Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

FAUSSES NOTES DANS LA SAMBA BRESILIENNE

de Diane Kuperman, journaliste et essayiste brésilienne.
FAUSSES NOTES DANS LA SAMBA BRESILIENNE

La réputation de paradis multiracial dont jouit le Brésil est largement usurpée. Dans leur vie quotidienne, les Noirs se heurtent toujours aux préjugés issus de l’histoire coloniale.

Le Brésil a 501 ans. Pendant sa courte histoire, le pays a vu arriver, par vagues successives, des immigrants du monde entier. La joie de vivre tropicale aidant, ce mélange de gens et de couleurs a accouché du mythe de la «démocratie raciale». Selon ce stéréotype rebattu, une harmonie sociale sans dissonance régnerait sur les relations entre les Brésiliens, quelle que soit la couleur de leur peau.

Pourtant, si un même sourire illumine les visages noirs, blancs, mulâtres, rouges ou jaunes, quand résonnent les premiers accords du tambour dans les écoles de samba, de forts préjugés subsistent. Ils sont à la fois raciaux, sociaux et économiques et méritent d’être dénoncés.

Le 13 mai 1888, le Brésil était le dernier pays occidental à abolir la traite des Noirs. Colonisé par les Portugais en 1500, il a donc pratiqué l’esclavage pendant plus de trois siècles. Premier importateur d’esclaves de l’histoire moderne, il a débarqué sur ses côtes 40% des Africains déportés vers le continent américain.

Rio de Janeiro devint ainsi la plus grande ville africaine du monde, dotée du plus grand port négrier et du plus grand marché aux esclaves, le Mercado do Valongo. Aujourd’hui, seul le Nigeria recense plus d’habitants noirs que le Brésil.

{{{Blanchir la société}}}

Les relations sexuelles entre les Blancs et leurs esclaves – les fils des maîtres, en particulier, s’initiaient à la sexualité avec les femmes asservies – allaient donner naissance aux mulâtres. Leur nombre est aujourd’hui supérieur à celui des Noirs. Autre phénomène: celui de l’«adoption» des esclaves libérés. Si elle évitait à ces derniers d’affronter un monde hostile, elle eut aussi pour effet de les maintenir dans un état de subordination, même si elle perpétuait les liens d’affection apparents — et parfois véritables — qui les unissaient aux «maîtres de la grande maison».

L’expression «démocratie raciale» apparaît dans les années trente, au moment même où le gouvernement s’efforce de «blanchir» la société en incitant les «races les plus avancées», c’est-à-dire les Européens, à immigrer au Brésil. Le mythe de l’infériorité raciale et intellectuelle des Noirs fait l’objet d’un consensus. Dès lors, modifier la composition de la population, constituée en majorité de descendants d’Africains, devient une priorité. Avec cette nouvelle politique, le sort des Noirs va empirer: ils doivent affrontent la concurrence de la main d’œuvre fraîchement débarquée pour les emplois auxquels ils pouvaient prétendre jusque-là. Ainsi, au cours des cinquante ans qui suivent l’abolition de l’esclavage, les Noirs émancipés viennent grossir les rangs des sans-logis et des mendiants. Quand ils ont un toit, c’est bien souvent dans un bidonville. Pour s’assurer un revenu, ils doivent se contenter d’emplois mal payés et peu qualifiés.

L’ampleur des inégalités transparaît dans les statistiques, à commencer par celles de la mortalité infantile: sur mille enfants, 62 noirs et 37 blancs meurent avant un an (76 noirs et 45 blancs avant cinq ans). L’espérance de vie des Noirs (62 ans pour les hommes, 68 ans pour les femmes) est inférieure de six ans à celle des Blancs.

Dans cette partie de la population, le taux d’analphabétisme atteint 22%, la scolarité moyenne ne dépasse pas six ans. Lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail, la plupart d’entre eux sont encore très jeunes et n’ont pas achevé leur scolarité. A peine 18% des jeunes Noirs accèdent à l’enseignement supérieur et, parmi ceux-là, 2,3 % seulement terminent leurs études universitaires.

