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FERREMENTS OU NOTES SUR LE DILEMME D'UNE RACE

FERREMENTS OU NOTES SUR LE DILEMME D'UNE RACE

INTRODUCTION

On parle de l'âge d'or guyanais et la vieillarde noire hoche incessamment la tête. Sa figure fait pitié, marquée qu'elle est des souffrances de plusieurs générations. On peut tracer sur le visage ridé l'évolution de la Misère. Des images répugnantes jaillissent dans sa mémoire. Le labeur sans fin sous le soleil colérique des tropiques. Les jours sans nourriture où l'on survivait seulement au moyen de l'obstination atavique. La chicote du maître terrien abrité sous son parasol et prêt à récolter tout sans rien laisser au Nègre qui lui fait rappeler un chien enragé. Et surtout la déraison de certains Nègres. La vieille Négresse se souvient de l'or découvert chez elle à une époque où le peuple souffrait comme des bêtes affamées. Elle raconte l'histoire de ces Nègres de chez elle qui, ayant gagné quelques pièces minables en vendant leur or, s'endimanchaient et se faisaient tirer dans un char orné. Les chevaux étaient toujours blancs et le conducteur nègre invariablement vêtu de blanc. Par contre, les prospecteurs indiens épargnaient leur or, jouaient au pauvre, faisaient semblant de n'avoir rien trouvé. Ceux-ci en étaient venus à posséder la plus grande partie des biens de la terre, alors que les Nègres retrouvaient vite la misère et l'anonymat. [PAGE 22]

Cette histoire guyanaise ressemble fort aux épisodes d'actualité; on n'a qu'à penser aux Nègres d'Afrique et à leurs frères et cousins de la Diaspora. Les mêmes épisodes se répètent tous les jours : certains conduisent les autos de luxe quoiqu'ils n'aient pas de gîte digne de ce nom. Certains passent leur vie entière à donner leurs petits sous aux musiciens chantant leur gloire. D'autres se disputent le privilège de manger l'argent appartenant à la nation. En bref, nous autres, Nègres beaux et fiers, nous dépensons tout, nous gaspillons tout; nous en sommes venus à redéfinir ce mot de Capitalisme pour lui donner le sens de maladie qui pousse l'homme à détruire tout ce qui a de la valeur. Qui pis est, nous nous acharnons à nous détruire.

 

Nous refusons de nous aimer entre nous. Progressistes à merveille, nous cherchons inlassablement ailleurs; nous nous mesurons éternellement à l'aune d'autrui et nos beaux chefs nous disent que ce sont les applaudissements creux de l'étranger qui comptent. Nous singeons si bien les maîtres pervers du globe que nous leur apprenons de temps à autre de nouvelles manières de réaliser l'enfer ici-bas. La presse internationale mâche avec avidité le plat de coups d'états que nos pays servent beaucoup mieux que ne le font tous les autres pays du monde.

 

Comme si les soi-disant civilisés n'étaient pas les animaux les plus barbares de l'univers.

 

Comme si les architectes de notre destruction – nationalistes par excellence - n'étaient pas les enfants adoptifs des fieffés complices de ces observateurs choqués de notre violence.

 

Comme si la violence ne faisait pas partie de l'existence journalière de ces civilisés orgueilleux.

 

Le pogrom et le génocide, pourvu que cela se réalise d'une façon civilisée...

 

L'extermination par le fusil ou par la bombe, à condition que l'acteur direct – voyons, la technologie européenne insiste sur la précision – ne soit pas le patron humaniste...

 

Et nos grands chefs de file s'acharnent contre l'ennemi tout en lui vendant le peuple...

 

Et le peuple continue à avoir confiance...

 

Et nos présidents à vie de se civiliser et de se re-civiliser à qui mieux mieux...

 

Et le peuple est décimé par la sécheresse et les maladies [PAGE 23] connues depuis des siècles mais dont on ne se préoccupe pas, étant donné que ce sont des maladies populaires...

 

Et certains se réjouissent de nos cités modernissimes, s'encerclent de l'or volé au peuple et pataugent dans l'huile tachée du sang de ce même peuple...

 

Et, comble d'ironie, d'aucuns s'enfuient du cadre populaire pour se ruer dans le chemin menant au sommet où se perchent les Nègres blancs

 

Et on nous dit, les larmes aux yeux, que tout s'améliore d'instant en instant...

 

Le peuple, toujours sans nom, éternellement sans visage, en a eu marre de rester en marge d'une société agenouillée devant l'autel et l'Argent. Il récuse l'anonymat et la misère et il est résolu à partager la richesse. Il laisse derrière lui ces fameuses qualités d'innocence, de probité. Il affirme même qu'il s'agit là d'un grand mensonge, qu'il est depuis longtemps matérialiste, corrompu, louche.

 

Et les élites blagueuses continuent à crier leur négritude-musée au seuil de leurs villas d'été européennes.

 

Et les leaders politiques – le chef de file est miroir, visionnaire, père, tout, à condition qu'il demeure chef – grondent ce peuple qui voudrait imiter ces étrangers qui ont perdu ce que les leaders nomment l'essence humaine.

 

Et une poignée d'enfants du pays, marxistes-socialistes-progressistes-communistes, crient à la Révolution qui leur fournirait soit assez d'argent pour bâtir un micro-empire à l'intérieur du pays réactionnaire, soit la possibilité de voleter de capitale en capitale en convives des experts engagés à détruire leur cher pays.

 

Et tout s'améliore d'instant en instant...

 

Alors, nous tournons tous en rond dans le chaudron d'imbécillité, victimes volontaires non seulement de l'inhumanisme du Blanc mais surtout de notre inhumanisme, et de notre manque de perspicacité. Le Blanc sait bien ce que nous valorisons : le superficiel, l'artificiel, la gloire creuse, les bibelots. Il fait donc tout pour nous en fournir. Il sait que le matériel vainc le moral, qu'il a certains moyens faciles de pacifier le Nègre. Souvenirs des missionnaires et des conquérants d'antan employant le Bon Mot et le fusil à voler la terre d'Afrique. Alors, faites rouler les fesses et palpiter les seins civilisés devant le Nègre et il vous raconte sur un lit d'hôtel international les grands secrets de la nation. Etalez des billets verts sur la table et le Nègre vous cède le cœur et [PAGE 24] l'âme. Faites gober au Nègre de gros mensonges et il se croit le plus grand génie du monde.

LA CIVILISATION INCENDIEE DES ETATS-UNIS

 

Or, il y en a qui crieraient vite au scandale en lisant nos affirmations. Pourtant, les faits sont là dans notre histoire, dans la vie réelle, et dans notre littérature qui est une fonction de l'histoire.

 

Prenons d'abord le cas américain. Aucun besoin n'est de raconter les événements qui ont fait amener et installer le Nègre dans ce pays qui, dès le début, appartenait aux Indiens. Retenons-en simplement des indices : L'acculturation de l'ancien Africain qui a graduellement perdu son identité ancestrale pour devenir le nouvel homme, espèce d'hybride méprisé par les détenteurs de la Civilisation[1] qui lui crèvent les tympans avec des racontars sur la sauvagerie africaine. Ce nouvel homme, Nègre américain, accepte son infériorité et aspire au paradis blanc. Des individus, réfractaires maudits, – voilà l'opinion des Blancs – entament la lutte pour l'émancipation. Ils constatent d'abord leur double conscience, le schisme psychologique vécu tous les jours. C'est le célèbre romancier Richard Wright qui écrit :

 

 

  • J'ai une double personnalité. Je suis noir. Je suis un homme de l'occident ( ... ) Cette contradiction d'être tant occidental qu'homme de couleur, crée une distance, pour ainsi dire, entre moi et mon environnement.[2]

 

L'objectif, donc, est de diminuer la distanciation, de réduire le schisme au point où le Nègre trouvera possible de s'accommoder à son milieu civilisé. Entendons-nous bien, l'élément américain importe le plus au Nègre et il ne l'a jamais nié. Claude Mekay s'écrie : [PAGE 25]

 

  • Quoiqu'il me nourrisse du pain de l'amertume,
    Qu'il enfonce sa dent de tigre dans ma gorge,
    Qu'il m'essouffle et m'étouffe, j'avoue
    Que j'aime cet enfer culturel qui met ma jeunesse à l'épreuve !
    Sa vigueur s'écoule comme des marées dans mon sang,
    Et me renforce de l'énergie contre sa haine.[3]

 

Et le Nègre se sert de cette énergie pour amortir les coups durs du racisme blanc, pour se bâtir une culture propre au sein – disons, plutôt, en marge – de la Civilisation américaine. Seulement il ne peut se débarrasser de la réalité accablante de son existence : on le considère toujours comme le cousin du sauvage africain. Il s'agit vraiment de cette lutte pour la survie, qui date de loin. Au début du vingtième siècle, il se sert de toutes sortes de moyens pour se consoler en face de l'inhumanisme des civilisés. La prière, la religion constitue le grand opium de ce peuple chantant à faire exploser le bâtiment. L'éminent poète, Aimé Césaire, nous en donne un portrait extraordinaire :

 

 

  • Et ce ne sont pas seulement les bouches qui chantent, mais les mains, mais les pieds, mais les fesses, mais les sexes, et la créature tout entière qui se liquéfie en sons, voix et rythme[4].

 

Alors, la joie est à son apogée, le Nègre se sent près de Dieu. Mais sa joie ne dissout pas le doute qui le tiraille au sujet de ce Dieu; car, les actes et attitudes du Blanc prouvent qu'il y va d'un Dieu blanc. Et on continue à reléguer le Nègre aux bancs arrière dans la maison de Dieu. Et il est convaincu qu'il entrera le premier au paradis.

