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Gwadloup-Matinik : combats pour la langue créole et la Créolité (1è partie)

Gwadloup-Matinik : combats pour la langue créole et la Créolité (1è partie)

        Hector POULLET (Guadeloupe) et Raphaël CONFIANT (Martinique) sont connus pour les efforts qu'ils déploient depuis plus de trois décennies pour faire de la langue créole une langue littéraire, publiant régulièrement recueils de fables et de poèmes, nouvelles, romans, dictionnaires, articles dans la presse-papier et sur le Net etc. Le moment leur semble venu de jeter un regard rétrospectif sur leurs actions afin d'éclairer les nouvelles générations de créolistes...

 

***

 

MONTRAY : Vous êtes deux acteurs importants du combat pour la revalorisation de la langue créole dans nos deux pays__la Guadeloupe et la Martinique__, cela depuis plusieurs décennies. Vous avez accepté un dialogue croisé sur vos expériences respectives qui sera publié en plusieurs parties lesquelles seront rassemblées dans un ouvrage dans un avenir plus ou moins proche. Nous commencerons donc par le commencement : comment vous est venu le goût de cette langue que la plupart des gens méprisaient lorsque vous étiez enfants ?

 

H. POULLET :..C'est très bizarre, j'ai entendu des milliers de fois parler de toutes sortes de brimades qu'on faisait aux enfants qui parlaient créole à l'école, mes deux parents étaient instituteurs, de ces instituteurs de la promotion 1936, promotion Jules FERRY, ceux qui lisaient le journal des instituteurs "l'école libératrice", ceux qu'on appelait les hussards de la république, qui se disaient eux-mêmes non pas "instituteurs" mais "éducateurs du peuple", mon père était directeur, ma mère tenait le cours préparatoire à Anse-Bertrand, Sainte-Rose, Vieux-Habitants, L'Etang-Noir de Marie-Galante, et j'en passe, j'ai donc trainé dans toutes les écoles primaires de Guadeloupe et pendant toute mon enfance je n'ai jamais vu ni planchette, ni quoi que ce soit qui punisse un enfant qui parlait créole. Etrange ! Je ne me souviens pas qu'il y avait ni à l'école ni à la maison une quelconque interdiction de parler créole, encore moins de mépris pour une autre langue que le francais. Sans doute que j'étais tellement immergé dans la langue dominante que je ne me rendais pas compte qu'il existait une autre langue, une langue dominée que j'ai dû apprendre par osmose avec les bonnes, les petits copains, les cousins, la mabo, les pêcheurs, les chasseurs, les marchands de charbon et tous ceux qui passaient chez les fonctionnaires pour vendre quelque chose. C'est bien plus tard, en France alors que j'étais étudiant et que j'avais plus de 20 ans que je me suis rendu compte que je comprenais et parlais aussi créole. Il s'est agit sans doute d'une prise de conscience identitaire, une crise d'une identité différente de celle des Français de France car j'ai aussitôt eu le désir d'écrire de courts textes dans cette langue. Évidement je ne pouvais, à cette époque, imaginer une écriture avec une graphie autre que celle qu'on a appelée étymologisante. Nous sommes en1959. 

 

R. CONFIANT : Il m'est assez difficile de répondre à cette question car ma famille maternelle est originaire du Lorrain, sur la côte Nord-Atlantique de la Martinique, et était plutôt créolophone tout en sachant parler le français alors que du côté paternel, on était de Fort-de-France, plutôt francophone tout en sachant parler le créole. Ce que je peux dire c'est que mes deux parents (mère institutrice et père prof de maths) ne m'ont, ne nous ont, nous leurs enfants, jamais interdit de parler créole. Jamais !...Contrairement à Hector, je suis né après la deuxième mondiale et je n'ai pas connu le temps de l'Amiral Robert qu'en Guadeloupe, on appelle le Temps du Gouverneur Sorin. Man té sav sé té an lépok ki té red toubannman pis paran-mwen toujou té ka di mwen, "ou pa lé manjé tel bagay, enben kité Tan Wobè déviré, ou ké konnet konba'w !". Ceci pour dire deux choses : je n'ai jamais entendu mes parents, pourtant enseignants, parler français entre eux ; à nous les enfants, ils ne s'adressaient qu'en français, sauf comme dans le cas que je viens d'évoquer, ils nous adressaient un reproche ou une admonestation. Ceci fait que l'on peut considérer, à mon sens, que la génération qui est née dans les années 50-60 du XXe siècle, la mienne donc, fut la première génération réellement francophone. Mes parents étaient de parfaits francophones, mais le français n'était pas du tout leur langue maternelle...Sinon, je n'ai éprouvé dans mon enfance, puis mon adolescence ni rejet ni amour particulier pour le créole. Je ne le trouvais ni beau ni laid. Il était simplement partout, tout le temps, autour de moi, même si je ne le parlais qu'avec mes petits compères de l'école primaire de Morne Carabin, au Lorrain. Plus tard, au lycée Schoelcher, à Fort-de-France, et jusqu'au baccalauréat, je n'ai toujours ressenti aucune attraction particulière pour le créole ni non plus le moindre dédain. Je naviguais entre français et créole selon mon interlocuteur. Sans me poser de questions...

