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"FILLETTE LALO" DE GERRY L'ETANG ET DOMINIQUE BATRAVILLE OU LA LITTERATURE AU SCALPEL

Raphaël Confiant
"FILLETTE LALO" DE GERRY L'ETANG ET DOMINIQUE BATRAVILLE OU LA LITTERATURE AU SCALPEL

Si la plupart des gens connaissent l'existence des "Tontons-Macoutes", cette milice créée par François DUVALIER et continuée par son fils Jean-Claude, si les premiers ont même donné naissance à un néologisme—le macoutisme—désignant toute forme de pouvoir dictatorial se servant de nervis, peu de gens en dehors d'Haïti savent qu'elles ont eu un pendant féminin.

Elles n'ont pas été surnommées les "Taties-Macoutes" à l'instar de leurs homologues masculins, mais les "Fillette-Lalo" du nom d'une ogresse de la mythologie haïtienne. Et celles-ci étaient aussi terribles que ces derniers! Même que leur cheftaine que l'Haïtien Dominique BATRAVILLE et le Martiniquais Gerry L'ETANG, appellent Dame Ernst LEONARD dans leur roman coup de poing, "Fillette Lalo", paru récemment chez HC-Editions, était une véritable furie. Avant d'examiner ce beau texte, il est bon de noter qu'en matière de fiction, il est rarissime que deux plumes  se conjoignent, chose courante pour les essais ou les ouvrages de Sciences humaines. En effet, la fiction mettant en jeu la sensibilité personnelle de chaque plume, on mesure les trésors d'ingéniosité auxquels les deux auteurs ont dû recourir pour parvenir à leurs fins.  Et le résultat est des plus réussis!

On notera aussi avec G. L'ETANG la pérennisation du tropisme des auteurs martiniquais eut égard à la première République noire du monde moderne: "La Tragédie du Roi Christophe" (1963) d'Aimé CESAIRE; "Monsieur Toussaint" d'Edouard GLISSANT (1959; "Dessalines ou la passion de l'indépendance" (1983) de Vincent PLACOLY; "Les Ténèbres extérieures" (2008) de Raphaël CONFIANT; etc. Tropisme lié à une véritable fascination pour un pays à la fois si proche et si différent. Et sans doute liée à l'incapacité du peuple martiniquais à se sortir des ornières de l'Histoire...

Mais revenons au livre de L'ETANG et BATRAVILLE dont nous avons dit au début de cet article qu'il était un texte-coup de poing. Ce n'est pas tout à fait exact. Les deux auteurs ont travaillé leur style au scalpel presque, cela avec de très courts chapitres dans lesquels aucun mot, aucune phrase, ne sont mis là pour faire du style. C'est que la tentation était grande de s'inspirer de la célèbre tradition latino-américaine du "roman de dictateur" et donc du réalisme magique tant les personnages de Dame LEONARD et du Président-à-Vie ainsi que de tous les acteurs de la scène macoutique sont à la fois ubuesques et fantasques. L'ETANG et BATRAVILLE ont eu raison de choisir l'inverse à savoir le scalpel car sous l'ère des DUVALIER père et fils, la réalité avait dépassé la fiction (l'affliction aussi bien évidemment). Pas besoin d'en rajouter! Il suffisait de trouver le ton juste et sobre pour la dire, chose que nos deux auteurs ont magnifiquement réussi.

Qu'on en juge:

"Les murs de la capitale s'ornaient de graffitis et d'irrévérencieuses affiches de Président-à-vie en folle à marier se suicidant d'une balle dans la tempe. La statue de l'amiral de la mer Océane était jetée à la mer, des peintres insoumis décoraient leurs toiles de pintades décapitées. Soixante-dix-sept mille ramiers traversaient les cieux noirs à rebours. Cheftaine de la milice, Dame Ernst LEONARD, avait désapparu!"

C'est que le roman s'ouvre sur la fuite de la tortionnaire en chef car le régime vient de s'effondrer sous les coups d'une populace déchaînée. On aura compris que si ce livre s'est détourné du réalisme magique, il n'en a pas pour autant suivi le chemin du roman occidental et de son habituelle linéarité. Il donne, en effet, l'impression de commencer par la...fin et c'est très bien ainsi car l'ordre macoute avait chamboulé l'ordre des choses, bousculé la plus élémentaire logique et instauré comme une autre rationalité. Tout l'art des deux auteurs consiste justement à nous donner à voir cette dernière de l'intérieur à travers, par exemple, la folie douce de la cheftaine des Fillettes Lalo, incongrument diplômée de La Sorbonne:

"Elle était réputée déclamer ces tirades [les locutions latines du Petit Larousse] à la fenêtre de la Mercedes six portes de Président, mettant la foule en liesse, surtout celle des écoles congréganistes qui faisaient longuement résonner les vivats."

Surnommée "Archange de l'Etat" par Président-à-vie, elle n'est pas qu'une lettrée. Cette fervente catholique (et donc tout autant vodouisante) a victorieusement combattu les "camoquins", ces rebelles communistes venus pour la plupart de l'île voisine de Cuba qui tentent de réitérer au pays de DESSALINES la geste de Fidel CASTRO.

Ce livre de moins de 80 pages possède une force de séduction redoutable il contraint presque le lecteur à relire ses courts et incisifs chapitres sans s'obliger à en suivre l'ordre dans lequel ils sont placés. Chacun des chapitres est un monde à lui tout seul, un condensé, chaque fois différent, d'une des facettes non seulement de la terrifiante Dame Ernst LEONARD dont l'une des habitudes favorites consistait à arracher les mamelons des prisonniers politiques, incarcérés au sinistre Fort Dimanche, s'ils refusaient de parler, mais aussi de tous les personnages qui jouent dans ce qu'on peut appeler, avec le recul du temps, une tragédie loufoque. Le lecteur martiniquais n'oubliera pas de noter que le père de Prédisent-à-vie était martiniquais et que l'une des figures majeures du règne de ce dernier fut un certain Gérard d'ANDALOUSIE, le fils d'un...Béké martiniquais et d'une Mulâtresse haïtienne. Le bougre fut l'un des plus ardents thuriféraires du...noirisme duvaliériste après avoir frayé avec... l'extrême-droite en France et rédigé nombre d'ouvrages marqués au coin de cette idéologie.

"FILLETTE LALO" est l'un de ces rares ouvrages qui hantent votre mémoire longtemps après qu'il a été refermé. N'est-ce pas là le miracle d'une littérature matinée d'histoire et d'anthropologie?

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