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GENRE, NORMES, PSYCHANALYSE

Cliniques Méditerranéennes
GENRE, NORMES, PSYCHANALYSE

Le féminin et ses images.

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Approche clinique et psychopathologique,

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Paris, Armand Colin

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Méfiez-vous des livres des professeurs, comme est ce remarquable ouvrage du professeur Houari Maïdi, le Féminin et ses images, minutieux, très illustré, sans vaine promesse d’une nouvelle pépite théorique. Avec leur éthique pédagogique, pourtant loin des Écoles, ce sont ceux qu’on garde, car ce sont eux, en reprenant les sujets presque à leur berceau, qui deviennent des usuels.

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Rousseau a peut-être « inventé » le petit d’homme, (infans que Winnicott couronnera), Freud, dans un XIXe siècle hystérisant, « inventa » le féminin à travers sa symptomatologie. Sans la crudité de la psychanalyse qu’il lui reprochait, Emmanuel Levinas sut accorder une place encore autre au féminin.

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Freud reprend l’apophtegme de Napoléon : l’anatomie, c’est le destin. Ce sont le pénis et le vagin qui déterminent la psyché. Mais quoi d’un Uterusneid par exemple ? Un désir impossible ? Houari Maïdi, en s’appuyant sur les travaux de Robert Stoller, spinozise l’arrêt de Freud : « c’est le corps, le destin », et comme « nul ne sait pas ce que peut un corps » (Éthique III, 2, scolies), voilà un nouvel empan à la liberté humaine.

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L’histoire des hommes est connue, l’histoire magistrale des conquêtes. L’histoire des femmes est plus secrète, puisque l’écriture longtemps fut aux mains des hommes. Le livre de Houari Maïdi rappelle donc les postulats fondateurs.

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Freud : le stade phallique est commun aux deux sexes, le vagin et l’utérus « restent longtemps ignorés de la petite fille », le clitoris est « rabougri », et c’est seulement dans la conférence de 1933 sur la féminité que Freud ajoute : « Si, suivant l’assimilation conventionnelle de l’activité à la masculinité, nous voulons l’appeler masculine, nous ne devons pas oublier qu’elle représente aussi des aspirations aux buts passifs. » Audace d’une coda qui vient trouble le genre.

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Winnicott : le narcissisme primaire, pur, est le féminin pur qui est antérieur à la libido, arrimé à aucune pulsion. Il y a un féminin pur, avec un devoir commun aux filles et aux garçons de sortir de la passivité, difficile extraction qui n’est pas, comme le croit trop Freud, l’apanage des derniers. Le masculin est secondarité et bien des douleurs arrivent si l’assise féminine pure n’a pas été suffisante, enough,qui fait de la mère la « condition du dépassement de la déception, du manque, de la séparation, de la “capacité d’être seul” ». La place ne manque pas pour du malheur pour la fillette. Le garçon mieux loti aurait le choix entre une marque modérée de soudure ou une coupure avec l’objet ordinaire. Il reste, Houari Maïdi le souli­gne, que le roi garçon, aussi stabilisé qu’il soit par l’objet, doit régulièrement prouver sa Potenz. « C’est que le sexual est souvent transmis au lieu du sexuel », écrit l’auteur.

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Lacan resserrera la théorie du primat du phallus. L’homme est entièrement symbolisable, les femmes sont « non existantes », et un continent noir encrypte l’énigmatique.

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Houari Maïdi ne s’en laisse pas tout à fait conter et oppose à ce Lacan-là la figure résistante de Joyce McDougall qui, dans L’Éros aux mille visages, différencie le symbole de l’objet partiel. La petite fille et le petit garçon ont la même admiration pour les deux parents. Le phallus représente comme chez Picasso le pur principe de la fécondité, l’effort est le même chez les deux sexes : renoncer à la monosexualité, blessure narcissique, pour la complémentarité qui anime la vie. Les homosexuel(le)s doivent inventer ce chemin vers le duel.

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Cet humanisme-là nourrit les pages humanistes de Houari Maïdi.