 

MONTRAY KREYOL : Arrêtons-nous sur la question de l'école dont on dit qu'elle a été le premier outil de dénigrement et de destruction du créole, qu'en a-t-il été à votre niveau ?

 

H. POULLET : Je viens de répondre à cette question. Je ne pense pas avoir raison contre des milliers de personnes qui affirment avoir subi le mépris et le dénigrement à l'école pour leur parler créole, je crois simplement que bien que mes parents étaient des gens très proches de la population, bien que mes oncles, tantes, cousins et cousines  parlaient créole, j'ai dû avoir une enfance protégée du substrat sur lequel j'ai grandi sans m'en rendre compte, tout en m'en imprégnant. En revanche je me rappelle toutes les chansons de décervelage qu'on nous apprenait à l'école depuis " La France est belle ses destins sont bénis, vivons pour elle, vivons vivons unis !" jusqu'à "Petit soldat français, tu n'oublieras jamais la Marseillaise, c'est le chant de liberté que la France à jeté dans la fournaise ! " en passant par " Jeanne la Lorraine ses petits pieds dans ses sabots,enfant de la plaine filait en gardant son troupeau !", sans oublier "Maréchal, nous voilà ! Tu nous a redonné l'espérance, la Patrie, renaitra, Maréchal, Maréchal nous voilà !"ou encore "France tu brisas nos entraves d'un joug cruel si longtemps redouté, pour donner au pauvres esclaves les droits de l'homme avec la liberté !" et j'en connais comme cela des dizaines dont les paroles sont encore gravées dans ma mémoire. Si je ne me rappelle pas de brimade à l'école à propos du créole, c'est qu'Il ne s'agit donc pas d'une question de mémoire mais bien d'un effacement inconscient. Ce qui est sûr, en ce qui me concerne, ce n'est pas à l'école qu'on m'a appris à dénigrer le créole.

 

R. CONFIANT : J'ai eu la chance de vivre à une époque où l'école maternelle n'existait pas ou en tout cas n'était pas obligatoire. Je ne suis donc allé à l'école pour la première fois qu'à l'âge de 6 ans, ce qui fait que j'ai eu tout le temps d'aller "driver" avec les garnements de mon âge, à fabriquer des "arbalètes" pour aller à la chasse, à pêcher des écrevisses à la rivière, à dévaster tous les manguiers, mandariniers et pruniers que nous rencontrions sur notre passage...Lè man ka fè tan chonjé tan-tala, man ka wè ki sé té pli bel lépok nan lavi-mwen. Sé paran-an pa té pè kon jòdi-a kité yich-yo pati drivé ek nou té ka chapé dépi lé bomaten pou rivé lè labadijou té kasé kivédi avan lannuit té atè... Est-ce qu'à l'école au Lorrain, au Vert-Pré, au Lamentin et à Fort-de-France, écoles que j'ai fréquentées au gré des différentes affectations de mes parents enseignants, on nous a jamais interdit de parler créole ? Non ! C'est curieux, mais je n'ai aucun souvenir d'un maître ou d'une maîtresse mettant un élève au coin ou le frappant (on en avait le droit à l'époque) parce qu'il avait parlé créole. Ah oui, peut-être une fois, une seule, toujours à l'école primaire du Morne Carabin. Vous savez, les élèves qui ne savaient pas parler français se taisaient en classe, c'est tout. Ils s'enfermaient dans un mutisme total qui ne se brisait qu'à la récréation et à la fin des classes. Donc, plus que d'interdire à l'élève de parler créole, l'école française lui intimait l'ordre de se fermer la bouche. Lékol-la té ka blijé'y koud bouch-li !...

 

MONTRAY KREYOL : est-ce que dans votre enfance ou votre adolescence, vous considériez le créole comme une langue ou alors comme un patois ?