 

Une autre façon de mater l'adversaire raciste, c'est de rire devant les coups assénés, de ricaner sous le choc de la chicote. Rire éperdu, rire désespéré, rire qui masque de chaudes larmes. Voici le Nègre porteur de masques [PAGE 26] :

 

 

  • Nous portons le masque qui sourit à belles dents et qui ment.
    Il cache nos joues et voile nos yeux,
    Voilà ce que nous devons à la ruse humaine
    Nous sourions à cœur déchiré et ensanglanté,
    Et à bouche fendue d'une myriade de subtilités[5]

 

Malheureusement, le Blanc demeure sourd aux subtilités; il se bande les yeux devant le masque qui, pour lui, ne cache absolument rien. D'ailleurs, le Nègre lui donne raison bien des fois; car, si son masque cèle quelque chose, c'est un visage imitateur du visage blanc. Frantz Fanon capte éternellement dans son étude classique, Peau noire masques blancs, ce masque symbolique. Le masque et le visage se sont enfin coalisés parfaitement pour former ce personnage que le Blanc a libéré de ses plantations sudistes pour recantonner dans les taudis du nord. Nous pensons précisément au Nègre blanc :

 

 

  • Par son effroyable pression acculturative, l'Occident colonial mit tout en œuvre pour porter le Noir à avoir une terrible opinion de lui-même et de sa place dans l'histoire des civilisations, pour le porter à renier sa couleur, son passé africain, les singularités de sa culture, et les réactions spécifiques de sa sensibilité devant la vie, l'amour, la mort, l'art. Tout fut aussi mis en œuvre pour porter le Noir à idéaliser la couleur, l'histoire, la culture de ses maîtres blancs[6].

 

Le Nègre blanc n'est pas seulement le bourgeois raide comme un piquet, vêtu de son costume et de son plastron empesé et doué des meilleures qualités du Blanc. Sont aussi Nègres blancs le vagabond de Harlem aux cheveux blondis, grisés, traités, frits, fumant sa cigarette de narcotique; la prostituée de Washington préférant le partenaire blanc au nègre; le porteur de l'aéroport de Chicago optant pour les bagages du businessman blanc et refusant ceux de son frère nègre.

 

L'Afrique est définitivement perdue à tous ces enfants adoptifs de l'Oncle Sam.

 

 

  • Mais le grand univers occidental m'a acheté,
    Et je n'en serai jamais totalement libéré,
    Alors que je m'agenouille devant ses dieux étrangers.
    Quelque chose en moi est perdu, perdu pour toujours,
    Quelque chose d'essentiel est sorti de mon cœur,
    Et je dois parcourir la vie comme un fantôme
    Chose à part parmi les fils de la terre.
    Car je suis né très loin de mon milieu naturel.
    (Claude McKay, « Outcast », in Black Voices, p. 373.) [PAGE 27]

 

Ces vers expriment bien l'état malheureux du Nègre américain : il est condamné à vivre en Amérique, milieu hostile, milieu blanc. Malgré le garveyisme et sa volonté de faire rentrer le Nègre au bercail africain. Malgré les efforts de ceux qui voudraient créer une micro-nation nègre à l'intérieur du vaste territoire américain. Malgré le courant nihiliste qui voudrait tout mettre en feu une fois pour toutes.

 

Une des figures représentatives des années de l'avant 60 est celle de Bigger, héros de Native Son, ce chef d'œuvre de Richard Wright. Bigger porte en lui tout le ressentiment, toutes les plaies, toutes les peurs, toutes les frustrations de sa race déprimée et décimée.

 

 

  • Rancunier à l'égard des Blancs, maussade, courroucé, ignorant, émotionnellement instable, désolé et parfois transporté de joie sans raison, et même incapable, à cause de son manque d'organisation particulier né de l'oppression américaine, de se solidariser avec ceux de sa race[7].

 

Bigger est donc solitaire, esseulé, et destiné à agir en solitaire et condamné à passer sa vie en marge. Paria, il ne peut même vivre en harmonie avec sa famille qui, elle aussi, est condamnée à habiter la prison écartée du ghetto.

 

Heureusement pour la Race, les Bigger trouvent la mort ou, au moins, ils cèdent le pas à ceux qui œuvrent avec acharnement pour la solidarité. Les efforts de réhabilitation du passé noir, entamés par Marcus Garvey et d'autres, ont survécu aux attentats nihilistes et lactificateurs. Ils font naître le Black Power des belles années 60. [PAGE 28]

 

 

  • Un sentiment plus clair de ce que
    Je suis, un goût plus zélé pour
    La vie; une impulsion pour toucher
    Mes mains et visage étincelants -
    Et pour m'étonner combien
    Ils me plaisent[8].

 

La prise de conscience nègre est marquée par la revalorisation physique. On raffole de cette couleur jusqu'ici méprisée. Le slogan du nouveau mouvement, c'est la chanson du célèbre musicien James Brown : « Criez-le, je suis noir et fier de l'être. » Et les chevelures afro bien floues, de toutes formes, de toutes épaisseurs, dansent dans le vent. Et les visages couleur d'ébène rient à pleines dents sur l'écran télé. Et les mulâtres, jusque-là résolus à jouer le jeu de passing[9], prennent le soleil pour changer de couleur.

 

Or, les années 60 ont des éléments louches, des réactionnaires éhontés, des menteurs égoïstes pour qui la chevelure touffue n'est qu'un moyen facile d'arriver aux dépens d'autrui. Cependant, il est indéniable que la Révolution ou, plutôt, une espèce de révolution, a été entamée. On est prêt à s'immoler pour que les siens survivent. La poésie de Nikki Giovanni est représentative de cet état révolutionnaire. Il faut un peuple fou pour changer un pays fou; il faut détruire pour ne pas se faire détruire dans un pays de meurtriers. Nikki Giovanni est porte-parole de sa race opprimée par les racistes blancs.

 

 

  • Mais nous ne pouvons être Noirs
    Sans être fous
    Comment réagiriez-vous
    Si le Blanc vous foutait dans la fesse
    Un sexe mécanique qui lui allumerait la voie au paradis[10]

 

Pour Giovanni, le paradis doit appartenir au Noir qui a passé trois siècles en enfer et c'est au Noir de retrouver son [PAGE 29] paradis ici-bas et immédiatement[11]. Le premier acte révolutionnaire est de tuer le tueur, d'éliminer l'éliminateur, de détruire le destructeur.

 

 

Un Noir peut-il tuer un Blanc
Savez-vous faire sortir du sang
Pouvez-vous empoisonner
Etes-vous capable de poignarder un Juif
...............................
Un Noir peut mourir
Nous n'avons pas à prouver notre capacité de mourir
Nous devons prouver que nous pouvons tuer
...............................
Pouvez-vous tuer le nègre installé dans votre for intérieur
Pouvez-vous meurtrir votre âme de nègre
Et libérer vos mains noires pour étrangler[12]

Pas le moment de faire la dialectique de l'amour universel et fraternel. Pas l'occasion de radoter sur une logique bourgeoise qui vous empêche de faire l'essentiel.

 

 

  • Nous avons tort de haïr mais nous avons plus tort d'aimer lorsque ni l'amour ni la haine n'ont rien à faire avec ce qu'il faut faire[13].

 

Ce qu'il faut faire, c'est libérer le peuple noir des chaînes. C'est bien le Blanc qui a mis les menottes au Nègre et il en a donné la clef à ses complices nègres. Donc, on réalise difficilement l'objectif de libération. En outre, le Blanc – n'oublions pas que la patience constitue une qualité foncièrement civilisée, comme l'est la ruse, d'ailleurs – n'a accusé aucune panique devant le tourbillon noir. Primo, le Blanc garde toujours le passe-partout, même si le Nègre blanc a pris possession de cette clé importante. Secundo, vous savez que le Nègre est fort impétueux. Il agit de façons contradictoires et le révolutionnaire d'aujourd'hui sera peut-être [PAGE 30] le réactionnaire de demain. En plus, cette série de tueries systématisées, ce déferlement de militants armés jusqu'aux dents et résolus à venger la Race, à quoi servent-ils ? Le drame de la vendetta nègre se déroule surtout au quartier nègre et cela fait pleurer. L'acte destructeur se déclenche donc contre le Nègre, victime que l'on veut venger. Certains révolutionnaires disent qu'ils ne haïssent pas le Blanc, qu'ils détestent précisément le système inhumain établi par le Blanc, que ce qui les intéresse est l'Acte raciste, que l'essentiel est de détruire de tels actes. Alors, ce qui est malheureux, c'est qu'il est bien des fois fort difficile de distinguer entre l'homme et l'acte, et on se demande même s'il est possible de faire la distinction.

 

La haine ne peut pas servir de fondement positif d'une nouvelle société où le Noir serait considéré comme un être humain. Enfin, la Révolution des Giovanni, quoique acte collectif bien ordonné, n'est qu'une révolte des masses. Le Blanc possède toujours les meilleurs moyens pour éliminer l'Homme de la terre et le Noir est loin d'être capable de gagner la bataille. Ce serait une façon oncletomiste de contempler les choses. La Raison du bourgeois nègre. Le radotage du Nègre aliéné de la cause de la majorité opprimée. L'opinion d'un Nègre blanc...

 

Quoi que ce soit, la Révolution des belles années 60 a abouti à une réaction étonnante de la part du Nègre américain. Voilà que la révolution s'est tournée contre elle-même. L'ennemi n'est plus le Blanc mais tout le monde. Et la question se pose : le Blanc a-t-il jamais été l'ennemi ? Voyons, le révolutionnaire, né à une époque marquée du désespoir, grandi au cours d'une période euphorique de victoires plates, est contraint de rebrousser chemin. C'est comme le vieillard qui redevient enfant... Le désespoir surgit encore une fois et l'homme désespéré, las de crier son amour propre dans le désert, vocifère sa haine pour le Blanc, pour son frère, pour lui-même.

