J'ai mordu la mangue sauvage et parfumée,
pulpe fibreuse sous une cuticule
d'or, moirée, craquelée, plis de chairs ambrées
qui ruisselaient de jus en fins canalicules
sur mes lèvres salées. J'ai senti le baiser,
sucré, gorgé de miel, de la mangue lascive,
les fructoses de feu sur mes dents embrasées,
et le suc délicieux d'une abeille captive.
Figues sucrées, poyos, lourde épaulette au stipe
du bananier penché, aux feuilles de tussac,
bonites des jardins qui fondez sous la lippe,
pâte douce au palais, festin des Arawaks.
J'ai égrené ta grappe de bananes plantains,
jaune inflorescence sur une fleur pensive,
de chairs de farine dans un gousset d'airain,
comme un essaim lassé de stégomyies passives.
J'ai vu Rome brûler sous le feu d'un piment,
une braise carmin d'un enfer inhumain,
des blaffs rougis au fer et les pires tourments
des papilles en sang des veneurs d'alevins,
lave de lapilis de la fée Carabosse,
sur le volcan actif des gorges antillaises,
des ravines de rhum aux culs-de-basse-fosse
où s'engeôle la cuisine martiniquaise.
J'ai gaulé, cocotier, tes gonades pansues,
calebasses mafflues sur ma tête inquiète,
pié-coco, j'ai châtré tes bourses suspendues,
des laitances sucrées pour un ti-punch de fête.
Gabriots, blanc-manger, tout est bon dans la noix,
confitures douces, lait parfumé des femmes,
qui gicle au coutelas sur le fer de la lame
et étanche la soif du charbonnier des bois.
J'ai trait le pis juteux d'un fruit de corossol,
d'un lait acide et frais, à même la mamelle,
coloquinte hérissée comme pomme-cannelle
d'écailles d'artichaut à douze pieds du sol.
Carambole astrale, tes tranches d'or étoilent,
la nuit d'une dorade au fond de mon assiette,
sous la pluie du citron, vertes larmes d'opale,
un vinaigre hyalin qui ronge les arêtes.
J'ai sucé la canne, sucrerie d'écolier,
mais je la préférais, cuisinée en gelée,
confiture de rhum dans un grand compotier,
car le sucre est meilleur doucement fermenté.
Le fruit de la passion si justement nommé,
la blonde passiflore ou le maracudja,
a éteint le brasier de ma soif enflammée
d'une pulpe fraîche comme un vin de bougnat.
La caïmite bleue, bonne pour le diabète
au suc doux et miellé, à la pulpe astringente,
bleuit au saladier les cédrats, les chadèques,
les mandarines et les rutacées saignantes,
les oranges cuivrées, la lime et les limons,
le grape-fruit joufflu ou fruit du paradis,
les bigarades amères, le Kumquat rond,
les pomelos anglais et les citrons-pays.
Goyave safranée à pulpe blanche ou rose,
je broie tes graines dures au moulin de mes dents,
sous un ruisseau sucré quand ton jus clair dépose
au blutoir de mes lèvres un doux baiser ardent.
Dans le jardin rêveur, balance doucement
le pendule d'une papaye solitaire,
à la chair orangée, ou tintinnabulant
clarinent en clochettes, les prunes de Cythère.
Ne cherchez pas sous terre la patate créole,
un crabe l'eût mangée ; non c'est le fruit à pain
dont les tubercules s'écrasent sur le sol
au nez des mygales comme un coup de gourdin.
J'ai tartiné de beurre une morue fâchée,
de crème d'avocat, onctueuse et sucrée.
Sûr, ananas, pommes, figues, fruits exotiques,
j'ai butiné tous les sucres de Martinique.
Je ne vous dirai pas que le fruit le plus fin,
picoré patiemment par plus d'un colibri,
restera à jamais le pampre de ses seins,
délicieux et mutins oiseaux de paradis.
Thierry CAILLE
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