la gestion de l’Etat. Pour ce faire, une nouvelle constitution sera rédigée et adoptée en 1994. Elle impose le fédéralisme ethnique comme système politique.

2ethiopie carte

La constitution, rédigée et adoptée en 1994. impose le fédéralisme ethnique comme système politique.

 

Ce système pose le principe selon lequel, chacune des régions du pays pouvait s’administrer selon des critères tribaux. De ce fait, les différentes régions du pays peuvent donc bénéficier d’une certaine autonomie et être administrées par les ethnies majoritaires les composant, comme dans la région de l’Oromia (dominée par les Oromos) ou de l’Amhara (dominée par les Amharas). De plus, ce système semblait être la réponse idéale aux revendications historiques des peuples éthiopiens qui luttaient depuis plusieurs années pour une autodétermination, et dont les luttes armées avaient contribué à la chute du Derg en 1991.  

Ce système pose le principe selon lequel, chacune des régions du pays pouvait s’administrer selon des critères tribaux. De ce fait, les différentes régions du pays peuvent donc bénéficier d’une certaine autonomie et être administrées par les ethnies majoritaires les composant.

Pourtant, le nouveau système commencera à montrer ses limites quelques années seulement après sa mise en place. Au lieu de conduire vers l’unité nationale nécessaire pour la survie de tout Etat, il facilitera peu à peu la montée des mouvements ethno-nationalistes.

« La Constitution accorde des droits pour les différents groupes ethniques. Tout le monde devient alors plus sûr de soi dans la revendication de son identité » explique à cet effet Melese Teshome, anthropologue et maître de conférences à l'université d'Arba Minch.

La monopolisation des principales hautes responsabilités du pays par le FLPT de l’ethnie tigréenne, pourtant minoritaire (6% de la population), contribuera à accentuer le sentiment de frustration des autres groupes ethniques qui s’estiment lésés. De nombreuses contestations menées notamment par l’ethnie Oromo (ethnie majoritaire du pays) auront lieu dans les années 2000. Elles seront durement réprimés.

3Armed security Bishoftu Ethiopia

2 octobre 2016 : l’Armée surveille une manifestation à Bishoftu. Il y aura 50 morts.

 

En 2005 la répression des manifestations contestant les résultats des élections législatives remportées par le parti de Meles Zenawi, leader historique du FLPT, fera près de 200 morts. En 2010, une vague d’arrestations aura lieu contre un mouvement d’opposition contestant les résultats des élections législatives remportées encore une fois par le pouvoir. En août 2016, sous le gouvernement du premier ministre Hailemariam Dessalegn, la répression d’une manifestation menée par les Oromo et les Amharas, les deux plus grandes ethnies du pays, fera plus de 100 morts d’après un rapport d’Amnesty International.

« L'intolérance ethnique s'est développée et a pris de l'ampleur, et la violence ethnique est devenue un élément permanent de la politique éthiopienne »

Aux revendications liées aux sentiments d’exclusion politique et économique s’ajouteront les revendications territoriales, qui entraîneront également des répressions de l’Etat. Ceux-ci sont d’ailleurs l’une des principales causes des violences inter-ethniques qu’enregistre l’Ethiopie.

Les groupes ethniques ont, au cours des dernières décennies de gouvernement de coalition, revendiqué des territoires administrés par d'autres tribus. Les Amharas par exemple, ont revendiqué la propriété des territoires Wolqait et Raya dans le nord-ouest de l'Éthiopie, ce qui a provoqué des tensions avec la région du Tigré, qui administre actuellement ces territoires.

4Gondar Ethiopia

Une culture millénaire.

 

« L'intolérance ethnique s'est développée et a pris de l'ampleur, et la violence ethnique est devenue un élément permanent de la politique éthiopienne » soulignait à cet effet Yohannes Gedamu, professeur de sciences politiques à l’université de Georgia Gwinnett.

 

Réformer le système

Le nouveau premier ministre Abiy Ahmed a entrepris de nombreuses actions pour mettre fin aux tensions dans le pays. Issu de l’ethnie Oromo, son élection en 2018 pour remplacer Hailemariam Dessalegn qui a dû démissionner, avait permis d’espérer un retour au calme dans le pays.

Dès le début de son mandat, le nouvel homme fort de l’Ethiopie a multiplié les actions d’apaisement notamment en libérant de nombreux prisonniers politiques, en mettant fin à la censure sur les médias et en appelant toutes les forces vives du pays à se concerter. Le rétablissement des relations diplomatiques avec le voisin érythréen reste pour l’instant le principal exploit de celui qui est devenu l’un des médiateurs les plus prisés dans la résolution des conflits dans les pays d’Afrique de l’est.

Dès le début de son mandat, le nouvel homme fort de l’Ethiopie a multiplié les actions d’apaisement notamment en libérant de nombreux prisonniers politiques, en mettant fin à la censure sur les médias et en appelant toutes les forces vives du pays à se concerter.

Malheureusement, au sein de son propre pays, les résultats sont beaucoup moins convaincants. Malgré les prouesses économiques, les violences ethniques persistantes traduisent l’inefficacité des politiques mises en place pour ramener la paix. La récente tentative de coup d’Etat ayant abouti à l’assassinat du président de la région amhara Ambachew Makonnen, et du général Seare Mekonnen, chef d’état-major de l’armée éthiopienne vient d’ailleurs d’accentuer le climat de tension qui règne dans le pays.

Pour de nombreux observateurs, au-delà de la promotion des libertés publiques et de la paix sociale, le véritable problème réside dans le système politique lui-même. Certains indiquent la nécessité de procéder à un changement constitutionnel pour remédier aux problèmes du pays.

« Cela permettrait de modifier les articles qui ont enraciné les divisions ethniques », a soulignait à ce propos le professeur Yohannes Gedamu.

Pour l’instant, et malgré les récents événements, aucune action du gouvernement ne laisse penser qu’on s’achemine vers une révision constitutionnelle. Une tâche qui s’apparente d’ailleurs, à un périlleux exercice d’équilibriste, tant les sensibilités à prendre en compte sont nombreuses…

 

Moutiou Adjibi Nourou

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