 

Plus de foi en ses frères et sœurs. Le fusil à la main, il s'attend aux rip-offs et n'hésite pas à abattre son frère pour sauver sa peau. Pour sa part, celui-ci a tout à fait oublié qu'il s'agit de son frère. La survie avant toute autre chose, voilà la seule règle de ce règne du fusil. Le règne du fusil, c'est aussi celui du Matériel. Tout le monde pense aux profits personnels. On se sert de tout afin d'atteindre le paradis matérialiste, y compris la couleur de la peau et, [PAGE 31] comme autrefois, l'objectif est de passer pour un Blanc qui, nous ne pouvons trop le répéter, jouit de grands avantages au paradis d'ici-bas. Et voici Nikki Giovanni qui fait le constat principal de toute cette histoire :

 

 

  • Les gens sont fondamentalement égoïstes
    et peut-être dans certains cas
    ils sont plus qu'irréfléchis
    surtout, je suppose,
    à cause de la manière de vivre
    dans ce système et dans bien d'autres[14].

 

L'acte intéressé, irréfléchi, tout cela fait partie de la réalité troublante de l'existence nègre. Une fois disparue la figure messianique du Pasteur Martin Luther King, une fois maté le militantisme du Black Power, le Nègre perd son élan. Stokely Carmichael s'exile en Guinée. Rap Brown prend la fuite et on finit par l'arrêter et le réduire au silence. Eldridge Cleaver, auteur de son chef-d'œuvre intitulé Soul on Ice, est mis, lui aussi, en fuite. Il va en Algérie, d'où il part pour la France. Finalement, il rentre aux Etats-Unis, transformé en enfant du Christ, la bible à la main et l'amour du Blanc au cœur. Les autres chefs de file du mouvement révolutionnaire trouvent soit la mort soit l'anonymat. Et ces deux grands amis du Nègre, les frères Kennedy, deviennent victimes d'assassins inconnus. Effrayé de son ombre, le Nègre se recroqueville dans son petit coin, ou bien, il est pris de panique et tire sur tout objet qui bouge. L'acte solidaire est transformé en acte solitaire. La fraternité est remplacée par la frustration. Et le révolutionnaire est victime lui aussi, de la nouvelle vague.

 

 

  • A vrai dire
    si je disposais
    des moyens pour
    sortir de ce monde
    Je m'en irais
    et donnerais
    à ces gens de couleur ingrats
    l'occasion d'essayer de se
    débrouiller
    sans
    moi
    (Nikki Giovanni, Black Judgement, p. 20.) [PAGE 32]

 

Voilà l'état d'actualité du Nègre américain. Il lui est impossible de se passer d'autrui, mais ce dernier ne veut guère de lui, alors que lui-même déteste cet autrui volage de tout son cœur. Les lois de la jungle civilisée se basent sur l'individualisme et le Nègre fait partie de cette jungle. Malheureusement, il lui faut la solidarité avec les siens pour que lui et eux puissent réaliser tant bien que mal des progrès au sein de cette société qui les refuse tout en les rendant esclaves. Et bien des Nègres se réjouissent de leur américanité.

 

LES ANTILLES, OU LES JOURS ETRANGERS

 

Ce qui est vrai pour les Etats-Unis l'est aussi pour les Antilles. Ne se distinguant guère de leurs frères américains, les Antillais se soucient toujours de sauver la race : plus on jouit de la couleur pâle, plus on se trouve près de la porte menant au paradis terrestre blanc. Et c'est pour se sauver de l'enfer noir de leurs îles que d'innombrables Antillais plient bagages pour immigrer aux USA et au Canada. Une fois installés là-bas, ils se jettent pieds joints dans la course furieuse à l'Eldorado[15] éblouissant, aux vêtements à la mode, à l'appartement rempli d'un fatras de meubles.

 

Alors, ce règne du Matériel et de la Folie fait partie de l'histoire du Nègre antillais. L'histoire de l'esclavage : la traite du nègre faite au nom du Christ. La mission civilisatrice du Blanc hypocrite dont le seul but est de profiter de la main-d'œuvre noire. Et le Code noir de cet illustre Français, Louis XIV : les esclaves sont des effets mobiliers soumis aux conditions de vente, d'échange, de patrimoine déterminant le destin de tous les autres objets du Blanc. L'article 33 précise :[PAGE 33]

 

  • L'esclave qui frappe son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants, si dur à faire jaillir du sang ou à faire enfler le corps, surtout le visage, sera puni par la mort[16].

 

En plus, l'esclave fugitif, une fois saisi, perdra l'oreille et sera marqué d'une fleur de lys. S'il persiste en sa fuite, on le tuera. Bref, le Code noir est la loi barbare établie par de véritables sauvages pour garder le Nègre en sa situation d'esclave. En effet, il y en a certains aspects apparemment humanistes; par exemple, les maîtres devaient faire baptiser et instruire leurs esclaves. Seulement, il s'agit vraiment d'hypocrisie, de duplicité, de barbarie couchée dans une langue douce. Si le Blanc est bon pour le Nègre, c'est précisément parce qu'il en tire des profits certains. Pour produire le plus possible, l'esclave doit être en bonne santé; il doit aussi accepter son état d'infériorité. Le Nègre est

 

  • sous le fouet qui se déchaîne
    sous le fouet qui fait marcher la plantation
    et s'abreuver de sang de mon sang de sang la sucrerie
    et la bouffade du commandeur crâner au ciel[17]

 

C'est grâce au courage des marrons, ces excellents guerriers et maquisards fiers de la Race et résolus à ne pas capituler devant l'ennemi, que l'inhumanisme de l'esclavage est révélé au public, que le Nègre lui-même en est venu à lutter pour sa libération. Alors, nous savons tous l'histoire de l'abolition de l'esclavage, de l'émancipation du Nègre, de l'indépendance nationale de certains pays, de l'assimilation à la grande Nation française de certains autres... Mais s'arrêter là serait une façon de tricher, de vendre son âme et celle du peuple. Car la vie du Nègre antillais demeure une existence tronquée et troquée. D'abord, l'accomplissement des Blancs, [PAGE 34] experts en la désintégration de toute une race. Et le poète Damas de constater :

 

  • Ils ont si bien su faire
    si bien su faire les choses
    les choses
    qu'un jour nous avons tout
    nous avons tout foutu de nous-mêmes
    tout foutu de nous-mêmes en l'air
    (Pigments, p. 71)

Damas exagère, alors, puisque tout ne s'est pas passé un jour. Nous parlons de siècles de souffrances, de siècles passés sous le soleil colérique, de siècles de destruction systématique. Et les Blancs « ont si bien su faire » que le Nègre a fini par tout accepter au nom de la Civilisation.

 

Heureusement que, après avoir tout foutu en l'air, le Nègre a su ramasser des morceaux, qu'après avoir séjourné au désert réservé aux hors-castes, il a trouvé moyen de se réintégrer à la cité des hommes. Il a su recréer sa culture, cette « communauté de psychisme, de goûts, de tendances, de concepts »[18] qui, plus que toute autre chose, le rattache à son Afrique perdue. Cependant, cela ne l'a pas aidé à résoudre ses problèmes complexes.

 

L'œuvre d'un des plus grands fils des Antillais décrit à merveille ce dilemme, et nous nous référons précisément à Aimé Césaire, critique amer de la France colonialiste et raciste :

 

 

  • Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes; que les pulsations de l'humanité s'arrêtent aux portes de la négrerie; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l'on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l'on nous vendait sur les places et l'aune de drap anglais et la viande salée d'Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l'esprit de Dieu était dans ses actes.[19] [PAGE 35]

 

Ces mots frappant juste comme la machete d'un travailleur du coumbite, sont énoncés en 1939, par un Nègre qui manie la langue du Blanc comme ne peut le faire un grand nombre de cette race privilégiée. Le poème de Césaire aboutit à la revendication de la dignité humaine nègre, de la valeur de la nigritie. Le Nègre, jusque-là aplati, anéanti, se lève brusquement pour faire face à son oppresseur.

 

 

  • Et elle est debout la négraille
    la négraille assise
    inattendument debout
    debout dans la cale
    debout dans les cabines
    debout sur le pont
    debout dans le vent
    debout sous le soleil
    debout dans le sang
    debout
           et
              libre
    (Cahier, pp. 147/149)

En d'autres termes, l'esclave quitte la cale asphyxiante pour venir jouir du frais. Tout comme d'autres matelots sur le navire, y compris monsieur le capitaine, il se tient sur le pont. Il a droit aux éléments naturels : le vent, le soleil. Il s'avère aussi humain que le capitaine : le sang rouge coule dans ses veines. Voici Césaire, « l'amant de cet unique peuple », « dépositaire de son ressentiment », « le père, le fils » de ce peuple, qui se précipite dans la lutte révolutionnaire pour réaliser les rêves nationaux. Il prend la parole à Paris, il entame des programmes progressistes chez lui en Martinique, il prêche la négritude libératrice au nom de son Afrique. On l'écoute, on l'accepte, on le suit. Il croit faire beaucoup de progrès.