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Il y a aussi à compter avec les manières dont le féminin s’est trouvé représenté, enrobé, imagé, éternisé et finalement coincé, qui fait le corps de l’ouvrage : des vignettes nombreuses, comme les loges d’un nouvel Inferno d’où Houari Maïdi essaie de libérer chaque femme encagée dans un algorithme. L’algorithme central est dévoilé dans La vie sexuelle : la femme n’est désirable pour l’homme névrosé que si elle est ravalée, fût-ce dans l’idéalisation d’une belle image à laquelle ne manque que le droit au sujet.

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La jeune homosexuelle Sidonie Czillag donne à Houari Maïdi l’occasion d’une étude : fille de bonne famille amourachée d’une « coquette », elle vit le ravalement que les filles subissent : préférence donnée par le père au fils, à l’héritage, beauté trop écrantante de la mère. Cette fille en devient un garçon et prend la mère pour son père. Houari Maïdi le rappelle, rien ne peut avoir plus d’effet sur un corps hystérisé qu’un « regard furieux qui ne présageait rien de bon ». Le regard du père croisé l’a fait sauter du parapet. Lacan reproche à Freud d’avoir manqué l’« énigmatique » de la femme, avec ce niederkommen, ce « mettre bas », qui est l’acting out d’un désir d’enfant avec le père.

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Houari Maïdi propose une troisième interprétation : la passion de la beauté. Rien ne doit être négligé de la rencontre première fondamentale d’un visage magnifié qui rend le ravalement impossible. Houari Maïdi a cette formule : « Le miroir de la mère belle, de son visage magnifié est le premier objet esthétique d’investissement. C’est une figure fondamentale de la beauté, qui s’inscrit dans une relation esthétique fondamentale comme premier objet de soins. »

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Houari Maïdi aime le sujet féminin, mais pas comme Dom Juan, qui les réduirait à un matériel générique, il les aime singulatim. Contre la horde des hommes passe-partout, l’engagement du professeur Houari Maïdi est celui de rappeler qu’il est aussi bête de se demander ce que veut une femme (le fameux Che vuoi ? lancé à Freud par Marie Bonaparte) que de se demander ce que veut un homme. « Il n’y a pas d’autre destin du vouloir que celui du désir. Le vouloir est un impossible à combler. L’homme et la femme sont logés à la même enseigne, celle de l’irrémédiable castration symbolique. »

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La parité est l’horizon que la psychanalyse fut une des branches de la pensée à permettre de viser. Ce livre y contribue avec autant de conviction que d’élégance.

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François Ardeven, psychanalyste,

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97 rue Saint-Denis, F-75001 Paris


André Meynard

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Des mains pour parler, des yeux pour entendre.

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La voix et les enfants Sourds.

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Toulouse, érès, 2016


Un enfant est sourd

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Avec son quatrième livre touchant à la question du Sourd (l’écriture S est cruciale) André Meynard convoque Freud dans un trait d’esprit et la logique du fantasme élaborée par le psychanalyste viennois « Un enfant est battu ». Il pose comme fantasmatique notre croyance en un « enfant sourd ». Il démonte en effet jusqu’à plus soif l’objet/voix telle une pulsion invocante. « L’oreille dans le creux des yeux », selon sa propre expression, ouvre à la question de l’entendement de l’œil, c’est-à-dire à une ouverture pulsionnelle. La voix est ici traitée comme un objet a cher à Lacan : il s’agit de repérer une nouvelle boucle main/œil.

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André Meynard déconstruit la fabrique d’une pseudo maladie du sourd à des fins mercantiles via une langue « experte » qu’il nomme novlangue scientiste à l’appui d’un George Orwell. Cette dite maladie se réduit à l’acronyme et ironique SPN (surdité permanente néonatale) via ce qu’il nomme une « niche écologique » animée des meilleurs sentiments d’un monde d’entendants qui fait de l’élément sonore un Idéal normatif. Quid de la lettre quand elle ne sonorise pas ? Le silence du Sourd dérange car il produit un déménagement pulsionnel. Il a une portée métaphorique de l’inconscient : on passe de l’œil qui regarde à l’oeil qui écoute.

