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HAÏTI : CES ZOMBIS QUI ONT REGAGNE LEURS FAMILLES

HAÏTI : CES ZOMBIS QUI ONT REGAGNE LEURS FAMILLES

Eunide Lazare, 34 ans, atteinte d’une grave maladie, a été déclarée morte et inhumée au cimetière de Turgeau en avril 2008.  Quatre mois plus tard, elle a été retrouvée au marché de Pétion-Ville le visage complètement abattu, le corps maculé de blessures et quasiment muette, rapporte Le Nouvelliste du 16 septembre 2008 (1). La jeune femme n’était pas en mesure de raconter ses déboires au moment des retrouvailles. Contrairement à Michelet Dieu qui a été décédé le 10 juin 2009 et enterré le lendemain à la suite des funérailles chantées en l’église de Dieu de Solon. Le 10 novembre 2014, à la surprise générale, il est retourné chez lui. Dans la petite localité de Solon à Saint-Louis du Sud où il résidait, il a été l’objet d’une grande curiosité. Des personnalités connaissant bien Solon m’avaient confirmé la nouvelle.

Mieux entretenu qu’Eunide Lazare, Michelet Dieu a pu répondre aux questions du journaliste Jean Kechnord Edmond le jeudi 13 novembre 2014. Il raconte : « J’étais conscient la nuit de ma veillée funèbre tenue le 10 juin 2009 et j’ai entendu toutes les chansons interprétées par l’assistance ». Il indique avoir été exhumé et conduit à Fond-des-Nègres par un certain Jocelyn Charles non identifié (2).«Il ne m’avait pas battu mais m’a ligoté les bras après m’avoir forcé à boire un Seven up. Ensuite, on a pris une camionnette », révèle-t-il, précisant qu’il a été placé dans un centre commercial à Fond-des-Nègres où il travaillait. Il poursuit : « Après avoir travaillé à Fond-des-Nègres, j’ai été conduit à Marseillan où j’ai également travaillé pendant un bon bout de temps.»

Michelet Dieu est convaincu que s’il retourne à Fond-des-Nègres, il pourra montrer la maison où il a travaillé pendant des années. Le propriétaire du centre commercial où il a été retenu en esclavage n’étant plus dans la zone, il a pu rejoindre ses parents. Dans ce centre-là, il était surveillé par un certain Bruno qui le transportait en camionnette à Marseillan en plein jour, selon son témoignage.

Valério Saint-Louis, journaliste de Télé Image, très connu à New York, retrace l’histoire d’Adelin Séide (3), ce jeune compatriote de 30 ans du département du Nord-Est, père de deux enfants, qui a été déclaré mort le 2 mai 2010. Ses funérailles ont été chantées le 7 mai 2010 en l’église catholique de sa zone de résidence. Le soir venu, quand on a été récupérer le zonbi, son père, Janthène Séide, muni d’une gigantesque bouteille aux allures effrayantes, a alors intercepté les malfaiteurs et recouvré son fils. L’histoire est racontée avec un luxe de détails par le père de la victime, plutôt fier de son exploit.

La Police nationale d’Haïti (PNH), à travers le commissaire Fritz Saint-Fort, avait prêté main-forte à M. Janthène Séide. Son fils, une fois rattrapé des mains des malfrats, a été transporté chez le prêtre de l’église qui avait célébré ses funérailles pour « lui passer les cordons », comme le veut la tradition. Adelin Séide, au moment du reportage de Télé Image disponible sur YouTube (3), se trouvait en République dominicaine où il recevait les soins sanitaires que nécessitait son cas puisque sa mésaventure, pour le moins rocambolesque, avait laissé des traces néfastes sur sa santé. Sans des soins médicaux intenses, confirmait son père, il serait de nouveau mort. Et cette fois-ci, pour de vrai. Selon les dernières nouvelles, Adelin a retrouvé toutes ses facultés cognitives et est devenu prédicateur d'évangile.

L’agronome Jean Erich René raconte le cas de Ciliane, cette femme décédée en 2005 et qui est revenue chez ses parents le vendredi 11 juillet 2008 à Bande du Nord, section communale de la commune de Cap-Haïtien. Selon l’agronome René, « elle a pu rejoindre sa famille à Fort-Bourgeois, à la suite du décès du houngan bien connu à Port-Margot sous le sobriquet de Ti Bòs qui l'avait gardée en captivité pour profiter de sa force de travail avec beaucoup d’autres esclaves clandestins libérés par les fils de Ti Bòs ».

Dans de nombreuses zones en Haïti, on a vécu des scènes similaires. D’où la nécessité de poursuivre la réflexion scientifique et légale sur le sujet. Les autorités, les vodouisants et les chercheurs disposent donc d’un échantillon assez représentatif pour faire la lumière sur le phénomène de zombification et ses méfaits sur la société haïtienne. Le docteur Lamarque Douyon avait réalisé des études scientifiques intéressantes, particulièrement sur les cas de Clairvius Narcisse, Natagette Joseph et Francine Iléus. Le Dr Frantz Bernadin a publié des articles de presse sur le sujet (4).

