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HYBRIDE ET MONSTRUEUSE TEXTUALISATION DES LANGUES DANS SOLIBO MAGNIFIQUE

par Fanny Mahy
HYBRIDE ET MONSTRUEUSE TEXTUALISATION DES LANGUES DANS SOLIBO MAGNIFIQUE

University of Western Ontario

Université Lille 3 Charles de Gaulle


L’intrigue de Solibo magnifique style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>(1988) style='mso-footnote-id:ftn1' href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""> class=MsoFootnoteReference>[1] style='mso-bidi-font-size:6.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'> style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Italic'>Solibo magnifique
connaît
encore aujourd’hui un succès critique prospère, il a donné lieu à de récentes
et riches études portant notamment sur la dimension du merveilleux, le style
de l’écart et de l’amplification, les pratiques du détour, le métissage, l’identité,
la prend place au carnaval de Fort-de-France dans une époque chahutée par
les effets à long terme de la colonisation française. La Martinique a été
officiellement marquée du sceau colonial en 1946, date à laquelle elle fut
désormais considérée comme département d’Outre-mer. Les festivités carnavalesques
tourneront court, en effet, alors qu’en plein exercice d’éloquence, le conteur
dénommé Solibo Magnifique s’effondre subitement devant l’assistance, qui ne
s’en inquiète pas outre mesure au départ, puis s’affole devant le masque de
la mort inscrit sur la face du conteur. La joie, la fête et la communion laissent
place à l’angoisse, la tristesse, la révolte et la sombre atmosphère d’un
incident qui semble un fait divers, mais qui révèlera les difficultés d’une
société tiraillée entre ses traditionnelles valeurs, modes de vie et de pensée,
désormais confrontés de plein fouet à ceux de la culture dominatrice. Patrick
Chamoiseau développera un discours postcolonial à partir de ce fait divers
qui se transforme par la suite en une enquête policière menée par les personnages
de Bouaffesse et d’Évariste Pilon. Autostrangulation dite « égorgette
de la parole » pour les uns, crime pour les autres, la division de la
société est marquée du sang de Solibo.

Solibo magnifique connaît encore aujourd’hui un succès
critique prospère, il a donné lieu à de récentes et riches études portant
notamment sur la dimension du merveilleux, le style de l’écart et de l’amplification,
les pratiques du détour, le métissage, l’identité, la
style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Italic'> style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>culture, ou
encore les problématiques de l’inscription de l’oral dans l’écrit, de l’altérité,
de la réflexivité, de la mémoire et de la création langagière. Le roman a
été analysé du point de vue de l’hybridité à travers le concept du métissage,
mais à notre connaissance, il ne l’a pas été dans la perspective voisine de
la monstruosité, plus précisément du « dire-monstre », qui en interroge
les modalités d’écriture. Nous nous proposons dès lors d’analyser l’hybridité
et la monstruosité des langues agencées dans le texte en recourant essentiellement
à deux études générales issues des collectifs style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Italic'>Le Monstre
humain
et
Le
Dire-monstre
ainsi qu’à quelques articles ponctuels portant sur style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Italic'>Solibo magnifique.
Selon nous, cette analyse devrait permettre de mieux révéler une société-monstre
et ses acteurs, à bien des égards. Pour Marie-Hélène Larochelle, « étudier
le « dire-monstre » enrichit la démarche sociocritique en dévoilant
un versant souvent laissé dans l’obscurité » (2009 : 7).
Solibo
magnifique
repose
essentiellement sur la problématique des langues contextualisées, le créole,
le français et – pour reprendre Kundera – la langue « chamoisisée »
(N’Zengou-Tayo, 1996 : 155). C’est à travers l’analyse de l’hybridité textuelle
– entre tradition orale et marquage de paroles –, des dialogues interrogeant
l’identité et l’altérité, ainsi que de la langue comme expression de la violence
et de l’excès, que nous devrions mieux cerner de quoi est faite l’hybridité
du texte et, parallèlement, la nature de la monstruosité sociale à l’oeuvre
dans le roman.

