Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

Israël : l'expulsion ou la prison pour 37 000 Africains

Radio-Canada
Israël : l'expulsion ou la prison pour 37 000 Africains

   Muluebrhan Mesgna sort d'un bureau d'immigration israélien près de Tel-Aviv en serrant un morceau de papier blanc dans sa main. Une simple feuille qui, dit-il, pourrait bien devenir son arrêt de mort.

   Un texte de Derek Stoffel, correspondant de CBC News au Moyen-Orient

   « J'ai l'impression que [Israël] est en train de me tuer. M'expulser vers l'Ouganda ou le Rwanda, c’est la même chose que de me tuer », lance cet Érythréen de 30 ans qui vit en Israël depuis 2011.

   M. Mesgna, ainsi que des centaines d'hommes de l'Érythrée et du Soudan ont reçu une note leur offrant un choix difficile. Ils peuvent quitter Israël de leur plein gré, avec un chèque de 4400 $ et un billet d'avion pour un pays d'Afrique non divulgué, ou être emprisonnés.

   L'expulsion de 37 000 migrants africains, que le gouvernement israélien considère comme des « infiltrés illégaux », doit commencer en mars.

   Ce projet a été sévèrement critiqué par des survivants de l'Holocauste et a suscité de nombreuses manifestations dans le pays. Ceux qui militent pour les droits de l’homme et de l’immigration affirment que ces expulsions ne représentent pas la façon juive de faire les choses (the Jewish way).

   Le parcours de Muluebrhan Mesgna

   Muluebrhan Mesgna est né à Tserona, dans le sud de l'Érythrée, pays qui a acquis son indépendance de l’Éthiopie en 1991.

   Selon Human Rights Watch, le président non élu de l'Érythrée, Isaias Afwerki, en poste depuis la victoire du mouvement indépendantiste, dirige « l'un des gouvernements les plus oppressifs du monde ».

   Après avoir terminé ses études universitaires en sciences vétérinaires, M. Mesgna, alors âgé de 22 ans, craint que le service militaire obligatoire, considéré en Érythrée comme une conscription sans fin, ne signifie que son « avenir se rétrécisse ».

   Laissant derrière lui sa mère et son père, le jeune homme quitte son pays pour le Soudan, en 2010.

   Deux ans plus tard, il traverse l'Égypte et le désert du Sinaï en voiture et à pied, en payant environ 4000 $ à un groupe clandestin qui facilite son voyage.

   M. Mesgna indique que 5 personnes de son groupe, qui en comptait environ 70, sont mortes au cours du voyage de 2 mois, de soif, de faim ou de traitements cruels aux mains de tribus bédouines locales.

   Quand il arrive en Israël, il est amené dans un centre d'immigration temporaire. Un mois plus tard, il se rend à Tel-Aviv, où il trouve un logement et un emploi.

   À ce jour, il travaille toujours six ou sept jours par semaine dans la cuisine d'un restaurant du célèbre marché de Sarona.

   « Nous avons été sauvés. Depuis six ans, je peux dire que j'ai été protégé, ici, en Israël », lance-t-il dans le minuscule appartement d'une pièce qu'il partage avec son épouse érythréenne, Meaza, à Petah Tikva, en banlieue de Tel-Aviv.

   Mais Muluebrhan Mesgna s'inquiète maintenant que cette protection prenne rapidement fin.

   Des « infiltrés illégaux »

   Quelque 60 000 migrants africains, pour la plupart des Érythréens et des Soudanais, ont traversé le désert du Sinaï jusqu’en Israël depuis 2005.

   Alors qu'un examen de l'Érythrée, mené par les Nations unies en 2016, a révélé que des crimes « généralisés et systématiques » contre l'humanité y sont commis, et que des milliers de Soudanais du Darfour ont fui en Israël, seules 11 demandes d’asile de la part d’Érythréens et de Soudanais ont été acceptées, a déclaré par courriel le ministère israélien de l'Intérieur à CBC News.

   « Nous faisons face à des migrants illégaux qui viennent ici non pas comme réfugiés, mais pour travailler, a déclaré le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou. Israël continuera d'offrir l'asile aux réfugiés authentiques, et se débarrassera des migrants illégaux. »

   Les autorités israéliennes n'ont pas spécifié où les migrants seront expulsés, bien que le gouvernement reconnaisse qu'il est trop dangereux pour les Érythréens et les Soudanais de rentrer chez eux.

   Des groupes humanitaires ont parlé de l'Ouganda et du Rwanda, mais le gouvernement ougandais a indiqué qu’il refusait d’être considéré comme une destination possible.

   Un quartier transformé

   L'opposition la plus farouche à la présence des Africains en Israël se trouve dans les rues du sud de Tel-Aviv, où les Israéliens disent que le quartier a été transformé en bidonville.

   L’endroit abrite la plus grande concentration d'Africains vivant en Israël.

   « Je n'ai pas grandi en pensant que j'aurais peur de sortir de chez moi, peur d’être violée ou assassinée », lance May Golan, PDG d'Hebrew City, organisation qui milite contre l'immigration clandestine.