Roland Littlewood du département d’anthropologie et de psychiatrie de la « University College » de Londres et  Chavannes Douyon de la polyclinique Medica de Port-au-Prince ont publié dans la revue scientifique médicale britannique The Lancet un article intitulé « Clinical Findings in Three Cases of Zombification ».

Ces auteurs mentionnent que pour la majorité des Haïtiens, la zombification est un phénomène empiriquement vérifiable. Il ne s’agit pas donc pas que des ouï-dire. Littlewood et Douyon (1997) ont étudié, dans leur article, trois cas de zombification : FI, 30 ans; WD, 26 ans et MM, 31 ans. Nous reviendrons en détail sur ce texte dans une prochaine chronique. Nous voulions seulement mentionner ici le fait que le phénomène de zombification haïtienne a déjà fait l’objet de recherche et de publication scientifique.

Pour l’agronome René, « un zombi est un homme ou une femme dont le décès a été cliniquement constaté et dont les funérailles ont eu lieu au su et au vu de tout le monde. À la faveur de la nuit, une bande de malfaiteurs cassent la tombe, font sortir le cercueil et lèvent le mort. Il n'y a rien de mystique. C'est du vagabondage pur et simple. Un conteur ou conducteur l'enveloppe dans son linceul et le conduit chez un bòkò qui le garde dans une maisonnette ordinairement appelée Jwal, située dans un endroit hors de la vue des passants. Ces zombis seront loués aux cultivateurs, moyennant argent comptant, pour les travaux de sarclage, d'arrosage, etc. » M. René évoque toutes sortes de maléfices à l’origine du phénomène. Il retrace l’histoire d’une plante communément appelée concombre zombie que les fossoyeurs peuvent utiliser.

Le Dr René Toussaint a, pour sa part, fait des recherches sur la zombification en Haïti (5). Il écrit : « Le premier tour de l'opération de zombification est en effet une intoxication dont la caractéristique essentielle est qu'elle permet d'induire un état de faiblesse tellement marqué que la victime évolue vers l'atonie musculaire. Les muscles volontaires encore appelés muscles de relation ou muscles de la vie sont sélectivement atteints tandis que les muscles lisses comme les muscles participant à la mécanique respiratoire, les muscles cardiaques, c'est-à-dire ceux dont la mobilisation est indépendante de la volonté du sujet sont touchés dans une moindre proportion. » 

À ce niveau, les battements du cœur que l'on considère comme signe de vie sont tellement faibles qu'on ne peut pas les entendre même avec un instrument acoustique comme le stéthoscope que possèdent les médecins dans les hôpitaux sous-équipés. La victime est ensuite mise en terre.

La zombification et le sous-développement d’Haïti

L’agronome Jean Erich René relate un des procédés de remise en vie impliquant un réseau contenant les maçons des cimetières, les croquemorts et les malfaiteurs qui, indique-t-il, sont obligés de garder le silence pour éviter d’être victimes à leur tour. Selon lui, la zombification a des retombées néfastes sur l'économie, la société et la politique nationale. « Nous sommes victimes à la fois de la misère, de l'ignorance, de la jalousie, de la haine, de la méchanceté de nos compatriotes et de la démission de l'État haïtien. Nous devons épurer le vodou de ces gangs pour amorcer le développement économique d'Haïti.» La confusion entre le vodou et la sorcellerie pousse beaucoup de personnes à prendre leur distance du vodou, n’étant pas en mesure de faire la différence entre les deux.

L’agronome René indique avoir pu collecter ces informations tout au long de sa carrière. « Au cours de mes pérégrinations dans nos communautés rurales, comme agronome de terrain, je me suis mis à l'école de certains acteurs du vodou tant à Jérémie, à Jean Rabel dans le Nord-Ouest qu'aux Gonaïves dans l'Artibonite et ses environs. Ils m'ont livré certains secrets moyennant certaines gratifications.»Littlewood et Douyon (1997) ont également interrogé des bòkò à l’origine des cas de zombification.

Les secteurs organisés du vodou ont tout intérêt à faire la lumière sur ce phénomène qui ternit son image. Le fait de prétendre qu’il s’agit de simples cas de vengeance populaire liés à la sorcellerie et au dysfonctionnement du système judiciaire ne suffit pas. 

Frantz Alix Lubin a produit un texte sur le processus de zombification en Haïti (6).  Il distingue deux catégories de zombis en Haïti. D’abord, il y a les revenants qui sont des êtres de chair et de sang, et ensuite les « esprits » piégés dans des cruches d’argile ou des bouteilles de verre méticuleusement préparées à cet effet. Les zombis du premier groupe sont des hommes ou des femmes qui ont été séquestrés suite à un état comateux profond et à la faveur de l’inhumation qui en découle. On les retrouve soit comme domestiques dans une maison familiale, dans un magasin, soit comme  esclaves dans les  champs. Très souvent,  explique-t-il, ils sont vendus très loin de leur lieu de résidence. Mais il arrive qu’ils soient volontairement libérés par leurs propriétaires ou par les héritiers de ces derniers. Depuis l’affaire Clervius Narcisse, leur existence est scientifiquement attestée, conclut M. Lubin.