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De l’intégration « milanaise » (référence à l’historique Congrès de Milan des 6-11 septembre 1880 adoptant les méthodes d’enseignement oral au détriment de la langue des signes) forgeant le concept glauque de « langue pure » (p. 72) aux implants cochléaires dernier cri de nos technostructures triomphantes, se déploie la logique d’un nouveau dis-cours du maître auréolé d’une trompeuse « démocratie verbale » que pointe Jean-Claude Milner dans son livre La politique des choses (Navarin, 2005).

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André Meynard évoque un « savoir expert » auquel nous serions en butte et lui oppose une rencontre profane qui est celle d’une langue, la LSF (la langue des signes voire lalangue des signes comme l’auteur l’écrit parfois en référence à la lalangue de Lacan) : langue indicible d’un sujet parlant que l’on fait taire .Un concept fabriqué de toutes pièces que l’auteur épingle dans sa lecture d’un « démenti culturellemnt institué » qui émergeait comme signifiant maître de son précédent ouvrage Soigner la surdité et faire taire les Sourds. Je le cite :« La question du démenti et de sa portée dans le culturel me paraît centrale en effet dans le maintien structural de cette croyance auquel nous assistons et qui gravite autour de cette fantasmatique omniprésente “un enfant est sourd”. »

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Il use d’un néologisme pour forger le concept de « nomméation » qu’il oppose à une nomination langagière. Un « traitement du réel par le seul imaginaire » écrit-il (p. 218), autrement dit il s’agirait de se départir d’un « nommer à maladie » qui obéit à une logique du profit de notre discours du capitaliste. « Le politiquement correct actuel utilise un mode de discursivité qui a l’apparence d’un certain humanisme pour mieux cacher les logiques strictement bureaucratiques et comptables qui l’animent » (p. 213). Cette « nomméation » on l’entendra est le concept-clé de sa démonstration rigoureuse : « Elle s’effectue dans le désaveu de la parole et de la valeur de symptôme qui tentent vainement de faire reconnaître l’étau de la souffrance et de la jouissance piégeant le sujet » (p. 214). Des « sujets pas tant en quête d’être soignés que d’être entendus » précise-t-il (p. 219).

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Aussi, son insistance à écrire Sourd – S majuscule – permet une interrogation qui est à la fois la lettre et l’esprit de son livre sur l’étiquette « sourd » . Une étiquette « abusive » par laquelle ces sujets sont nommés à « maladie du langage et de la parole » (p. 220). Il s’agit donc de rouvrir la dynamique du je(u) du désir et « ne pas, par avance, laisser la langue experte taire le sujet » (ibid.). Les effets d’un tel étiquetage qui force à l’apprentissage d’un « tout sonore » pour être dits guéris rencontre ses limites dans le « parlêtre » dont parle Lacan. Se mettre à l’écoute « fût-ce au travers d’une langue signée » constitue, nous dit l’auteur, « l’enjeu éthique majeur de l’invention freudienne dans ce domaine » (p. 228). Produire le sourd comme figure déficitaire du son, handicapé du langage et de la parole, valide toutes les techniques de traitement acoustique : le «  progrès » peut sauver le déficitaire prétendument « hors langage ».

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André Meynard va conclure en nous expliquant que la biologie tente de définir le corps vivant en évacuant les effets de langage qui l’habitent. L’invention de la SPN relève donc d’une imposture. Au-delà c’est révélateur d’une logique sanitaire qui tente d’abolir les différences et qui, pour le coup, parle avec précision d’une faille civilisatrice.

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Ce que nous enseigne le Sourd nous concerne tous.

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On frise l’obscène telle une voix « off ».