 

Cependant, il commence à douter de ce peuple, à douter de lui aussi. Les maux nègres se dissipent difficilement. L'inertie. Les masques blancs. La tergiversation. Et le poète, devenu las, impatient, déçu, pose au peuple complexe et complexé, la question :

  • quand
    quand donc cesseras-tu d'être le jouet sombre au carnaval des autres [PAGE 36]
    ou dans les champs d'autrui
    l'épouvantail désuet
    (Césaire, Ferrements, 1960)

 

Ces vers sont rédigés en 1950 (le poème s'intitule, « Hors des jours étrangers »), une décennie après le réquisitoire sonore contre le racisme blanc, après l'exaltation du Nègre épris de sa dignité humaine. Césaire se rend compte que l'élément réactionnaire, à la tête duquel se trouve la clique béké[20], est encore très fort et tout prêt à maintenir le pays sous la tutelle de la métropole.

 

En outre, il existe un type d'Antillais qui se veut Américain, précisément Négro-américain, puisque cela entend une espèce de valorisation, d'amélioration de soi. C'est que sur l'échelle hiérarchique occidentale, le Nègre installé aux Etats-Unis est supérieur à tous ses frères restés au continent ancestral ou transporté aux Caraïbes, c'est-à-dire demeurés à mi-chemin entre la Sauvagerie et la Civilisation.

 

Aux îles, la réalité existentielle est d'une laideur repoussante. Iles de classes basées sur l'aspect tégumentaire. Iles du soleil accablant. Iles de tourisme. Des Nègres complices de Blancs exploiteurs. Des Blancs propriétaires de grands hôtels accueillant les touristes richissimes provenant de pays où le Nègre n'est qu'un objet mobilier. Lorsque, par hasard, il y a un gouvernement engagé à changer le destin tragique du peuple, les propagandistes capitalistes l'accusent de communisme, mot tabou qui fait frissonner tant de Nègres civilisés. Tout pour dire que les Antilles constituent une vérité nègre bien particulière : l'esclavage spirituel, le colonialisme socio-politique, l'exploitation économique, ce sont des maladies d'actualité. Il est vrai que certains individus s'efforcent de secouer les entraves. En témoigne une littérature non seulement protestataire mais vraiment basée sur un continuum de l'histoire. Au lieu d'accepter le duo esclavage-colonialisme comme le seul dénominateur qualitatif de l'existence nègre dans ce monde, on en est venu à reconstituer l'histoire de la Race selon les données particulières qui, tout en tenant compte des événements déshumanisants de l'époque de l'acculturation, les contemplent comme une part, [PAGE 37] mais seulement une part, de la totalité culturelle. Voilà l'essentiel de ce que les Haïtiens ont nommé le Réalisme merveilleux. Ilvient à l'esprit les noms de Jacques Roumain, Jacques-Stéphen Alexis, nationalistes par excellence toujours prêts à se sacrifier pour que vive le peuple.

 

Ce qui ne peut pourtant éliminer les jours étrangers. Ce réalisme merveilleux haïtien, tout en essayant de tenir compte de tous les éléments qui ont apporté quelque chose à la construction de la Culture nationale, risque de sous-estimer le facteur racial, et cela peut nuire au Nègre. Peut-on par exemple parler d'un prolétariat mondial ? Est-on déjà arrivé à ce moment rêvé où il n'y aura plus de distinction raciale ? En Haïti, la négritude, disons une négritude, a triomphé. Négritude-Dictature. Négritude-Meurtre. Négritude-Inhumanisme. Jours nationaux, jours étrangers. Les Césaire en savent long sur la domination du pays par une poignée d'enfants adoptifs du maître caché dans les coulisses. Et la terre n'appartient pas au peuple nègre. Et ce peuple, éternellement victime, demeure un « épouvantail désuet » dans la ferme des étrangers. Et la Martinique demeure département français, sans autonomie, condamné à ronger des miettes tombées de la table, à vivre comme l'enfant frappé par la lèpre mis en quarantaine dans une chambre écartée de la maison familiale.

 

D'aucuns deviennent désolés. Ils prennent le chemin de l'exil. Toutefois, rien d'important ne change; des jours étrangers passés à l'intérieur du pays natal, ils s'enfuient pour vivre d'autres jours étrangers chez l'étranger, et cela peut être plus nuisible que jamais... Césaire a passé de tels jours. Jacques Roumain aussi. Et René Depestre. Et Joseph Zobel. Et d'autres encore. Le constat en est toujours le même : ces jours étrangers constituent un cul-de-sac extraordinaire. L'exilé vit dans une morne inaction ou agit gratuitement, dans le vide. C'est la colonisation psychologique, la traite mentale, l'emprisonnement de la conscience et de l'âme. Encore une fois, le Nègre est émasculé.

 

Andrew Salkey, romancier jamaïcain, fait le portrait de l'exilé nègre qui est psychologiquement castré dans Escape to an Autumn Pavement (1960). Johnnie Sobert s'exile à Londres, cette utopie de force Antillais anglophones. Il rencontre Fiona, une jeune Anglaise qui raffole de lui. Peu après, il fait la connaissance d'un Anglais, Dick – le nom peut être symbolique – qui lui offre sa compagnie. Johnnie [PAGE 38] devient donc une espèce de dépouilles opimes recherchées par les deux chasseurs blancs. Tant la femme que l'homme veulent le posséder parce qu'il est Nègre, et cela se rend plus intéressant puisque monsieur Dick est homosexuel. Et Johnnie essaie de fuir son masque d'identité. Il pose la question troublante à Fiona : « Ne peux-tu pas voir que je n'appartiens à aucun endroit ? Qu'est-ce qui m'est arrivé entre l'asservissement africain et l'hypocrisie britannique ? » (Escape..., p. 49.) La castration et le dilemme de ce colonisé perdu dans le désert anglais sont ainsi expliqués par son ami jamaïcain :

 

  • Tu veux une identité. Tu veux sentir que tu as derrière toi une nation que tu puisses appeler tienne. Tu voudrais marcher la tête haute, comme un Allemand ou un Français, ou un Anglais, convaincus de leurs traditions et de leur longue histoire qui leur accordent une véritable identité. Tu te sens dépourvu de tout cela parce que tu es un garçon des colonies qui n'a que l'esclavage derrière lui. Donc, tu ne peux qu'être confus, que vouloir échapper. (Mid., p. 199.)

 

Cet ami sûr de lui n'est pas moins confus que Johnnie. Il se croit véritable Nègre même lorsque sa personnalité est celle d'un Nègre blanc, d'un Nègre fantoche, d'un porteur de masques. Par malheur, Johnnie a confiance en cet homme à visage d'emprunt. L'exilé a aussi des difficultés à rebrousser chemin. Question d'amour-propre, question socio-politique, question de petits bonheurs goûtés au pays d'exil. Ces petits bonheurs sont pour lui de grosses victoires sur la Misère. Voilà qu'un Guadeloupéen marche à la tête de l'équipe de football français en Argentine, pendant la concurrence pour la Coupe mondiale de 1978. Voilà que l'Angleterre, ce pays très fier, ce pays aux traditions profondes, choisit un jeune nègre pour son équipe nationale de football en cette même année de 78. C'est formidable, c'est inouï... Et les libéraux parlent déjà de l'émancipation du Nègre dans ces deux pays,

 

Comme s'il ne s'agissait pas de sport...

 

Comme si le Nègre ne faisait normalement pas penser à Joe Louis, à Pelé...

 

Comme si ces jeunes sportifs dont il est question, n'étaient pas heureux de rejeter l'étiquette de Nègre... [PAGE 39]

 

Comme si les racistes anglais ne parlaient pas à l'heure actuelle de chasser tous les coloureds de leur paradis blanc...

 

Comme si le taudis d'Aubervilliers ne faisait pas partie de Paris, cette cité de lumière, ce havre de libéralisme...

 

On peut dire que le Nègre qui veut être l'Autre, est une exception, que la plupart des Nègres, exilés ou demeurés au pays natal, ont actuellement la conscience éveillée à leur état nègre dans le monde. Peut-être que cela est vrai; au moins, nous voulons que cela soit la vérité. Alors, nous acceptons qu'il existe des tentations pour atteindre la solidarité raciale et culturelle. Et Léopold-Sédar Senghor de dire que toutes les manifestations nègres ont des souches africaines. Et Aimé Césaire, cet enfant de France qui se veut enfant d'Afrique - à noter que, ses efforts pour atteindre et rejoindre le peuple nègre nonobstant, la poésie césairienne reste linguistiquement hermétique et embourgeoisée -, exalte l'indépendance africaine.

 

Comme si l'Afrique était vraiment libre et noire...

 

Comme si les fantoches d'Afrique s'agenouillaient devant des dieux distincts de ceux que glorifient leurs frères de la Diaspora...

 

Comme si ce n'étaient pas ces mêmes Africains qui ont vendu les leurs pour un fusil, une lumière de flambeaux, un poste de radio, des pacotilles...

 

Comme si Aimé Césaire ne nous avait pas dépeint cette inoubliable figure du grand nationaliste africain trahi par les siens, figure de ce pays cerné de toutes parts par le complot de l'ennemi masqué en ami. Une saison au Congo (Seuil, 1967), c'est la saison du mal africain. Le larbinisme. La trahison. Les manœuvres internationales. Et on met notre Afrique en gage toute en criant à tue-tète qu'elle a gagné son indépendance.

 

L'AFRIQUE, OU LA NUIT SUCCEDANT AUX SOLEILS DES INDEPENDANCES

 

En Afrique, nous tirons vanité de notre originalité. Toutefois, trous n'avons réussi qu'à nous tromper. Car, tout le monde sait que notre talent spécial, c'est de perfectionner la singerie. Nous nous civilisons si vite que les soi-disant civilisés sont devenus de purs barbares par rapport à nous autres. Nous nous débarrassons des meilleurs éléments de [PAGE 40] notre culture pour affecter les pires manières de nos anciens ( ?) maîtres. Nous fabriquons plus de licenciés qu'autrefois mais, espèce d'ironie, les nations ont l'air plus abruties que jamais. Serait-ce preuve que l'on ne peut résoudre les problèmes d'Afrique en combattant le fameux analphabétisme ? A vrai dire, les nouveaux intellectuels ne font qu'augmenter le cadre déjà effrayant des élites opiniâtres peu intéressées au destin du peuple. De nos jours, le peuple, lui aussi, se dépopularise. Il s'embourgeoise avec une verve endiablée, il s'apprête à disputer la spoliation nationale aux lettrés.