 

HYBRIDITÉ TEXTUELLE, TRADITION ORALE ET MARQUAGE DE PAROLE

 

L’hybridité des langues à l’œuvre dans style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Italic'>Solibo magnifique

français, créole – implique l’hybridité des modes d’expression – écrit, oral.
Ce métissage, à première vue charmant, singulier et exotique, ne révèle pourtant
pas une écriture de pure harmonie, mais un lieu de tensions que l’écrivain
ressent et s’efforce d’exprimer.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler que la diglossie
est un drame linguistique pour Chamoiseau, écrivain fasciné par le mode de
l’oralité et par le conte, genre au lexique et à la syntaxe caractéristiques.
L’oralité aime à amplifier le « dire » et le « comment-dire »,
elle use fréquemment d’hyperboles, de comparaisons frappantes, elle joue des
sonorités et des répétitions, et dans la fête qu’elle engage avec les sons
et les mots, elle se fait à la fois chantante, dansante et pétillante. L’ouverture
du discours de Solibo magnifique en donne la mesure :

Messieurs et dames si je dis bonsoir
c’est parce qu’il ne fait pas jour et si je dis pas bonne nuit c’est auquel-que
la nuit sera blanche ce soir comme un cochon-planche dans son mauvais samedi
et plus blanche même qu’un béké sans soleil sous son parapluie de promenade
au mitan d’une pièce-cannes é krii
? style='font-size:11.0pt;mso-bidi-font-size:9.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>é
krraa ! répond l’assemblée d’une seule voix. (Solibo, style='font-size:11.0pt;mso-bidi-font-size:9.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>233)

François Lagarde trouve dans l’oeuvre de Chamoiseau « une
mélancolie de la Parole, du retour au pays natal et de la mère » (2001
: 159). L’hybridité d’une langue qui n’est ni du créole ni du français, mais
un métissage des deux, s’est vue reléguée comme vulgaire « langue-banane »
par les lecteurs français, rigoureux et normatifs, mais aussi par les lecteurs
créolophones qui n’apprécient pas davantage ce qu’ils perçoivent comme une
indécision entre deux langues connues (Dumontet parle à cet égard de « français-banane »
; 2000 : 164). Ce mépris de l’entre-deux langues est manifeste quand le brigadier-chef,
Bouaffesse, décide de mener l’enquête de la mort de Solibo ; il interroge
les témoins et précise : « pas de
charabia de nègre noir mais du français mathématique »
(
Solibo, 105).

Rappelons également que le rapport au temps est tout à
fait dissemblable dans les langues française et créole, Chamoiseau parlant
d’une « temporalité chaotique » qui permet d’envisager un pot-pourri
de sons et de mots fusant en tous sens ; il ajoute que pour en avoir une idée,
« il faudrait écouter un concert de tambour. […] L’idée du rythme est
une idée fondamentale pour comprendre le processus de créolisation »
(Peterson, 1993-1994 : 46). Les traducteurs de textes créoles doivent nécessairement
en tenir compte. L’un d’eux définit ainsi le créole comme étant :

[…] un mélange de langues romanes – mais
aussi de hollandais et d’anglais – avec la langue des indigènes originaires
d’Afrique, d’Asie et d’Amérique. En particulier dans les Antilles, chaque
terme est adapté au rythme de la prononciation de l’Afrique de l’Ouest, par
des raccourcissements, souvent aussi par l’élimination des voyelles (Dumontet,
2000 : 160).

L’écriture de Chamoiseau se définit essentiellement par
le créole qui l’habite comme langue et esprit, or, le créole se définit par
le rythme, celui de la langue, et celui de l’interaction du conteur et de
son public. Selon Euridice Figueiredo, « le récit oral tire sa force
de l’interaction entre le conteur et l’auditoire : le premier ajoute toujours
une note personnelle et le public réagit pour l’encourager à poursuivre » style="mso-spacerun: yes">
(1993 : 32). On comprend dès lors pourquoi
au moment où Solibo s’écrie « patat’sa » et s’écroule, l’assemblée
s’écrie à l’unisson « patat’si » ; elle n’y voit qu’un effet de
mise en scène, surprise qui appuie les propos du conteur. On sait que « patat’si »
signifie « patate douce » et désigne le sexe féminin (Perret 1994 : 834),
mais le sens contextuel reste mystérieux et peut donner lieu à diverses interprétations.
Peut-être la mort du conteur, symbole de la mort de l’oralité, termine-t-elle
une boucle métaphysique, culturelle et langagière. Le conteur est né du sexe
de la femme qui lui a transmis sa langue native, le créole, dès lors, le désir
d’un retour à la parole, au conte, aux sources et à la tradition permettent
d’envisager la mort comme un désir de renaissance. D’autre part, Solibo est
chantre de la parole en communion avec les sens ; la mort de la parole est
aussi la mort de toute une sensualité qui se manifeste – dans son degré le
plus élevé dans la sexualité.