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Jean Fortunato, psychanalyste 

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9 rue Neuve Sainte Catherine 

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F-13007 Marseille 


Freud, Deuil et mélancolie,

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présenté et commenté par Olivier Douville,

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Paris, In Press, coll. « Freud à la lettre », 2016

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Les éditions In Press entreprennent la présentation et le retour aux textes fondamentaux de Freud dans la collection « Freud à la lettre » dirigée par Jacquy Chemouni et Hélène Francoual. Une présentation formelle très claire rend facile la lecture et le repérage dans le texte source dont la traduction d’Hélène Francoual est de grande qualité. Pour Deuil et mélancolie, Olivier Douville a été sollicité pour présenter et commenter ce texte important dont la lecture accompagne l’analyste dans sa pratique comme chaque texte est convoqué à le faire. Par les retours incessants et les lectures infinies, en prenant à chaque fois le clinicien autrement, en le saisissant à l’endroit où il en est dans sa pratique, le commentaire interroge à chaque fois nouvellement l’appréhension de la Chose freudienne. Chaque nouveau retour montre un aspect et éclaire ceux autrefois restés dans l’ombre d’avoir été négligés à la mesure de l’expérience de chacun.

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Un texte se lit comme une cure et les cures se lisent avec les textes ; d’un même geste se tisse la pensée de la psychanalyse. La discipline du commentaire est centrale pour l’analyste ainsi que le soulignait avec force Lacan : « C’est en quoi la méthode des commentaires se révèle féconde. Commenter un texte, c’est comme faire une analyse [1][1] J. Lacan, Le séminaire Livre I (1953-1954), Les écrits.... » Plus encore, l’exercice s’inscrit dans ce propos, également de Lacan : « S’il convient d’appliquer à cette sorte de texte toutes les ressources de notre exégèse, ce n’est pas seulement, vous en avez ici l’exemple, pour l’interroger sur ses rapports à celui qui en est l’auteur, mode de critique historique ou littéraire dont la valeur de “résistance” doit sauter aux yeux d’un psychanalyste formé, mais bien pour le faire répondre aux questions qu’il nous pose à nous, le traiter comme une parole véritable, nous devrions dire, si nous connaissions nos propres termes, dans sa valeur de transfert. Bien entendu, ceci suppose qu’on l’interprète. Y a-t-il, en effet, meilleure méthode critique que celle qui applique à la compréhension d’un message les principes mêmes de compréhension dont il se fait le véhicule ? C’est le mode le plus rationnel d’éprouver son authenticité [2][2] J. Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite.... » 

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Olivier Douville se fait partenaire du lecteur, un compagnonnage heureux et éclairant, lors duquel la pensée s’élargit de références, précises et clairement explicitées, au contexte historique et aux grandes hypothèses façonnées par les cliniciens avant, pendant et après Freud. Douville est un auteur important de la question mélancolique, ces textes précédents [3][3] Articles d’Olivier Douville : « Traversées de la mélancolie... apportaient de fortes thèses mettant en mouvement la compréhension de Freud et la clinique de sujets mélancolisés, que cette mélancolisation touche le psychotique, la création de l’artiste ou le lien social. D’être un fin clinicien de la mélancolie rend Douville habile lecteur de Freud, son savoir y faire avec l’énonciation mélancolique lui permet de tisser l’histoire des concepts à leurs enjeux dialectiques ; il peut ainsi mettre en évidence les thèses qui s’opposent comme celles qui se ressemblent, il s’autorise aussi à exposer les siennes pour ouvrir au lecteur une méditation patiente sur un enjeu décisif de la cure analytique : celle de la possibilité de la perte, la créativité de son élaboration, le gain de vérité du passage par la mélancolie et l’interrogation maintenue de ce que peut être le travail du deuil.

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L’habileté d’Olivier Douville à exposer et expliquer les concepts, les nouer précisément à des enjeux cliniques sans verser dans les facilités du bel exemple qui prouve la belle théorie, à tout à voir avec un travail universitaire au sens positif du terme. L’ouvrage se veut didactique et explicatif et, à être accueilli comme tel, on mesure que l’analyste ne perd rien à être un érudit et un intellectuel rigoureux lorsque ses qualités de chercheurs sont au service d’une énonciation d’analyste. Si la critique du discours universitaire importe pour prémunir la psychanalyse d’une mortification doctrinale et d’un recul devant le tranchant de sa pratique, il ne saurait se confondre avec le rejet d’une Université qui peut parfois, encore, laisser place au discours de la psychanalyse. Ne pas le mesurer confine plus à la passion de l’ignorance qu’à une pensée critique conséquente. Concluons en soulignant la richesse du dialogue entre la psychiatrie classique et la psychanalyse à l’heure de la bêtise du DSM et de l’ignorance de certains analystes d’une histoire, celle de la médecine et de la science, dont ils proviennent et qui, à suivre Lacan, a permis l’émergence même du sujet de la psychanalyse. C’est en situant à leur bon endroit les constructions théorico-cliniques des médecins que l’analyse se situe à sa juste place, qui n’est ni en face ni en dessous mais juste à côté, dans un écart maintenu qui permet le dialogue ; contre, tout contre, pour mieux prendre appui.