 

Qu'on visite les nouvelles New York africaines. Les plus grands magasins vous offrent un bain qui vous nettoie éternellement la peau; en des termes plus précis, on vous rendra presque blanc. La crème préférée des femmes africaines se nomme Ambi : fabriquée aux Etats-Unis – et il en est des contrefaçons partout -, « elle rend votre teint le plus clair possible... elle est la meilleure crème pour la femme de couleur moderne »... Alors, voilà un aspect de ce règne de la bêtise qui s'épanouit dans notre cher continent indépendant.

 

Il n'est pas étonnant que l'Africain ait agi de connivence avec son maître colonialiste; car, sa probité légendaire nonobstant, ce saint a toujours eu en lui des caractéristiques du diable. Le matérialisme est un mal autant africain qu'occidental. La trahison, aussi. Alex Haley, écrivain négro-américain, a récemment rédigé son livre célèbre, Roots (1976), où il décrit la recherche de ses racines africaines qui a fini par l'amener à un village gambien. Et le film basé sur le livre[21] a remporté un succès complet. Ce que démontre Roots, c'est la complicité de l'Africain prêt à vendre les siens pour des bagatelles.

 

Feu David Diop est de ces écrivains qui acceptent de telles vérités troublantes. Il avoue que l'Africain a parfois « supporté les agonies nocturnes ». Il dit au vieux Nègre brisé par les chaînes du Blanc [PAGE 40]

:

 

  • Te voici nu dans ta prison fangeuse
    Volcan éteint offert aux rires des autres
    A la richesse des autres
    A la faim hideuse des autres
    ...............................
    Mais moi, moi qu'ai-je fait dans ton matin de vent et de larmes
    ...............................
    Qu'ai-je fait sinon supporter assis sur mes nuages
    Les agonies nocturnes
    Les blessures immuables
    Les guenilles pétrifiées dans les camps d'épouvante
    (Coups de pilon, Présence Africaine, 1973, p. 39.)

 

Alors, malgré les mots vides du poète, ce prince privilégié installé dans sa tour d'ivoire bâtie dans les nuages, le pauvre Nègre reste emprisonné dans la fange. Il faut à ce pauvre hère beaucoup plus que de misérables mots. Malheureusement, personne ne fait rien pour lui. Pas même cette Afrique en laquelle il a tant de confiance. C'est l'Afrique au dos courbé, « tremblant à zébrures rouges », c'est la mère dominée « qui dit oui au foirer». Mère sans fierté, mère sans dignité, mère qui vend ses enfants.

 

La tâche dont le poète Diop se charge, c'est de libérer cette mère à mentalité d'esclave, de refaire son Afrique. « Le Carnaval est mort », s'écrie-t-il. « Nous referons Ghâna et Tomboiretou (Coups ... p. 39).

 

 

  • Cet arbre là-bas
    Splendidement seul au milieu de fleurs blanches et fanées
    C'est l'Afrique ton Afrique qui repousse
    Qui repousse patiemment obstinément
    Et dont les fruits ont peu à peu
    L'amère saveur de la liberté
    (Ibid., p. 33)

 

La vision ci-dessus est celle de l'ancêtre parlant au fils impétueux qu'est Diop. L'ensemencement, le repoussement de l'arbre neuf qui dépassera ces fleurs blanches et fanées, cela ne recouvre-t-il pas trop d'optimisme de la part du vieillard ? Du moins, nous savons que ce vieillard est lui-même à deux pas du cimetière et que ces fleurs blanches [PAGE 42] n'ont que l'air d'être fanées. Le vieillard met tout son espoir en ce fils fort et fier qui lance le mot de défi à la force blanche :

 

 

  • Toi qui plies toi qui pleures
    Toi qui meurs un jour comme ça sans savoir pourquoi
    Toi qui luttes qui veilles pour le repos de l'Autre
    Toi qui ne regardes plus avec le rire dans les yeux
    Toi mon frère au visage de peur et d'angoisse
    Relève-toi et crie : NON !
    (Ibid. p. 48)

Ce poème est rédigé en 1948, le lendemain de la deuxième guerre faite pour le repos du Blanc. Les tirailleurs africains y ont participé sous la bannière des maîtres européens et si certains d'entre eux y ont laissé la peau, ce n'a pas été au nom de leur nation, puisqu'ils n'en avaient pas. Leurs frères demeurés au pays natal servent de divertissement au Blanc, mais ce Blanc qui rit aux éclats face aux bêtises du Nègre, il est capable de malmener sa victime, de la brutaliser, de la tuer comme un chien. David Diop sait toute cette histoire-là, et, longtemps avant le réveil des Afro-Américains, le voici qui lève haut le poing serré pour dire : NON !

 

Toutefois, le cri du jeune homme a été lancé à un peuple sourd. Diop meurt en 1960, année de la liberté, année des soleils des indépendances. S'il était là aujourd'hui, il se demanderait de quoi s'est-il agi vraiment, cette indépendance, ce qui s'est passé à ces jours pleins d'euphorie et à ces cris de fraternité, et à cette victoire fièrement gagnée contre l'ennemi commun...

 

Mongo Beti lui en aurait raconté tout un tas de choses. Beti, romancier engagé camerounais forcé à l'exil en France. Beti, nationaliste ahuri par le cercle infernal du destin de ses frères. Beti, créateur de Medza, ce jeune héros de Mission Terminée (1957) qui finit par mener une existence de vagabondage pareille àcelle de son Afrique, de notre Afrique :

 

 

  • Le drame dont souffre notre peuple, c'est celui d'un homme laissé à lui-même dans le monde qui ne lui appartient pas, un monde qu'il n'a pas fait, un monde où il ne comprend rien. C'est le drame d'un homme sans direction intellectuelle, d'un homme marchant à l'aveuglette, la nuit dans un quelconque New York hostile. [PAGE 43] Qui lui apprendra à ne traverser la Cinquième Avenue qu'aux passages cloutés ? Qui lui apprendra à déchiffrer les "Piétons, attendez" ? Qui lui apprendra à lire une carte de métro, à prendre les correspondances ?
    (Mission.... pp. 250-251)

L'Afrique est au paroxysme de son dilemme complexe. Ses leaders sont parfois plus aveugles que le peuple, et cela dans un monde où ceux qui sont capables de voir complotent de conduire les aveugles au précipice. En Afrique, nous avons nous aussi les feux verts et rouges, les passages cloutés, le métro, tous les machins modernes; seulement, ils ne marchent pas : l'électricité est en panne, la foule se piétine dans le métro, les hommes d'affaires et leurs secrétaires alléchantes sont emprisonnés dans l'ascenseur. D'où viendra le secours ?

 

Parfois, et cela advient très rarement, un messie se révèle aux horizons attristés. Il est sincère, il est dévoué, il est révolutionnaire. C'est Ruben, héros d'un autre roman de Mongo Beti (Remember Ruben, 1974), tout prêt à arracher son peuple à l'enfer où les fantoches de chefs nationaux l'ont emprisonné. Mais Ruben est assassiné, ce qui est vraiment une façon africaine de sauver la nation. Essola, personnage d'un autre roman bétien, en sait long :

 

  • Vous avez tué Ruben ou bien vous vous êtes accommodés de son meurtre pour continuer à vendre vos filles, sans pour autant avoir à répondre des souffrances infligées à ces esclaves par la cruauté de leurs maris. Vous avez assassiné Ruben ou bien vous vous êtes accommodés de ce crime pour que vos fils préférés, rendus irresponsables par votre excessive indulgence, continuent à festoyer impunément avec la rançon de leurs sœurs, à se repaître en quelque sorte du sang de ces malheureuses, comme des cannibales. Vous avez souhaité la mort de Ruben pour bannir la Justice et éviter qu'elle porte le fer dans l'épaisse routine de vos mœurs sauvages. Quelle importance désormais si l'on extermine dix, cent ou mille d'entre nous ? Maudits, oui, nous le sommes tous...
    (Beti, Perpétue et l'habitude du malheur, 1974, p. 294.)

Si nous dressons la liste de nos fils tués sans raison [PAGE 44] – et nous parlons des meilleurs -, nous n'en finirons pas. Lumumba. Martin Luther King. Jacques-Stéphen Alexis... Certainement que nous sommes tous maudits. Nous acceptons ces assassinats sans lever la main, sans mot dire, puisque nous vivons encore.

 

Comme si notre vie à nous n'était pas une mort à petit feu.

 

Comme si nous n'étions pas complices des assassins.

 

Comme si l'on ne devait pas nous viser demain.

 

Et d'aucuns, tel Essola, se révoltent contre la bêtise des siens, en tuant un individu qui, selon eux, représente ce cercle infernal. Pourtant, leur acte est plus ou moins gratuit. En principe, il ne change rien. Le fratricide ne fait que réduire le nombre des collaborateurs potentiels dans la véritable lutte révolutionnaire. Car si nous trouvons impossible de faire voir la raison au frère réactionnaire, que faire au sujet de l'étranger qui porte déjà en lui les germes du refus ?