Le métissage du français et du créole est certes le plus
apparent, mais il semble que le créole constitue déjà en soi une source de
métissage complexe et importante ; la plurivocité lexicale présente une forme
d’hybridité qui seconde l’hybridité originelle des langues qui ont inspiré
et composé le créole. L’usage du créole implique aussi une hybridité temporelle,
constituée des temps de l’avant et de l’après colonisation. L’écrivain se
situe dès lors dans une sorte d’entre-deux temps empreint de mélancolie et
de nostalgie. Le métissage se manifeste également dans la fête des mots et
des sons, conjugués aux modalités de l’excès. Enfin, l’hybridité se déploie
dans l’interaction que la pratique du créole suppose. Il ne s’agit pas d’une
parole de soi à soi par le texte, mais d’une parole de soi à l’autre, qui
se nourrit de la richesse du croisement et de l’interaction d’âmes, de corps
et d’énergies en mouvement.

Chamoiseau est nostalgique de la culture et de la langue
créoles, inextricablement liées. Pourtant, il ne rejette pas le français et
le mode de l’écrit, en dépit de toutes les difficultés qu’ils impliquent.
L’écrivain est séduit par l’écrit qui reste, qui dure, qui laisse une trace
palpable. Avec le conteur, la parole s’envole et se transmet tant bien que
mal de génération en génération. Avec l’écrit, la parole est marquée, elle
ne sera pas déformée, mais accessible à la postérité dans sa forme authentique.
Cette attraction pour l’écrit se conjugue avec un sentiment de trahison de
l’oral. Lagarde explique que « la difficulté diglossique est doublée
d’une peine plus grande encore, celle du passage de l’oral à l’écrit, vécu
comme une perte, une dette, un travail de mort. L’écriture et le signe trahissent »
(2001 : 159). Pour corroborer ce travail de mort, ajoutons que selon Carol
(2005 : 9), la honte, l’effroi ou le dégoût que peut provoquer le monstre
humain « poussent à le tuer » symboliquement ou physiquement. De
même, l’effroi ou le dégoût devant la monstrueuse langue française – en ce
qu’elle s’impose et « rompt avec l’ordre du monde établi » – Carol
(2005 : 7) poussent à la détruire et la supprimer. Ce crime à l’encontre du
français venge la mort de Solibo. La langue française est telle une langue
monstre qui poursuit l’esclave échappé, mais l’écrivain choisit de la contrer,
non frontalement, mais par le détour du travail d’écriture, qui met en relation
– conflictuelles
style='mso-bidi-font-size:9.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>– style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>deux langues
qui jamais, ne se fondront en une seule.

Chamoiseau va rompre avec les limites de l’écrit et de
la langue française en s’adonnant à l’oraliture, genre hybride qui entremêle
l’oralité et la littérature. Chamoiseau use d’une langue hybride parce qu’il
ne peut faire autrement. Opprimé dans sa créolité, soumis dans l’usage du
français, il est un écrivain « maudit », un écrivain « monstre »,
du seul fait qu’il renvoie au « Cham de la Bible, celui qui avait la
peau noire », comme disait Solibo (
style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Italic'>Solibo, style='mso-bidi-font-size:10.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>57). En effet,
l’épisode biblique appelé « la malédiction de Cham », rapporte que Noé,
enivré par le vin, se retrouve nu dans sa tente. Son fils, Cham, le rapporte
à ses deux frères qui détournent la tête pour ne pas voir la nudité de leur
père. Quand Noé reprend ses esprits et apprend la conduite de Cham, il maudit
Canaan
le
fils de Cham
–,
et
souhaite qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères. Or, selon certaines
traditions, « les races monstrueuses descendraient de Caïn, de Cham ou
des filles d’Ève » (Carol, 2005 : 12). La situation d’esclavage biblique
renvoie à la situation historique d’esclavage de l’homme noir, et en l’occurrence,
à sa position d’opprimé par la colonisation.
style='mso-bidi-font-size:6.0pt;font-family:Verdana'>



name="_ftn1" title="">[1]  style='font-size:8.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>Désormais style='font-size:8.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Italic'>Solibo style='font-size:8.0pt;font-family:GalliardITCbyBT-Roman'>dans les citations,
suivi de la page.

Document: 

cgrelcef_02_text16_mahy_1_.pdf

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