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Jérémie Salvadero, psychanalyste, docteur en psychopathologie clinique

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12 rue Caroline, F-75017 Paris 


Sous la direction de Mareike Wolf-Fédida

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Bilinguisme et maîtrise de la langue française

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Paris, Édition MJW Fédition, 2014

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Les éditions MJW Fédition, dont Mareike Wolf-Fédida dirige les collections, veillent à transmettre un savoir universitaire pointu, plurivoque, pluridisciplinaire, en le mettant à la disposition de tous sans hermétisme, et toujours en lien avec la clinique et la vie la plus actuelle. La chance est offerte ici à de jeunes chercheurs du monde entier, polylingues, réunis par Mareike Wolf-Fédida au sein du Centre de recherches en psychanalyse, médecine et société de l’université Paris 7, d’être publiés autour de la question de la langue française, de sa « maîtrise », concept que tout le livre discute, à un moment où la mondialisation et les nouvelles techniques mettent en contact d’autres façons pour le signifiant de cheminer.

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Ce livre, en neuf chapitres, écrits à neuf auteurs, continue le travail de Mareike Wolf-Fédida commencé dans Bilinguisme et psychopathologie (Paris, MJW Fédition, 2008). Elle est elle-même l’auteure du plus long chapitre, consacré à la maîtrise de la langue française, à ce mythe qu’est peut-être la maîtrise d’une langue. Ces textes évoquent la question du bilinguisme, l’impact qu’il a sur la psyché, la chance qu’il peut représenter pour le sujet ou au contraire l’insécurité qu’il entraîne parfois. Ce qui les unit est peut-être cette attention presque phénoménologique aux vrais faits de la langue, couplée avec un refus du tout-théorique. Tout le livre est traversé par le souci du care, par le souci du souci si on voulait peut-être inutilement traduire ce mot anglais autosuffisant. Un chapitre consacré à une expérience de réintégration par le plurilinguisme au Liban est accompagné d’une très émouvante photo d’un jeune homme trisomique veillant sur un autiste.

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La langue est en perpétuelle mutation, et parler une langue c’est aussi se laisser parler par elle. C’est peut-être un des traits français les plus rétrogrades que de vouloir l’enfermer dans la maîtrise et la réduire à une connaissance absolue et impossible de ses règles, la langue ainsi considérée devenant strictement une arme du tri social. La dictée de Mérimée, dite « dictée de Compiègne », où Napoléon III fit tant de fautes et Metternich juste trois, est par exemple avec beaucoup d’humour rappelée et commentée à la lumière du signifiant.

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Une des causes des guerres, fait remarquer Mareike Wolf-Fédida dans son introduction, vient souvent de la confusion des notions de pays et de nation, à charge pour la langue d’être la gardienne de l’« Identité ». Mais, s’interroge Mareike Wolf-Fédida, le langage courant ne serait-il pas toujours le fruit de la censure du désir, toujours un compromis, qu’il faut en somme toujours traduire ? Tout langage est dynamique car il traduit dans une langue l’histoire d’un désir.

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La France est dans ce paradoxe qu’elle est encore très monolingue, avec une école qui semble rétive à un vrai apprentissage vivant, « simple » et détendu, des autres langues, et que pourtant le français reste la langue de la diplomatie. Crispation étonnante que de conditionner absolument à la maîtrise de la langue la supposée bonne conduite du citoyen bien identifié comme français. C’est un paradoxe redoublé que la France soit aussi à l’origine de la francophonie et qu’il se parle un excellent français de l’Afrique orientale jusqu’aux Caraïbes par plus de locuteurs que de Français de souche, selon l’expression consacrée et qui n’a jamais signifié plus qu’un dogme racialiste.