 

D'ailleurs, la Révolution, ce mot noble qui symbolise les plus grands actes nationalistes, pose toujours d'innombrables difficultés à l'homme et, jusqu'ici, l'Africain n'a pas encore su y trouver des solutions valables. La Révolution est affublée de sens étranges, mystiques, et le révolutionnaire perd vite le nord. C'est qu'il constate qu'il risque de passer toute une existence dure dans le maquis et que, parmi les camarades, il y a une hiérarchie qui vous dit carrément ou sournoisement que vous êtes inférieur à monsieur un tel, chef de file. Alors, le révolutionnaire est contraint de démissionner et d'aller mener une vie isolée. L'isolement, voilà le destin des héros du romancier ghanéen, Ayi Kwei Armah. Solo, ressortissant d'une colonie portugaise, exilé au Mahgreb :

 

 

  • De quoi peut-on parler ? La Révolution. L'Engagement. La Justice. La seule chose dont je tiens compte actuellement, c'est le désespoir, et je ne veux pas en parler...
    (Ahmah, Why are we so blest ? p. 55)

Solo a lutté, il a été hospitalisé. Sorti de l'hôpital, il devient un révolutionnaire inactif destiné à l'existence en marge. Il se fait journaliste, mais c'est pour tuer le temps. Car, il est déjà mort. [PAGE 45]

 

  • Même avant ma mort, je suis devenu fantôme, vagabondant sur la face de la terre, nanti d'une liberté que je n'ai pas choisie, dont l'abondance troublante je suis incapable d'employer. Pas de contact possible. La vie se passe autour de moi et, d'une clarté devenue fort pénible, je la vois qui s'écoule lentement comme un torrent.
    (Ibid, p. 11)

Le révolutionnaire est devenu forcément observateur, aliéné comme il est d'un processus qui n'a même plus rien à faire avec lui. Solo est intellectuel. Modin aussi. Celui-ci vient de terminer ses études supérieures aux Etats-Unis et, comme lui-même l'affirme, il a passé toute sa jeunesse à la recherche des connaissances civilisées. « La recherche du savoir ne doit pas être synonyme d'aliénation et de solitude croissante. Pourtant, c'est bien ce qui se passe dans notre cas particulier. » (Ibid., p. 32). Modin quitte l'Amérique résolu à participer directement à la révolution africaine. Il arrive finalement à ce pays maghrébien où s'est déjà installé Solo.

 

On dirait que rien ne doit empêcher ce jeune intellectuel de s'engager d'une façon authentique à la cause nationale, étant donné son éducation américaine, étant donné son contact avec, et son refus de la bourgeoisie américaine. N'oublions cependant pas qu'il s'agit de l'Africain, de ce personnage controversé et contradictoire. Voilà Modin qui va s'engager en compagnie d'une nymphomane blanche symboliquement nommée Aimée. Solo en sait long sur la maladie de l'évolué nègre :

 

 

  • Nous souffrons d'une maladie ordonnée. De cette soudaineté pleine de ressentiment qui se reproduit en chacun de nous éveillé de la mystification nos yeux s'ouvrent obligatoirement et nous nous voyons, concurrents en un débat débilitant pour nous hisser aux stations plus faciles dans un monde bâti sur l'injustice. Puis, il y a nos âmes et d'autres encore, toujours consolatrices, prêtes à nous créer l'illusion qui nous soutiendrait : à savoir, que l'objectif de notre montée particulière n'est pas de partager les miettes sucrées du privilège, mais de mettre fin à la vraie amertume de l'oppression. Une fusion marquée de confusion et d'accalmie : la grande lutte sociale pour détruire l'injustice est ravalée en un [PAGE 46] petit débat privé pour promouvoir le Moi isolé à partager le privilège, fruit de l'oppression.
    (Ibid., p. 83)

En d'autres mots, l'intellectuel nègre se sauve difficilement de l'univers des privilégiés, surtout parce que lui-même est tricheur, complice du maître nanti du pouvoir destructeur ou créateur. Solo est expert en ces choses-là, parce que lui aussi a son amie blanche, Sylvia, que lui aussi est assimilé, que lui aussi mange des miettes dans la maison de l'esclavage. Il s'avoue en mauvaise passe comme ce jeune Modin qu'il analyse avec tant de perspicacité. C'est que les soi-disant intellectuels africains sont des plus confus. Solo pose la question sur les couples nègre-blanche : « Quelle est la source de cet attrait fatal, de cette fixité émotionnelle qui nous approche de ces filles de notre mort blanche ? » (Ibid., p. 230) La source, c'est le complexe d'infériorité nègre, c'est le fait que Solo, cet homme si dur tant pour les siens que pour les Blancs, souscrit au mythe sexuel concernant le Nègre : la recherche désespérée de la chair blanche (voir Fanon, Peau noire masques blancs, 1952, p. 68), Or, si nous cherchons à créer un monde où la qualité de l'homme ne se basera plus sur la couleur de sa peau, où le Noir et le Blanc jouirent d'une rencontre saine, il devra – et il doit – y avoir possibilité de relations normales, voire humaines, entre le Noir et la Blanche. La théorie se transforme difficilement en pratique. Le Blanc a toujours peur que le Nègre ne vise à violer la Blanche sainte. Celle-ci, curieuse et résolue à s'affirmer, cherche éperdument le coït avec le légendaire phallus ambulant nègre. Et le Nègre, colonisé et capturé dans le piège blanc monte inéluctablement vers le lit de la femme blanche : Modin et Aimée. Solo et Sylvia. Modin et Mme Jefferson, cette femme de professeur qui « aimerait passer le reste de sa vie à baiser » (Armah, Why... ?, p. 133). Modin et Sandra, cette jeune nouvelle mariée qui ne peut plus sentir son mari après avoir couché avec l'intellectuel africain. Notre littérature donne d'autres exemples de la lutte acharnée entre le chevalier blanc et le dragon noir pour la vierge blanche.

 

Le Nègre demeure instrument, objet, cargaison. Il est ignorant, il ne sait pas que la Révolution n'accepte pas de compromissions, ne veut pas d'amour, à part cette affection exclusive ressentie pour la Cause nationale. Pas de petites amours qui risquent d'éloigner le combattant du champ de [PAGE 47] bataille. Modin prend le chemin de sa mort au moment où il se rattache à son Aimée. Solo porte en lui la figure de sa Sylvia et nous savons qu'il n'est qu'un fantôme ambulant.

 

Par les figures tragiques des Solo, des Modin, de l'Homme – héros sans nom du roman, The Beautiful Ones Are Not Yet Born –, Armah fait le portrait d'une Afrique victime de l'inhumanisme blanc. Mais aussi victime de ses propres bêtises. Le constat principal, c'est que l'Afrique doit reprendre en main sa destinée, qu'elle doit se reprendre en main.

 

 

  • Seule une cause doit engager nos efforts : celle de mettre fin à l'oppression de l'Africain, de tuer les bêtes de proie européennes, de nous refaire, nous, les serviteurs élus d'Europe et d'Amérique. A part cela, tout est inutile.
    (Ibid., p. 230)

Le dilemme reste le même : comment refaire ces serviteurs qui refusent de se refaire ? Les habitudes, surtout lorsqu'il y va d'adultes réfractaires, ont la vie dure. Hommes fiers de leur fausse liberté. Hommes accoutumés aux privilèges creux fournis par le maître rusé. Serviteurs. Esclaves. Colonisés. Alors que d'aucuns, tel Solo, demeurent en marge ou s'exilent, d'autres, tel Monsieur Thôgô-gnini[22] s'emparent des richesses du pays. Thôgô-gnini, c'est le parvenu aliéné de son peuple. Esclave de l'Argent, esclave de la Métropole, il est « plus mauvais que la mort » (Dadié, Monsieur Thôgô-gnini, p. 103). Il est toujours à singer le Blanc. Etre célèbre en France. Porter un nom français. Avoir une rue nommée pour lui en métropole. Se faire enterrer en France... A la fin la pièce, on nous montre ce fléau en chaînes, condamné à payer ce qu'il doit au peuple.

 

Ce qui ne veut pas dire que l'on ait fini avec les Thôgô-gnini africains. L'escroc arrêté et puni constitue une exception qui ne fait qu'attirer l'attention sur le vaste nombre de ceux que personne ne peut forcer à rendre compte de leurs actions vicieuses. D'ailleurs, le criminel emprisonné pourra retrouver sa liberté un de ces jours : un nouveau régime [PAGE 48]viendra peut-être remplacer le président à vie titulaire. Le nouveau messie miséricordieux ouvrira les portes de la Prison. Voyons, il faudra les vider afin d'y mettre ses victimes à lui...

 

Et l'image de l'Indépendance est fixée à l'horizon de notre continent malade. L'indépendance n'apporte à l'Africain moyen « rien que la carte d'identité nationale et celle du parti unique » (Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, Seuil, 1970, p. 23).

 

Et ce parti unique, dit socialiste, dit nationaliste – il ne faut jamais chuchoter le mot tabou de communiste –, n'appartient qu'aux initiés qui détiennent le droit unique de voler la nation hétéroclite, de « dévorer les enfants des autres » (Mid.), et de tuer leurs enfants à eux.

 

Et ces initiés se chauffent au soleil tandis que le peuple se cache dans ses cases misérables.

 

Cependant, le soleil, symbole du dilemme de notre race, a les caractéristiques d'un caméléon. Le soleil de l'indépendance, rayonnant à l'aube, prometteur d'un beau jour, arrive à midi. Il est brûlant, colérique pour le Nègre, engourdissant aussi. Il revient à ce qu'il était dans le temps, à ce qu'il est depuis notre séjour à l'enfer blanc : le soleil exotique des touristes pâles étendus sur le sable blanc de nos plages. Des nuages viennent de temps en temps masquer le visage de ce soleil qui, toujours soucieux du climat, court éperdument vers son coucher.

