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GREEN PARROT : LES JUGES MARTINIQUAIS N’ONT PAS VOULU SE FAIRE « DEPLUMER »

Yves-Léopold MONTHIEUX
GREEN PARROT : LES JUGES MARTINIQUAIS N’ONT PAS VOULU SE FAIRE « DEPLUMER »

Ainsi donc, l’affaire du Green Parrot a été dépaysée à la demande du procureur général de la Martinique. N’est-ce pas un succès des partisans d’AMJ et de ses défenseurs ? En effet, la défense ne s’était pas privée de fournir les arguments qui auraient pu manquer à la Cour de Cassation pour prendre cette décision. Pour preuve la plainte déposée contre le procureur de la République, « Maitre Corbeaux », ainsi moqué par le chef de file des avocats. On aurait pu s’attendre à une avalanche de réactions sur les réseaux sociaux et dans la presse, les uns favorables, les autres hostiles, comme celles qui ont fusé au lendemain de phénomènes récents. Tout le monde est prudent car aucun parti politique ne se croit en situation de pouvoir tirer profit d’une éventuelle inéligibilité du président de l’exécutif de la CTM.

Aussi, le refus proclamé du dépaysement par ceux qui l’ont provoqué ne laisse pas d’étonner. Il pourrait signifier que la manifestation organisée autour du Palais de justice n’était que de la gesticulation, un joyeux happening autour d’un symbole du pouvoir régalien. On chahute volontiers les juges, mais on aime bien, finalement, sa justice « coloniale » qui est très commode pour servir d’exutoire et se donner des sentiments révolutionnaires dont on a rêvé en vain pendant plus d’un demi-siècle. A moins qu’on eût espéré une confrontation physique en vue d’obtenir le scalp des magistrats. Comment regretter la mise hors jeu des magistrats martiniquais, en particulier le procureur de la République, qui ont été pourtant brocardés aux cris de « justice coloniale » et de « I Cayé ! » ? On n’ose croire qu’on s’apprêtait à vivre un moment historique avec  la mise à feu du Palais de justice. C’est pourquoi on a du mal à croire au masochisme des prévenus et de leurs défenseurs lorsqu’ils disent vouloir être jugés par ceux qu’ils ont promis de déplumer.

Le dépaysement des affaires, on connaît.  C’est une procédure qui avait permis d’acquitter les 16 de Basse-Pointe et les assassins présumés de Théolien Jalta et permis à Just Marny d’échapper à la peine de mort. Bien entendu, la nature des faits n’est pas comparable, ni la personnalité des prévenus, mais comme les autres, l’affaire est « déportée » en terre métropolitaine. Il est exact que les magistrats ne sont pas des héros et ne peuvent pas rester insensibles aux pressions venant de la bouche des défenseurs, eux-mêmes, même si on leur dit qu’à la Martinique « Pawol en bouch pa chaj », ce qui n’est pas un vain dicton. En réalité, personne ne s’étonne sérieusement du dépaysement de cette affaire, procédure que l’on confond à tort avec la saisine d’une juridiction d’appel. En effet, tous les jugements d’appel d’une décision administrative ont lieu en métropole (Conseil d’Etat ou Cour administrative de Bordeaux), mais ce n’est pas du dépaysement. A cet égard, disons, par expérience, que des juges martiniquais comptent parfois sur les juridictions d’appel métropolitaines pour « rectifier » des  décisions qu’elles ont prises sous la pression, notamment les jugements concernant les élections. Et même lorsqu’elles sont prononcées, les nouveaux jugements ne sont pas toujours appliqués (le drapeau de Malsa sur  la mairie de Ste Anne). Par ailleurs, il est très rare que des plaideurs qui ont pu rameuter les foules ou bloquer l’autoroute n’obtiennent pas satisfaction en justice.

Qui aurait intérêt à la chute d’AMJ, entend-on parfois ? Personne, dit-on, ici et là. Seule certitude, la condamnation d’AMJ à l’inéligibilité serait dommageable pour la Martinique. Pas tant pour le sort personnel du président qui, s’il a commis une faute doit la payer, que pour l’impasse institutionnelle que pourrait entraîner une telle décision, en cas d’inéligibilité de l’intéressé. Car la nouvelle collectivité ne paraît pas en mesure de survivre aux conséquences politiques qu’il en résulterait. D’aucuns pourraient y voir une aubaine, et je pense à un ami, qui souhaiterait qu’on en revienne à la situation antérieure, c’est-à-dire à  la double collectivité.

Mais plus vraisemblablement, inévitable, l’échafaudage juridique de l’institution devrait alors être remis en cause plus vite que prévu, et dans la précipitation, toujours dans le cadre du maintien de la collectivité unique. Comment concevoir, en effet, que la CTM puisse survivre à une invalidation de son président, dont le départ pourrait entraîner ipso facto la disparition des 8 autres membres du conseil exécutif ? J’observe que ce cas de figure n’a jamais été soumis aux juristes, lesquels se gardent bien de s’en saisir, eux-mêmes, comme si la préoccupation était secondaire. Le gouvernement qui, pour la mise en place de la CTM, avait été peu regardant tant sur les « arguties juridiques » que sur les contradictions du statut, peut-il souhaiter d’avoir à gérer l’éventuelle décapitation, en pleine campagne électorale, de l’œuvre collective de l’Etat, des élus et des juristes locaux ainsi que de toutes les juridictions supérieures ? C’est difficile à croire.

On susurre néanmoins, dans son camp politique, que l’arrêt de la Cour de Cassation aurait pour objectif de condamner AMJ, loin de ses bases. Mais on n’en est plus au bazooka médiatique : un recours à la Cour européenne de justice, juste pour faire bonne mesure. Peut-être a-t-on en mémoire que toutes les affaires délicates dépaysées en métropole ont eu pour conséquence des décisions d’apaisement. Par ailleurs, connaissant les lenteurs de la justice, on peut imaginer que le Tribunal de Paris, qui n’attendait pas ce dossier sulfureux, prenne le temps de l’étudier et de reporter le jugement et les sanctions éventuelles, à une date où les effets politiques seraient moindres. C’est-à-dire après les élections présidentielles et législatives. Les institutions de la Martinique autant que les prévenus, eux-mêmes, ont peut-être intérêt au dépaysement de l’affaire.

Faut-il ajouter la répugnance grandissante des institutions nationales pour la stricte application du droit en outre-mer dans des affaires où l’accusation de colonialisme risque, à tort ou à raison, de leur revenir en boomerang. Dans une affaire mettant en cause un député martiniquais, les membres du conseil de discipline de l’assemblée nationale avaient soigneusement évité d’atteindre le quorum. Là aussi, ces parlementaires avaient décidé de ne pas juger ce député martiniquais. Etait-il à leurs yeux jugés inapte à se voir appliquer la loi. Personne n’en a été offusqué, mais ce n’est pas un geste de valorisation des élus de l’outre-mer. Bref, on ne sort pas toujours grandi de se voir innocenter en métropole.

Yves-Léopold Monthieux, le 8 septembre 2016

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