   Les habitants du sud de Tel-Aviv disent que leur quartier a connu une recrudescence de la criminalité, mais les plus récentes statistiques de la police israélienne indiquent que le nombre de cambriolages dans le quartier a chuté de 32 % en 2017 par rapport à 2015. Au cours de la même période, les voies de fait ont diminué de 39 %, tandis que les infractions liées aux drogues ont augmenté de près de 25 %.

   En même temps, un sondage mené par la police et cité par Mida, un site d'information israélien, révèle que 62 % des Israéliens qui vivent dans le sud de Tel-Aviv craignent de quitter leur maison le soir.

   Ces craintes sont exagérées, selon un organisme communautaire connu sous le nom de South Tel Against the Deportations (le sud de Tel-Aviv contre les expulsions).

   « C'est un petit quartier, dit Inbal Ezoz, coordonnateur du groupe, à CBC News. Le quartier est trop peuplé et ceux qui viennent d'autres pays n'ont pas grand-chose, ce qui crée des tensions. Mais ce n'est pas aussi dangereux que certains résidents le disent. »

   Mme Golan est inébranlable dans son opposition aux « infiltrés illégaux ». Elle les accuse de « prendre votre identité... prendre votre cœur de citoyen légitime et de vous le démembrer » en essayant de « changer la démographie juive en Israël ».

   Elle a rencontré de hauts responsables israéliens, dont le premier ministre Nétanyahou, pour s'assurer que les expulsions aient bel et bien lieu. Alors que certains militants proafricains sont d’avis que le projet a une connotation raciale très claire, Mme Golan qualifie cette accusation d’« absurde ».

   « Je me fiche de la couleur de leur peau. Ils peuvent être roses. Ils peuvent être jaunes. Ils peuvent être blancs. Ils peuvent être noirs », lance la PDG d'Hebrew City à CBC News.

   « Je me soucie du fait que des gens qui n'appartiennent pas à ce pays sont venus ici illégalement et qu’ils changent tous les critères possibles de notre vie d'une manière violente et très brutale », lance-t-elle, catégorique.

   Des appels à mettre fin aux expulsions

   Les pays du monde entier, dont le Canada, les États-Unis et les pays européens, ont du mal à faire face à la migration mondiale. Israël n’est que le plus récent État à devoir trouver un équilibre entre la protection de ses frontières et la compassion envers les moins bien nantis.

   L'expulsion imminente de milliers de personnes a touché une corde sensible en Israël, puisque cet État a été créé comme un havre de sécurité pour les Juifs fuyant la persécution.

   Des dizaines de survivants de l'Holocauste ont envoyé une lettre au premier ministre Nétanyahou, le mois dernier, l'exhortant à reconsidérer sa décision.

   « L'État d'Israël, sous votre règne, s'est fixé pour objectif de rappeler au monde les leçons de l'Holocauste, ont écrit les survivants. Nous vous demandons donc d’arrêter ce processus. Vous seul avez la capacité de prendre une décision historique et de montrer au monde que l'État juif ne permettra pas la souffrance et la torture des gens sous sa protection. »

   Des Israéliens et des migrants africains ont exprimé des messages similaires lors d'un certain nombre de rassemblements organisés pour soutenir les demandeurs d'asile. Une manifestation devant l'ambassade rwandaise dans la ville d'Herzliya, au début du mois, a attiré des milliers de manifestants.

   « Je pense que cela va à l'encontre de notre tradition et de notre histoire en tant que Juifs qui, pendant des siècles, avons essayé de fuir différents lieux », a déclaré le célèbre sculpteur israélien Dani Karavan, qui a ajouté que plusieurs membres de sa famille avaient péri aux mains des nazis.

   « Et maintenant, c’est nous qui faisons ça. C’est contre notre culture », a-t-il dit.

   Le Canada offre la protection aux réfugiés

   Israël a terminé la construction d’une clôture en acier le long de sa frontière sud avec l'Égypte, en 2013, ce qui a largement stoppé l'afflux d'Africains.

   Et parmi ceux qui sont arrivés à se frayer un chemin en Israël, certains sont déjà repartis vers d'autres pays. Environ 20 000 personnes sont parties au cours des dernières années, et bon nombre d'entre elles ont trouvé au Canada un hôte plus hospitalier.

   Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a déclaré à CBC News que 1880 Érythréens vivant en Israël ont obtenu la protection au Canada à titre de réfugiés depuis 2016, principalement dans le cadre de programmes de parrainage privés.

   Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes, qui représente les groupes juifs au Canada, exhorte Ottawa à parrainer les réfugiés africains en Israël, de sorte qu'il y ait « un minimum de bouleversements et de difficultés pour les demandeurs d'asile ».

   Pour sa part, Muluebrhan Mesgna n’hésiterait pas à saisir l'occasion de déménager d'Israël vers un autre pays sécuritaire, comme le Canada.

   Il ajoute que s'il ne peut pas se rendre dans un pays considéré comme étant un havre de paix, il n'acceptera pas l'offre israélienne pour de l'argent et un billet d'avion pour une destination africaine, car il craint d'être forcé de rentrer chez lui en Érythrée.

   « Je préfère rester ici et aller en prison, dit-il quelques instants après avoir reçu son avis d'expulsion. Je dois être ici, où je serai protégé. »

 

 

 

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.