 

Aimé Césaire donne une image du soleil des tropiques dans son célèbre Cahier : La chaleur. Le paludisme. La somnolence. La fatigue. « Le soleil qui toussote et crache ses poumons » (Cahier..., p 75). Nicolas Guillén, poète afrocubain, dépeint ce soleil maléfique : « Le soleil grille ici toutes les choses, il grille le cerveau et grille jusqu'aux roses. » L'Afrique et tout l'univers noir – on se demande pourquoi c'est nous surtout qui avons été destinés à habiter les tropiques – subissent l'assaut de cet incendie fatal qui ne leur accorde aucun répit.

 

Lorsque le soleil brille chez les Blancs, il semble perdre sa colère pour leur apporter du frais. Voici Bernard Dadié qui nous en parle.

 

  • Il fait frais; le soleil se cache de honte : Il a conscience d'avoir commis à mon endroit une injustice en me grillant de la tête aux pieds, alors qu'il arrive à peine à [PAGE 49] bronzer les hommes d'ici. (Un Nègre à Paris, 1959, p. 27)

Voilà le soleil des pays blancs. Chez eux, il ne symbolise pas la nuit. Il se transforme en lumière. L'aube. La liberté. Les progrès. Et le soleil de chez nous prend, lui aussi, le visage discriminatoire de nos maîtres; bienveillant, il brille sur le quartier blanc.

 

  • Le soleil, déjà harcelé par les bouts de nuages de l'ouest, avait cessé de briller sur le quartier nègre pour se concentrer sur les blancs immeubles de la ville blanche. Damnation ! bâtardise ! Le nègre est damnation ! Les immeubles, les ports, les routes de là-bas, tous bâtis par les doigts nègres, étaient habités et appartenaient à des Toubabs. Les Indépendances n'y pouvaient rien ! Partout, sous tous les soleils, sur tous les sols, les Noirs tiennent les pattes; les Blancs découpent et bouffent la viande et le gras. (Les soleils..., pp. 18-19)

Kourouma a tort de déclarer que les Indépendances ne pouvaient rien face à ces quartiers blancs bâtis dans la nation africaine. Les Indépendances ont précisément créé de nouveaux Blancs, à peau noire, afin de tout nationaliser. La nationalisation de l'abâtardissement. La nationalisation de la damnation. L'africanisation du Toubab.

 

EN GUISE DE CONCLUSION : RACE DE CONFLITS, RACE DE CONTRADICTIONS

 

Les Thôgô-gnini d'Afrique, les Nègres blancs d'Afrique, des Antilles et des Etats-Unis, tous s'enorgueillissent de leur patriotisme. Le jour de la Libération Africaine[23] est parmi les moments les plus absurdes de notre état de maudits. Nous nous rappelons que l'une des prisons les plus hideuses d'Amérique a été surnommée Angola. Remarquons, d'ailleurs, que nous autres Noirs, nous avons notre politique [PAGE 50] particulière. Chacun enfourche son dada et propage son idéologie nationaliste qui va l'aider à nous asservir sans verser du sang. Nous le savons bien mais ne faisons rien pour décourager ce messie venu de l'enfer; car, il fait ce que nous aimerions faire, que nous ferons peut-être un jour. Nous faisons semblant d'ignorer que seuls les gens bien nantis s'intéressent à la politique : talent déjà utilisé à voler le pays, ou bien à utiliser à l'avenir... Après s'être repus à la sueur des plus basses classes, ils se prennent à rêver de l'Utopie nationale. Et de nos jours, les politiciens africains ne se mettent guère en accord avec leurs frères de la Diaspora. Lorsqu'un chef d'état africain fait un discours aux Nations Unies, un chef de file militant de la Diaspora lui colle l'étiquette de sous-développé obstiné. Voyons, il faut y avoir une hiérarchie de civilisés, surtout parmi les grands enfants nègres... C'est pour cela que le Nègre d'Amérique se croit supérieur à celui d'Afrique, que l'Africain se dit le seul libéré de la Race et que, pris entre l'enclume et le marteau, l'Antillais rejette toute parenté avec l'Africain pour disputer l'américanité au Nègre des Etats-Unis.

 

Qui dit nègre dit un gros catalogue de conflits. Les voici réunis à Paris, année 56, grands porte-parole de la Culture nègre, pour déclarer leur solidarité et pour arrêter un programme commun pour l'avenir. Ces hommes de culture font chacun des communications retentissantes qui, au lieu de les rapprocher les uns des autres, révèlent le décalage existant aux rangs de cette race fière. Les Nègres américains se fâchent de ce qu'Aimé Césaire parle de situation coloniale de chez eux. Et le poète de s'expliquer :

 

 

  • Si vous n'êtes pas dans cette situation coloniale, vous êtes dans une situation qui, comme l'a dit tout à l'heure très justement Senghor, est une séquelle de l'esclavage – donc, en définitive, une séquelle du régime colonial.
    (Voir Présence Africaine, nos 8-9-10, 1956, p. 222)

Césaire aurait dû être plus sage que ça; car, il est indéniable que le Nègre américain aimerait oublier sa situation coloniale. Il préfère vanter les qualités de la Démocratie. Et voici John Davis, chef de la délégation négro-américaine, qui exprime les désirs de la race :

 

Ce que veulent les Nègres américains – je dois insister [PAGE 51] sur ce fait – et pour lequel ils luttent depuis longtemps, avec acharnement et avec beaucoup de sacrifices, y compris celui de leur sang, c'est de réaliser un statut de citoyen égal; et, depuis 1936, nous faisons des progrès extraordinaires à cet égard. (Ibid. pp. 214-215).

 

A entendre parler ce nègre assimilé, on croirait qu'il faisait allusion à un pays où il n'y a plus de discrimination raciale; plus de portes fermées à la face du Nègre; plus de chahut contre le Blanc qui essaie sincèrement d'aider les victimes; plus de lynchage physique ou psychologique...

 

Et le bien-connu Richard Wright, après avoir parlé de son grand dilemme vis-à-vis de l'Africain, dresse la liste des moyens desquels lui et ses frères américains peuvent aider l'Afrique.

 

Au même colloque, des jeunes récusent l'argument des partisans de la Négritude pour qui cette idéologie représente la totalité de la culture nègre dans le monde. Ce qui fait rougir les grands chefs de file... Enfin, on voit mal cette fraternité à laquelle pensait feu David Diop : « Je pense du forçat du Congo frère du lynché d'Atlanta » (Coups..., p. 23). Diop aurait été choqué de constater que, de nos jours, les lyncheurs sont plus noirs que la nuit des tropiques.

 

Alors, si le Nègre américain veut se rattacher à l'univers blanc, à cet univers qui lui dit qu'il n'a pas de valeur, pas d'histoire, qu'il n'a jamais rien fait qui vaille le respect humain, comment blâmer les Nègres d'autres endroits qui essaient de monter vers le sommet américain ? C'est précisément parce qu'il existe cette lutte désespérée pour se sentir meilleur qu'Autrui - et l'aune est toujours le blanc – que les conflits intra-raciaux des Nègres dureront longtemps. Par exemple, le critique Frederik Case commente la situation qui sévit au Canada :

 

 

  • Il y a, à Toronto, le conflit et le manque de confiance entre Africains des Caraibes, ceux du Canada et ceux venus du continent africain. Il y a le malentendu et le malaise entre Indiens du sous-continent, des Caraibes et d'Afrique. (art. cit., p. 167)

Case constate que le conflit nègre se divise en trois parties : [PAGE 52]

 

  • divisions de classe
    différences ethniques/raciales
    divisions territoriales/inter-régionales

 

Tout pour dire que le Nègre, au lieu d'aborder les problèmes de prime importance, préfère se créer de nouvelles difficultés qui minent les fondements même de la solidarité raciale.

 

Fait partie des principaux problèmes l'engagement authentique des hommes de culture. Jacques Alexis le précise :

 

  • Il ne s'agit pas de témoigner seulement pour le réel et de l'expliquer, il s'agit de transformer le monde ( ... ) Il s'agit d'aider à la liquidation de ce qui dépérit et constitue une entrave à l'essor de l'homme. L'artiste doit prendre parti, il doit être un combattant. (Art. cit., p. 247)

Voilà ce que répètent nos écrivains depuis des années. Toutefois, rien n'a l'air de changer; ou bien, les choses empirent. Le visage hideux de la bourgeoisie nègre bien établie sur le sol africain et sur le sol de la Diaspora. Des rêves avortés. Des efforts extraordinaires de chacun pour trouver une sortie à son tunnel particulier. Et on nous dit qu'il-est-beau-et-bon-et-légitime-d'être-nègre, que je-suis-noir-et-fier-de-l'être. Pendant que les Nègres se blanchissent, qu'ils se tuent comme des chiens, que les Blancs baladent l'égalité dans un cachot de fer. On ne marque plus la fleur de lys à l'épaule du Nègre – il est plus esclave, alors -, mais on la lui marque au cœur, ce qui est beaucoup plus civilisé. La fleur de lys. Le pavillon britannique. La figure de l'oncle Sam.

 

Les choses devront changer un jour. Ce qui nous fait l'espérer, c'est la présence de cette poignée de véritables hommes parmi nous. Hommes de probité, hommes de valeur, hommes vraiment engagés. Tel Mongo Beti qui se rend compte que la situation du Noir est à distinguer de celle des autres groupes.