{{{Un seul serveur noir à Copacabana}}}

L’insuffisance de leur formation se reflète dans la vie professionnelle. Quand un Noir et un Blanc postulent, à qualification égale, pour le même emploi, le second part favori. Une fois embauchés, les Noirs sont victimes de politiques salariales discriminatoires qui, pour des fonctions identiques, les désavantagent. Le chômage touche 11 % des hommes et 16,5 % des femmes noirs. De plus, 34 % de Noirs vivent au-dessous du seuil de pauvreté et 14 % au-dessous du seuil d’indigence.

{{ {«Je suis invisible, simplement parce que les gens refusent de me voir.»} Ralph Ellison, écrivain américain (1914-1994)}}

Selon une enquête menée, en 1996, par O Dia, le quotidien populaire le plus vendu de Rio, sur les 318 employés des bars et des restaurants situés sur les plages de Copacabana et d’Ipanema, un seul était noir. Les hôtels, les restaurants, les banques et les centres commerciaux se montrent réticents à embaucher des Noirs, parce que leurs clients, expliquent-ils, préfèrent traiter avec des employés blancs.

Les annonces d’emploi, publiées par la presse, utilisent un langage codé, compréhensible de tous: la mention «bonne présentation requise» signifie en réalité que les Noirs ne sont pas acceptés. Un article du code du travail (Sistema Nacional de Empleo) est encore plus pervers: il prévoit que le candidat mentionne sa couleur de peau et permet à l’employeur de prétexter que la place est prise pour refuser une candidature.

{{{Juifs, Indiens, Gitans, homosexuels…}}}

Depuis quelques années, dans les grandes villes, Sao Paulo ou Rio de Janeiro, par exemple, de nouvelles cibles — Juifs, Indiens, Gitans, homosexuels et même les Nordestins (les Blancs pauvres venus de la région du Nordeste en quête de meilleures conditions de vie) — font les frais du racisme.

Minimiser la haine raciale, sous prétexte qu’elle ne s’exprime que de façon sporadique, devient aujourd’hui impossible. Les publications antisémites et révisionnistes, officiellement interdites, circulent à découvert. Internet distille des propos haineux à l’égard des Noirs, des Juifs et des homosexuels. Les profanations de cimetières juifs, les graffitis injurieux ou signés de croix gammées se multiplient. Les digues cèdent et, demain, la xénophobie pourrait se focaliser sur n’importe quel groupe, quelles que soient son origine, sa couleur ou ses croyances.

La population blanche veut ignorer cette réalité. Lors d’un sondage réalisé récemment par l’Université de Brasilia, 35 % des sondés reconnaissaient, avec beaucoup de réticences, être racistes, tandis que 65 % le déniaient. Les commentaires, qui accompagnaient ces résultats, comparaient l’invisibilité trompeuse du préjugé racial au bombardier furtif américain B-2, indétectable même par les meilleurs radars.

Dès les années 1980, de nombreux responsables de la communauté noire ont décidé d’attaquer le problème de front et de combattre les préjugés, les peurs et les résistances. Dépassant leurs divergences politiques et religieuses, ils ont mis sur pied un réseau d’associations, qui s’efforcent de défendre les droits des Noirs ou qui mènent des études sur la situation du racisme dans le pays.

Dans le sillage de cette mobilisation, les attitudes à l’égard du patrimoine africain, culturel et religieux, ont évolué. Sa revalorisation contribue à redonner aux Noirs le sens de leur identité. Des publications de qualité se penchent sur l’histoire noire, longtemps négligée; les éditeurs publient des ouvrages, y compris pour les enfants, qui exaltent les héros, fictifs ou réels, issus du monde noir. Même le marché des cosmétiques lance des produits de beauté adaptés à chaque nuance de couleur de peau, à chaque type de cheveux et aux divers styles vestimentaires en usage.

{{{La Constitution brésilienne à l’avant-garde de la législation}}}

Jusqu’ici, le gouvernement se préoccupait de lutter contre la pauvreté, mais jamais contre les effets les plus concrets du racisme. Cette situation commence à changer. Pour être juste, il faut reconnaître que le Brésil, signataire des principaux traités internationaux de défense des droits de l’homme, est à l’avant-garde en matière de législation antiraciste. La Constitution actuelle interdit toute forme de préjugé et qualifie le racisme de «crime imprescriptible». L’année dernière, dans l’Etat de Rio, par exemple, le secrétariat à la Sécurité publique a pris l’initiative de créer un service téléphonique dénommé «SOS Racisme et Antisémitisme», qui reçoit les plaintes des victimes du racisme.