 

H. POULLET : J'ai ignoré l'existence de ce problème pendant toute mon enfance et jusqu'à mon adolescence. Je ne me rappelle pas qu'on ait pu méprisé quelqu'un parce qu’il parlait créole ou parlait mal le français. Même "les coups de roche" n'ont jamais été, autour de moi, l'objet de quolibets. On pouvait entendre "Fransé a Pyè pa ka monté mòn" mais cela n'empêchait pas le respect pour Pyè. Mieux,  je ne me rappelle pas que quiconque faisait un quelconque effort ,en ce temps là, pour essayer de parler un Français de France. Il est vrai que le temps dont je parle est celui de la Colonie, avant les décrets d'assimilation de 1946, avant la départementalisation qui allait faire de nous des assimilés, que les gens, sans doute créolophone vont traduire par "asi milé" parce qu'avant "nou té asi boukèt"  et "dèmen pétèt nou ké asi chouval !". 

 

R. CONFIANT : Autour de moi, dans les années 1950-60, tout le monde considérait que le créole était un patois. C'est le mot qu'utilisaient les gens de quelque condition sociale qu'ils fussent. Mais ce mot avait-il dans leur bouche la charge de mépris qu'on lui confère habituellement ? Je n'en suis pas persuadé. Car à côté de cela, j'entendais aussi "ti kréyol-nou an", "zépon natirel nou" etc. C'était donc quelque chose d'ambivalent. Les concours de la chanson créole, par exemple, étaient très prisés en période de carnaval et le créole était même une sorte de marqueur identitaire. Lors des événements de décembre 59, lorsque les manifestants arrêtaient les automobilistes blancs sur la route de Sainte-Thérèse, s'ils parlaient créole et étaient donc Békés, on les laissaient passer alors que les "Bétjé-Fwans" selon l'expression de l'époque, nos "Métros" d'aujourd'hui, pouvaient passer un sale quart d'heure. Le fait que tout le monde parlait ou savait parler créole, du riche Béké au plus pauvre des coupeurs de canne nègre ou indien, en passant par les Mulâtres, Chinois, Syriens etc..., empêchait de le considérer comme la seule langue des prolétaires...En fait, dans la tête de la plupart des gens, à cette époque, nous avions deux patries : une grande, la France, et une petite, la Martinique. Et aussi deux langues : une grande, le français, et une petite, le créole. Man pa sèten moun té ka tiré méprizasion ba kréyol oben té hay li kon nou ka kwè. Sa vré ki manman pa té djè lé ki yich-yo palé kréyol, mé sé davwè lékol-la té an fwansé ek ki pou érisi lékol, fok ou té sa menyen fwansé-a an manniè ki obidjoul...

 

MONTRAY : A quel moment commencez-vous à vous intéresser vraiment au créole ? D'où vous est venu le désir de l'écrire ?

 

H. POULLET  :.C'est donc plus tard, en France, à Paris, que je commencerai à vouloir écrire en créole, pour le bulletin "le Flambeau" de l'Association Générale des Travailleurs Antillais et Guyanais (AGTAG). C'est dans ces feuillets ronéotés que je publierai "Twa, twa toupatou". Comme à l'époque je pensais que nulle n'avait droit à s'approprier quoi que ce soit de la langue du peuple, je ne signais pas ce que je produisais. Or en ce temps là seul Sony RUPAIRE se permettait d'écrire en créole. Alors des étudiants ont pensé qu'il s'agissait de Sony. ils ont récité ce texte dans toutes les communes de Guadeloupe sous le nom de leur héros, ce qui m'a mis dans l'obligation de produire "Pawòl an bouch" premier recueil de textes portant mon nom et cela à la demande de l'éditeur Emile DESORMEAUX.

 