 

 

  • Une catégorie spécifique de prolétaires qui, parce que son oppression se réalise suivant des modalités particulières, telles que le racisme, a droit à des tribunes réservées pour y faire retentir sa revendication propre, pour se défaire surtout de cette malédiction qu'on dit [PAGE 53] être le symptôme infaillible de l'esclavage, la privation de parole.
    (Voir Peuples Noirs, Peuples Africains, no 1, 1978, p. 2)

Pour se défaire de ce bâillon posé sur les témoins de la vérité, pour éliminer cet état d'interdiction, de bannissement au silence dont souffrent bien de nos écrivains, il faudra une libération économique, mais d'abord, une indépendance socio-psychologique. Nous savons déjà que la notoire Négritude, cette « vaste nuit où tous les chats sont gris »[24], n'aidera à rien. Même cette négritude non idéologique de Césaire est remplie de platitudes sonores, d'exaltation absurde. Par exemple, voici l'image du Nègre que chante le fameux poète :

 

  • Ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole
    ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité
    ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel
    ceux qui n'ont connu de voyages que de déracinements
    ceux qui se sont assoupis aux agenouillements
    ceux qu'on domestiqua et christianisa
    ceux qu'on inocula d'abâtardissement
    tam-tams de mains vides
    tam-tams inanes de plaies sonores
    tam-tams burlesques de trahison tabide (Cahier..., p. 111)

Ce sera bien une estimation dénigrante si nous la considérons telle quelle. Mais Césaire a su sacchariner les choses en affirmant en même temps que le monde ne serait pas le monde sans le Nègre. A notre avis, cela n'est qu'une mauvaise consolation. Césaire parle de notre Culture, et nous le répétons depuis les derniers jours de nos fausses tentatives de libération.

 

La question que nous devons nous poser est celle-ci : qu'allons-nous mettre à la place du monde inhumain que [PAGE 54] nous aimerions détruire ? La Culture ? notre connaissance de « l'essence de toute chose » ? En effet, nous sommes encore couchés dans les jours étrangers. La voix de Césaire et d'autres voix sonores de notre peuple déchaîné posent de telles questions. Malgré la fierté et la dignité de la Race, malgré l'amour-propre et le conditionnement à l'autonomie dans toutes ses formes, il faut avouer que ces voix ne peuvent que poser des questions. C'est bien Césaire qui l'affirme : les mots ne sont qu'une pauvre consolation pour les damnés de la terre. Il faut jeter les chaînes, germer une tête bien sienne, sortir des jours étrangers. Il faut faire des Indépendances beaucoup plus qu'un mot vide. Il faut dépasser les intérêts particuliers, oublier le souci matériel, éliminer les moments libres, pour se donner totalement à la cause populaire. C'est Lumumba qui le déclare :

 

  • Moi, je suis un forçat volontaire. Vous êtes, vous devez être des forçats, C'est-à-dire des hommes condamnés à un travail sans fin, vous n'avez droit à aucun repos...
    (Césaire, Une saison au Congo, Seuil, 1967, p. 34)

Malheureusement, ces jours nationaux ne sont pas pour aujourd'hui. Ce qui nous ramène à notre petite histoire sur la vieillarde guyanaise. Elle vit encore. Elle est d'une génération dite arriérée, mais cela ne veut rien dire, étant donné que toutes les générations nègres racontent de semblables histoires de souffrances, de déshumanisation, de bêtises, de haine. Octogénaire, la Guyanaise a vécu si longtemps parce qu'elle partage l'obstination de sa race. Elle est optimiste, elle attend encore de meilleurs jours. Elle va à la messe tous les jours et sait par cœur de gros morceaux de la Bible. Elle a un petit-fils qui lui rend très souvent visite. Il se dit chrétien, lui aussi, et il se répète la même prière au moment de quitter sa grand-mère : « Dieu, emporte-la, s'il te plaît, et que ce soit demain. »

 

C'est que, pour le jeune homme, la vieillarde est le symbole de la Race, race troublée qui, malgré sa critique du christianisme, se rend de plus en plus chrétienne, race désorientée qui, en dépit de son fameux réveil au matin des promesses terrestres, rêvasse des Utopies extra-terrestres. Or, le jeune homme attend le jour où la cloche qui sonne à toute volée le dimanche, ne sera plus l'appel à l'église. Car il a entendu parler du beau travail des chrétiens; il l'a vécu, lui aussi [PAGE 55] Il enchaîne : « Que la cloche ne soit pas le glas proclamant la disparition de notre peuple. Que cette cloche, installée d'antan comme moyen de nous faire sombrer encore plus dans l'apathie et l'aliénation, qu'elle devienne l'appel à notre peuple de se réveiller de son sommeil chrétien et de se mettre en cause. »

 

Alors, on dirait que ce jeune homme s'est mis sur le chemin anti-chrétien. Cependant, il subit toujours la belle éducation chrétienne et s'en vante partout où il va. Vous n'avez qu'à regarder son allure et ses vêtements, qu'à écouter son parler, qu'à lui rendre visite chez lui, s'il vous laisse traverser le seuil...

 

La grand-mère a transmis au jeune homme cette indignation devant les bêtises d'un peuple fier de sa probité et de sa valeur humaine. Elle lui sert aussi de soutien, le seul soutien solide qu'il n'ait eu de sa vie. Et il veut qu'elle disparaisse. Et il a honte d'elle. Et il la croit chrétienne...

 

Comme si son père n'avait pas abandonné sa mère le jour même de sa naissance...

 

Comme si la grand-mère ne s'était pas toute donnée pour qu'il survive dans ce monde hostile...

 

Comme si lui-même n'était pas de cet univers moderne qui assassine les justes et soutient les criminels...

 

Comme si lui-même n'était pas Nègre...

 

Femi OJO-ADE
Dept. of Modern Languages
University of Ife
Ife-Ife, NIGERIA.

N.B. La version française de cette étude est l'œuvre de l'auteur, universitaire anglophone comme le précise la signature.

 


[1] Il s'agit précisément de la civilisation planche. Selon les racistes, les autres races, surtout la nègre, n'ont jamais eu de civilisation.

[2] Richard Wright, « Tradition and Industrialization », Présence Africaine, nos 8-9-10, 1956, p. 349.

[3] Claude McKay, « America », in Abraham Chapman, ed., Black Voices, New York, New American Library, p. 374. Toutes les traductions d'anglais en français ont été faites par nous.

[4] Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1971, p. 49.

[5] Paul Dunbar, « We wear a mask », in Black Voices, p. 355. 6. .

[6] René Depestre, « Les métamorphoses de la négritude en Amériques », Présence Africaine, no. 75, 3e trim. 1970, p. 22

[7] Richard Wright, Native Son, New York, Harper and Row, 1940, p. XXI.

[8] Raymond R. Patterson, 26 Ways of Looking at a Black Man, New York, Universal-Award House, 1969, p. 29.

[9] Passing, passer pour un Blanc. Consulter deux romans de feu Nella Larsen : Quicksand (1928), et Passing (1929).

[10] Nikki Giovanni, Black Feeling Black Talk, Detroit, Broadside Press 1970, p. 14.

[11] Noir, épithète révolutionnaire, à opposer à Nègre, homme de couleur.

[12] Nikki Giovanni, op. cit., pp. 11-12. Nègre, c'est le Noir fantoche, complice du Blanc; c'est le Noir qui s'accepte comme être inférieur. Au point extrême de telles attitudes peu engagées, on l'appelle nigger.

[13] Ibid., p. 18

[14] Nikki Giovanni, Black Judgement, Detroit, Broadside Press, 1968, p. 29.

[15] Eldorado, marque d'auto américaine dont le nom est symbolique; racine : le doré (espagnol); pays merveilleux, de rêve.

[16] Cité par Frederik Ivor Case, « Myths and Realities in the Black Cultures of Canada and the West Indies », in Vincent d'Oyley, ed., Black Students in Urba Canada Toronto, Ministry of Culture and Recreation, 1976, p. 158. La communication de Case est de prime importance en toute étude sérieuse de l'attitude et de l'évolution du Noir aux Antilles et au Canada.

[17] Léon-Gontran Damas, Pigments, Paris, Présence Africaine, 1962, p. 45.

[18] Jacques-Stéphen Alexis, « Du réalisme merveilleux des Haitiens », Présence Africaine, nos 8-9-10, 1956, p. 250.

[19] Césaire, Cahier.... p. 99.

[20] Béké, minorité antillaise faite de Blancs, descendants des anciens colons, grands propriétaires et détenteurs du véritable pouvoir économique.

[21] Ce film, montré à la télévision américaine début de 1977 a battu tous les records de l'industrie. On l'a télévisé au public nigérian en février 1979. Chose étonnante : c'est la banque Barclay, actuellement mal en cour auprès du gouvernement du pays à cause de ses relations économiques avec l'Afrique du Sud, qui a été garante du film.

[22] Bernard Dadié, Monsieur Thôgô-gnini, Paris, Présence Africaine, 1970. Pour une étude approfondie de cette pièce, consulter, Femi Ojo-Ade, «Le théâtre engagé de Bernard Dadié», L'Afrique Littéraire et Artistique, no. 31, avril 1974, pp. 67-75.

[23] Jour célébré annuellement aux Etats-Unis et au Canada. et qui fait venir à l'esprit d'autres célébrations, d'autres festivals chez un Nègre qui aime faire parade de sa solidarité avec les siens, et de sa Culture, par les discours, par la musique et la danse...

[24] René Depestre, « Jean Price-Mars et le mythe de l'Orphée noir, ou les mésaventures de la négriture », L'Homme et la Société, janvier-mars 1968, p. 177. Voir aussi, Femi Ojo-Ade, « Lectures poétiques et sociales de la négritude ou la mise en question d'une idéologie dite nègre », Contemporany French Civilization, Vol. II no. 1, Fall. 1977, pp. 41-57.

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