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La notion de maîtrise est questionnée tout au long du livre. N’est-ce pas plutôt la langue qui nous tient et nous maîtrise ? Et cette pulsion de maîtrise que Freud relie à l’analité et à la névrose obsessionnelle n’est-elle pas d’abord une pulsion d’emprise ? N’est-ce pas même cette notion de maîtrise, à l’époque des ordinateurs, d’Internet et de l’utilisation en rhizome des moyens de communication, qui est frappée d’obsolescence ? Chacun a pu, un jour ou l’autre, s’étonner de la pertinence ou de l’insolence qu’imposent aux textes les correcteurs automatiques. Il ne s’agit nullement de confier la langue à la machine, mais plutôt de substituer au concept de maîtrise celui de compétence. Pour vivre dans le siècle il faudra « simplement » bien connaître et sa langue et d’autres langues nécessairement, et aussi la façon dont la numérisation, et les nouveaux véhicules des signifiants – qui ne sont jamais le mal en soi  proposent de nouveaux horizons au langage. Il est du reste fort remarquable qu’un des chapitres de ce livre cite Heidegger lui-même, le détournant de sa propre lecture territorialisée de l’Être par la langue. Le livre ouvre largement la question de l’immigration, celle des enfants maghrébins qui rencontrent des problèmes parfois insurmontables, victimes de la coupure trop radicale entre la langue maternelle et la langue de leur nouvelle « patrie ».

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Le siècle à venir sera polyglotte car il l’est déjà. Toutes les langues qui se parlent en France, sans oublier l’outre-mer, si leur mise en valeur et la richesse qu’elles sont était mieux organisée et pensée, donneraient au français, vieille langue diplomatique, des atouts majeurs pour continuer à cheminer dans sa très longue histoire et tenir la place qu’il a depuis longtemps dans la propagation de l’universel. Le fameux retour à Freud doit beaucoup au français, disait Pierre Fédida, et au besoin qu’il y eut de traduire Freud dans cette langue de « l’universel épistémologique ». Ce livre est aussi remarquable par la variété des objets qui y sont abordés. On apprend beaucoup depuis la psychanalyse sur les serments de Strasbourg ou les discours du général de Gaulle.

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Mareike Wolf-Fédida avec l’équipe de chercheurs talentueux et cosmopolites (mot discuté dans le livre) dont elle a su s’entourer fait une œuvre scientifique et politique, ce qu’on sait être aussi l’inconscient : être français, c’est toujours un peu le devenir, tout comme la langue est toujours en devenir, et il est assez vain de vouloir maîtriser la langue de « nos ancêtres les Gaulois » qui le sont si peu.

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François Ardeven, psychanalyste

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97 rue Saint-Denis, F-75001 Paris


Notes

[1]

J. Lacan, Le séminaire Livre I (1953-1954), Les écrits techniques de Freud, Paris, Le Seuil, 1975, p. 87.

[2]

J. Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la «Verneinung» de Freud », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 381.

[3]

Articles d’Olivier Douville : « Traversées de la mélancolie ou la sublimation brisée », dans C. Masson (sous la direction de), Psychisme et création, Paris, L’esprit du temps, coll. « Perspectives psychanalytiques », 2004, p. 167-208 ; « De la Lettre et de l’organe dans le délire dit mélancolique », Psychologie clinique, n° 24, 2008 ; « Corps et écriture dans la clinique », Psychologie clinique, n° 25, (sous sa direction, avec C. Hoffmann), 2008, p. 29-50 ; « Du corporel et de l’incorporel dans la psychose mélancolique », dans P.H. Keller (sous la direction de), Le corporel, Paris, Dunod, coll. « Inconscient et culture », 2010, p. 145-195, 2010.

 


Titres recensés

  1. Houari Maïdi
  2. André Meynard
    1. Un enfant est sourd
  3. Freud, Deuil et mélancolie,
  4. Sous la direction de Mareike Wolf-Fédida

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