R. CONFIANT : A l'âge de 18 ans, quand je suis parti faire des études de Sciences politiques et d'anglais à l'Université d'Aix-en-Provence. Le livre de MISTRAL, "Mireille", écrit en provençal, variété d'occitan parlée dans la région, m'était tombé ente les mains par pur hasard alors que je me promenais sur les quais de la Seine. Je l'avais acheté chez un bouquiniste. Je venais de rater le concours d'entrée à Sciences Po Paris pour une raison idiote : j'étais arrivé très en retard lors des épreuves du deuxième jour et évidemment, je n'avais pas été autorisé à composer. A l'époque, il n'y avait que cinq ou six Institut d'Etudes Politiques en France et tous les bacheliers tentaient Sciences Po Paris avant de se rabattre sur ceux de province en cas d'échec. J'ai donc cherché sur une carte lequel de ces instituts se trouvait dans la ville la plus ensoleillée et évidemment, je suis tombé sur Aix-en-Provence. Avant donc de m'y rendre, j'ai acheté plein de livres sur cette région et c'est là que j'ai découvert le livre de MISTRAL dont j'appris qu'il avait obtenu le Prix Nobel de littérature au début du XXe siècle. Mon exemplaire était bilingue "provençal/français" et je trouvais le provençal que j'essayais de déchiffrer, tout à fait magnifique. A l'époque, il n'y avait pas de TGV entre Paris et Marseille, mais un train qui mettait 8h de temps et j'ai pu donc lire et relire l'ouvrage. Arrivé à Aix, qui est à une trentaine de kilomètres de Marseille, j'ai tendu l'oreille pour entendre cette belle langue qui m'avait accompagnée durant mon voyage, or stupéfaction ! RIEN. Pas un mot de provençal. Ni dans les rues d'Aix ni dans les campagnes environnantes comme j'ai pu le constater dans les semaines et les mois qui suivirent. Pire : à la Fac des Lettres, où je m'étais aussi inscrit en anglais, les études occitanes disposaient d'un minuscule local et les deux profs qui enseignaient cette langue faisaient figure de parias. Ils faisaient d'ailleurs profil bas, comme si on leur faisait la faveur d'être là. On était dans les années 70 du siècle dernier. Cela m'avait profondément choqué et comme entre étudiants antillais, nous ne parlions évidemment que le créole, notre idiome "tribal" en quelque sorte dans un milieu relativement hostile, voire parfois raciste, j'en suis venu peu à peu à me dire que je ferais tout pour que mon créole ne subisse pas le même sort que le provençal.

 

MONTRAY KREYOL : Vos premiers écrits en créole, vos premières tentatives d'écriture datent précisément de quand ?

 

H. POULLET : Après "Pawòl an bouch / Paroles en l'air" je ne me suis pas cru poète pour autant, j'ai voulu enrichir mon vocabulaire créole. J'ai commencé à noter sur des carnets des mots créoles que je ne connaissais pas, puis à faire des fiches, jusqu'à ce que Danièle MONTBRAND me suggère d'envisager d'en faire un dictionnaire. J'ai rencontré Sylviane TELCHID et je me suis  trouvé embarqué jusqu'à ce jour dans l'aventure de la lexicographie du créole de la Guadeloupe.Je reviendrai plus tard sur cet épisode avec plus de détails, car la publication du premier dictionnaire créole de Guadeloupe sera une aventure avec de nombreux rebondissements.

R. CONFIANT : J'ai oublié de dire que dès le collège et plus tard au lycée, j'avais un petit carnet sur lequel je notais les mots ou les expressions créoles qui soit sonnaient bizarrement comme "wou tou" (toi aussi) soit des mots que j'entendais pour la première fois comme "chapo-dlo" (nénuphar) ou "madigwàn" (femme de mauvaise vie). Je n'avais à l'époque aucune intention d'en faire quoi que ce soit. C'était un passe-temps épisodique. Cela me distrayait, c'est tout...Arrivé à Aix-en-Provence, j'ai eu la chance de rencontrer un homme génial, Guy HAZAEL-MASSIEUX, un Guadeloupéen qui enseignait la linguistique et qui dispensait les tous premiers cours d'une toute nouvelle discipline, la créolistique", toute nouvelle en France, je veux dire, car en Allemagne, en Angleterre, au Canada et aux Etats-Unis, la chose avait déjà commencé à prendre son essor. C'est grâce à lui que je me suis défait de l'opposition manichéenne de la "tête bien faite" et de la "tête bien pleine" avec laquelle on nous bassinait au lycée, mettant la première sur un piédestal. G. HAZAEL-MASSIEUX était non seulement un homme d'une intelligence rare, mais aussi un véritable érudit. Il était agrégé d'espagnol, helléniste, latiniste et connaissait certaines langues africaines puisqu'il avait enseigné au Bénin, qu'on appelait encore Dahomey, et au Congo-Brazzaville. Il avait surtout une grande connaissance des langues d'oïl : normand, poitevin, picard etc...Mon intérêt pour le provençal l'amusait. Pour lui, cette langue était morte et définitivement morte, tous les efforts visant à la ressusciter relevant du folklore. Par contre, c'est lui qui a soutenu mes premières tentatives d'écriture en créole. J'en parlerai plus longuement au cours de nos entretiens.

                                                  (à suivre)

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