Les zombis de la seconde catégorie correspondent à la fois à l’âme et à la force vitale d’un défunt. Il précise : « On peut les assimiler au « ba » et au « ka » de la kabbale égyptienne. Eux aussi font l’objet d’un fonds de commerce. Extirpés du corps du défunt selon des rites maléfiques, exécutés  par  un  sorcier, le  bòkò,  ils  peuvent  être  transférés  dans d’autres substrats tels que : biceps ou jambes  d’un homme en vie, stylographe, etc. Ils sont manipulés pour rendre fort ou intelligent selon les caractéristiques physiques ou psychologiques de l’ancien propriétaire et les exigences de l’acquéreur. On les surnomme également souvent baka. Mais les vrais revenants, plus faciles à observer, fascinent les anthropologues beaucoup plus que les insaisissables  esprits.»

Pour l’agronome René, la sorcellerie est une contrainte majeure au développement économique d'Haïti. « Tant et aussi longtemps qu'on n'arrive pas à résoudre la problématique de la sorcellerie scientifiquement, Haïti demeurera un pays économiquement atrophié. »

Cette affirmation peut paraître exagérée mais elle n’est pas dénuée de sens. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le phénomène de zombification crée une méfiance généralisée chez les Haïtiens qui nuit à toute forme de collaboration et de gestion efficace et rentable. La peur qu’il génère empêche très souvent la grande majorité, y compris certains dirigeants, de poser les problèmes nationaux de façon scientifique et rationnelle. Cela conduit également à une mauvaise utilisation des finances publiques: le cas de ces dirigeants qui ne veulent pas utiliser les véhicules neufs et les biens meubles laissés de leurs prédécesseurs par crainte d’être victimes de zombification.

Il est quasiment impossible de trouver un contrenaître pour continuer un chantier initié par un autre. Il est presque devenu une norme en Haïti qu’un travailleur manuel doit refuser de poursuivre le travail entamé par un autre, ce qui peut réduire la concurrence et influe négativement sur le rapport qualité/prix des travaux. Un gestionnaire ou un chef de projet va réfléchir plus d’une fois avant de révoquer un employé inefficace quand celui-ci menace de le « zombifier ».Un parent refusera à ses enfants de prêter un ouvrage à leurs camarades de classe. Cette absence de confiance mutuelle limite les coopérations et collaborations efficaces dans les secteurs public et privé. Elle peut expliquer pourquoi plus de 90 % des entreprises privées sont des entreprises individuelles.

La croyance très répandue sur l’existence des zombis façonne donc le comportement des Haïtiens à travers une méfiance quasi généralisée. Ce comportement peut se révéler contreproductif et néfaste au développement économique. De plus, tous les cas reportés ici sont des jeunes gens qui font partie de la population active. Il s’agit donc d’un gaspillage de main-d'œuvre. Il y a également les conséquences psychologiques néfastes pour les parents éplorés et les pertes financières associées à ces décès. Tous ces facteurs influent négativement sur le développement économique.

Pour l’agronome Jean Erich René, sans une épuration et une réglementation des pratiques du vodou qui l’écartent de la sorcellerie et de la zombification, il n'y aura pas de développement économique pour Haïti. La grande question : comment  les réglementer?  C’est le grand défi que le sénateur Jean Renel Sénatus se propose de relever avec le nouveau code de procédure pénale.

Ce n’est pas la première fois qu’un législateur haïtien s’intéresse à une pareille législation. Nous y reviendrons dans une chronique ultérieure. Faut-il penser uniquement à réglementer le vodou ou toutes les religions? Qu’en est-il de la liberté des cultes?

Mais, à côté des lois, il faut une prise de conscience nationale sur le phénomène. Un économiste béninois m’a appris qu’au Bénin, chaque village dispose d’un chef spirituel du vodou à qui l’on peut s’adresser si l’on se croit être victime d'actes de sorcellerie. Il a un pouvoir de contrôle sur les adeptes de cette religion, évite les dérapages et œuvre à la cohésion sociale du village. C’est une des pistes qui pourrait être explorée en Haïti. 

1)         http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/62189/La-zombification-es...

2)         http://news.anmwe.com/un-zombi-retourne-chez-lui-fond-des-negres/

3)         https://www.youtube.com/watch?v=YDfnSOk2C6o

4)         http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/138734/Michelet-Dieu-un-z...

5)         « De la mort à la vie. » Essai sur le phénomène de la zombification en Haïti, docteur René Toussaint, Edition IFE , Toronto 1993

6)         Frantz Alix Lubin, le processus de zombification en Haïti

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