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Honneur et respect au grammairien grand-teint que fut Jean Bernabé !

Jacques COURSIL
Honneur et respect au grammairien grand-teint que fut Jean Bernabé !

A Jean Bernabé,

Mes pensées vont à son épouse, Marie-Françoise, la grande bibliothécaire universitaire, à ses enfants et petits-enfants.

Il est parti jeune, le grand prof ! Si jeune avec son corps mince et si sobre : il ne buvait pas, il ne fumait pas ; ma mère l’appelait avec malice, le jeune doyen ; Il aimait vivre puisqu’il savait vivre ; c’est injuste.

Les témoignages nombreux qui viennent de toute part montrent que toute une communauté de tristesse partage et soutient celle de son épouse, de ses enfants et ses parents. Mais il y a aussi ceux et celles qui ont perdu un ami, un partenaire-ami, un collègue-ami ou un maître-ami. Nous sommes nombreux à saluer l’héritage, travail colossal de toute une carrière universitaire sans dérive dont il faut désormais assumer sans lui la présence pertinente et le développement constant.

Grammairien grand-teint comme Césaire, sa vaste culture encyclopédique était un plaisir. Nous partagions certains principes essentiels, mais surtout une même attention méthodique aux détails pertinents, ce qui nous permettait d’être d’accord sur tout, et parfois sur rien du tout, dans nos conversations quotidiennes et amicales, pendant dix ans.

Le GEREC, groupe de recherche universitaire qu’il avait fondé, a tourné à plein régime pendant plus d’un quart de siècle sur quatre thèmes centraux : reconnaissance du créole comme langue à part entière, études de linguistique théorique des créoles, graphie, lexicographie et didactique. De nombreuses publications en font foi.

La créolistique qu’il a développée s’inscrit dans la part glotto-politique de l’étude des langues : un pied dans la théorie (linguistique générale) et l’autre dans la guerre des langues ; une science engagée en quelque sorte. Pour nos pays créolophones, le Pr Bernabé a fait son travail et l’a mené à bien : un travail social et politique de grammairien. Tout commence avec sa thèse Fondal Natal : Grammaire basilecticale approchée des Créoles guadeloupéen et martiniquais (l'Harmattan 1983), premier grand travail universitaire sur la question.

La reconnaissance du créole parmi les langues du monde, langue, non pas étudiée vers le mythe de ses origines multiples, mais dans sa densité synchronique actuelle, densité qui contient toute l’histoire et toute la culture de nos pays. Le dernier essai de Bernabé publié en 2106 "La Dérive Identitariste" (L'Harmattan) en témoigne.

Le militant savant du créole n’était pas à la recherche de racines, mais à l’inverse « fouillait » un enracinement dans la terre, par la langue.

Le créole, minoré en patois, interdit, refoulé, est pourtant resté vivace tout au long de son histoire. Jean Bernabé avait compris que c’est quand une langue est vivace qu’il faut la soutenir ; après, c’est trop tard ; demain, c’est aujourd’hui qu’il faut y penser. Les exemples malheureux abondent ; la perte de la langue est un mouvement irréversible. Ainsi, le travail du professeur a été celui d’un militant de l’urgence des langues ; « le temps est là (Glissant) ». Plus qu’une reconnaissance officielle des créoles comme langues (langues régionales d’Europe !), plus que l’institution d’un CAPES de créole, il y a la reconnaissance, par les créolophones euxmêmes, du parler créole comme langue du monde.

Les linguistiques savent qu’ils ne sont pas des maîtres ès langage. Ils ne parlent pas mieux le créole que dans les quartiers ou les communes. En cette science linguistique, le savant n’est pas celui qu’on croit ; le savant réel, le seul maître, c’est la masse parlante active. Ce sont les usages qui commandent et non pas l’école ni la science. Le rôle de la dite science, selon Bernabé, est de révéler la langue à ceux qui la connaissent, mais qui ignorent tout de son fonctionnement inconscient, de leur montrer une image cachée d’eux-mêmes quand ils parlent leur idiome natal ; car c’est d’être une langue parmi les langues que la parole créole doit son statut de discours.

Cette reconnaissance de la parole créole la plus ordinaire comme un acte d’une langue légitime change bien des choses dans la cité. Tel est le poids, la portée d’un grand enseignement universitaire, enseignement drainant des étudiants de plus en plus nombreux et de plus en plus motivés dans la découverte de leur propre parler comme une langue munie de tous ses attributs.

« Nous nous proclamons Créole » est-il écrit dans le manifesto littéraire l’Eloge de la Créolité (Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphael Confiant, éd. Gallimard 1989). Il s’agissait de prendre la langue pour nom, langue née avec notre histoire et de notre histoire. Sa minoration instituée et bien assimilée dans nos sociétés faisait du créole une parole sans langue. Ainsi, l’Eloge a été celui de la muette-quiparle « la gorge (entravée) de mille crocs bambou (Césaire)», éloge d’une écriture portant une douleur de langue, mais qui, dans cette glossalgie, a finalement et triomphalement percé l’écran littéraire des langues.

Nous sommes tristes, mais le chemin tracé est clair : Jean Bernabé est le porteur d’une oeuvre forte qu’il faut poursuivre.

Jacques Coursil

Professeur émérite

Sciences du langage

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