Mais la répression seule ne suffit pas. Tout doit être entrepris pour que chacun, quelle que soit la couleur de sa peau, prenne conscience des injustices sociales et s’efforce de contribuer à éliminer les inégalités.

{{{Oui, il y a des Noirs en Colombie!}}}

«Mais enfin, il n’y a pas de Noirs en Colombie!» L’exclamation interrompt l’ethnologue Luz Rivera, alors qu’elle parle de ses travaux consacrés aux communautés noires et indiennes du pays. C’est pourtant une Colombienne (résidant, il est vrai, à New York), qui lui porte la contradiction. «Comment ça pas de Noirs? rétorque la chercheuse. Ils représentent plus de 22% de la population!» — «S’il y en a, ils ne sont pas colombiens», insiste son interlocutrice.

Luz Rivera tente de lui expliquer que les sept millions de Noirs vivant dans le pays sont aussi colombiens qu’elle et qu’en outre elle compte probablement un Noir au moins parmi ses ancêtres. La conversation s’achève sur une dernière exclamation: «Dieu me préserve d’avoir un Noir dans ma famille!»

En Colombie, comme ailleurs en Amérique latine, le racisme à l’égard des Noirs et des Indiens est une question sensible. Et, comme dans les nations voisines, la manifestation la plus commune de ce racisme consiste à rendre ses victimes «invisibles».

L’introduction des esclaves africains a suivi de peu l’arrivée des premiers conquistadors. On recense les premières communautés noires sur la côte septentrionale, près de Cartagena de Indias, le principal port négrier de l’époque, ainsi que dans l’Ouest, ou encore à Providencia et dans l’archipel de San Andrés.

Aujourd’hui, de nombreux Afro-Colombiens, comme on les appelle officiellement, habitent les villes: Cartagena, Buenaventura, Cali, Turbo, Barranquilla ou Medellín. Là, la ségrégation se manifeste par l’humiliation. «A Cartagena, les seuls Noirs qui franchissent la porte de certains clubs et restaurants sont les serveurs. A Bogota et à Cali, le personnel de service se compose en majorité de Noires, souvent contraintes de porter des uniformes roses», explique Luz Rivera.

Dans le passé, beaucoup de Noirs se sont installés en milieu rural pour échapper à la ségrégation. Ils y vivent en quasi-autarcie. De la terre — quand ils sont petits propriétaires ou salariés de grandes entreprises agricoles —, ou encore de la pêche artisanale.

En général, leur situation ne s’est pas améliorée. Selon le troisième rapport de l’Organisation des Etats américains sur la situation des droits de l’homme en Colombie, publié en 1999, «un nombre disproportionné de Noirs vivent dans des conditions d’extrême pauvreté». Les Afro-Colombiens habitent dans certaines des zones les plus conflictuelles du territoire national. Leur revenu par tête est le plus bas du pays. Ils connaissent, en ville aussi bien qu’à la campagne, des taux d’analphabétisme et de mortalité infantile très élevés et souffrent de graves maladies comme la malaria et la dengue, ou encore les affections gastro-intestinales et respiratoires. Selon le rapport, elles sont dues aux difficultés d’accès de ces communautés à l’eau potable, à l’électricité et aux services médicaux.

Confrontés à ces formes d’exclusion, les Afro-Colombiens perpétuent des mécanismes d’entraide, dont l’origine remonte à l’époque de l’esclavage, quand ils étaient affectés aux mines d’or et de platine, tandis que le travail forcé des Indiens enrichissait l’agriculture. Pour étudier les relations entre ces communautés, Luz Rivera a vécu dans un village isolé, au bord de la rivière Guayabero, dans la région montagneuse du Baudo, proche de Panama et de la côte du Pacifique.

«La trentaine de familles de Noirs du village a tissé des liens de parenté rituelle avec les familles indiennes de la forêt, dit-elle. Il est courant qu’un Indien demande à un Noir d’être le parrain de son enfant: les deux familles scellent ainsi une relation étroite, pour faciliter mutuellement leur existence, également soumise à la discrimination.»

Photo : Benedita da Silva, 50 ans, première femme noire élue au parlement brésilien. © Avanir Niko/STF/AFP, Paris.

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages