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ITINERAIRE D’UN FASCISTE BÒ KAY (fragments)

Frédéric CONSTANT
ITINERAIRE D’UN FASCISTE BÒ KAY (fragments)

(« Moi, fasciste? N’importe quoi! C’est un vieux machin purement européen»)

 

AVERTISSEMENT

Cette fable fantaisiste est sans prétention littéraire.

C’est surtout une allégorie de risques courus par nos pays

si on n’y prend garde (même dans le cadre actuel),

si certains facteurs prégnants étaient conjugués par certains,

pour investir de façon hégémonique la sphère politique et la contrôler.

Ces risques existent. C’est évoqué ici sous forme fictive.

Mais comprend qui peut. Et surtout COMPREND QUI VEUT!

***

La nuit venait de tomber... Il buvait un verre à une terrasse de la Savane avec un copain. Pendant une conversation, le copain lui avait dit: «Leonidass, tu es un fasciste masqué!». Ses parents avaient cru que Trujillo était un bon dirigeant caribéen, meilleur que Batista ou Duvalier en tout cas, donc ils l’avaient prénommé Leonidass… Renaud l’avait traité de «fasciste masqué» en le fixant droit dans les yeux, sans sourire ironique, comme jamais il ne l’avait regardé. Même pas «fasciste de gauche», abus de langage imbécile, mais «fasciste». Le «masqué» était une aggravation. Il ne semblait pas plaisanter. Leonidass demanda une explication à l’autre, qui connaissait le sens des mots et l’histoire. «Fasciste» était le genre de mots tellement galvaudés qu’on ne savait plus ce que les gens voulaient dire. Et la planète était devenue si dangereuse avec Bolsonaro, Trump et quelques autres, la dynastie Le Pen et ses relais chez nous, etc., qu’il ne fallait plus jouer avec çà. Combien de militants de gauche avaient naguère traité Chirac de fasciste, qui n’était «que» colonialiste voire gobiniste, néanmoins respectant certaines libertés démocratiques, et en 2002 avaient voté Chirac, pour barrer la route à un vrai néo-fasciste!

Leonidass insista pour l’explication. L’autre lui dit froidement: «Fais ton introspection», ce fut tout. Avec ses idées et sa relative ouverture d’esprit il voyait mal comment on pouvait le traiter de «fasciste» : c’était une insulte, il était furieux et l'aurait frappé. Sacré couillon!... Certes, le qualifié «fasciste» sortait souvent, et sans pudeur, des blag kouyon, des calembours (cal en bourre) douteux, même à jeûn, plus que des gens ayant fait le plein. Pourtant c’était par pure provocation entre copains, pour voir jusqu’où on pouvait aller: transgressions puériles, blagues triviales, mais au deuxième degré… Et pas avec n’importe qui, comme disait Desproges. Surtout pas avec n’importe qui!!... Or là! Enfin bref! Si Renaud avait pointé un côté ambigu de quelques blag kouyon, il aurait pu la tenter, l'introspection. Or là, aucune piste, ayen, ahak, nothing, nada, nichego. C’était aussi rageant que l’insulte. Il prit sur lui, se leva, quitta la terrasse, laissant Renaud payer l’addition. Certes, c’était lui qui l’avait invité à boire un verre. Seulement çà lui ferait les pieds, au cul-de-jatte à roulettes!

La Savane était calme, le Malecón aussi. Malecón! N’importe quoi! On importait des noms étrangers, alors que notre pays utilisait deux langues permettant d’exprimer quasiment tout… Il devait être vingt heures. Il alla récupérer sa voiture pour rouler au hasard, çà le calmerait… Il fit un tour au Centre Culturel «Jack Nestor» en passant par la route de Redoute-du-Matouba. Il n’y avait aucune animation ce mercredi premier août. Il redescendit en ville et, reprenant les rues de la République, Wilberforce et Schoelcher, puis la Descente, puis la Place de la Victoire-Stalingrad, re-driva dans Fort-du-Prince, cette ville plate, étalée, en croix éternellement recommençante, par toutes ses avenues, rues et ruelles, coins et recoins, même les plus mal famés, jusqu’à un quartier réputé très dangereux la nuit, du moins aujourd’hui, et ses putes dominicaines et ce que cela draine…

 

A sa création au début du XXème siècle, c’était un quartier populaire, aménagé à l'initiative de ses Maires Victor Césaire puis Aimé Sévère. Puis il devint composite, avec des résidents «low middle class», puis des lots idem. Longtemps, on put se balader dans la ville la nuit presque sans risquer d’agression, même dans ce quartier. Cent ans après, il était, disaient les capons, devenu dangereux de s’aventurer par là après 18h-20h: délinquance, prostitution à presque chaque coin de rue de part et d’autre de l’axe central, bagarres violentes, agressions de passants, trafics de drogue et d’autres choses, et peut-être d’armes. Certes, on trouvait là des petits restaurants, des épiceries de quartier, des bars. Et aussi, la nuit tombée, des êtres équivoques, rôdant les yeux rougis par on ne sait quoi, ou du genre carnassier, adossés à un mur, à une porte pour épier alentour, ou circulant lentement tels des fauves à l’affût. Dealers, sous-macs, petits trafiquants de tout et n’importe quoi… 

Certes, depuis longtemps des comités d’habitants du quartier honnêtes, courageux, natifs du pays ou pas, avaient interpellé les autorités pour qu’elles fassent «quelque chose», afin d'éradiquer cette gangrène. Pour vivre enfin tranquillement, ces habitants frappaient à toutes les portes, très en colère et ne lâchant pas prise. Mais dans l’ensemble, concrètement la gangrène demeurait, comme enracinée, et se renouvelait. Le climat ne changeait pas, malgré la réhabilitation physique de tel collège ou lieu précis, de telle artère, la mise au normes de sécurité de tel lieu, l’éclairage de nuit, la démolition de bâtiments insalubres. D'aucuns en venaient à penser que tout çà en arrangeait bien, dans la «haute».

A en croire certains, ce quartier était très «vivant». Etait-ce à dire qu’il donnait et exprimait la vie, ou qu’il vivait du sang qui parfois y coulait, le buvant tel un vampire? Toujours est-il que la nuit tombée, et malgré les demandes lancées de ses habitants honnêtes, il devenait la vitrine de la prostitution affichée, un centre privilégié d’activités douteuses. Donc, il ne fallait surtout pas y aller de nuit; c’était dangereux, même enfermé dans sa voiture, et encore moins en descendre pour marcher quelques mètres: «C’est un coin à se faire agresser ou pire». Pour ces gens, les Terres Laïcville(1)  tenaient, toutes proportions gardées, d’une sorte d’hybride de faubourg de Kingston, du Chicago des années 1920-1930, de quartiers populaires parisiens et péri-parisiens «difficiles» (c’est-à-dire «pauvres» et délaissés par les pouvoirs publics), vers le Nord-est de la capitale française. Comme si la pérennisation de tout cela en arrangeait bien certains qui, à l’abri, exerceraient des pressions sur les élus voulant assainir ce «milieu» (d’ailleurs plutôt au nord) et éradiquer les maffias tirant les ficelles…. Parfois des gens tombaient, victimes de règlements de comptes entre petits coqs ou entre malfrats (ceux qui tombaient devaient alors particulièrement apprécier le côté «vivant» du quartier). Les gros passaient par les mailles comme d’habitude, quasi-intouchables, alors que la durée du phénomène supposait des réseaux «protégés» et quelque peu structurés… D’après les anciens, dans cette ville, voici quatre-vingt ans une femme pouvait se promener seule la nuit sans être inquiétée, et vers 1980 deux jeunes bacheliers dormir à la belle étoile sur la Savane quasiment sans risques. Epoque révolue !

Vers 21H30, à la fin de son errance via le 47 avenue August Bebel (où ses père et oncle furent élevés), le collège où il fut scolarisé, la place de l’abbé Lavigne puis enfin l’avenue de l'Abbé Grégoire,  deux jeunes femmes hélèrent notre rôdeur au nord des Terres- Laïcville…  

Ah! ce 47 avenue August Bebel…  Ces dernières années, le souvenir avait hanté Leonidass. Il l’avait parfois apercu en passant devant, via la place Banidol-Gène, cependant il avait à faire ailleurs, ou n’était pas seul. Ce soir-là, il l’était, donc avait les coudées franches. Connaissant sa petite obsession, la veille encore on lui avait seriné que c’était «dangereux», et blabla bla, on lo pawòl ki pa té ka fini! Il s’en fichait. Cette fois, il irait voir de près. Certes, il faisait nuit. Déjà, l’immédiat alentour n'était guère folichon en fin de journée, a fortiori en début de nuit. Mais c’était obsessionnel, il avait des raisons très personnelles d'aller voir l’intérieur de ce lieu l’ayant marqué étant jeune. Ce n’était pas une envie, une lubie. Plutôt un vrai besoin, un puissant fantasme venant de très loin, nostalgie d'une jeunesse de merde. A force d’être réprimés sans «sublimation», des fantasmes même non génitaux pouvaient mener au pire. Pour celui-là, notre visiteur ne concevait aucune «sublimation» possible: il devait crever les abcès frontalement, régler directement les comptes…  Bref ! danger ou pas il se gara non loin, sur l’avenue, en position «départ», direction La Descente, pour fuir rapidement si besoin, bloqua les roues et sortit. Car quand il entreprenait ce qui pouvait  passer pour une ânerie, il l’assumait jusqu’au bout. C’était un obstiné ! A ses yeux, la perfection n’était pas de ce monde, certes, mais lui pouvait être un crétin parfait. Mieux : un con plus-que-parfait à condition que ce soit conjugué au subjectif, Car pour lui, le plus-que-parfait du subjonctif était trop difficile à conjuguer, avec en sus ses «asse», et des «ussent» pouvant donner facilement des sonorités douteuses.

Après avoir regardé rapidement gauche, droite, derrière lui, il approcha la porte métallique, entrouverte, qui semblait n'avoir pas trop changé (toujours  peinte en rouge-brun, comme «avant»). Il la poussa doucement, elle céda; il s'enfonça dans le couloir menant vers l'escalier du fond tournant en quart-de-cercle gauche vers les étages. Au rez-de-chausée le couloir avait peu changé sauf à gauche; l'escalier pas du tout. Très silencieusement, et pas trop tranquille quand même, il monta, respectant l'endroit presque comme un saint lieu. A première vue, la configuration générale du premier étage n'avait pas changé non plus.

Sauf que… sauf que la première pièce sur la gauche, naguère une petite chambre où il aidait sa grand'mère à compter la recette du jour pour la maison d’optique de son oncle (l’O.M.A.C./E.P.(2)) était fermée et verrouillée! Sauf que la salle d'eau de Mémère n'était plus trop visible: porte changée et fermée! Notre clandestin  n’allait quand même pas aller voir si c’était toujours une salle d’eau. Sauf aussi que la grande chambre de Mémère (où elle avait groupé ses bondieuseries, dixit le paternel) était elle aussi fermée à clef. De même que le salon, où naguère Leonidass était accueilli par une grande photo encadrée fixée au mur, photo couleur représentant ses grands-parents côte-à-côte, face à l’objectif, et à lui: porte désormais verrouillée elle aussi. L’intérieur de ces pièces était-il loué? Peut-être… Tout ces témoins physiques de son passé était mort, il ne restait que ses souvenirs. Des changements avaient été prévisibles, ceux-ci le mettaient mal à l’aise, pourtant il continua son «pélerinage»: il était  venu pour affronter une bête en putréfaction qui le hantait, plus périlleuse pour lui que ce «quartier dangereux». Les démons intérieurs effrayent plus que la réalité palpable. C’est pourquoi tant de gens évitent les discours et pratique psychanalytiques, voire agressent violemment qui les évoque: la seule idée que d’autres puissent les mettre à nu les terrorise, alors ils agressent! C’est souvent le cas de personnages publics au ton péremptoire, dont l’aplomb n’est qu’une carapace, et qui craignent comme le Covid-19 qu’on découvre en eux l’enfant terrorisé, tapi derrière une protection ostensible qu’ils verrouillent pour s’afficher «impressionnants». Pitoyable!

Le plancher en bois, les rampes en bois n’avaient pas changé, c'était déjà çà! Il arriva à l'escalier menant au deuxième étage : toutes les pièces y étaient fermées et verrouillées. Il frappa à l'une d'entre elles, puis à une autre. Elles étaient occupées par des gens semblant relativement pauvres, jeunes femmes avec bébés, etc. Ces pièces étaient donc certainement louées. Leurs occupants n’étaient pas toujours «francophones». Il demanda à voir le propriétaire, le gestionnaire, bref ! un responsable, pour en avoir le coeur net. On lui fit comprendre qu’il fallait voir  l'occupant de l'ex petite chambre de la grand'mère, au premier étage. Il redescendit et frappa. L'homme qui ouvrit ne semblait pas martiniquais, peut-être plutôt un Africain. Leonidass expliqua: c'était un lieu de son enfance, où avaient vécu ses parents et grands-parents, etc. Le propriétaire n’était pas l’homme de la petite chambre, mais «un avocat». Il se trouvait que le cousin du clandestin, fils aîné de feu l'opticien, était justement avocat: Michel Ange ! In petto, le visiteur réagit violemment: «Lui !.. J'espère que ces pièces sont louées à des prix très bas.» Il était écoeuré de ce qu’était devenue la maison familiale, et renonça à poursuivre son «pélerinage», il en avait assez vu! Il sortit précipitamment. Vivant, mais dans quel état…

Oui, le quartier avait beaucoup changé. Ah il s’en souviendrait de ce mercredi premier août!... Les alentours du «47» bien sûr, et le «47» lui-même. Ce qu’il avait connu n'existait plus, à commencer par l’ex maison familiale ! Certes, les murs, sols, escaliers et rampes étaient toujours là, cependant il n’y avait que les murs à se souvenir de lui....  L’âme du quartier qu’il avait connu semblait avoir muté en quelque chose de moins convivial, plus violent, visqueusement très malsain, pégriot voire maffieux. Quand on revoit des lieux d’enfance, on se rend compte qu’ils ont changé, qu’ils sont moins vastes que dans les souvenirs, qu’on les avait idéalisés. Pourtant là, il croyait percevoir une vraie mutation. Peut-être le choc aurait-il été moins violent s’il avait davantage fouillé les faits-divers du quartier ces dernières décennies. S’était-il imaginé qu’au moins le «47» aurait été préservé sous cloche, comme dans un musée?…. Serrements de cœur. C’était la vie. Tout changeait, mutait, rien n’était stable. Ce serait comme çà jusqu’au basculement définitif et collectif, via la chiennerie humaine, la dégueulasserie humaine...

 

Il roula vers la Descente, puis retourna vers le nord des Terres-Laïcville, s’arrêta pour fumer une cigarette, près du canal Lave-Soeur et du Pont-des-Chiennes. Pourquoi ici, vu la réputation sulfureuse du site? Parce qu’icelui était limité borné par ledit canal. Et aussi pour se remettre du choc… Métamorphose du quartier qu’il avait un peu pressentie, l’ayant parfois traversé de jour, abordé de nuit pour garer lors du Festival culturel de la ville, et par ouï-dire. Mais là c’était concret et intime, pas du reportage, et çà le prenait aux tripes! Transformation interne, surtout, de la maison familiale, en quelque sorte «allotie», où il s’était aventuré. Que c’était triste! Au final, son élan proustien vers le «47» l’avait entraîné au fond du désespoir. Il aurait dû regarder seulement devant lui plutôt que derrière… Il avait voulu avancer en faisant un détour par derrière lui, faire un «compromis tactique» avec çà pour se libérer de cette pesanteur du passé qui le poussait à regarder en arrière, qui le tirait en arrière, littéralement réactionnaire pour lui. Ce «pélerinage» avait été fait dans ce but. C’était un cruel échec. Leonidass maintenant se sentait moins libéré que ferré. Par quelque chose de disparu il était franchement ferré: «Avec le temps, va, tout s’en va. Même les plus chouettes souvenirs ça t'a une de ces gueules…je farfouille dans les rayons de la mort». Ferré par des ferrements et non par de sains ferments. La mort. Chimen lan mò a.   Pour ne pas crever,  il devait se secouer, agir-réagir comme jamais, se violenter pour enfin trouver un sens à sa vie!... Action-propulsion contre son rétroviseur réactionnaire. L’endroit où il fumait était bien choisi car il devrait se débattre dans le bain mortifère lui-même.

 

Elles étaient donc deux. Deux jeunes personnes s’avançant vers lui, minces, ondulantes, aux looks très sexy, se ressemblant comme des jumelles. Vu Le look, le lieu et l’heure, spontanément il pensa à des manawa… Non, il chassa l’idée, ayant passé l’âge de se fier aux apparences, parfois trompeuses. Il était rare qu’elles «attaquent» un présumé client à plusieurs. De plus, il n’eut pas droit aux classiques «¡Ven, querido! 100€ para chupar, 200€ para follar etc.» ou «¿Quiéres sexo?», comme entendu à un stop un peu plus tôt. Il lui fut demandé doucement, le bras levé, s’il pouvait emmener et déposer Claude Estrella et sa copine au quartier Despierres, périphérique. «Pourquoi pas?», se surprit-il à répondre. Il ne risquait pas grand-chose, car armé (portière avant gauche). Il accepta sans manières, on échangea les numéros de téléphone, puis il revint vers la capitale continuer son errance, et rentra enfin chez lui pour une nuit, qui serait agitée par des cauchemars.

Quelques jours plus tard Claude l’invita à boire un verre dans un bar en soirée, avec ses meilleures copines. Son sosie n’en était pas. Il accepta. Elles burent plus que de raison. Il proposa à Claude de la ramener à Despierres, elle accepta, lui demandant à passer aux Terres Laïcville pour «prendre un truc». Ce fut d’abord une flasque de whisky, puis, rue de l’Abbé Grégoire, elle sortit de la voiture en titubant, demandant de l’attendre dix minutes. Vu ce qu’il avait fait avenue August Bebel quelques jours avant, il attendit un peu, sortit fumer une cigarette, en donnant deux à des gars pas très nets qui ne lui firent pourtant pas de problème… Après quinze minutes, il se rassit dans la voiture et appela Claude pour savoir quand elle reviendrait, etc. Un  smartphone sonna dans la voiture: elle l’avait oublié là. Complètement boulée, cette fille. Il attendit, mit le moteur en marche pour démarrer à la moindre alerte…. Elle revint finalement avec un sachet dans la main et un paquet de cigarettes dans l’autre. Elle fumait déjà un mélange douteux, dans la voiture la fumée puait autre chose que la cigarette… Elle lui mit les bras autour du cou, la voix pâteuse, l’haleine douteuse. Regrettant un peu d’avoir accepté son invitation, il comptait maintenant faire comme la fois précédente: la déposer en bas de chez elle et puis basta! Mais une fois sur place, elle était à deux doigts de vomir dans la voiture, incapable d’en sortir par ses propres moyens. Il demanda le code d’entrée du parking, entra le véhicule et se gara. Elle était toujours quasi K.O.: il la prit par l’épaule et la porta littéralement, lui demandant les numéros d’escalier, d’étage et de son appartement dans cet immeuble made in défiscalisation Pons.

C’était au premier étage, sans logements au rez-de chaussée. Il finit par y arriver, la mit toute habillée sous la douche dont il l’arrosa de loin, et à la fin refroidit complètement le jet pour vraiment la secouer. Elle s’isola pour se déshabiller, se frictionner au savon, se rincer et sécher, se changer, puis … elle lui demanda de rester un moment, complètement lucide apparemment. Il tenta de résister, alors elle mit de la musique et, après avoir allumé une cigarette trafiquée, se mit à onduler près de lui puis en le frôlant du bas-ventre.

Il accepta, sans plus s’engager: il n’avait pas de scaphandres de poche... Il y avait de quoi boire, Claude ne se gêna pas et en proposa. Bouteille déjà ouverte avant leur arrivée, donc teneur de la mixture inconnue: il déclina, on ne savait jamais. Claude continua de danser, en solo, s’interrompant parfois pour lui chuchoter son histoire par bribes, une histoire d’un drôle de genre… En plus, maintenant, il émanait de Claude un érotisme torride en action, et une atmosphère de stupre effréné et ... androgyne, voire asexué. Oui, çà faisait bizarre au visiteur de ressentir un truc comme çà. Cependant il n’aurait pas su le formuler autrement. Il commençait à ressentir quelque gêne… De toute façon, Claude pouvait faire «genre pute», mais curieusement ne le tutoya pas pour une passe. C’était peut-être autre chose. En attendant,  il avait du mal à lutter contre ses sens, assis face à elle qui ondulait nord-sud-est-ouest au son de sa musique. Moulée dans sa robe courte rouge sans soutien-gorge, elle avait ses petits tétés pointant vers lui comme animés d'une provocation autonome. Pieds nus, tous les ongles vernis du même rouge que sa robe, Claude se balançait à un mètre de ses yeux comme un pendule, se rapprochait, dansait sur place, puis reculait, dansait sur place, se rapprochait plus près, diantrement attirante, l’observant fixement, l’oeil parfois clignant et le bout de la langue balayant ses lèvres, semblant le tester. Toujours assis, il résistait, pourtant c'était dur… De temps en temps Claude remplissait son verre et le vidait lentement, ses beaux yeux mi-clos le regardant d’un air complice. Heureusement, il était «à jeûn». Après deux ou trois morceaux langoureusement dansés, elle s'affala dans le lit en un «bouf!» sourd sur le ventre, puis replia doucement ses genoux sous le corps, accentuant sa cambrure et mettant en valeur le relief de ses fesses musclées. Lentement, il tendit la main vers le mollet, l'y posa puis remonta la jambe doucement, très doucement, caressant de haut en bas la peau lisse et parfois frémissante, s'arrêtant comme par jeu, puis reprenant l'ascension de la haute femelle. De proche en proche, en un stop-and-go plutôt téléphoné, il atteignit le bas de la robe, au-dessus du mollet. Il caressa l’arrière du genou. La cuisse s'annonçait aussi très douce, comme satinée. Après une halte, ses doigts sur la cuisse remontèrent, toujours en stop-and-go, centimètre par centimètre, comme par la stratégie des petits pas (ou tactique; il s’en moquait, n’étant pas là pour faire une étude de sémantique), toujours plus lent, et enfin caressèrent le bas de fesses très douces, un long et doux moment. Claude semblait aimer cela, frémissait, balançant le bassin d'avant en arrière, très lentement, le regardant comme en une invite à aller plus loin, plus haut. Alors que, par un micro-glissement transversal, les doigts tentaient de s'aventurer progressivement, vers the danger zone, Claude se leva brusquement pour danser sur un morceau beaucoup plus rapide que le précédent, reprenant ses balancements droite-gauche, mais aussi d'avant en arrière, puis conjuguant les deux, mi danse du ventre, mi danse du ventilateur. A un mètre de lui, c’était de plus en plus bandant, nom de Dieu, et un peu ambigu ! Il avait soif ! C'était boire ou faire une chose qui, que… Il se précipita pour boire deux verres d'eau glacée, et dans la salle d’eau se mouilla la tête abondamment à l’eau froide. Çà allait mieux! Il proposa à l’allumeuse d'aller vers la table pour la voir de plus près, à la lumière, échanger un peu et faire connaissance. Il fut fait droit à sa requête. Et alors commença la narration par Claude d’éléments de sa vie. Enfin, narration: façon de parler! C’était complètement décousu, avec des «scories»: redites, flashbacks, ressassements, borborygmes, éructations, remontées gastriques (elle s’éclipsait vivement vers le lavabo) et excès vocaux en tous genres, partiellement dûs à l’alcool trafiqué, à la fumette ininterrompue d’herbe douteuse…. Parfois Leonidass croyait entendre la fille se dédoubler, parler à une autre elle-même… Elle parla pendant des heures. De temps à autres, il sentait que pour comprendre il devait faire le point, résumer, donc il prenait des notes, utilisant des mots à lui quand le discours était trop confus, quand c’était du délire verbal coutumier. Pour lui ce fut quelque chose de bouleversant, poignant, parfois insupportable, d’un impact imprévu sur sa vie.

[De toute façon, Claude lui avait demandé de prendre des notes, ce qui l’aiderait à faire le point sur elle-même. Il avait accepté. Des années après, on retrouverait ces notes chez lui, bien conservées, comme un «repère» de vie. Il les avait expurgées des scories, laissant juste assez de confusion pour, à la lecture, y retrouver le ton général, pour le propulser vers on ne sait quoi. Voici ces notes.]

 «Ne me regardez pas comme çà. J’fais pas la pute avec vous, sinon je vous aurais déjà proposé des spécialités grainées et gratinées … Je reviens de très loin, de l’enfer sur Terre.

C’est y a pas longtemps que j’ai compris ce qui m’était arrivé et que j’ai appris à parler pas trop mal, en parlant avec des psys, des intellos qui m’ont expliqué des trucs, qui me disaient de regarder un peu tous les jours des discussions sérieuses à la télé et sur le net (avant j’étais tout le temps sur Facebook et Cie). C’est tout çà qui m’a aidée à mettre ensemble les pièces du pee… du puuz., comment on dit déjà? Bref.

Je m’appelle Claude Estrella del Sol del Infierno. Pour mes amis c’est Claude ou Estrella, mais je préfère Claude. Je suis née en Martinique vers 1983 je crois, de parents caribéens, je crois (mère martiniquaise-dominicaine, géniteur j’sais pas). J’ai des doutes sur tout et d’abord sur moi-même. Je suis qui, et quoi? J’ai pas eu les joies de l’enfance: insouciance, spontanéité, témérité quand je jouais, provocation border line, etc. Mes premiers souvenirs, c’est seulement des interdictions, et c’était jamais fait franchement: je n’avais «pas le droit de», mais pour commencer c’était pas brutal, on me le faisait comprendre après en me foutant des coups, en me culpabilisant, c’était toujours comme çà. A un moment donné çà a changé. Quand j’allais un peu loin, paf! les sanctions plus brutales tombaient, genre tank à Kaboul, bombardements à Grenade. Je comprenais rien, j’avais de plus en plus peur, je pleurais dans mon coin. On me disait «je t’aime, tu es libre», mais c’était pas vrai, c’était le contraire et çà me faisait douter tout le temps, et çà m’est resté… Le doute sur moi, sur mes proches, rien n’était franc, un vrai cauchemar, ça me rendait schizo parano! J’ai été élevée dans le doute sur ce que j’étais, ce que j’avais le droit de vouloir. Les psys qui m’ont vue m’ont parlé de «capacité volitive» et de son «ablation quasi chirurgicale par harcèlement moral précoce, récurrent et multiforme». Pffft! Sé grangrèk la ka boufi mwen épi sé bèl pawòl yo a!.. En tout cas, tout le temps j’ai  douté de là où j’allais, d’où je venais, et même de si j’existais…. On m’a volé mon enfance ! A quatre ans, j’ai été placée dans une famille d’accueil, pour ma «protection» soit-disant. Ma mère et ses parents ont fait ce qu’ils ont pu, mais tout de suite j’ai été mise dans leurs problèmes, sans filet. Ma grand‘mère était une junkie, ma mère aussi, très vite défoncée par le crack et les clients. C’est pour çà que j’ai été «placée», avec mon frère. Je connaissais rien à la vie, je comprenais rien et j’avais peur. É man pran fè, fout’man pran fè ! Lè man té ni wonz an, man té ka miziré on mèt swasant, je faisais plus que mon âge mais je ne ressemblais pas à ce que j’étais…On gwo békché vini mennen mwen alé pou achté bèl rad, bèl parfen. Man té flaté, i té ka mennen zafè’i byen, i dwèt té za fè sa épi dòt ti manmay… I mennen mwen adan bel kay li, on gwo kay ki té ka sanm on gwo bato! Chak pyès té kon an kabin adan on bato. Man té ka fè ganm, man té ti manmay. I koupé mwen défonsé kon an bèt ki té tay, kon antan lesklavaj. I pa mennen mwen kay li wè fanmi’i, sé té on gwo visyé, i pa ban mwen ayen de pozitif! Mais à ces moments-là je pouvais pas deviner, j’étais une enfant paumée et seule…

 

Le visiteur n’en revenait pas! Tant de souffrance accumulée sur la durée! Beaucoup d’autres préadolescentes devaient encore vivre çà, et les medias n’en parlaient jamais, ou si peu…. L’omerta. Et lui commençait à ressentir un malaise….

 

De 11 à 15 ans, lui et ses bons amis ont bien profité. On me disait que j’étais «consentante» donc… Je ne connaissais personne pour m’aider, me dire de faire attention, tout çà.... A 15 ans, apré yo byen dékrakché mwen, i ladjé mwen pou dòt ti manmay: je commençais à trop ressembler à ce que j’étais...Mais je n’avais pas de formation, pas de contacts pour me trouver un travail bien. Il aurait fallu passer par le droit de cuissage, mais j’ai toujours refusé. Pour retomber dans des malpropretés avec des gros porcs? Jamais! Résultat : chômage tout le temps! Je faisais bien des petits jobs... Des copains devenaient des petits copains occasionnels, qui me proposèrent de fumer un peu d’herbe, puis de prendre des trucs plus durs. J’avais mis la tête hors  de l’eau mais je replongeais, c’est sûrement là que j’ai commencé à perdre pied. De petits copains en groupe de petits copains me testant ensemble comme «bonne» pour le service, yo mété mwen lé Tèlaïkvil, épi tout sé manawa a ki té za la. Des passes, et encore des passes, et les macs ne me laissaient rien pour être un peu autonome. J’ai été soumise, sous mises, soumise à respecter des règles «silon van», dégueulasses, sans pouvoir me défendre. Et j’étais une curiosité….

Mais là à présent, je suis révoltée contre ce monde qui tolère la prostitution en général, y compris celle des enfants….

Si vous croyez qu’au départ  j’ai choisi tout çà, vous êtes un con ! Je n’ai pas eu de «choix». On m’a piégée, surtout des gwo tchap très «respectables». J’assume ce passé, mais je n’accepte plus, sa tro rèd! An fon tjè mwen man ka soufè toujou.. Pour supporter tout ça, j’ai dû consommer de plus en plus d’herbe, puis des trucs de plus en plus durs, comme j’ai déjà dit. D’abord un petit peu, proposé par les «petits copains» en groupe, puis de plus en plus: ça m’ «aidait» pendant les tournantes. Puis des trucs plus forts encore... Et voilà ! j’aidais encore des salopards à faire du fric sur mon dos... ça a duré des mois,.. Et j’ai été amenée à faire la mule. Pour m’y obliger, mes «fournisseurs» menaçaient de ne plus me fournir. Et pour que je comprenne bien ce que ça faisait, ils ne m’ont rien donné pendant deux semaines, après m’avoir enfermée en sous-sol à Case-Navire Je souffrais, je hurlais pitié, je croyais que j’allais crever! Je leur ai demandé plusieurs fois de m’en donner, je rampais, et ça les faisait rigoler. Je leur disais de me tuer… Ils se repaissaient de ce spectacle woman man show qui souffre, pleure et crie (j’étaist pas  «une ourse qui danse», mais ils s’en foutaient). Je n’avais pas le courage de me tuer ou de me faire tuer alors j’ai cédé... Et un jour j’ai été arrêtée dans un aéroport. Jugée coupable,  j’ai pris sept ans. En prison, j’ai encore été violée par des gardiens, me suis battue plusieurs fois avec une gardienne. Donc allongement de peine et encore allongement par des gardiens, des pseudo-mecs, des porcs en phase grégaire. Aucune excuse ! Mother fucker yo tout! Man ké trouvé yo, j’ai leurs noms ! Pareil pour les gwo tchap d’ici, avant. Jou tala man ké krazé yo..

Pendant tout ça, je disais parfois «Oui» parce que wi pa ni poutchi, mais à chaque occasion je détournais les règles qu’on m’imposait. La danse avec la boisson et mes fumettes sont mes seules issues de secours. Mwen sé yich Matinik èk Gwadloup èk la Guiyan épi Dominicani, nèg, alors je danse ! Tu profites de moi,je profite de toi. C’est toi qui a commencé mais au final c’est moi qui t’aurai dominé car je te fous le SIDA, connard ! Je te fous bien en confiance, tu te crois très malin de me mettre ton machin facilement, mais avec ce que je t’ai refilé tu vas déguster, tu vas vivre la chute. Tu chopes une saloperie contre laquelle tu ne prendras aucun antirétroviral, alors que moi j’en prends régulièrement depuis des années par trithérapie. Mon état s’est stabilisé mais toi tu vas crever de peur quand tu sentiras tes premiers trucs bizarres, et tu souffriras jusqu’au bout car tu es trop lâche pour faire le test. Peut-être que tu feras un cancer lié au stress, ou un bel AVC ou un infarctus, ou tout çà à la fois, tu seras un légume qui souffre. Haaaaaa, j’aimerais les voir agoniser dans d’atroces souffrances, ha! ha! Tu pourras toujours t’adresser à dieu qui te renverra à ta connerie vu qu’il n’existe pas cet enculé, j’en ai fait l’expérience: il ne m’a jamais aidée quand j’avais besoin, je lui enlève toujours la majuscule….

Je veux vivre à fond ! Alors, dans ces murs que je peux pas repousser, je vis à fond, j’encule ceux qui croient m’enculer. J’ai beaucoup d’adrénaline sous mes manières douces. Man ké’i fann tchou’w s’ou pa ka respèkté mwen. Pa maché anlè pié mwen, mésyé !... Par combien de «foyer de protection de l’enfance», «institutions» ou «familles d’accueil» je suis passée, j’ai oublié, et je m’en fous. Maintenant j’ai mon chez moi. N’y entrent que les gens que j’accepte, comme vous Monsieur Leonidass car je sais que vous êtes différent. Aprézan sé mwen ki ka dominé, mwen ni prop kay mwen.   

Man ka fè’i à plen tan. Je te sens venir de loin, tu pues le porc, fucking dog ! Tu m’as vu et reniflé de loin comme un chien en rut. Mais je ne suis pas ce que tu crois. Femme ou homme? Devine! Tout être humain a de la valeur, et droit au respect. Et je vais t’obliger à le comprendre, à t’ouvrir à çà grace à mon vibromasseur stimulateur anal, tu vas te découvrir des points de vulve que ton cul n’imagine pas. Ma loyauté est agressive, mais je peux aussi devenir vampire si tu veux m’abaisser. Je loue mon cul mais ne me vends pas. Mété kò’w

byen épi mwen. Man ké’i krazé tou sa ki pa lé wè mwen kon an moun. Pétèt man ka sanm on bèl fanm, men man pa on poupé gonflab nenpòt ki nonm pé koupé épi jété. Pa kritikché mwen, pa jijé mwen, dann!! Fucking dog ! Ki sa ou yé ? Sa ou konnèt anlè mwen ? Tu ne cherches pas à comprendre, tu consommes servilement car tu te crois supérieur dans cette société: tout se vend et s’achète. Tu te permets de me juger seulement d’après mon look bandant la nuit aux Terres Laïcville, mon image animée te fait bander, alors branles-toi, man ! Je ne suis pas une chienne, ni une bête ni un sac à foutre. Je vis comme je peux, comme celles du quartier, mais je nous vengerai toutes et tous : les macs et ceux qui les soutiennent, je vais tous les buter.

Dégage, connard, ou je te bute au couteau! Sòti douvan mwen ! Un jour je deviendrai V.I.P. tu sais, alors dernière sommation !   Tout çà c’est pour l’avenir, pour l’instant je gère.... Je vis pas trop mal, j’ai des projets, je fais mon chemin, pas comme les pauvres exposées qui sont là. Si tu me méprises ou veux te mettre en travers de ma route, je t’écraserai comme une merde, exactement comme on a essayé de m’écraser, en pire. On ne m’a pas fait de cadeau, je n’en ferai à personne. Je n’aurai aucun scrupule même tout de suite. Dégage! Je peux te massacrer de nuit sur la Rive Gauche Lave-Soeur ou près du Parc Floral. Ou lé vini? Ben vini, vini… Il me suffit de t'attirer vers moi dans une encoignure de porte discrète, puis contre moi. Cela ira très vite, tu n’auras pas le temps de réagir: dix coups de couteau-chien acéré au coeur, dans l’estomac, la gorge, dans les yeux, en cinq minutes c’est fini pour toi... Acompte de vengeance pour l’avenir, et pour l’exemple... Bien douée! Je suis douée, tu ne pourras pas m'enfiler simplement, je suis trop bien pour toi. J'en veux! Je saisirai n’importe quoi pour me hisser vers le haut, fòk mwen sòti an kaka ta la. Mais discrètement, personne ne doit soupçonner. Vivre ma vie à moi, je la veux couleur et saveur caramel, avec un peu de lait et de miel mais pas seulement… J’ai un sale caractère! J’ai toujours payé très cher mes sautes d’humeur. Maintenant je gère mieux ce p... de caractère, je ruse avec lui et les situations, même si c’est pas encore bien au point… Les autres vont payer! A commencer par le gros béké qui m’a dépravée en premier en s’en cachant, les maquereaux et femmes «respectables Desekede» qui cautionnent çà en laissant leurs hommes aller aux putes au lieu de s’en occupper bien comme il faut, les hommes-chiens qui me reniflent comme des porcs, hommes-flics… Ce type est encore vivant, c'est un gwo tchap médiatique. Il va regretter d'être né…

Je sors un peu de cette souffrance. J’ai trouvé un super oxygène et un moteur: c’est ma revanche sur ma chienne de vie, ma vengeance contre les gens qui se sont servis de moi, en ont bien profité, et de leurs clones présents et à venir. Effet boomerang, loi du talion! Zyé pou zyé, dan pou dan!! Men pou on sèl dan man ka krazé tout machwar la!!. Souffrance subie: à restituer au centuple. Je rends la monnaie avec les intérêts ! Tout acte passé reste dans l’éther, il a des conséquences…Je suis tombée dès mon plus jeune âge, je me suis relevée, j’ai retrébuché, j’ai toujours souffert, je picole et je me drogue pour tenir et parfois oublier. J’ai porté ma croix et je la porte encore, toujours seule. Je me shoote et je picole. Je suis un grand corps malade… J’aurais pu être une femme «pure» si je n’avais pas été cet esquif dans un canal de la Dominique déchaîné. Il faut bouffer. Alors oui je loue mon cul tous les soirs! Et mes clients sont parfois surpris, je le savoure: çà les déstabilise et j’en jouis…Suis ambisexe, alors leur regard quand ils découvrent que…Hé!hé! Ils sortent de là, ils ne savent pas qui ils sont: anima, animus? (et leur cunnilingus voire cunnilinctus à l’anis? avec moi ils l’ont dans l’os.)

Ces scènes de revanche de l’enfant qui reste en moi m’aident à gérer mon mental et ma consommation… Tu dois gérer. Estrella, ton argent passe dans ta consommation de came ma chérie. Tu dois la réduire, économiser, Comment tu pourras faire des projets si t’as pas du fric de côté, dans cette société de merde, si tu leur fous tout aux dealers ?Estrella, tu manges à peu près à ta faim, tu es chez toi, plus à l’aise que pendant ton enfance de sous-merde à la dérive, cible de tant de pervers te crachant dessus. Oui, mais je suis encore à la dérive, même si ma conscience m’aide à éviter trop de bêtises... Ma petite sœur a le même caractère que moi, elle n'en fait qu'à sa tête, je veux pas qu'elle vive çà. Mais elle est partie pour faire pire que moi… J’ai peur pour elle !

Estrella, tu es mon soleil, beaucoup plus que le soit-disant Jésus qui n’était pas là pour m’aider quand j’étais au fond du trou. Je m'adresse au vide, c’est sûr. Mais si je me trompe, écoutes, Yeshua Ben Youssef de Nazareth, tu n’es qu’une icône pour gogos. ou un gars qui a monté une affaire qui marche vraiment, t’es pas un sauveur, mais un escroc ! Espèce d’enculé de ta mère, cette Marie qui faisait le trottoir à Béthléem, à la recherche de nouvelles sensations, toujours dans une mauvaise passe! Hé, l’Araméen,tu m’entends?... Descends de ta croix, enfonces la toi profondément dans le cul: ça te fera des sensations nouvelles. Parce que depuis 2.000 ans tu as vraiment l’air de t’y emmerder sur ta croix, faut te rattraper. Et pendant tes nouvelles transes, tout le monde comprendra que tu es vraiment un yisalòp : tu n’attends même pas Pâques pour ressusciter, espèce d'hédoniste pervers... Tu n’es qu’une image, jamais là quand on a besoin de toi. J’étais seule au monde, entourés de monstres qui se soulageaient. Jésus hologramme de mes gonades, pourquoi n'as-tu pas mandaté ta mère pour leur arracher les couilles après les avoir bien fait picoler, puis les leur faire bouffer ? Elle aurait trouvé une combine, cette pute… Oui, c’est vrai, Jésus et Dieu,  vous êtes complices, donc dieu n’existe pas et je vais faire péter les églises… Bande de salopards, vous allez me payer tout çà avec les tripes de vos parents, man ké péyé an moun pou krazé matris manman zòt! Aucun d’entre vous ne va plus profiter de moi plus de deux fois. La première fois j’étais gamine, naïve, innocente dans un monde de brutes en rut sans scrupule, ce que je savais pas. La deuxième fois, par naïveté ou grandeur d’âme (c’est souvent pareil) je vous ai laissé le bénéfice du doute et vous ai laissé faire. Maintenant je bousillerai tous les porcs et truies qui m’approcheront, même s’ils sont nets dans leur tête. Y a des innocents qui paieront pour les coupables, c’est ma guerre à moi. Vive l'amalgame, çà soulage! C’est dommage et triste ? Mais moi enfant je n’avais fait de mal à personne. Et bien des porcs en ont profité sans retenue, au-delà de tous leurs fantasmes. Ils m’ont fait plonger toujours plus dans la drogue et l’alcool, parce que je préférais pas être trop consciente, et dans la prostitution, parce que j'avais besoin d'argent pour payer ma came, et ça arrangeait leurs affaires et celles de certains notables… J’ai pris tellement de fer à cause de tous ces exploiteurs que je veux devenir l’être le plus cynique de l’île. Je m’acoquinerai avec les plus gros békés et les plus gwo tchap, tous bords confondus…

Ces types croient m'avoir à leur botte, mais leur faiblesse c’est leur complexe de supériorité: ils se méfient pas! C’est pour bientôt! Ils voudront me sauter, m'enculer, alors je leur ferai la totale: fellation, annilingus, doigt dans l'anus (ils adorent çà), sodomie avec vibromasseur et vaseline, puis sans vaseline, puis avec huile pimentée au bonda man jak (avec en plus du jus d’ail pour que les petites plaies s’infectent)… Et, quand, assoiffés quasiment en transe ils exulteront de plaisirs inconnus, ils me réclameront à boire, je leur ferai boire un truc spécial pour leur faire faire ce que je voudrai: marcher à quatre pattes en aboyant avec le vibromasseur dans le cul, puis je leur retirerai le vibromasseur pour leur faire sucer, puis je le remettrai à sa place. Je leur ferai avaler ma pisse directement à la source, sucer mes règles quand j’en aurai (après mon opération), et bouffer ma merde. Je les ferai enculer par un rockweiler ou un grand nèg nwè que je leur ferai sucer après. J'ai plein d'idées. Je filmerai tout çà, je le mettrai sur des clés USB que je laisserai trainer partout, près des endroits officiels très fréquentés: Préfecture, sièges des médias, Mairies, siège de la CTM, plages très fréquentées, Parc Aimé Sévère, Grand Théâtre Gerty Archimède, etc. Y aura toujours quelqu'un ayant souffert de ces gens-là, pour mettre çà sur les réseaux sociaux et l’enregistrer avant retrait. Je vais les salir, foutre le bordel, les démolir. Personne ne saura d’où ça vient passke j’irai grimé dans un cybercafé et je payerai en cash (même l’enquête sur l’adresse IP ne donnera rien). J'ai déjà un début de liste, où y a pas que des békés, mais aussi des tas d'institutionnels coutumiers des abus de bise sous prétexte hiérarchique voire du droit de cuissage, tout en «condamnant» tout çà en public .Je vais niquer leur réputation, certains devront émigrer pour se faire oublier. Yo ké'i tchoutchout'!! ...Yo ja tchoutchout'! Je vais faire la roue va tourner brutalement… Mais chut! Ne le répétez pas, c'est mon plan pour foutre en l'air le côté réactionnaire du pays que j'aime... Vengeance! J’en veux à tout l’univers de laisser faire tout çà. Je crie vengeance pour toutes celles et ceux condamnés à vivre ce que j’ai vécu! Exhaltée par ce combat je suis! J’en jubile et j'en jouis d'avance. Et je danse, je danse la vie telle qu'idéalement elle aurait pu être pour moi dès le début, pour moi et pour tant de millions d'autres sur la planète. Peut-être que, d’une petite île dont tout le monde se fout, un changement important viendra sur la base de ce petit branle, cette petite subversion (sans mot d'ordre) de l’«ordre sexuel» prédominant, le petit branle naissant sur une petite île «francophone», de la Caraïbe. Une petite subversion faisant effet domino, mettant en mouvement les pays alentour dans leurs traditions sexuelles de mes gonades, secouant sociétés et hommes dans des fondements inattendus. Hi!hi!

J’ai lu un truc comme çà …attendez… parfois, des changements radicaux «historiquement nécessaires» se font sur la base d’événements qui servent d'étincelle. Romain le 22 mai 1848. Lubin en septembre 1870, meurtre de l’archiduc François-Bagaï en juin 1914, manif de femmes russes en février 17, altercation en décembre 1959, tout çà. C’était mûr, on m’a dit, il manquait l'étincelle. Hé bien je fabriquerai la mèche et allumerai l'étincelle, tout le tonneau explosera! Le résultat, permettra à plein d'«invisibles» de respirer enfin un peu, de se mettre inattendument debout! Çà va chier comme ils disent en France.

Je sais, vous pensez: cette junkie est vulgaire, et elle mélange tout, les révolutions sociales et plein de choses qui n’ont rien à voir. Pensez çà si vous voulez, c’est ma façon de parler. Après tout, les pigistes à la télé qui nous racontent que tel politicien sort avec telle artiste, pendant ce temps-là y a des guerres partout et on nous en explique jamais les dessous: c’est pas vulgaire? L'argent de nos impôts détournés par des gwo tchap bien placés, les risques nucléaires, la menace d'engloutissement de nos pays à cause du réchauffement climatique, tous ces gens qui disent qu'ils font des journaux d'information, ils nous en parlent à peine: c'est pas vulgaire ? Tous ces enfants, ces jeunes garçons et ces femmes mises sur le marché du sexe, on n'en parle pas: c'est pas vulgaire? Mais quand on dit un gros mot c'est vulgaire... èh ben mwen ké vréyé yo ay koké manman yo tout.

Tout çà doit changer, y en a marre!...Oui je rêve, je rêve et je danse au son de ma musique. Je sais que tu m’écoutes Presque avec tendresse, et depuis une heure. Tu aurais pu partir, tu es encore là. Je te plais. Viens danser contre moi, chéri…

 

Leonidass comprenait de mieux en mieux. Sa gorge se serrait, il transpirait, sa fièvre changeait de nature. Il se sentait en léger frémissement, comme s’il était une casserole d’huile qu’on vient de mettre sur le feu. Il était partagé entre le rejet brutal et l’attirance vers cet être au parfum capiteux. Son empathie et sa compassion était encore là, et bien là, c’était allé trop loin... Sa té ké’i pli fasil si… Or justement, pour lui çà n’était plus facile. Qu’est-ce qu’il était venu foutre là, à vouloir aider, pour se retrouver l’estomac et le coeur au bord des lèvres. Il se dégoûtait un peu, il fallait partir tout de suite, pourtant il n’arrivait pas… Claude le prit doucement par la main, le fit se lever pour danser, il ne savait pas comment résister.

 

Je sais que tu en as envie, laisses-toi aller. Je veux pas te convertir mais viens, tu verras c’est doux…Pourquoi tu te crispes? Détends toi. Tu dois juste te sentir bien. Les clivages hétéro-homo c’est surtout dans la tête, çà peut évoluer, c’est souple. Tu crois ne pas avoir de préjugés homophobes? Pourtant tu en as plein, la preuve c’est que tu te crispes…. Tes préjugés, tu peux les faire reculer. Détends-toi, personne ne te regarde. Allons-y… Dansons ensemble l'un contre l'autre, en harmonie. Ecoute la musique, suis moi… çà te plait, hein?... Je danse et je danse et danse mon amour et ma vie. Je fume mes trucs, je bois du whisky trafiqué…. Je crois que tu aimerais m’aider à me protéger contre moi-même et à me hisser au-delà de moi-même, à me «transcender», je crois que c’est comme çà qu’on dit. Je veux grandir, sortir de moi-même, et tu l’as compris. Mais je suis rétive, je résiste aux conseils car rebelle à tout ce qui n’est pas moi…

Et pourtant je veux sortir de ma situation sans issue malgré ce que je disais. J’en ai marre de l’alcool et de l’herbe pris pour m’oublier. Je veux escalader ces murs invisibles et hérissés de barbelés empoisonnés qui m’entourent, c’est ma cage! Je veux briser mes chaînes et les faire avaler à mes bourreaux d’hier et d’aujourd’hui… Toi et moi, Estrella ! Je serai là pour toi. Non, casses-toi pauvre con! Si tu mérites une trempe je vais te frapper et tu ne me domineras jamais plus…

Malade de mon ego dédoublé, je suis !!! Je dois prendre soin de moi. Mais il paraît que c’est déjà dur pour quelqu’un vivant à peu près normalement, sans trop de soucis d’argent ni de norme, de sexe ni de genre. Alors moi, tu imagines. Je suis si seul, sans personne avec qui échanger en confiance. Je me dédouble, je me parle à moi-même sans que ce soit un soliloque. Prends soin de toi quand même Estrella. En tout cas essayes, tout de suite ! Quand on a touché le fond on ne peut que remonter, alors remontes, propulses toi !… Tu dis que tu n’as pas confiance en toi. Peut-être. C’est vrai que si tu avais eu une assise d’adultes un peu plus solides et fiables çà t’aurait aidé… Tu ne l’as pas eue, donc tu dois te construire seul. Plus tard tu pourras dire «Je ne dois rien à personne, ce que j’ai je l’ai arraché avec mes dents!».

Dans la rue tu es tombé Claude, marché tu as tellement marché pour essayer de te retrouver mon amour, et tu n’es pas arrivé : tu étais trop fatigué de marcher nuit et jour sans pause ni boussole pour te repérer... Tu as connu la facilité, mais tu as compris aussi que la vie c’est pas çà : il faut se battre contre la tentation de la facilité. C’est facile à dire, connasse ! Tu t’es laissée aller mon amour, tu t’es laissée emporter par la tempête des maquereaux-dealers, et ma meilleure amie c’est toi… Qui me parle? Putain! encore ce dédoublement.. Que c’est compliqué ! Des ancêtres bienveillants qui me parlent? Les saletés que je prends? Et Anima et Animus qui se battent en moi pour chacun prendre le dessus ?

Estrella, je suis perdu sans toi, j’ai besoin de toi, ne me quittes pas ou je meurs…

J’ai tellement souffert, tellement marché, je n’en peux plus. Je voudrais me poser, me reposer sans avoir besoin de came, d’alcool et autres saloperies, me désintoxiquer, renaître pleinement lucide. Ma lucidité! Dans mes sursauts de lucidité je sens qu’en la mesurant, on ne trouverait pas 70 ou 50%, mais même pas de 20% par rapport à l’optimum, et encore : quand je n’ai ni bu ni fumé, parce que là c’est bien en-dessous… Quelle déchéance à mon âge ! Il faut quitter le monde des mondes démon… J’ai connu trop tôt le trottoir trop tôt, ce chemin trop tôt mon amour. Pétèt man té ké’i pli kontan si man té lajòl, man hhont’ kon… Non, fòk pa man di sa, man ja konnèt sa lajòl… Je ne suis rien pour toi, tu es tombée dans la facilité, moi je t’ai regardé en nous dédoublant… Alors assez ! Assumes-toi.

Mon cavalier, donnes moi des conseils pour ceux de ma famille qui me méprisent à cause de ma déchéance… Donnes-moi des conseils pour que cette putain de famille m'accepte comme je suis… OK, cavalier, je comprends que tu ne comprends pas, ce n'est pas  ton monde et puis c'est compliqué.

Qu'ils balaient devant leurs portes, les tarés hétéros bornés formatés! Tu n’es jamais vraiment tombé, Claude, et tu t’es battu comme tu as pu. Oui, tu as titubé, trébuché, oui, très souvent, mais sans jamais toucher terre à deux genoux. Là ç’aurait été fini. Tu n’es jamais complètement tombé, jamais ! Tu t’es toujours relevé, les larmes aux yeux, la bouche en sang, la rage au cœur, mais tu t’es toujours relevé ! Quand épuisé trébuchant un de tes genoux touchait terre les imbéciles te jetaient la première pierre, se croyant très forts, se croyant dominants, mais toi tu reprenais toujours la position verticale, à leur grand dam. Ils attendaient ta prochaine épreuve, parfois la provoquaient, «pour s’amuser»… Eux se seraient sans doute définitivement couchés, comme des reptiles sans colonne, des vers de terre, encore plus an chien que toi, tu es plus solide. Ce sont eux les vermines, alors ignores-les. Si tu les croises dans la rue, craches franchement !

Nous sommes debout tous les deux, toi c’est moi! Je t’admire mon amour. Dans le passé, quand tu as trébuché, on t’a jeté des pierres, mais tu t’es toujours relevée pour faire face. Alors oui, je suis tombé derrière les barreaux, yo fouté mwen lajòl, et j’ai réfléchi sur ce que je ferais après ma libération. Je me construisais quelques projets, mais j’étais tellement en manque que, pour ne pas en crever, je devais me concentrer à fond, m’occuper l’esprit à tout prix. Cela a été dur. Mais la force que m’ont transmise certains anciens m’a aidée à prendre un peu le dessus : je n’avais pas le choix, c’était ça ou le suicide direct et conscient, mais j’en ai pas le courage. Oh je me suis battue avec des gardiennes de prison, en particulier une qui devait être lesbienne elle n’aurait pas été déçue…mais on n’est jamais allé à l’affrontement mortel, j’ai trop peur de mourir.

Titubant, j’ai commis des erreurs et causé mon malheur. On m’a condamné et abandonnée sans chercher à me comprendre. J’ai commis tant d’erreurs que j’ai causé mon malheur. Personne ne m’a aidé. Ah si, quand même! mais pas souvent, et quand on m’a tendu la main je ne l’ai pas saisie, je l’ai parfois mordue. Je n’ai pas su la saisir car pour moi une main qui se tendait c’était forcément pour me battre. En plus je voulais tout, tout de suite. Tout çà me programmait d’avance à échouer on ne peut avancer que progressivement et il faut savoir saisir les mains qui se tendent. Dans ma parano je n’ai pas pu faire çà. Et l’idée de «progression» c’était pas dans mon logiciel… Eux ils parlaient pour moi sans m’écouter donc sans rien faire qui corresponde à ce que je voulais. Moi-même je ne savais pas ce que je voulais. On était décalés. Faire le bonheur des gens sans leur demander ce qu’ils pensent: tu parles ! Regardes ce que çà a donné chez les stals d’avant-hier, hier et aujourd’hui… Des gens ont essayé de m’aider, je ne vais pas mentir, mais je n’ai pas su saisir les mains tendues, et ça fait partie de mes erreurs et errements.dus à mes ferrements, alors que j’ai besoin de ferments...

Derrière les barreaux je suis tombé. Plus de sept ans de geôle! Attendu derrière les barreaux j’ai attendu. Attendu quoi ? La sortie ? La mort ? Ils m’ont fait des choses, comment lutter? Beaucoup de barreaux, et des barrières cachées derrière les barreaux alors comment fuir? Et surtout et encore: personne pour m’écouter. Par contre ils m’ont rabaissée, tellement rabaissé, une gamine  comme moi avec son caractère de lionne enragée par la vie : çà ne pouvait pas marcher avec moi. Fouille au corps sans arrêt, et dans les intervalles, la nuit dans ma cellule, baillonnée, des tournantes, et les auteurs ne sont pas inquiétés ils sont du bon côté du manche. J’ai hurlé, protesté, menacé de porter plainte, car un prisonnier çà a des droits. Résultat encore: direction quartier disciplinaire, sept jours plein pot, sept jours et souvent plus... Dénigré(e), ils m’ont dénigré(e) après m’avoir rabaissée, parfois collectivement, mais je ne me laissais pas faire. Pendant les tournantes je pissais sur eux pour les dégoûter, les faire débander, j’avais appris çà quelque part, alors çà les énervait cette meute de chiens alors ils me battaient partout dans ma cellule la nuit après m’avoir baillonnée, j’essayais de hurler: «Respèkté mwen ! Man pé ké aksepté ou dérespekté mwen!», mais c’était inaudible! Et puis ils étaient nombreux et forts, épi man pa té bwè asé, man pa té prévwè sa, donk yo té ka atann man fini pisé, et pour passer le temps ils me frappaient baillonné, et ils me reviolaient. É yo té ni lafos fizik, té ni on pil moun anfas mwen! et encore direction quartier disciplinaire : 7 jours, 14 jours, 20 jours, 30 jours plein pot! Pendant ces périodes d’isolement complet, je ruminais, je ravalais ma rage et ma haine. J’en voulais et j’en veux encore à la Terre entire, le besoin de vengeance me ronge… Mais qui sur cette Terre connaissant ce que j’ai vécu peut me jeter la première pierre ? On dit que l’Araméen s’adressait à une prostituée (que tout les bien-pensants méprisaient), pour l’aider à se relever. Alors pourquoi ces chrétiens me condamnaient-ils si leur prophète faisait le contraire?... C’est une légende et un être mythique… Je souffre, j’ai toujours souffert, mais je me bats car je suis seul, je n’ai pas le choix ! Je me bats avec les moyens du bord, donc pas comme il faudrait…

Ma vie ? Pfff ! Pour l’âge adulte vous savez déjà, j’ai assez parlé. L’enfance? Ah j’oubliais de vous dire…Ma mère et ma grand-mère ne pouvaient pas s’occuper de moi «convenablement», alors on m’a placée dans une «famille d’accueil», soi-disant. Chez une certaine Man G. Elie-dit-Cosaque. Lè madanm ta a pran mwen la kay li, o koumansman sa pasé bien. Mè piti a piti, sa alé mal. An final dè kont, yo ban mwen kout boutou, man ba yo kou tou. Frè mwen pran kou osi, i té adan menm kaka-a.. Attouchements que j’ai subis quand j’avais six ans, par mon frère qui en avait huit. De trucs de gamins, je crois que c’est souvent comme çà entre soeur et frères enfants… On jouait à Papa-Maman. C’est lui qui faisait le Papa… Il me parlait, j’étais innocente, petits attouchements entre enfants innocents. Tu étais mon Roi, j’étais ta Princesse même si je ne ressemblais à rien. On a commis des actes qui m’ont blessée, m’ont traumatisée même si avec mon frère j’étais un peu «consentante». Il était même pas pubère. Il allait prendre des baton kako au marché tout près… Traumatisée, déchirée, détruite mentalement. Tu étais le bébé, j’étais la maman et tu faisais le papa et ça donné une catastrophe pour moi. Tu m’as fait subir de l’incess, tu savais même pas ce que c’était et tu n’étais même pas équipé pour ça espèce d’impuissant. Où es-tu maintenant ? Je sais que tu es gay, tu fais partie de ceux qui m’ont tendu la main plus tard. Mais je l’ai mordue… Puis je suis retournée chez notre mère, je ne pouvais plus vivre près de toi. Les tortures de Man Gilberte et toi, c’était trop, je préférais retourner chez ma junkie de mère. Mais avant tout çà  tu m’avais quand même défendue quand Maman arrivait avec sa cravache, tu prenais le plus gros des coups qui m’étaient destinés. Je ne peux pas t’enlever ça, tu m’as protégée contre elle. Je sais plus où j’en suis avec cette famille… Mon beau-père et ma mère s’engueulaient et se tapaient dessus sans cesse pour un oui ou pour un non. Ça me stressait tellement, comme tous les gosses dans ce genre de situation. Comme en plus je ne voulais pas respecter les règles, les deux me donnaient des règles contradictoires,  dans ma tête c’était le bordel ! Au fond il n’existait aucune «règle», à part celle de subir passivement leurs engueulades, sans m’en mêler. Mais cela ajouté aux problèmes d’identité que je sentais en moi dans cette société machiste, c’était trop quand on avait que cinq-dix ans…

Alors depuis, je peux encore moins respecter les règles qui me sont fixées, je refuse et rejette toute discipline! Je fais ce qui me plait, je le paie souvent très cher mais je m’en fous: au point où j’en suis ! Tant pis pour ceux que çà insupporte, foutez moi la paix ! Zafè tchou sa ki pa kontan sa! Fouté an la pé fouté an la pé, fouté an la pé! kon di Franky bon kanmarad mwen.

Je me suis construite toute seule. Mon apparence je l’ai construite moi-même. Androgyne, tantôt plutôt femme, tantôt androgyne. Je vis de la prostitution et je me drogue, et alors, ça vous gêne ?Les hommes me parlaient, ils me parlaient, et je prenais d’eux ce que je voulais. Sa vré, man té ka pran kout baton an bwa, koutbaton an fè. Fucking them !!! Aktcholman man enmen kou, man sé on mazo kon yo ka di… Pétèt man fòl man pa sav men sé sa yo fè, é jodi jou man fiè di sa man yé pas man ni pouvoir! konésans! Entélijens! sé mwen ki rézisté, yo pa pran tou sa yo té lé. Jòdi jou man sé on révolté. Je vais tous les démolir comme j’ai dit tout-à-l’heure.

Lè man trapé kat lanné, man di madanm la: «Ga sa! An jou lè man ké gran man ké’i fouté’w kou, man ké’i fésé’w a tè, man ké’i rachè fon matris ou épi on kwa labé tèt an ba, épi man ké… ». Man té radi kan menm! C’était ma première «famille d’accueil». Man té santi mové karma anlè madanm ta-a… Sa alé lwen, man fè bagay épi frè mwen. Yo pa té ka menm ban nou lajan de pòch nou, yo pa té ka péyé mwen sé rad la yo té dwé mwen. Fucking sorcière, man ké’i raché tout’ rad’ ou épi tout’dan’w !!!... Yo tèlman profité di mwen... Fucking ! «Assistantes sociales» de mes gonades… J’en suis où: couilles ou ovaires ? Mais tu m’as compris, Monsieur… Assistantes sociales qui m’avez «placée» sans réfléchir aux conséquences, vu mon caractère tourmenté compulsif et surtout mon ambivalence sexuelle (même avant la puberté, oui connasses !!!), you fucking bitches. Swa dizan zòt ka «asisté» moun ki ni pwoblèm, zòt tout ki la zòt tromatizé mwen pasé man té za tromatizé. Fouté mwen la pé, ay dòmi, man jiss pé di zòt ki nonm pwèl zòt ni an bonda zòt! Aparaman ta chatte est répugnante, ay lavé’i, apré man ké’i menyen tchou’w ba’w. Vous voyez là je suis et parle comme un homme hyper macho, un dégueulasse, une saloperie, un couillon… Mi kouyonnad! Man fè telman kouyonnad…

Et aujourd’hui j’ai la voix trop grave pour une femme, on m’a dit. Parfois on demande qui je suis, femme, homme,  travesti, trans? Je sais ce que je suis, ça ne regarde personne, à partir du moment où  moi et mes partenaires y trouvons notre compte. J'en ai rien à foutre des gens autour, ce qu’ils pensent, tous robotisés qu’ils sont robotisés, formatés.

Les gens n’aiment pas quand on ne vit pas comme eux, hein? Pourquoi on ne nous laisse pas vivre comme çà  sans nous emmerder, sans nous tabasser, des fois sans essayer de nous tuer? Pourquoi on fait chier les «minorités sexuelles» qui veulent juste vivre comme elles ont envie? (Je vais mettre plein de guillemets, faudra les écouter, tu entends!) Tonnerre, on est XXIème siècle ! Si çà les choque moralement, les hommes qui se croient si virils hétéros cent pour cent pur jus, y zont qu’à aller s’attaquer aux casernes, aux militaires, aux fachos, aux mafias qui gangrènent Laïcville. Qu'ils s’engagent dans l’armée (il y verront des pédés, comme ils disent, là-bas aussi, parce que y en partout)? Mais qu’ils foutent la paix aux gens qui sont pas comme eux, nom de Dieu! S’ils sont si sûrs d’eux, pourquoi qu’ils nous font chier comme ça? Toute personne a droit au respect, merde! Foutez nous la paix, que nous soyons gays, lesbiennes, bi, trans, double mixte…

Je suis ce que je suis, tu m’aimes ou pas, je m’en fous, Si non, va te faire… enculer (comme on dit), tu apprendras des choses sur toi, mais pour l’instant t’es un connard ou une connasse, fous le camp, je n’ai que faire de tes sacarmes et de ta sale gueule…. Gueule de flic, gueule de vache, vas me dénoncer à ta Brigade des mœurs ! J’ai le droit d’être ce que je suis! J’en ai marre de me cacher, de feindre! «Accomodez-vous de moi, je ne m’accomode pas de vous!», comme disait notre homme-totem, ombre fécondante pour toujours... Tant pis pour les connards machos et les connasses con-formistes. Crevez la gueule ouverte, bande d’arriérés sexuels, mais vous ne me dominerez plus jamais avec vos conneries. Je vous hais! Vous n’allez plus  dominer ma belle personne qui, peut-être, a été «mal» conçue. En plus de tous les problèmes que j’ai rencontrés dans ma chienne de vie, il a fallu que je traîne celui-là, que très peu d’Antillais conçoivent en face. Soit ils sont trop bêtes pour ça (j’en doute), soit ils sont tellement formatés qu’ils n’ont pas le courage d’aller voir ce qui se dit en dehors de Radio-Hétéro-Débilof-Bò-kay. Ou alors ce sont des «pervers»  frustrés qui gèrent çà dans leur minable petit appartement ou un hôtel de passe ou sur des «réseaux sociaux». Ils feraient mieux de s'ouvrir à la vraie vie, aux «évolutions sexuelles», et de faire çà en même temps qu’une psychomachin collective ciblée sur les questions de… d’altérité j’crois que c’est çà qu’on dit. Ils ne cherchent pas à me comprendre au-delà de mon image qui les attire sans qu’ils veuillent aller jusqu’au bout, lâches qu’ils sont. Même pas capables d’essayer de se regarder en face tels qu’ils sont. Tant pis pour eux, ils ne savent pas ce qu’ils perdent pour les nouvelles sensations. Ils en sont toujours aux mêmes rituels, mêmes formes, récurrences, gimmicks, la même liturgie sexuelle normative, une monotonie éternellement recommençante, peureux de leur ombre et de leur anus à sens unique. Trop limités pour comprendre qu’on peut être à la fois d’un côté et de l’autre, et en jouer, et en jouir à l’infini: çà étend la palette des plaisirs dans d'autres dimensions... Wè, comme l’homme de la rue ne conçoit pas l’existence d’infrarouges, d’ultraviolets et de la subliminalité. Tant pis pour eux, je n’ai qu’une vie. Le hasard et les escarpements m’ont permis d’accéder à ce que la plupart ignore. Je fais mon chemin. Ils veulent me sucer, ils repartent toujours avec leurs sucettes dans le cul, la queue entre les jambes. Bien fait pour eux, çà leur apprendra à me juger…

Car oui, je suis un ex-homme en pleine transformation par absorption d’hormones féminines. Pour me payer ça je me prostitue, çà me permet de m’acheter ma came tous les soirs aux Terres-Laïcville, pour oublier quand j’ai trop mal, donc tout le temps. Jugez-moi, je vous emmerde, vous qui ne savez pas par quoi je suis passé, à ma place vous seriez sûrement suicidés, lâches que vous êtes! Et je fais une cure de séances psy, pour voir quand je serai prêt pour l’opération de changement de sexe… Ah ! c’est sûr que Freud n’avait pas envisagé çà. Que ses cendres aillent se faire enculer par un sidéen : il ne risque plus grand-chose dans son cendrier à Golders Green. Wiiii, j’adore dire «enculer» et «enculé», c’est comme un défi que je lance à ceux qu’osent pas essayer, comme ma revendication à la face du monde, oui j’adore qu’on m’encule…Et faut appuyer sur la deuxième consonne: faut dire «encckkhulé!»

Après avoir bien foutu ma merde j’irai en Europe, j’en ai marre de l'intolérance de ce pays. Les gens n’essaient pas de comprendre qu’on peut n’être ni homme ni femme et s’en porter très bien, s’il n’y a pas deux ou trois connards venant nous casser les gonades, et que les gens comme moi ne harcèlent personne de leurs assiduités... J’ai le droit de vivre comme je veux! Ce pays-là est trop dur pour moi, cher! Cavalier, tu pourras me fdonner des contacts en France, je suis sûr que tu en as même si t'es hétéro. Je sais que là-bas c'est plus facile pour les gens comme moi. Ici, çà a été comme une cure de désintoxication sexuelle depuis l’âge de 11 ans, pendant vingt-cinq ans, j’en ai assez! Mais on ne sait jamais. Tu as des contacts là-bas?...

Hé! Monsieur, tu m’écoutes ou tu rêves? Tu m’aideras?

 

Oui, il continuait d’écouter, depuis un bon moment, avec une attention silencieuse, flottante  et bienveillante… Ce type d’attention ne relevait pas de son job, c’était épuisant! Et il sentait que, face au charme étrange de Estrella-Claude, il avait été complaisant, et trop consentant à son approche sensuelle. Maintenant il ressentait un malaise croissant, nourri d’écoeurement, de colère rentrée, d’angoisse! Il comprenait avoir été d’emblée un peu trop empathique, d’une empathie «mouillée» propice aux dérapages. Le malaise devenait envahissant, ses tripes se nouaient il avait besoin d’agir contre cette espèce de «maléfice» douteux…Face à face, deux malaises; seul Léonidass prenait la mesure générale du danger… Ce «maléfice» l’attirant vers Claude à force d’écoute empathique, il sentait que pour lui-même il fallait le rompre, à tout prix.

Des heures auparavant, il avait été pris au dépourvu. Maintenant il était en sueur, incapable de se lever. Il avait été profondément ému par ce qu’il avait entendu, mais perturbé par ses sensations, surtout par ce qui aurait pu arriver dans la chambre. Où cela l’aurait-il mené? De proche en proche, il reçut en pleine face et dans les tripes des angoisses nées de questionnements précis. Qui était-il? Quid de son orientation sexuelle? Il la croyait jusqu’alors bien fixée. Claude en avait parlé pour les autres, pourtant lui-même, là ? Eh bien lui, maintenant il doutait, même si «quelque chose» en lui résistait, bloquait. Il devinait quoi. Tout-à-l’heure, il s’était senti comme une casserole d’huile qu’on vient de mettre sur le feu. Maintenant, cela crépitait, le feu avait bien chauffé l’huile brûlante prête à flamber-érupter, dans laquelle on avait ajouté de l’eau, du soufre, d’autres substances, des petites roches. Y aurait-il éruption?

Quand Estrella lui avait caressé furtivement les épaules, tendrement, il ne s’était pas trop reculé, il y avait trouvé un plaisir étrange, sans se poser de questions. Mais quand la main aux ongles vernis de rouge avait glissé vers son entrejambe après les caresses sur le buste et alentour, il avait résisté, enlevé la main, fermement. Pourtant une partie de lui-même aurait aimé que cela continue. Claude n’était ni trop pressant ni impérieux, son insistance n'excédait jamais trois tentatives. Quand même, le visiteur prenait toujours sur lui pour ne pas le frapper violemment, compulsivement, ne pas l'emmener aux WC et lui défoncer le crâne contre la cuvette puis le noyer en tirant la chasse sans arrêt, histoire de lui apprendre à vivre! Les approches répétées avaient mis à mal son confort d'une orientation sexuelle bien fixée : il doutait… Cette violence contre laquelle il s’était ainsi gendarmé faisait-elle de lui un barbare? Etait-il bestial à ce point?

Il sortit faire des exercices respiratoires, fumer une ou deux cigarettes, puis encore respira à fond, en abdomino-costal, là, 25 cycles, bien, et ensuite quelques exercices d’assouplissement, puis de nouveau, calmement, des inspirs expirs, puis… réfléchir un peu, à froid. Il était très emmerdé, et sérieusement secoué: n'y avait-il pas en lui un peu d'homosexualité refoulée? Et donc dans la situation avec Claude, une atteinte à un tabou intime, qui le rendait donc violent et agressif. Cela soulevait en lui des tas de questions, s’enchaînant très vite par associations d’idées, questions pour lesquelles il avait toujours cru avoir les réponses sans même avoir dû se les poser. Bien des certitudes le concernant étaient ébranlées.

Homosexel et hétéro, voire homme et femme: était-ce fixé une bonne fois pour toutes, chez l’individu, de la naissance à la mort ? Etait-ce si strictement bipolaire? Si oui, les inclinations sexuelles étaient-elles «chimiquement» pures, et fixées dès la naissance? C’était trop simple. Alors cela pouvait-il se déplacer sur un large curseur, avec même des va-et-vients? Il ne savait plus à quoi s’accrocher, surtout le concernant lui, intimement. Tout lui apparaissait ambivalent, trouble, tremblant, mouvant. Les gens croyant à l’intangibilité et à une stricte «étanchéité» en matière de genre  lui semblaient désormais des aveugles, ou des arriérés, ou des homosexuels refoulés (inconscients de leur part d’homosexualité et la rejetant; quid le concernant?). Donc pour être honnête avec soi-même, il conviendrait de prendre une envie réputée «anormale» pour ce qu’elle exprimait, telle qu’elle était, voire l’assouvir? Ou on était dans le déni! Celà pouvait emmener très loin… Les homosexuels existaient, il fallait les considérer comme une communauté humaine, point! Et échanger avec eux/elles, pour comprendre, quitte à s’«y», essayer, sans a priori. Il serait bon aussi d’accepter sans hésiter le transexuel, l’intersexué, le bisexuel, le non sexué, regarder du côté de la «gender theory». Balayer de la consciences tous ces gens d’un revers de main, ou à coups de sarcasmes, relevait du déni, donc de la lâcheté… Il tâtonnait jusque dans les mots, il n’avait pas l’habitude de tout çà, qui le déstabilisait, comme avait dit Estrella… Le visiteur lançait son truc (il n’osait nommer cela des «réflexions») à la volée… Alors sa pulsion sauvage réfrénée de tout-à-l’heure, qu’en faire? C’était peut-être une flatulence issue des méandres censurés de son inconscient, mais avait-il le droit de lui lâcher la bride? Il pouvait réfléchir tant qu’il voulait, cela le rendrait-t-il moins barbare? Comment sublimer çà? Etait-ce si nécessaire, puisque certains soubassements des «manifs pour tous» prouvent que ces comportements sont courants, que «pédé» et «makoumè» restaient des insultes indémodables, même si «de mémoire de rose, on n'a jamais vu mourir un jardinier». Autrement dit que çà pouvait évoluer. Peut-être que d’ici un siècle çà bougerait, seulement pour l’instant, que faire? Et lui là-dedans, concrètement, il devenait «quoi»?

Les traditions étaient par définition conservatrices, voire réactionnaires. Tout n’était pas à jeter. Mais certaines devaient être réévaluées, voire mises au musée (rayon des beaux archaïsmes ou des horreurs), parfois rejetées avec détermination. Or l’une d’elles (idéologique?) divisait sexuellement l’humanité en deux pôles séparés de façon étanche: les hommes et les femmes, les hommes n’étant censés aller, et ne devant aller qu’avec des femmes (et inversement). Les relations entre hommes étaient mal vues, voire interdites, jugées contre-nature. Les relations entre femmes étaient moins violemment combattues (parfois celà excitait les machos comme préalable aux «choses sérieuses», à savoir baiser une des femmes vue avec sa partenaire, voire partouzer avec les deux…). Dans certains Etats, des lois avaient pénalisé lourdement l’homosexualité. En France, Loi de 1942 signée Pétain, abrogée seulement en1982. En Allemagne, le Code pénal (article 175) criminalisa l’homosexualité masculine de 1871 à 1994 (avec un pic de répression homicide pendant le IIIème Reich, qui voulait «purifier» la «race aryenne» de ce «vice contagieux»). En URSS dans les années 1920, sous les premiers bolcheviks, l'homosexualité avait été dépénalisée, mais criminalisée sous Staline en 1934. Même aujourd’hui dans certains pays il était dangereux de s’afficher tel(le), voire interdit de l’être… Tout cela prouvait que l’homosexualité a toujours existé: un fait inexistant n’appelle pas de lois répressives. Cela ne signifie pas dérogation à l’«étanchéité» théorique des sexes, mais à la «logique naturelle»  des attirances. On sait que dans l’antiquité européenne et ailleurs, l’homosexualité était tolérée voire reconnue…

Et nous, se demandait-il, où en sommes-nous? Des traditions tendent à nous maintenir dans nos carences, tares et dépendances. Certaines sont un héritage direct du racisme esclavagiste colonial, de l’aliénation culturelle, transmis de génération en génération. «Tanbou èk krèyòl sé bagay vié nèg! Palé fwansé fout!... Sois sage sinon le nèg maron va venir te prendre. Un homme ne doit pas pleurer, c’est les femmes qui pleurent.». Tout à l’avenant! Autodénigrement, chaînes portées et endossées par les colonisés avec leur «consentement», qui l’empêchaient de briser d’autres chaînes. Chaînes toujours présentes malgré des combats salutaires, mais plus discrètes… Ces «traditions», se disait-il, c’était une gangrène profonde dans des muscles putréfiés ou tétanisés, contractant inutilement et crispant les muscles alentour chez beaucoup d’entre nous, et donc de tout le pays, l’empêchant de s’étirer et d’avancer. La peur menait le bal. Et çà pouvait contribuer à des «moratoires» politiques (ou «comment freiner quand la route semble descendre pour nous faciliter les choses»). Donc il fallait extirper cette gangrène du déni réactionnaire par tous les moyens, pour advancer. Comment? De même, parmi les politiques se disant politiquement progressistes, il y avait des «traditionalistes» sur les questions sexuelles (n’est ce pas Léo Alaminerve, Maire de La Génissecline). De ce fait, ils étaient parmi les pires ennemis de la libération de leur peuple, des possiblilités de libération collective et individuelle, les deux dimensions étant liées: un peuple a besoin de toutes ses énergies!

Leonidass trouvait que toutes ces idées s’associaient en lui trop vite, comme en «pilotage automatique», comme la répétition d'une même logomachie. C'était un peu extérieur à lui-même, donc suspect. Car parallèlement il sentait en lui comme en mutation: en lui se sécrétaient des tensions et des contradictions nouvelles...Mais cela continuait à parler en lui.

Que çà plaise ou pas, l’homosexualité et les homosexuel(le)s ont toujours existé, plus ou moins tapis ou clandestins... Adolescent, se baladant le soir dans la ville, il avait souvent aperçu des drôles de «demoiselles»... Qu’une société nie ce fait, le contourne, le tourne en derision, parfois en renversant «festivement» les rôles comme peut-être dans les lundi-gras, cela l’illustre peut-être plus que ça ne l’étouffe… Donc même si elle est clivée par d’autres polarisations (surtout de classes), les homosexuels sont des communautés. Dans la Caraïbe ils ont souvent du mal à se faire accepter, ou même seulement tolérer. Dans certains pays occidentaux, il y avait eu  des manifestations type «Gay pride», dans la foulée des émeutes de Stonewall, contre des Etats y compris «démocrates occidentaux» conservant encore des lois  et pratiques réprimant l’homosexualité. Les rédacteurs des textes n’étaient-ils pas un brin homosexuels refoulés? Pourquoi le russe Poutine était-il si homophobe?... D’autres «minorités sexuelles» ostracisées s’étaient agrégées aux Gays prides, qui s’étendirent à toutes les «minorités sexuelles»: l’oppression ne visait pas que les «pédés» et les «gouines». Cela ne se fit pas toujours simplement. Sur ces points, des partis politiques se disant très progressistes firent parfois montre d’un conservatisme proche de l’ordre dominant. Mais les Marches des Fiertés LGBTI étaient maintenant reconnues, avec des officiels en tête, des démonstrations de force incoercibles.

 

Ouais! Tout çà c'était bien beau mais çà ne réglait pas son problème. Que faire, là, maintenant, dans cet appartement? Toutes ces considérations théoriques, historiques, épi tou sa, ça lui servait à prendre la tangente face à son trouble. Concrètement il avait en lui un mur, en plus de la nausée, alors il devait faire quoi? Agir comment? Pour se donner du courage, il ouvrit la flasque de whisky achetée aux Terres Laïcville, en but la moitié au goulot… Haaaa… Il se sentait mieux, il allait y voir clair et trancher.

Bon! Alors … la polygamie officieuse, OK. La polyandrie, idem si lui était d’accord... L'homosexualité féminine? Ça les regardait si elles voulaient jouer aux assiettes empilées. Elles pouvaient se rouler des pelles autant qu'elles voulaient et se sucer la coucoune. C’était excitant avant de passer aux choses sérieuses. Mais les gays, la pédale, la jaquette et leurs collègues sodomites actifs et passifs, il avait du mal, même s’il l’acceptait au nom du «droit des minorités opprimées». C’était facile de blablater au nom de principes, mais de là à être personnellement impliqué, non !... Une colère violente montait en lui! Avant on avait la gay pride, maintenant on avait la Marche des Fiertés. Et maintenant çà se marie. Il vont pas se marier avec leur chien ou leur poisson rouge, pendant qu’on y est?  Jusqu'où cela va-t-il aller, Bondié Siniè? Qu'est-ce qu'on va encore nous trouver?

Ecartelé entre sa culture et son vécu de l’instant, il avait peur. Le problème était posé par des milliers de gens qui se mobilisaient par besoin vital! Et derrière cela il y avait des souffrances massives et occultées, des agressions et des meurtres cachés. Or les «barrières» d’orientations sexuelles, de sexe et de genre, corsetantes,  avaient été imposées par des traditions séculaires, notamment issues des religions monothéistes? Traditions pouvant être remises en cause légitimement, au même titre que la domination masculine, ou les exploitations féodale, capitaliste et coloniale? Alors cette évolution, cette médiatisation et ces revendications nées en fin de XXème siècle n'étaient-elles pas pertinentes, légitimes, en droit d'être satisfaites? Les clivages de sexe et de genre ne devaient-ils pas être relativisés, officiellement? Peut-être, à condition qu'on ne vienne pas lui foutre la main aux fesses à lui,, et qu’il ne soit pas mêlé à çà, avec sa photo dans les journaux ou sites LGBTI, il avait déjà assez d'emmerdes par ailleurs... Il avait honte d’avoir été attiré par Claude. Il commençait à avoir des doutes et refuser de les envisager au plan intime… Cela faisait un choc pour lui qui s'affichait comme hétérosexuel convaincu et «militant», cultivé (paraît-il), politiquement progressiste, mais au fond assez conformiste sur ce plan... Et il découvrait que, peut-être, tout cela n'était qu'un masque rassurant, un déni.

Que faire vis-à-vis de Claude? Agir? Il pouvait s’en aller. Cependant le souvenir et l’angoisse le poursuivraient. Il devait lui répondre Oui ou Non, franchement. Car Claude Estrella lui avait fait confiance, il ne devait pas trahir par de lâches atermoiements de beauf! Certes, il avait peur pour ses propres orientations et sa réputation. En quelques heures il en était venu à douter. Que choisir: l'être ou le paraître?... Le paraître c'est du «rien», du néant, et à la longue ça donne la nausée… Il répondit à la demande d’aide, et lui laissa adresses postale et courrièl . «N’aies pas peur, lui dit-il. Pour toi c’est difficile, d’autant que tu as plein d’autres combats à mener de front. Mais pour ton identité sexuelle, tu auras des camarades qui pourront te soutenir. Tu rejoindras leurs rangs, les renforçant avec ta rage militante. Plus personne, et surtout pas toi, ne doit subir les dominations que tu as endurées depuis enfant sans pouvoir en parler. Oui, tu pourras m’appeler. Même si je suis plutôt hétéro, je te mettrai en contact avec des militants et militantes sûrs.»  Et voilà! C’était fait, çà avait été simple... Il fallait savoir s'ouvrir à l'inconnu, cela donnait du sens à une vie, sens parfois difficile à trouver. Et cela pouvait passer par des canaux très impromptus. Alors si l'aventure le lui permettait tant mieux, et vive l'aventure de l'inconnu!

L’épreuve franchie, le visiteur alla respirer à fond et pour se remettre les idées en place, et être soulagé

Soulagé? Nom de Dieu! soulagé de quoi? Qu’est-ce qu’il avait fait? Dans quoi s’était-il embarqué? Il se sentit dégoûté de lui-même, très lourd, nauséeux,.. La bagay ta la té ké’i mennen’i? Et là, il se retrouva face à lui même. S’il avait eu un miroir, il se serait vu une féroce figure. Enragé. Eruptif. Il revint sur ses pas… En dépît de toutes les considérations l’ayant conduit à lui dire çà, il bloquait. Ce n’était pas lui. Il sentait son plafond de competence en matière de tolérance, d’introspection, d’analyse, de «jeu» dans son fonctionnement, mais aussi, en ces matières, son seuil  de… tolérance. (Tiens, un concept venant de l’extrême-droite, paraît-il.)

Trente ans plus tôt, une fille lui avait commencé un annilingus, il l’avait repoussée en lui disant: «Touches pas!». Tout-à-l’heure, il s’était laissé bercer par l’étreinte «atypique»  de Claude et s’était gendarmé, puis posé des questions. Maintenant, le whisky aidant, il faisait le tri complet, et refusait avec écoeurement l’idée de seulement approcher des types dont le must des sensations pouvait être de se faire défoncer le cul, a fortiori de lui défoncer le sien. Au fond, comme Claude l’avait dit de certains: n’était-il pas un macho matiné d’homosexualité refoulée?… Tant pis, s’il était bien le «monster» qu’il croyait découvrir, il allait assumer, et tout de suite. Il n’allait pas risquer d’être vu sur Internet, dans des bars gays branchés pour des débats sur ces questions: il en vomissait d’avance! Ses considérations «théoriques» de tout-à-l’heure n’étaient qu’un vernis, ça explosait sous le déchaînement de sa colère bouillante et trop longtemps refrénée. Déjà, rien qu’avec ce que lui avait fait vivre Claude, il ferait des cauchemars pendant des semaines, se réveillant la nuit en sueur en hurlant des choses du genre «Non, la barre à mine pas jusqu’au côlon!!!» Il en avait assez!

 

Il se rapprocha de Claude, lui dit calmement, le regardant dans les yeux: «Ecoute, je t’aime bien, je te comprends, mais je ne peux pas, ce n’est pas possible». Claude Estrella insista, se mit à pleurer, puis feûla en lui caressant le visage, la bouche, la poitrine, entreprit de lui sucer les tétons, d’ouvrir sa braguette pour le sucer, et alors là ce fut plus fort que lui, il serra chaque poing en deux masses compactes au maximum à s’en faire mal aux phalanges, écarta les bras et lui balança ces masses en tenailles sur les tempes, puis, sans lui laisser le temps de tomber K.O., il les rassembla et les lui lança, comme un piston, de toutes ses forces dans la mâchoire. Il entendit un craquement, le sang gicla, Claude vola en arrière… Envie de sang! Fureur homicide! Du sang, il voulait du sang! Il sauta sur cette tapette, la prit par les oreilles et lui frappa furieusement la tête contre le sol bom!bom!bom! jusqu’à épuisement provisoire de sa barbarie haineues! Les yeux s’étaient révulsés, puis fermés, le rimmel avait coulé: saleté!... Il écouta les alentours, histoire de voir si ailleurs on s’était ému de bruits insolites. Rien côté voisins: aucun au rez-de-chaussée, ni des appartements mitoyens, ni du dessus, la musique déjà forte avait dû couvrir un peu, et continuait. Il se rendit compte de ce qu’il venait de faire. Alors, c’était lui, cet homophobe sauvage?... Il alla respirer à la fenêtre. Pas de batiment en face, ni de vis-à-vis, seulement des arbres. Peu de chances d’avoir été vu ou entendu: c’était la période où les jeunes fêtaient leur bac. Il tâta le pouls… Vivant, quoi qu’amoché.  Il se recula, tout en observant la silhouette dans sa robe rouge relevée…Il avait besoin à tout prix de soulager sa tension nerveuse et réfléchir à quoi faire (cette saleté porterait sûrement plainte, ayant son numéro de plaque de voiture, son signalement, son téléphone…). Alors tant qu’à faire, s’il était homo refoulé, au point où il en était, il allait s’offrir un petit plaisir interdit. Et l’autre n’irait sûrement pas s’en vanter.

Il s’approcha de lui. Hé, tu m’entends? «Oui. J’ai mal mais je t’entends. J’ai adoré que tu me fasses mal, continues». On le provoquait en plus! «Alors mets toi sur le ventre, mets toi sur les genoux le buste à terre et relèves ton petit cul comme tout-à-l’heure», lui dit le visiteur. On aurait juré que la petite tante n’attendait que çà. Il allait lui donner du supplément. «Tu as de la Vaseline?»  Oui, dans la salle d’eau. Il était tout émoustillé, alla chercher la Vaseline, s’en enduisis la verge, releva la robe et ... Il était un peu écoeuré, déstabilisé, et pas assez excité. L’autre était maso, tant mieux! Il trouva un truc qui le ferait bander advantage, et lui permettrait de joindre l’agréable à l’utile. «Tu m’aimes au point de vouloir mourir avec moi?», lui demanda-t-il à l’oreille. Oui, fut la réponse… Que l’autre fantasmât ou non, il ne se le fit pas répéter! Il lui empoigna la gorge et serra doucement, progressivement, implacablement… L’autre commença à gigoter et essayer de desserrer l’étau de ses doigts, mais trop tard, il était trop affaibli: l’homophobe-homophile refoulé serrait inexorablement, la pression sur la gorge s’accentua à fond, les sphincters rectaux se contractèrent sur lui, ce qui l’excita bien, et il explosa, desserra les doigts, retomba sur le dos, reprit son souffle et… Et maintenant?

Il avait peut-être tué quelqu’un, passant donc de l’autre côté… Il fallait finir ce début de nettoyage, sans traîner. Il tata le pouls, qui battait très faiblement: l’étranglement n’était pas allé jusqu’à son terme. Il emmena le corps dans la baignoire; le coeur battait encore. Il boucha la baignoire, la remplit d’eau tiède, et projeta de vider Claude de son sang avant la mort, après ce serait impossible. Dans la cuisine il prit deux grands couteaux, trancha les artères les plus visibles de Claude groggy qui gigota comme un beau diable et tenta de hurler comme un cochon à l’approche de Noël. Leonidass lui plongea la tête sous l’eau pour le faire taire. Puis il plongea les couteaux dans le coeur en les y remuant bien, puis pressa de toutes ses forces la gorge et le buste. Le sang bouillonna dans l’eau, qui le protégea des éclaboussures. Il était dans un état second, pratiquant comme un acte initiatique, très exaltant. Cette tache accomplie, il vida la baignoire, puis la reremplit d’eau chaude et de gel douche pour nettoyer le corps. Ha!ha! C’était «la toilette du mort» . Puis il revida la baignoire, rinça puis essuya le cadavre, et alla le mettre sous le lit, nettoya rapidement la salle de leurs ébats (on ne savait jamais), puis fila chez lui, en revint avec une grosse scie électrique, un couteau-chien et des sacs poubelle. Il remit le corps dans la baignoire, mit la musique à fond (risque à courir pour couvrir le bruit) et entreprit de le couper en morceaux, commença par la tête (le plus difficile), puis les cuisses, les jambes, les bras. Landjèt sa pito! Le corps était déjà dur. Mais s’il l’avait emmené dans un lieu présumé désert pour faire ce travail, il aurait pu être repéré, il y avait des caméras de surveillance un peu partout, il aurait été couvert du sang après l’exsanguination, à supposer que le sang veuille sortir d’un cadavre. Malgré la rigidité, il continua donc le travail de boucher, eut du mal sur les gros os, les articulations, pourtant, en s’acharnant il y arriva, faisant les finitions au couteau-chien. En nage, il mit les morceaux dans les sacs poubelles, les ferma à double noeud. Il vérifia n’avoir rien oublié, nettoya les endroits où ses doigts avaient pu passer (chaises, table, lit, baignoire…), prit les portables, et emmena en plusieurs voyages les sacs poubelle dans le coffre de la voiture. Vu l’heure (deux heures du matin) il ne rencontra personne. Il avait conscience du caractère «épouvantable» de ce qu’il faisait, mais se sentait tout excité, comme guidé par une force supérieure, une mission. Ce fut une épreuve terrible, surtout pour lui (Claude, déjà mort, avait été libéré de toute épreuve).

Il rentra chez lui, espérant pendant le trajet ne rencontrer aucun gendarme lui demandant d’ouvrir son coffre par «contrôle de routine». Mais non, point! Il rentra la voiture au garage, sortit les sacs poubelle et les mit dans le congélateur. Et il alla se coucher l’esprit tranquille, après une bonne douche fraiche, son réveil étant mis à sonner pour 06H.

Le lendemain  matin tôt, il acheta en deux heures des acides et peroxyde par petites quantités, ainsi que des gants de caoutchoucs épais, étanches et incorrodables, dans une dizaine de drogueries, de communes distinctes, pour ne pas se faire repérer. Il récupéra sur des chantiers deux grands bidons métalliques en bon état, étanches et non percés (il s’en assura). Retour à la maison. Programme: remplir les bidons d’acide, aux deux tiers, sortir les morceaux du corps de leurs sacs et les mettre dans les cuves, découper les vêtements emportés, pour les brûler dehors, loin d’ici. Programme exécuté, pour le corps. Cela puait! Il était un monstre, maintenant il le savait, et en jouissait. Depuis cette nuit, il avait tout fait froidement, comme un robot, sans scrupules. Il prit une barre de fer pour remuer ces ragoûts, avec dégoût, afin que çà attaque et corrode plus vite… Puis il sortit la voiture, se balada toute la journée sur toutes les côtes pour trouver où éparpiller les pièces de boucherie, de façon que jamais personne ne reconstitue le puzzle (çà l’amusait: puzzle de l’opération ou du corps?). Il fit trois fois le tour du pays. Il trouva plusieurs sites intéressants sur la côte nord-atlantique, notamment la Pointe des Châteaux, la Grand’Anse, et pas seulement. Il considéra aussi la Table du Diable. Endroits bien agités.  Le mieux ç’aurait été de lancer çà dans le Canal de la Dominique, mais ç’aurait été trop compliqué: il devait agir seul.

Il prit des bains de mer à Petit-Havre et Fonds-Bourlet, puis retourna chez lui. Il sortit plusieurs grosses serviettes qu’il mit par terre dans le garage, enfila les gants récemment achetés, et retira des cuves ce qui restait des pièces de boucherie, les mit sur les grosses serviettes pour qu’elles y suintent au maximum. Il détourna les yeux en voyant la tête et les orbites oculaires… En attendant la fin de l’optimal suintement, il alla manger un morceau à la cuisine. Il était très étonné de ne pas être écoeuré. Puis il retourna au garage, remit ses gros gants protecteurs et, à l’aide d’une fourche, mit chaque pièce de boucherie dans d’autres serviettes épaisses, puis dans les mêmes sacs poubelles doublés, qu’il ferma encore à double noeud, et qu’il remit au congélateur. Puis il repartit faire un somme jusqu’à 19H, content de lui, et même un peu fier. A 20h, après un repas léger, il mit les sacs poubelles dans le coffre de la voiture et alla les jeter à la mer en les éparpillant entre les différents points de chute repérés sur la côte (en journée, il avait loué un canot en fournissant une grosse caution). C’était difficile, surtout quand il se remémorait la tête corrodée, défigurée et osseuse, qu’il balança très loin du reste, en mettant une roche très lourde dans le sac. Puis, comme par provocation, il retourna quartier Despierres jeter les deux portables, après avoir retiré les cartes SIM, puis écrasé les appareils à coups de talon.

 

Voilà! C’était fait. Pas de corps, pas de cadavre, donc pas d’assassin! Une personne «disparaissait de la circulation», comme cela se arrivait parfois. Il y aurait une enquête sans doute sommaire. On trouverait peut-être dans l’appartement de Claude quelques empreintes. Cela ne prouverait rien. Certes, pour le portable, tout était numérisé, mais lui et Claude s’étaient peu téléphonés: çà ne prouverait rien non plus. Notre ami serait seulement la dernière personne à l’avoir vu.

Des remords? Il faisait et ferait avec. C’était déjà, et à l’avenir ce serait encore plus, compensé par tant d’autres éléments assez gratifiants pour faire un bon contrepoids… Ce Claude Estrella l’aurait inéluctablement entraîné dans Dieu-savait-quoi, ce qui lui aurait valu de vrais ennuis, à commencer par celui de son reflet dans la glace: «Qui suis-je? Et surtout que suis-je?» Maintenant il était plus tranquille: il était certes un homophobe sauvage, mais un homme, un vrai, capable de tout! Il l’avait prouvé! Même politiquement il se sentait plus libre, son mental se débarrassait un par un des corsets marxistes de toutes obédiences. C’était tout bénéfice… Il était enfin serein, libre et indépendant. Il avait trouvé sa mission, et un sens à sa vie.

 

Le genre d’individu qui venait de disparaître était un ces étrons qui polluaient et débilitaient le peuple déjà mal en point. Il fallait d’urgence mettre de l’ordre dans ce malheureux pays pour le relever, donc au préalable le débarrasser de toute cette merde, les makoumè, les déviants sexuels, mais aussi les parasites de toutes sortes qui le pourrissaient et entravaient tout pas en avant : putes dominicaines qui ne se cachaient même pas, Saint-Luciens, Haïtiens, syndicalistes fouteurs de merde, crypto-marxistes se disant «patriotes», c’était trop!… Or la situation mûrissait pour construire la nation. Une certaine xénophophobie se développait, il fallait s’appuyer dessus même si elle était autant «un produit d’importation» qu’une conséquence du marasme social et d’une colonisation ayant balkanisé la région. Localement, aux élections, le FN/RN ratissait de plus en plus large. Aux dernières présidentielles: 10,94% au 1er tour; 22,45% au 2ème tour. Aux  Européennes ayant suivi: 16,2% (malgré la concurrence de 30 listes). Chez le peuple-frère, le FN/RN faisait plus, mais ici-même on pourrait jouer sur cette vague, en faire quelque chose... La liste des catégories à marginaliser ou «neutraliser» continuait de se dérouler dans sa tête. Pour les mulâtres traîtres et les improductifs: travaux forcés d’intérêt général. Les handicapés physiques et mentaux, mongoliens et compagnie: euthanasie systématique, y compris dès la naissance. Avortement obligatoire si les handicaps apparaissaient dès l’echographe! Les Juifs? Quand on voyaient comment ils traitaient les Noirs en Israël, on s’en occuperait, quoiqu’en mode soft: il faudrait ménager certains Gouvernements, on aurait besoin d’appuis extérieurs et d’argent… Il ne fallait plus laisser tout çà circuler en liberté, le pays ne ressemblait plus à rien! Et pareil pour les indolents, les paresseux, les assistés. Car au nom de la «démocratie» et de la «liberté», ils aveulissaient toujours plus une jeunesse, un peuple en besoin urgent d’être relevés et régénérés de façon virile! Il serait bon aussi d’isoler, cacher et rééduquer dans des camps de travail forcé les rentables-mais-non-montrables, ce qui réglerait le problème du chômage et de la sous-production artisanale: on importait trop de produits fabricables sur place. Il faudrait aussi régénérer le pays démographiquement, sainement, par une politique volontariste, hyper-nataliste, eugéniste, tous azimuts. Parce que la population vieillissait terriblement (merci au Bumidom). Si on ne faisait rien maintenant, demain ce peuple n’existerait plus…

Leonidass se sentait à une sorte de croisée des chemins politique et personnelle. Cependant il avait déjà choisi. Oui, il devrait assumer ses actes, dans ses tenants et aboutissants. Entre autres une homophobie crue, déchaînée, bestiale, débarrassée de tous les interdits modernes. Voici peu il la condamnait quand il voyait des compatriotes exprimer la leur de façon plus modérée, ou sous forme humoristique: tout cela était loin… Oui, il allait assumer, et participer activement à toutes les «manif pour tous», et assister certains commandos à mesure de ses possibilités.

Le pays devait être assaini, purifié: il ne pouvait plus se permettre le luxe de tolérer les parasites et les entraves, qu’il fallait neutraliser, par tous les moyens, que les indésirables soient du pays ou non. Autochtones antinationaux: travaux forcés d’intérêt général (notamment les plus durs), sous surveillance musclée, avec puces sous cutanées pour les pister et les retrouver s’ils s’échappaient. Euthanasie de masse pour les maladies  incurables. Un des outils pour le pays, c’était avant tout de faire que ce peuple aveuli devienne physiquement sain, régénéré, fort en dépît de sa petite taille démographique, et non plus une communauté soluble, éperdue, dont le monde se moque! Sport tous azimuths et absolument obligatoire, avec enrégimentement. Tant pis pour les récalcitrants! Pour un peuple densifié, sain, et psychiquement apte au combat, il faudrait lutter! Mens sana en corpore sano, comme disait l’autre.

Oui, il fallait arrêter de jouer! Question de survie ! C’était sur une base nationale explicite que le pays devait être bati, fermement, sans ambigüité ni alliance douteuse  ni «chat an sak ». Et çà on pouvait peut-être y arriver. Le problème national avait été posé clairement à partir des années 1950 par le PCM puis d’autres. Mais le processus avait été ralenti, dévié. Le colonialisme avait réprimé les opposants, surtout après décembre 1959, liquidé ou récupéré des patriotes, par achat (ceux acceptant de se faire acheter: prébendes, je-te-fais-peur-scénario-Guinée-1958, Légion d’honneur, etc). Atermoiements et trahisons… Actuellement, les «patriotes» de la CTM et leur «chabin fontamental» continuaient leur moratoire inavoué avec les assimilationnistes de droite. Ils discréditaient encore plus la cause nationale, sous couvert de «gestion pour relever le pays». Le colonialisme n’était pas le seul coupable. C’était aussi à cause de telles élites autochtones  que ce peuple et ce pays stagnaient voire régressaient. Certes des groupes patriotiques existaient, agissaient. Mais faisaient-ils le necessaire pour entraîner la masse du peuple durablement sur une base politique de décolonisation?... Certains se gargarisaient du mot «patriote», leurs militants étaient souvent sincères, men délè yo té ka bat dous épi mo ta la! Et ils étaient si divisés qu’ils n’avaient ni impact réel sur les masses, ni crédibilité pour les entraîner dans l’action, même brièvement. A jijé wè sur la durée.. Aucun projet national offensif et entraînant une grosse partie du peuple dans la durée: çà se serait vu!... Donc il fallait tout revoir à commencer par les moyens et méthodes, d’urgence. Le pays était menacé de toutes parts: génocide par substitution, émigration massive des jeunes, suicide culturel par perméabilité aux moeurs d’ailleurs (groupes de bèlè: îlots de résistance culturelle sans impact politique), délabrement économique, chloredécone, sargasses, erosion grave des côtes par la mer, lié au réchauffement climatique… Certes, il y avait eu naguère des déclarations tonitruantes d’ayatollahs du nationalisme(3), mais maintenant ils géraient le statu quo. Certes, comme avait écrit Georges Mauvois père, le PCM avait obligé les gouvernements colonialistes à être un peu «un peu moins chien» («Souvenirs d’un Foyalais»). Mais aujourd’hui, pour la construction d’un pays neuf, que restait-t-il? Pas grand’chose. Ce qui manquait, c’était un noyau national unifié et dur sur les principes, qu’il fallait édifier! Il lui faudrait d’emblée un commandement centralisé, fort et discipliné, autour d’un chef intègre à poigne (au premier plan ou commandant en coulisse), mettant l’intérêt national au-dessus de tout, tablant sur l’esprit de sacrifice de son peuple! Il faudrait inculquer à celui-ci, au nom de l’intérêt supérieur de la nation, un goût prononcé pour l’ordre, la discipline, la hiérarchie, des valeurs presque militaires. Seules ces principes et méthodes permettraient de bâtir le pays autour d’un projet global cohérent, après liquidation de tous les parasites. Il n’y avait plus le choix, c’était maintenant ou jamais! Il fallait mettre tout le monde au travail, sinon le pays ne sortirait jamais de sa merde. L’axe central, c’était de tout subordonner à l’intérêt national, en écrasant impitoyablement tout ce qui y ferait obstacle…

Il n’y avait pas beaucoup de capitaux? Bien sûr que si, il y en avait! Mais ils étaient investis en grande partie dans les secteurs les plus rentables à court terme, sans pilotage d’ensemble. Dans le cadre du statu quo, c’était surtout l’import-export et la grande distribution. Pour qu’ils s’investissent massivement dans la production, ailleurs que dans les secteurs parasitaires, il fallait un pilotage efficace des investissements privés par un Etat fort(4), attractif financièrement donc fiscalement, fiable, et socialement stable (sans syndicats fouteurs de merde), avec un projet d’ensemble crédible, laissant ces capitaux aux mains de leurs propriétaires(4), qui sinon foutraient le camp avec. Peu importait la couleur de la peau et les origines de ces capitalistes et de leurs capitaux: on en avait besoin, on ferait avec l’existant. Seuls des capitalistes desarollistes pourraient devenir un jour la classe de capitaines d’industrie, dont le pays avait tant besoin, mais à condition de leur en donner les moyens, de les attirer: stabilité sociale, attractivité fiscale, etc. Il fallait débarrasser le pays de toute sa merde improductive, de tous ses obstacles et parasites, pour le régénérer physiquement et psychiquement. Donc avec une très forte discipline dans les établissements scolaires, les entreprises, les quartiers. Donc neutraliser à tout prix et tous les moyens les obsédés du salaire «décent», les syndicalistes, les inaptes au travail, les déviants, les handicapés assistés, les fainéants avérés, etc. Le droit syndical? On le limiterait progressivement, pour arriver au final à des corporations capital-travail obligatoires et coercitives(5), après les limitations progressives du droit syndical et du droit de grève, pour briser les luttes de classes des salariés (des trois secteurs), nuisibles à l’intérêt national. Une sorte de corporatisme d’Etat nationaliste (5 )! Les grèves sauvages? On s’en occuperait! Les seules grèves autorisées seraient les bords de mer. Tout ce qui était syndicalistes indépendants du patronat et de l’autorité publique: au travaux forcés, avec les makoumè et les opposants politiques. Et si ça se mutinait: procès truqués, puis abattus devant les fosses qu’ils auront creusées eux-mêmes (sauf les manchots)… Quoi ?

Fasciste? Eh bien maintenant qu’il y songeait, il se disait que son copain de l’autre jour n’avait peut-être pas tout-à-fait tort. Pas tout-à-fait raison non plus. Car le fascisme, il fallait être sérieux: c’était purement européen, italien même. Ici ce n’était pas l’Italie, on n’était pas des gréco-latins. Il faudrait y insister dans les débats: le fascisme est un phénomène strictement européen (géographique) et vieux d’un siècle, donc non pertinent pour nos latitudes et à l’ère de la revolution numérique. Donc ce projet n’était pas «fasciste». Proto-postfasciste  serait mieux, mais c’était lourd, et n’illustrait pas la dimension caribéenne du combat. On pourrait dire «populiste», c’est le mot utilisé par les medias: çà fait moderne et ça occulte le fond!. Ou «national-populiste décolonial». Oui, çà en plus çà «sonnerait» progressiste. Bref, des intellectuels oganiques trouveraient des formules que goberaient l’opinion nationale voire internationale (journalistes). De toute façon, objectivement ce qui comptait c’était le fond. Leonidass était conscient de ses fixettes sémantiques. Il faudrait récuser l’appellation de «fasciste», vocable souvent amalgamé avec «nazisme» (génocidaire alors que le fascisme non), et la réfuter efficacement. Ce serait  utile, surtout pendant des débats contradictoires. Ce genre de débats, il s’y voyait déjà, tançant les démagogues pseudo-démocrates, du moins au début... Parce que les débats et la démocratie, il faudrait les limiter, les surveiller davantage, et puis après…

Le plus urgent: démarrer! Agit-prop ultra-nationaliste sans états-d’âme. Simultanément: élaborer un «programme de transition» (çà ferait hurler les trotskistes méconnus, qui se trahiraient d’eux-mêmes). Elaboration qui devrait s’effectuer avec tous les nationalistes-intégristes, techniciens, spécialisés dans tous les domaines du développement endogène, de l’agro-alimentaire, de l’agronomie, du multimedia, des start up novatrices, des RH… Le discours devait être blindé, imparable! Avec des slogans nouveaux, par exemple: «Le national-populisme, c’est notre terre, plus la souveraineté.» Il réfléchissait déjà en termes de slogans pour le parti à créer, et de mots d’ordre pour l’avenir…

Tout cela serait violent? Et alors? Parce que ce qu’on vivait là, ce n’était pas violent? Tout ce chômage détruisant de l’intérieur des milliers de compatriotes, poussant toujours plus à l’émigration sans retour! Cette déliquescence collective! cette aliénation, ce néo-doudouisme rampant, cette émollience collective, cette malemort; toutes ces maffias ayant la bride sur le coup! ces sectes protestantes made in US, qui pourraient contribuer à remplacer l’impérialisme français par son homologue US! tout çà, ce n’était pas violent? Cela faisait des décennies que le pays se décomposait, s’enfonçait sans que surgisse une force nationale capable d’entraîner réellement les masses populaires. Et l’ensemble du système politique vivait une telle crise de légitimité, sous couvert de «démocratie» qu’il faudrait le pousser très fort pour qu’il s’écroule, et l’écraser définitivement, en broyer et concasser tous les éléments, ici et dans l’émigration (méthode Ben Barka)! Hormis les militants patriotiques certes sincères mais inefficaces, la classe politique était dans l’ensemble devenue si inculte, antinationale, nulle, traîtresse, incompétente voire corrompue, à un point tel qu’il fallait agir, car le peuple ne croyait plus en rien… Cette crise de légitimité pouvait permettre de faire basculer le système par des voies d’abord légales, en se préparant par un travail de fourmi à le subvertir, avec une ambition collective nouvelle. Reconstruire un projet de société, avec des infrastructures-socles, sans concession, sans scrupules, la fin justifiant les moyens. Electrochocs, d’urgence ! Et après tout, en Italie, certaines infrastructures durables pour un développement indépendant, c’était surtout le Duce qui les avait propulsées. Ce n’était pas un hasard si Trujillo admirait les fascistes et avait piloté une relative modernisation de son pays. Certes, son clan était corrompu et il y était allé un peu fort dans la répression. Bon, d’accord il était peut-être allé un peu loin question mégalomanie et lors du massacre des Haïtiens en 1937, mais avait-il le choix? Et puis merde! Les Haïtiens avaient occupé le pays en 1822-1844, il n’allaient pas recommencer en s’infiltrant, comme le font les Maghrébins en France, surtout à Marseille et en région parisienne. (D’ailleurs, avec un programme comme le nôtre on pourrait intégrer une espèce d’alliance Internationale. Dans ce genre d’instance, on ne serait pas trop emmerdé par le racisme, puisqu’en France le FN/RN intégrait de plus en plus, des Antillais, des gens d’origines africaine, maghrébine, asiatique, avait soutenu Saddam Hussein et nouait des relations avec Israël,...) Pour construire ce pays qui régressait depuis des décennies, on ne pourrait pas faire d’omelette sans casser d’oeufs.  Question de survie.

«Au fait, minute!» Il s’apercevait qu’il mettait la charrue avant les boeufs: «Ici on n’est toujours pas autonome politiquement, on n’a même pas d’Etat autonome avec quelque attribut de souveraineté! La CTM c’est seulement la réunion du Conseil Général et du Conseil Régional. Elle n’est pas plus autonome par rapport à l’Etat français que la commune de Montcuq... Pour parvenir à une très large autonomie politique, il faudrait bousculer le système, organiser une subversion de sécession, par une longue agit-prop anti-syndicaliste (on a des arguments avec les conséquences économiques de 2009), anti-immigrés, anti-homo, mais avec un programme attractif pour l’électorat et les capitaux. Et surtout avec un leader, en tout cas un tribun charismatique. Pas comme ailleurs quelqu'un comme Ibo Simon ou un pseudo-sosie de Mussolini comme Viviès(6)». Car selon Leonidass, sur le fond certaines attaques radicales d’I.Simon étaient pertinentes…

 Pour commencer, après de grosses campagnes d’agitation vaguement négristes (çà marchait bien avec une fraction de la jeunesse révoltée mais déboussolée), après avoir mis la pagaille tout en rassurant les détenteurs de capitaux (il faudrait envoyer des émissaires à la CCIM et à l’antenne du Medef), il serait jouable de réclamer un nouveau referendum sur l’article 74 pour calmer le jeu, mais en poussant le curseur le plus loin possible pour conquérir le maximum de compétences sur place. Ce ne serait pas le summum en matière d’autonomie politique, mais ce serait déjà un «plus». Promettre pendant la campagne que les avantages acquis resteront (les promesses n’engageant que ceux qui y croient). Une sorte de self governement... Qui trouver comme tribun charismatique? Bon, il y avait plein d’apprentis macoutes et de dictateurs potentiels dans le pays: c’était une tradition née du terreau et de l’histoire. L’ancien Maire du Maringwen (cf brochure «Portait d'un dictateur»), les méthodes électorales musclées d’un ancien Maire de gauche de la capitale (contre des opposants d’extrême-gauche), quelques présidents du Conseil Régional, bien des dirigeants de partis politiques de gauche ou d’extrême-gauche comme de droite, l’affaire Jette-La, tout çà illustrait que le tontonmacoutisme n’était pas une spécialité haïtienne(7) et pouvait se déployer sans ennuis pour les auteurs et commanditaires. Mais on aurait besoin d’un ou plusieurs tribuns potentiels, meneurs efficaces, harangueurs, tonitruants, mais jeunes, malléables, sans «conscience politique» préalable, qu’on pourrait travailler en les formant, les encadrant, les endoctrinant. Avec quelques intellectuels organiques blindés, pour construire et diffuser un corpus idéologique cohérent çà pourrait fonctionner. Leonidass savait que dans les années 1990, le néo-fasciste français B.Mégret reprenait les concepts gramscistes d’«intellectuel organique» et d’«hégémonie culturelle» pour les recycler. D’ailleurs les régimes protofascistes avaient souvent eu ce genre d’intellectuels(8). Et dans l’émigration aussi, il y en avait, des intellectuels «nationalistes-intégristes», partisans du «kas kòd» intégral voire immédiat, prêts à tout. Mais ils étaient atomisés, éparpillés, en chômage technique, sans organisation collective. Il fallait à tout prix leur mettre la main dessus, les rallier au nom de leur idéal, et leur proposer un deal crédible, moyennant finances si besoin.

Ici, après la prise de la C.O.M. dans le cadre de l’article 74, au début il faudrait bien conserver un peu les formes «démocratiques», à cause de la tutelle française. Mais au final, avec un Pouvoir domicilié sur place de plus en plus autonome on pourrait accomplir tranquillement certaines taches, processus, nettoyages politiques, relevant de notre compétence exclusive. Car si des simples Mairies avaient parfois des pratiques macoutiques dans le cadre départemental d’avant 1982, une C.O.M. aux larges compétences pourrait aller bien plus loin! Si en plus les «populistes» continuaient de prendre des citadelles puissantes, on pourrait passer des accords de coopération, avec le Brésil, peut-être la France après 2022 ou 2027, avec leur soutien en cas de problème de subversion locale… Ce qu’avaient obtenu Mobutu, Bongo et quelques autres, ici on pourrait l’avoir. Les rivalités entre la France et les puissances plus proches, ce serait de la blague. Pour liquider la subversion grenadienne, en 1983 il avait bien fallu une entente de fond entre l’Angleterre (Paul Scoon) et Reagan: le but avait été de liquider les gens au pouvoir depuis quatre ans, le reste fut de l’intendance, même si Elizabeth n’avait peut-être pas été informée en amont.

En même temps qu’un petit groupe élaborerait un programme, et préparerait des mobilisations en flattant le grégaire et le reptilien, il faudrait donc trouver quelques jeunes assez charismatiques, pour les endoctriner. Ce seraient des tribuns, mais des marionnettes à notre merci, nous devant tout. Il faudrait des gens  aux egos hypertrophiés, hommes-et-femmes-liges pas assez malins pour se créer des réseaux autonomes (on les contrôlerait). Où et comment les trouver? A la sortie des lycées et sur le campus, pour écouter ce qui se disait, repérer les petits exaltés allant un peu dans le sens du «kaskòd», et ayant un fort besoin de reconnaissance, si puissant que l’appétit du pouvoir soit plus fort que tout ! Là, on pourrait recruter…Il y avait un abaissement flagrant du niveau de la majorité des jeunes, qui ne savaient plus grand chose de l’histoire du pays, de sa complexité, de la signification des faits. Il suffirait de brouiller davantage les cartes en attirant des jeunes avec des «événements» bien démagos, à la fois culturels (l’affichage!!) et débilitants (dosage à bien mesurer), recruter, trier, former, etc. En cinq ans on pourrait avoir quelques pépites jeunes, talentueuses, séduisantes, attractives à mettre en avant, après avoir construit le noyau dur, avec des mots d’ordre assez ambivalents pour ramasser la mise. Et si de ces tribuns faisait le malin, on le remplaçerait par un autre. Hop!

Oui, le puzzle commençait à se mettre en place dans la tête de notre ami... Il devrait en parler avec des nationalistes kaskòd qu’il connaissaient, exaspérés des moratoires à répétition et des retournements de veste, prêts à tout! Des gens mettant la nécessité de bâtir un Etat national au-dessus de tout, quels que soient les sacrifices à faire ou à imposer, et plaçant l’avenir national au-dessus de tout le reste! Il faudrait discuter de tout çà, ajuster, affiner la perspective, vérifier la solidité de la trame. Notre «penseur» était conscient que ce projet global devait être le fruit d’une réflexion collective. Certains nationalistes-intégristes pourraient contacter d’autres ultranationalistes de la Caraïbe et d’Afrique, Ramfis Domínguez-Trujillo (petit-fils de Trujillo), les rescapés du FRAPH, anciens et néo-duvaliéristes, miliciens latino-américains toujours vivants, miliciens Hutus, etc. Tous ces gens-là pouvaient faire profiter d’autres de leur expérience pour les pratiques politiques…

 

Il s’était toujours perçu comme de gauche radicale, anticapitaliste, anticolonialiste, démocrate. Voulant passionnément que la décolonisation s’effectue par conviction progressive du peuple, via des mobilisations croissantes et massives dans les rues, les quartiers, les entreprises, des p2titions, etc.. Il considérait alors que ce devait être les luttes de classes (populaires) qui devaient porter la lutte de libération nationale. Que dans ce processus les travailleurs les plus humbles, les chômeurs devaient exercer de plus en plus de pouvoir pour arriver à exproprier les gros capitalistes de leur capital, de leur pouvoir sur la société via leurs réseaux plus ou moins opaques. Il avait participé à de nombreuses (mais décevantes) manifestations en ce sens, quitte à emmerder les apparatchiki de service, militant dans les syndicats de salariés, soutenant des grèves fortes… En vain, au final.

Or depuis quelques heures il sentait en lui comme des chocs, des déflagrations, des illuminations opposées à tout çela. Il en avait un peu honte. Il sentait qu’il lui faudrait rompre avec cet arsenal idéologique, qui lui semblait décalé. Ce serait une longue «tempête sous un crâne»: tant pis. Après il serait libre! Pour l’heure il sentait bouillir en lui des pulsions «extrême-droitières», quasi «reptiliennes», qui lui paraissaient anciennes mais toujours refoulées. Il était heureux de pouvoir enfin les assumer, voire un peu les théoriser. C’était une libération d’un fardeau imposé par des décennies de fréquentations marxistes. Certes, ça risquait de déraper vers un machin monstrueux, vers des alliances douteuses avec l’extrême-droite suprémaciste blanche, du FN/RN et du Bloc Identitaire/MSE français, du Vlaams Belang belge, des néo-nazis allemands, d’Aube Dorée grecque, etc. Mais après tout, le grand Mufti de Jerusalem avait bien soutenu le nazisme (suprémaciste Blanc-Aryen) pour avoir un allié solide. Alors il faut savoir ce qu’on veut!… Et s’il s’en tenait à son seul pays, ici là, çà pourrait être très excitant. De toute façon le fascisme n’avait jamais eu la dimension génocidaire du nazisme, et ici ce ne serait même pas le fascism, juste quelques emprunts…

D’après les textes fondateurs, le fascisme, c’était l’action extrême dans l’intérêt national, c’était la régénération des corps et de la nation. Lui revenaient à l’esprit des phrases apprises pour le Bac: «Le fascisme veut que l’homme soit actif et engagé dans l’action avec toutes ses énergies, prêt à braver [les difficultés]... Le fascisme méprise la vie commode. [Il] croit encore…à l’héroïsme, c’est à dire aux actions où n’intervient aucun objectif économique proche ou lointain… Le fascisme affirme l’ inégalité irrémédiable, féconde et bienfaisante des hommes… Le principe essentiel de la doctrine du fascisme est la conception de l’Etat … L’Etat est l’absolu devant lequel les individus et les groupes ne sont que le relatif. L’Etat fasciste est une volonté de puissance et de domination…En ce moment plus que jamais, les peuples ont soif d’autorité, de direction et d’ordre»(9) . Et encore: le fascisme «justifie la violence d'État menée contre les opposants assimilés à des ennemis intérieurs, l'unité de la nation devant dépasser et résoudre les antagonismes des classes sociales dans un parti unique, par tous les moyens y compris le terrorisme d’Etat», pour les broyer définitivement, et les éliminer. Tout bien considéré, Leonidass se demandait si celà n’était pas transposable à tous les peuples, y compris le sien. Car celui-ci se mourait, au lieu de prendre son destin en mains. Alors s’il lui fallait quelques électrochocs, Leonidass se proposerait d’y contribuer… Si le chef dominicain admirait tant les régimes fascistes, il y avait bien des raisons. Et puis il ne faudrait pas venir parler de racisme. De toute façon les Saint-Luciens, Haïtiens et autres vié nèg de la Caraïbe étaient Noirs comme beaucoup de ses compatriotes, donc il n’y avait nul racisme là dedans. Mais, par un statut transitoire, il fallait expulser le colonialisme français par tous les moyens, pour que le peuple devienne progressivement maître chez lui, et que les étrangers inutiles soient expulsés (sauf cas d’«immigration choisie»…). Question de salubrité nationale. Tout ce qui s’opposait à l’unité nationale devrait être broyé par tous les moyens! Pour la forme (les «droits de l’homme»), la France rouspéterait bien un peu. On l’achèterait comme l’avaient fait les Bongo, Mobutu et autres, qui la savaient n’avoir rien à foutre des «droits de l’Homme» quand ses intérêts étaient protégés. Par exemple, était-elle prête à perdre sa place de seconde puissance maritime mondiale? On tablerait sur la théorie des dominos… Par exemple, les Guyanais comprenaient de plus en plus que Kourou était un enjeu stratégique, qu’une organisation comme le Moguydé manquait... On pourrait les faire chier les Français, s’ils faisaient les malins…

A côté de tout celà, Leonidass en revenait à sa propre vie: l’existence humaine, notamment la sienne, devait comporter le sel de la passion, et il l'avait trouvée. Par l’action, d’après sa récente expérience, le déchaînement de violence homicide et sanglante permettait le soulagement de pulsions au tréfonds de chaque humain. Césaire parlait en substance de certaines pulsions homicides que les colonialistes ne pouvaient pas déchaîner dans leur propre métropole, mais pouvaient «lâcher» dans les colonies. A peu près quinze ans après, Che Guevara imputait la sauvagerie au «capitalisme» et à l’«impérialisme», mettant dans le même sac les Américains au Viet-Nam, les Français en Indochine et Algérie, les Nazis, occultant  les crimes de l’URSS post-stalininienne en Hongrie, en Pologne, en RDA. Pauvre latin loser…

             Revenant au projet qu’il esquissait, Leonidass réfléchissait au principe de milices comme bras séculier pour que «l’ordre règne à San Pedro» (il aimait la langue de Cervantes). Car oui, par hommage à sa grandeur passée, Saint-Pierre pourrait redevenir la capitale. Ces milices pourraient s’appeler «Volontaires de la Sécurité Décoloniale», par exemple: çà ferait «progressiste»! Il lui faudrait se documenter sur la façon dont les milices avaient été créées ailleurs, et sur le détail de la vie de certains chefs: Trujillo, Mussolini, Batista, Pinochet, Franco, Peron, F.Duvalier, Eric Gairy, etc.

Sur le plan culturel, on testerait. On pourrait spéculer habilement sur le fait que les Martiniquais sont très catholiques, mêler çà, confusément et habilement, avec des traditions quimbois-séances (émissions de TV + réseaux sociaux, en truquant et mêlant les traditions afrodescendantes se ressemblant quelque peu de Haïti, Cuba, Jamaïque et ici). Ajoutons la propagande afrocentriste, qui avec quelques passages de Kémi Séba, pourraient contribuer à semer la pagaye dans certains esprits. Le besoin  identitaire poussait à s’agripper à des mythes fondateurs, à des héros nationaux (eux, le plus drôle était que c’étaient des gens de gauche qui les avaient trouvés). Alors, en momifiant ces mythes et personnages, on leur ferait dire ce qu’ils n’ont pas dit, on en ferait un Panthéon artificiel. Ce serait mêlé à l’accent artificiellemnt mis sur le syncrétisme magico-religieux. On trouverait bien quelques ethno-anthropologues pour nous fabriquer çà (les gauchistes en parleraient comme «obscurantisme», tant pis pour eux). N’était-ce pas un peu ce qu’avait tenté de faire François Duvalier, lequel rallia au début Leslie Manigat (7)...

Oui, tout cela prenait corps. Héros nationaux à déifier, comme les soviétiques l’avaient fait avec Sverdlov et surtout Lénine (voire Pierre le Grand), les Haïtiens avec Toussaint: tous les exemples étaient bons à exploiter… Constitution d’une classe d’entrepreneurs avec obligation pour les salariés de travailler avec eux dans le cadre des corporations (il se répétait ses nouveaux fondamentaux). D’autres que lui avaient déjà sûrement réfléchi un peu dans toutes ces directions. Des nationalistes de droite qu’il faudrait durcir un peu par des discussions acérées et habiles, en tablant parfois sur l’homophobie et le rejet des sainte-luciens (pour commencer). Puis on élargirait le cercle, on coopterait, on créerait des espèces de clubs, de think tanks, on infilterait ceux déjà existants, et on verrait ce qu’on pourrait attirer…

C’est à ces conditions seulement que ce pays sortirait de son caca. L’avant-garde ultranationaliste devrait se constituer d’abord en un faisceau, commençant «petit et modeste». Pour éviter les désillusions lors des inévitables échecs. Puis construire d’autres faiscaux de combat de même idéologie. De proche en proche: couvrir le pays de sa toile. Envisager la prise du pouvoir par les urnes, comme Mussolini et d’autres. Et après on verrait. Si on arrivait déjà à faire celà, tout en rassurant en permanence les grands secteurs capitalistes pour qu’ils nous soutiennent, ce serait une base pour devenir un pays «petit», mais digne et surtout respecté, craint. Nous pourrions faire exemple. Et qui sait, devenir le centre d’une extrême-droite caribéenne, encourager des métastases vers Sainte-Lucie, la Dominique, puis, de proche en proche, arriver jusqu’à Cuba, puis le sud des USA (Farrakhan les soutiendraient sûrement)…

Oui, Leonidass avait enfin trouvé un sens à sa vie.

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Quelque treize ans plus tard, des démocrates restés sur place et ayant échappé aux arrestations et assassinats politiques, et d’autres en exil, tentaient péniblement de reconstituer le puzzle. Que s’était-il passé depuis les premières attaques et rafles sanglantes anti-LGBTI et  xénophobes, contre les Saint-Luciens, Haïtiens et Dominicains? Malgré l’absence de recensements officiels, il semblait que ces premières rafles aient fait des dizaines de morts, de blessés et des centaines de disparus dans les quartiers populaires. A son avènement, le Pouvoir politique autonome avait qualifié cette agitation meurtrière les «mobilisations populaires(10) du siècle». Ces coups de force avaient suivi de quelques années la disparition inexpliquée d’une certaine Claude Estrella del Sol del Infierno, personne assez connue ayant disparu sans qu’on n’ait pu retrouver sa piste.

Entamée d’abord moderato, et semble-t-il très orchestrée, cette série d’agressions paraissait avoir commencé par des tests. Rapt de quelques gays et de délinquants Saint-Luciens et Haïtiens, entre deux heures et cinq heures du matin, par des bandes d’hommes cagoulés, agressifs, avec immobilisation et baillonnement des victimes pieds-et-poings-liés. Toute personne s’interposant pour défendre une victime était frappée violemment, assommée à coups de boutou et laissée pour morte à terre. Ligotées, les victimes ciblées auraient été chaque fois entassées dans des véhicules type «Espace», puis emportées vers la mer, embarquées vers le large, puis balancés en eaux profondes (d'après les recoupements de certains témoignages). Plusieurs semaines d’affilée des opérations de ce type eurent lieu, jamais dans le même quartier. Cela rendait aléatoire la surveillance par les forces de l’ordre, alertées pour faire des rondes, voire des ilotages «musclés» si besoin. Les bandes n’attaquant jamais au même endroit, elles échappaient à la Police. Peu à peu la terreur s’installa dans les quartiers populaires, Citronnelle, Pétron, Moulega, Carénage... D’abord, ces exactions eurent lieu de nuit. Puis, discrètement, en journée. Celà se sut. La xénophobie s’était beaucoup développée durant les décennies précédentes. Les victimes étrangères étaient parfois des délinquants avérés. Ce qui faisait dire à certaines «braves gens», se plaisant dans les amalgames: «Bien fèt, bon débarras!». Comme dans l'«île-soeur» où, fin 1979 et plus tard, certains firent le parallèle avec des «pogroms» anti-dominicais, et protestèrent énergiquement..

Au départ, très peu de gens et groupes protestèrent, et les fluettes manifestations ne réveillèrent ni ne mobilisèrent massivement la population, qui commençait à avoir peur pour sa sécurité physique. Cette relative inertie populaire encouragea les commanditaires à aller plus loin. Les attaques contre les Saint-Luciens et Haïtiens et les soit-disants «déviants sexuels» devinrent progressivement plus violentes et massives. Les victimes n’étaient plus des délinquants chassés parce qu’étrangers, mais des travailleurs honnêtes, «sans-papiers» mais aussi «en situation régulière». Il n’y eut toujours pas de protestations de masse. Dès les premiers «tests», ces exactions semblaient être commises par des gens habitués au combat, munis d’armes blanches et de boutous (dogs ou majors), uniformément vêtus de noir, probalement bien payés. Ces bandes faisaient songer à des milices. Désormais, elles entraient dans beaucoup de foyers saint-luciens et haïtiens, blessant, torturant les familles, tuant pour l'exemple une personne devant le reste de la famille, hurlant aux survivants de quitter le pays sous peine de graves représailles, tabassant systématiquement les prostituées hispanophones et les homosexuels repérés (hommes surtout). C’était le règne de la brutalité barbare,  flattant la fibre immonde présente chez beaucoup de gens incapables de policer leur «part d’ombre». L’essentiel des «mots d’ordre» lancés par ces exécuteurs, c’était pour l’essentiel: «Mettons de l’ordre dans notre pays, assainissons-le, purifions-le! Purgeons-le des étrangers et des parasites.». Curieusement, nul Français blanc, nul caucasien, nul Occidental ne fut agressé ni même intimidé. Seulement des Caribéens. Sollicitées pour des rondes et de l’ilotage, les «forces de l’ordre»  se disaient impuissantes, malgré les appels de tous bords au Préfet. Lui disait faire le maximum et envisageait de déployer l’armée dans les quartiers sensibles, mais recula vite face aux protestations d’une frange de la gauche…

Parallèlement à ces événements, on assista à une forme nouvelle de répression antigrévistes et antisyndicale. Des piquets de grève furent brisés violemment et sans sommation par des civils cagoulés, tous vêtus de la même façon (comme les bandes armées ci-dessus). Des militants syndicaux furent gravement blessés, laissés sur le carreau, voire tués. Cela commença de façon ponctuelle, puis alla crescendo. Les syndicalistes réagirent en manifestant dans les rues, durent se remettre à l’entraînement au combat physique. Mais à cet égard il n’étaient pas tous de la trempe par exemple de feu Marc Pulvar.. Et surtout, les attaques antigrévistes revêtaient partout des formes comparables, pourtant assez différentes en la forme, des méthodes musclées de certains chefs d’entreprises. Les groupes d’attaquants avaient partout la même tenue: ce n’était pas dans les habitudes du pays. Cela faisait songer à des groupes organisés officieux hyper-violents, très disciplinés, commandités par un noyau occulte, et non par des chefs d’entreprises aux méthodes «musclées» (que cela arrangeait bien quand même car rejetant in petto l’idée de  «dialogue social», et que les conventions collectives et les N.A.O. embêtaient prodigieusement). Chez les militants syndicaux, les habitudes de combat physique systématiques contre les briseurs de grève étaient un peu tombées en désuétude, la lutte devenait inégale.

Ces phénomènes apparemment incontrôlables, attaques xénophobes, antigrévistes, antisyndicalistes, se développèrent crescendo pendant quelques mois. Les protestations des démocrates furent de peu d’effet. Et ce fut leur tour d’être attaqués à leur domicile. Les auteurs des agressions furent rarement retrouvés. La situation devenait incontrôlable.

Ce désordre public complet fit quand même réagir le Gouvernement français, non seulement pour protester, mais plus tard pour convoquer de Nouvelles «Assises Ultramarines». Car il voyait là une crise locale généralisée le mettant en cause directement: il avait toujours fermé les yeux sur les méthodes macoutiques utilisées lors de certaines élections… Cette fois çà durait depuis des mois; Cela risquait de déboucher sur des incidents diplomatiques avec d’autres Etats de la Caraïbe si certains agressés étaient des notables de ces Etats. Il en avait un peu assez de ces «ultramarins» qui nuisaient à son image. Pendant ces «Assises», s’exprimèrent nettement plusieurs courants atypiques, réclamant un pouvoir politique domicilié sur place, non pas indépendant, mais disposant d’une grande autonomie politique, avec des compétences larges en matière d’éducation, d’orientation économique, de police, entre autres. La situation était inédite. Le Gouvernement français était très embarrassé: son ADN restait jacobin comme depuis toujours. Mais il fallait céder sur certains points. Ces gens-là voulaient du pouvoir, qu’ils le prennent! De proche en proche, de ces «Assises» était résulté un projet de referendum ressemblant au premier du 10 janvier 2010: Oui ou Non à l’article 74 de la Constitution française  (attribuant un peu d’autonomie politique, de pouvoir domicilié sur place). Pendant ces assises, les violences terrorisant la population étrangère continuèrent, et très peu de gens protestèrent. La peur continuait à gagner les Martiniquais eux-même.

Les années précédant cette deuxième consultation «article 74» était apparu une mouvance ultranationaliste habile, xénophobe et représentée par de jeunes tribuns dynamiques. Ces jeunes gens semblaient porteurs d’un projet inédit, revendiquant l’héritage politique et culturel des grands combattants historiques. Ils menèrent des campagnes permanentes d’agitation et de propagande pour se faire connaître. Ils attiraient les jeunes des quartiers populaires souvent en manque de repères clairs, mais aussi des moins jeunes. Les anciennes formations ne savaient pas comment réagir… La propagande de la nouvelle mouvance prit très vite l’ascendant. Leurs représentants étaient d’excellents orateurs, évoquaient les problèmes concrets de la population, désignaient des boucs émissaires, et semblaient représenter l’avenir face à une «classe politique» vieillissante, assez déconsidérée, ou dont le patriotisme radical était trop intellectualiste. Comme par une sûre reptation, l’aspiration au changement quel qu’il soit (cela rappelait aux historiens quelques sinistres souvenirs; ils ne furent pas écoutés) gagnait du terrain dans la population. D’autant que, contrairement à certains patriotes d’une précédente génération, ces nouveaux politiques insistaient sur le civisme, et notamment l’inscription sur les listes électorales… Comme dans beaucoup de pays au début du XXIème siècle, les mots d’ordre nationalistes conquirent une majorité de gens. Le «chantage au largage» semblait avoir vécu.

Lors du referendum, à 51%, les électeurs dirent «Oui» à un statut de type «article 74». Un statut de très grande autonomie politique fut mis en place, après le vote d’un Loi Organique spécifique fixant les compétences de la nouvelle Communauté d’Outre-Mer.

Les électeurs du scrutin territorial résultant de tout le processus de consultation («Assises  ultramarines», referendum, négociations pour la loi organique, application de celle-ci, premier tour des élections territoriales) donnèrent une majorité de 53% aux trois listes ultranationalistes comprenant certains des politiciens récemment apparus.

Les programmes se voulaient «patriotiques», voire «nationalistes». Ils affichaient un programme de «grande politique sociale, démocratique, anti-corruption». Certaines propositions communes aux trois listes auraient dû faire réfléchir quand même. Exemples: politique sociale non financée par des impôts plus justes que la fiscalité française de l’époque; impôts non progressifs; allocations incitatives pour les «femmes aux foyer»; interdiction de soutien aux travailleurs immigrés de la Caraïbe (et graves sanctions à la clé); «adaptation» de la législation métropolitaine en matière de droit syndical, de droit de grève, de libertés publiques… Mais c’était formulé en termes si vagues, par petits caractères au milieu des matériels électoraux que les gens lisaient si peu. Et puis tous ces portes-paroles étaient si jeunes, si brillants-tes, charmants-tes, se réclamant des grands hommes et femmes de notre pays, de ses événements historiques glorieux! Et les réunions publiques étaient si bien organisées, si instructives, la musique et la nourriture offerte était si agréables qu’il était difficile de résister sans de solides grilles d’analyse appuyées sur des connaissances historiques solides… Les débats contradictoires dans les médias furent violents et ne permirent pas d’aborder les questions suspectes.

C’était une coalition hétéroclite constituée et soutenue par différents courants: orphelins du nationalisme darsiérien du 05 mars 1979, de certaines déclarations tonitruantes de Jacquot Marie-Alfred des décennies plus tôt(3); ultranationalistes émigrés revenus au pays; panafricanistes, négristes et kémistes pur jus; et (en arrière-plan mais présents dans les intérêts défendus dans les programmes) bourgeois desarollistes du pays, gros békés ou bourgeois de couleur; fraction nationaliste de la petite-bourgeoisie; petites gens ayant perdu tout repère politique, etc. Au départ, c’était ingouvernable. Vu les fraudes avérées il fallut réorganiser les élections. La coalition s’était durcie et renforcée, son coeur étant le tout nouveau «Parti National FAF», du Docteur Francois Françk-Francis(11). Sa coalition remporta 55% des suffrages exprimés.

Invoquant une «menace antinationale» et la «nécessité de se protéger des actions néo-colonialistes», le gouvernement local issu des urnes ne mit pas en place le système de démocratie participative évoqué dans le programme. Il s’imposa progressivement, et en grande partie, par les arrestations, la répression physique des opposants, l’accentuation cette fois officielle des traques contre les LGBTI, Saint-Luciens, Haïtiens… Cela correspondait à peu de chose près à ce que vous avez pu lire des réflexions du sieur Leonidass. En outre, pour «repeupler le pays», la pilule fut interdite, l’IVG supprimé, même en cas de viol (deux points non indiqués dans les programmes électoraux, mais appliqués de façon drastique). Les enfants non désirés furent placés dans des centres «d’accueil et de développement», pour éviter leur disparition et les préparer dès le berceau à être formés pour devenir la future «élite du régime». Ils furent donc choyés… Nombre de médecins pratiquant l’avortement clandestinement furent repérés par le contrôle des moyens numériques de communication. Ils furent arrêtés et emprisonnés. La pornographie fut cyniquement encouragée dans les médias, afin d’inciter les hommes en misère sexuelle au viol… Des bordels discrets furent ouverts suite à des appels du pied aux héritiers de Lucky Luciano…. Le Gouvernement local voulait des devises à tout prix, en espèces. Le pays devenait un nouveau «bordel de l’Amérique».

Les «moyens modernes de communication» s’avérèrent un piège et faciliter les «coups de filets» massifs(12). C’est ce qui se passa contre des opposants conditionnés presque tous depuis longtemps à communiquer par e-mails, SMS, portables, What’s App… Des centaines de compatriotes furent arrêtés et emprisonnés après des parodies de procès, retransmises «pour l’exemple». D’autres disparurent carrément de la circulation. Leurs proches n’en retrouvaient trace nulle part. De pseudo «enquêtes» furent diligentées, en vain… Récupérés aux domiciles des disparus, leurs smartphones n’avaient enregistré aucun message suspect. C’étaient des syndicalistes ou des opposants discrets, des étudiants et des intellectuels plus mûrs et chatouilleux sur les questions des libertés publiques, etc. Anticipant cette répression tous azimuts, des centaines de démocrates avaient fui précitamment vers l’Europe, le Canada ou ailleurs…

Des nationalistes émigrés, notamment des intellectuels specialistes dans leur branches d’activités, et attirés pour leurs compétences afin de contribuer au développement du pays, furent rapidement déçus. Certains furent mis dans des camps de rééducation car considérés comme des traîtres à l’intérêt national pour avoir émis des reserves techniques dans les domaines qu’ils maîtrisaient.

Le pays vécut progressivement et pendant des années sous une chape de plomb, en dépît de certaines «réalisations culturelles d’envergure nationale» et d’une forme de «décollage économique» à la Syngmann Rhee (avec le même type de gouvernance!). Le régime autonome fut vite stabilisé. Les intérêts français étaient protégés, comme sous d’autres latitudes… A l’extérieur, les protestations étaient presqu’inaudibles. La «Communauté internationale» n’avait protesté et ne protestait que timidement contre les «atteintes aux droits de l’homme», pas plus qu’elle ne l’avait fait pendant les dictatures sud-coréenne, chilienne, zaïroise, ou quand les USA envahirent la Grenade ou le Panama, quand B.El Assad massacrait chez lui, quand les dirigeants occidentaux se débarrassèrent de S.Hussein ou Khadafi après avoir fait de juteuses affaires avec eux, quand la France bombarda Abidjan au début du XXème siècle…

Les capitaux privés furent drainés par une fiscalité locale différenciée selon les secteurs, avec un pilotage public fort par l’exécutif de la C.O.M.. Priorité fut donnée au secteur agro-alimentaire, pour réduire la dépendance extérieure en la matière. Les productions agricoles furent diversifiées de façon autoritariste. Les petits producteurs de canne et de banane souhaitant conserver leur métier, auquels ils tenaient, à tout prix, furent assimilés à des opposants et arrêtés. Leurs terres furent réquisitionnées pour les cultures vivrières et maraîchères. Les gros planteurs firent l’objet de plus d’égards, mais tant que faire se peut ils firent l’objet d’énormes cadeaux fiscaux pour réorienter quand même leur productions. Une petite ceinture douanière fut mise en place, après négociation d’accords de non-réciprocité dans les échanges avec l’Union Européenne. Celle-ci peinait à surmonter ses crises, et la France tenait à rester présente dans la Caraïbe…

Quelque treize ans après la disparition de Claude del Sol del Infierno, le pays était dirigé d’une main de fer par une certaine Eliane Lès-Koko, qui succéda à deux présidents de la C.O.M Martinique. Le peuple souffrait en silence, comprenant s’être fait avoir, mais il était trop tard. Tout était allé très vite après l’élection du premier Président de la C.O.M. et toute rebellion semblait condamnée d’avance. Les deux élections territoriales suivantes furent truquées, les «campagnes électorales» firent toujours des morts. L’opposition à l’Assemblée était purement formelle, et acquise sur le fond aux gouvernements sucessifs… C’était le régime le plus malfaisant, répressif, paupérisant et abject depuis l’Amiral Robert (la négrophobie en moins). Les besoins élémentaires de la population n’étaient même pas satisfaits. Manque de denrées alimentaires de base malgré les objectifs économiques affichés d’auto-suffisance alimentaire. Ce manque touchait jusqu’aux nourrisons (lait)! Manques d’écoles et d’enseignants. Hôpitaux délabrés. Interdictions de revendiquer pour tous les salariés, obligés de souscrire à des «corporations» extrêmement coërcitives. Interdiction de manifester. Etouffement maximal des libertés publiques. Remise en vigueur par transpositions «modernes» de dispositions de lois françaises répressives et archaïques (un comble pour des ultranationalistes!): rétablissement de la notion de chef de famille et de l’infériorité civile de la femme (Code Civil version Napoléon 1er); «délit de coalition» (loi «Le Chapelier» de 1791); décret du 05 février 1810 sur la censure (Napoléon 1er); Loi des suspects de 1858 (Napoléon III). Les mosquées furent toutes fermées. Aucune «cosmovision» autre que le catholicisme et les cultes et pratiques syncrétiques afro-caribéennes ne fut toléré. Tout cela, évidemment, en invoquant les nécessités d’«ordre public» et de protection de «la patrie en danger»... Certes, des relations se développèrent avec des Etats micro-insulaires de partout, avec la Caraïbe, l’Amérique Latine, le Proche-Orient (Israël compris!) et l’Afrique. Mais en interne, c'était une régression radicale.

La plupart des gens ne pouvaient pas quitter le pays, devenu une vaste geôle. Les côtes et les départs par transport aérien étaient étroitement surveillés. Quand une audience présidentielle pouvait être obtenue, le Président ou la Présidente de la C.O.M. recevait toujours accompagné(e) de deux gardes armés, et avec un revolver bien en vue sur son bureau… Cela rappelait Franck Delavalière ou Michel Goupil! En revanche les membres du Gouvernement autonome, de sa haute administration et les dirigeants du parti FAF vivaient correctement voire somptuairement, grâce à l’exploitation de la population et les renvois d’ascenseur des néolucianistes, comme sous Batista…

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Un petit groupe clandestin de patriotes démocrates avaient refusé de s’exiler. Ils n’utilisaient pas les moyens de communication numérisés. Chacun de ses survivants avait dû apprendre à s’en déconditionner. Il était dirigé collégialement par des patriotes attachés aux libertés démocratiques et aux droits de l’homme. Il était connu sous un nom curieux: GPT(JM)43(13). Cela amusait les gens, sonnait comme une flatulence dirigée contre le régime en place, un «J’ai pété, j’aime», dirigé vers Eliane Lès-Koko (nouvelle Dame de Fer des Caraïbes). Cela détendait un tout petit peu l'ambiance... Ce groupe réalisait un travail de fourmi patient, très risqué. Il recrutait peu, exigeait un rigoureuse discipline. Le moindre mail reçu d’un nouveau sympathisant entraînait automatiquement son exclusion: les coups de filet n’étaient pas potentiels. Des années plus tôt, un documentaire avait montré la dangerosité des NTIC pour les libertés(12). Donc ces dissidents s’en interdisaient l'emploi! Ces militants, qui n’étaient pas des «limitants» comme on en vit tant dans les organisations anticolonialistes d’après 1946, se réunissaient chez l’un ou l’autre, devant une belote et un coup de rhum, prétexte «au cas où». Ils communiquaient seulement par papiers manuscrits, avec écritures contrefaites et langage codé par des calembours et astuces dont les sens étaient «à géométrie variable». Quand des «Volontaires de la Sécurité Décoloniale» en interceptaient quand même, ils n’y comprenaient rien: c’étaient des «dogs» recyclés, mais peu instruits. Leurs chefs et les dirigeants de la COM passaient des heures à essayer de comprendre, en vain: c’étaient des idéologues et des politiciens d'esprit très rigide, crispés sur leurs certitudes et le langage politique; y compris les Ministres de la Culture nationale...

Ces dissident(e)s avaient fixé à fin juin l'opération «Quitte ou double»: ils abattraient le régime autonome néo-fasciste que l’Etat central tolérait parce que ses intérêts stratégiques étaient protégés, et en invoquant le principe de spécialité législative... Ils s’étaient discrètement renseignés en se promenant déguisé(e)s en ivrognes ou en vakabons boulés près des instances du pouvoir: Plateau Souverain, radios et TV, Police, CGM, aéroport… Tel(le)s des gens inoffensifs, ils/elles faisaient mine d’accepter docilement les rabrouements des «forces de l'ordre» dont ils/elles faisaient l’objet. Mais tout ce qu'ils observaient était noté, compilé, puis discuté collectivement. Ce groupe, du moins son détachement le plus jeune -et davantage apte à des actions physiques- était volontaire et déterminé à aller jusqu'au bout. Ils s'entraînaient clandestinement, le plus souvent en lieu clos, avec simulations, visionnages stimulants d’opérations disciplinées... Le jour J approchait.

             L’Armée était, rappelons-le, une instance régalienne restant aux mains de l’Etat français. Cela n’empêchait pas, à titre individuel, certains militaires français sur place, des démocrates, d’être indignés depuis longtemps par les exactions du régime. Ils étaient prêts à faire quelque chose pour aider le groupe de dissidents, même s'ils devaient le payer de leur vie. Et, discrètement, par des moyens détournés, la plupart avaient réussi à gagner la confiance des militants clandestins. Il y eut alliance, comme en 1943. Les douteux, et certains au présumé double jeu,  furent recalés…

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Ce qui suit compile des notes prises un peu à chaud, après les événements décrits. Des historiens préciseront le détail des opérations (ce n’est pas l’objet de ces notes), redresseront nos erreurs, combleront nos lacunes. Mais on croit déjà avoir quelques éléments, même si certains paraissent invraisemblables.

Bien reposé pour être en forme optimale au physique et au mental, le groupe de dissidents les plus «activistes» focalisa sa première opération coup-de-poing sur des noeuds du Pouvoir jugés névralgiques. Il estimait que le régime politique local, hyper-hiérarchisé, pyramidal, caporaliste, avait une confiance excessive en lui-même, se jugeant inébranlable après la liquidation de toute opposition perceptible. Certes, ce Pouvoir pensait sûrement avoir écrasé définitivement toute dissidence, même clandestine, et paraissait très assuré de son emprise sur toute la société. Apparemment, il semblait même avoir relâché la protection policière ostensible de ses lieux officiels et de leurs occupants, même les plus importants, dépourvus donc de gardes armées solides et entraînées. Il semblait n’y avoir que quelques vigiles armés... Mais il fallait tester, vérifier. Grimés de façon méconnaissable, des dissidents se firent passer pour de simples citoyens, demandant un rendez-vous à des responsables ou élus réputés «abordables même sans rendez-vous» -une des vitrines démagogiques du régime-, et ce pour des mobiles plausibles. Cela leur permit d’entrer dans des lieux importants du Pouvoir, pour observer au minimum les halls d’accueil (Ministères, et même Plateau Souverain), les couloirs d’accès au bureau de tells responsables, et le comportement des gardes. Cela se déroula chaque fois sans problèmes. Mais ces opposants se savaient ignorants des mécanismes répressifs in situ du régime, évidemment secrets, de leur fonctionnement effectif (gestion des crises notamment), de leurs rouages propres, intimes. Le groupe envisageait donc l’échec comme possible.…

Ce jour-là, la presse et les réseaux sociaux gouvernementaux, seuls autorisés, l’avait claironné: tous les membres du Gouvernement et du Parlement local (monocaméral), suppléants compris(14), étaient réunis en session plénière. Le point unique de l’ordre du jour portait sur le prochain «plan triennal de développement économique, social et culturel». Pour les chefs de l’exécutif cela nécessitait la présence impérative de «tout le monde». Et quand il disait «impérative», ce n’était pas une clause de style… C’étaient donc les sommets du Pouvoir local et ses relais immédiats qui étaient réunis.

Avec quand même un peu d’appréhension, deux heures après le début de la session, les membres du groupe dissident, vêtus de façon disparate, approchèrent depuis divers points (Sydney, Petit Eden, Grand Enfer, Plateau Sapavré, rond-point de Cuba héroïque) du grand bâtiment de Plateau Souverain. Ils y pénétrèrent ensemble par l’entrée principale, l’air de ne pas se connaître. Les plus «physiques» étaient armés grâce à leurs alliés militaires (armes courtes et recharges de munitions scotchées aux mollets). La rumeur du grand «dépouillement» de la garde des bâtiments semblait pour l’instant pertinente, mais vigilance! N’étaient postés à l’entrée que quatre vigiles armés, mais étaient-ils assez entraînés pour contrer automatiquement ce type d’opération? On souriait en songeant à Desaix fin 2010… Entrèrent en action ceux des dissidents rompus aux sports de combat, entraînés pendant des années en-dehors de tout club. L’effet de surprise aidant, les vigiles furent vite désarmés, assommés, baillonnés, ligotés et isolés dans un local de ménage que les assaillants fermèrent à clé (clé qu’ils laissèrent et cassèrent dans la serrure…). Puis l’ensemble du groupe pénétra dans le grand bâtiment, se répartit les axes de circulation interne et bloqua tous les ascenseurs. Leurs visites de «bons citoyens» leur avait permis de reconstituer certains plans du site. Ils les avaient mémorisés autant que possible.... Les postes internes de surveillance furent les lieux investis en premier, avant que toute alarme soit déclanchée. Les agents étaient devenus laxistes,  habitués depuis des lustres à ce qu’il ne se passe rien malgré les simulations périodiques. Les yeux détournés des écrans, ils jouaient à la belote, aux tipwen ti kwa ou lisaient un journal… Ils furent vite neutralisés: baillonés, ligotés, enfermés dans un local de ménage que les assaillants fermèrent à clé (et, comme pour les vigiles…). Les caméras de surveillance n’eurent pas le temps de servir à grand’chose… Depuis divers points de vue alentour, à des étages élevés d’immeubles HLM, des militaires alliés observaient au loin à la jumelle… Le moment venu, des éléments de ce groupe géographiquement éclaté s’approchèrent du Palais, en tenues civiles négligées, mais armés (comme les premiers assaillants). Ils y pénétrèrent sans difficulté, tandis que d’autres militaires investissaent les centraux de Police dans la capitale, ses quartiers et des communes les plus proches (Case-Navire et Trichechus-Lamantin). Les militaires alliés entrant à Plateau Souverain concentrèrent méthodiquement toutes les personnes s’y trouvant, du super-chef des services au gardien et à la femme de ménage, vers l'hémicycle, où siégeaient les élus et tous les membres du Gouvernement. Tous les politiques, parlementaires membres du Parti FAF et pseudo-opposants, alliés et assistants parlementaires, et membres du Gouvernement furent arrêtés, tenus sous surveillance armée par des insurgés très déterminés, parfois armés et prêts à toute éventualité. Un des élus, Marcel Chilebran (surnommé parfois «le Doriot Martiniquais»), ceinture noire de karaté ixième dan, malgré son âge avancé réussit à frapper mortellement deux assaillants à mains nues. Pour éviter plus de dégâts, il fut abattu de deux balles (une dans la tête, une au coeur). Cette lutte était une «lutte à mort» mais pour l’heure il y avait peu de pertes. Cela durerait-il?

Tous les politiques du Parti FAF et alliés (donc tous les politiques autorisés), de même que leur très hauts conseillers et personnels «administratifs» furent immédiatement mis sous les verrous. Les 72 heures qui suivirent, leurs propriétés et résidences secondaires furent fouillées de fond en comble. Ceci afin de collecter le maximum de documents et PC contenant certains secrets d’Etat des anciens dirigeants. La plupart des hauts gradés de la Police national-populiste furent aussi arrêtés. Et des flics de tous les niveaux connus pour avoir commis des crimes de sang et des tortures restés impunis. Tous les policiers n’étaient pas cruels, certains avaient refusé de commettre certains actes, c’était dans leur dossier. Idem pour certains hauts-gradés. Les armes et munitions de tout ce beau monde (dans les services de police ou dans les propriétés) furent réquisitionnées. Furent occupés 24 heures sur 24: les locaux de Plateau-Souverain et toutes les annexes de la C.O.M. Martinque, dans l’attente de l’installation des nouveaux dirigeants. Occupation pilotée par le noyau d’insurgés, et des volontaires qui se déclaraient enfin (parmi lesquels, comme toujours, des résistants de la 25ème heure). Les prisonniers politiques survivants furent libérés, parfois en triste état du fait des tortures infligées.

Skoll Poune, Représentant de l’Etat français, tenta en J+2 de demander l’intervention militaire des USA ou du Brésil contre ce putsch «soi-disant démocratique». Mais par mesure de sûreté ses moyens de communication avaient été bloqués la veille. La tentative fut très vite connue des nouveaux dirigeants, qui informèrent la population indignée. Certains se souvenaient d’une tentative analogue contre Grenade. D’où un gaoulé sans nom. Poune fut renvoyé sous escorte avec toute sa famille à Paris. Les insurgés firent immédiatement un courrièl circonstancié au gouvernement français. Ils justifièrent l’opération par le besoin de rétablir les libertés démocratiques et les droits de l’homme. Et demandèrent le remplacement de Poune par un «Représentant de l’Etat» plus soucieux de ces droits et libertés.

L’insurrection se déroula presque sans morts. Hormis les victimes de Chilebran et celui-ci, il n’y eut qu’un décès violent. Celui d’un homme discret, émacié mais vif, qui s’échappa de Plateau Souverain en courant vers son auto. Un certain «Raphaël Leonidass T», abattu après trois sommations, ayant crié plusieurs fois «Vive la République de Shalom!». Désignait-il Israël, avec lequel le premier gouvernement national-populiste avait d’emblée noué des relations diplomatiques et économiques? On se perd en conjectures. On ignore aussi ce que signifiait le «T» de son état civil, lettre remplaçant son état civil de naissance (pas encore retrouvé). Se prenait-il pour une sorte de «Malcolm X» de l’ombre, un «grand libérateur» afro-descendant?  Mais, le «X» étant déjà déposé, il aurait choisi une autre lettre pour marquer des problèmes d’identité ? Le nom de naissance représentait le «nom d’esclave» de la lignée ou celui (pas mieux) attribué en 1848-1849, en l'absence du nom d'origine africaine. Les actes d’individuation attribuèrent souvent comme patronymes les noms des anciens maîtres, ou des noms inversant les syllables de ceux-ci, ou des anagrammes, des noms loufoques que les attribuants trouvaient amusants (cf une description glaçante de ces attributions dans le roman de Mathieu Senglis de 1964). D’après les notes datées trouvées à son domicile, et sa bibliothèque aux livres annotés(15), il semble que dès le départ il ait été un des inspirateurs théoriques et idéologues de la mouvance national-populiste, puis du parti FAF. On trouva aussi des notes manuscrites relatant semble-t-il un long entretien avec un homosexuel ou transexuel, qui s’exprimait non stop, comme dans un journal intime. Mais quant on comparait avec les autres notes manuscrites jonchant le bureau, on comprit que c’était l’écriture de Raphaël Leonidass «T». Les enquêteurs trouvèrent aussi des antirétroviraux. L’autopsie confirma qu’il avait le VIH…

Les rênes du pouvoir local furent reprises de facto par une coalition intégrant les dirigeants de l’insurrection et quelques survivants l’ancienne équipe dirigeante de la CTM s’étant toujours réclamés du «camp patriotique», avant le régime FAF... Des manifestants protestèrent. Pour eux, TOUS les ex-dirigeants de l’ex-CTM étaient responsables de la chute du pays dans le national-populisme du fait de leur opportunisme, de leur politique d’alliances douteuses, décourageante pour un peuple à la dérive. Ils voulaient des dirigeants posant clairement la question nationale et respectueux des libertés. Les insurgés acceptèrent quand même dans le gouvernement provisoire, pour leur modeste expérience gestionnaire mais «sous contrôle», les ex-jeunes de la CTM comme Charly L’Ebéniste-Toto, Franck Sarolis, Jean-Nestor Phillis, Nelly Aurella. Et puis le «tous pourris», les insurgés cultivés et pédagogues expliquèrent où cela pouvait mener, où cela avait mené...

Les libertés démocratiques furent immédiatement rétablies: libertés d’opinion et d’expression quel que soit le support, droit syndical, droit de grève, droit de manifester, liberté formelle d’aller et venir, liberté de philosophie et de culte, etc. Tous les lieux de cultes furent rouverts. Les citoyens simples nostalgiques de l’ancien régime exercèrent ces libertés comme tout un chacun. Seules furent interdits d’expression publique les complices connus des criminels «de base» de l’ancien régime (les criminels eux-mêmes ayaient été arrêtés, mais on ne pouvait pas remplir toutes les prisons ni fusiller les suspects). Comme toujours dans ce genre de situation, il y eut des «dénonciations» sans prevue, prétextes à règlements de compte…

Il semblait bien que le problème national avait été posé par un parti de masse seulement au milieu des années 1950. L’expérience récente illustrait qu’il ne devait ni ne pouvait être résolu par des méthodes dictatoriales, et encore moins totalitaires. En permanence, il faudrait provoquer le maximum de débats citoyens ouverts à toutes les sensibilités. Donc toutes les libertés démocratiques devaient être respectées, à tout moment dans le processus, mais aussi après! quand le pays serait souverain.

Ce Gouvernement d’unité nationale (insurgés plus quelques anciens «patriotes» de la CTM) promit d’organiser des élections pluralistes dans un délai de neuf mois, durée d’une gestation humaine. Il lui paraissait, nécessaire que la libération des ondes, des ex NTIC et des réseaux sociaux fassent leur oeuvre dans les esprits. Pour que la terreur et la peur des représailles aient quitté les esprits, pour laisser aux citoyens le temps de se remettre à réfléchir et communiquer ouvertement sans peur, le temps pour de nouveau oser participer activement à des réunions publiques non censurées. Les émigrés qui le pouvaient furent appelés à revenir participer à la vie de la patrie. Beaucoup étaient des intellectuels. Ceux qui revinrent furent invités, selon leurs compétences, à participer à un état des lieux complet et impartial de la situation, y compris financière, économique, psychologique d’une population traumatisée par treize ans de terrorisme d’Etat.

Le peuple, opprimé pendant toute la période, avait beaucoup souffert. Inconnus avant l’ancien régime, de nombreux troubles psychiques s’étaient dévoilés après sa chute. Pour avancer collectivement, les nouveaux dirigeants devaient l’intégrer. Ils le firent, instaurant des équipes de praticiens spécialistes des troubles post-traumatiques nés de situations de guerre… Malgré ces traumas, se faisaient jour dans l’opinion publique quelques idées claires et nouvelles. Si l’on ne savait pas exactement pour qui voter (on en avait perdu l’habitude!), il faudrait désormais détecter les écueils et pièges à éviter, notamment les flatteurs, les leaders autoproclamés, les chefs refusant d’expliciter les choses. Ne faire jamais confiance aveuglément en politique! La confiance n’exclut pas le contrôle! Faire confiance, peut-être, mais après examen des propositions et des militants, après participation active aux débats publics ouverts aux «simples citoyens». Et toujours en demandant des comptes, avant, pendant et après! Nécessité impérieuse d’observer les comportements des dirigeants et militants au quotidien, s’ils étaient konparézon dans leurs réactions avec les gens modestes, bref! s’ils étaient sincères. La confiance ne devrait plus jamais exclure le contrôle permanent des gouvernants par les gouvernés. Elle ne devait jamais être accordée aveuglément, même si cela heurtait des traditions bien ancrées du pays. Comme disait l’autre: «En politique, faire confiance aveuglément à quelqu’un, c’est être un imbécile.». Bel pawòl!

Malgré les difficultés de gestion et les inévitables frictions, le gouvernement provisoire tint parole. Il organisa des élections pluralistes dans le délai promis. Elles se déroulèrent après un bouillonnement démocratique comme le pays n’en avait plus connu depuis très longtemps. Les plus hauts responsables politiques, administratifs de l’ancien régime, ainsi que nombre de membres du corps policier, furent jugés (certains se suicidèrent avant leur jugement). Nombre de comparants écopèrent de la perpétuité, les autres de peines plus légères, toujours avec de la prison ferme (et durée incompressible).

Des nostalgiques de l’ancien régime laissés en liberté demandèrent la présence d’une «Mission internationale d'observation des élections», pour soit-disant «lutter contre la fraude». Le Gouvernement français n’était pas obligé d’accepter, il le fit quand même. Ce pays commençait à l’énerver sérieusement depuis treize ans: il fallait lâcher du lest, pour assurer la continuité dans le changement. L’inusable et plus-que-centenaire Jimmy Carter participa à la Mission. Les résultats des scrutins suscitèrent peu de contestations des national-populistes, et aucune observation de la Mission internationale.

Au lendemain de la dictature, la nécessité d’une vigilance citoyenne permanente était une évidence pour tout le monde tellement on avait souffert des conséquences de l’aveuglement pour le parti FAF. Mais cette conscience durerait-elle longtemps? Les citoyens sauraient-ils se rappeler? dans vingt ans, dans deux ou cing générations, quelle que soit l’équipe en place, quelles que soient les candidats à des postes électifs? Certains citoyens pas toujours grangrèk se demandaient s’ils ne faudrait pas dire à certains élus en cours de mandat: «Ou pa ka fè sa nou mandé’w: déwò!». Des idées de mécanismes de démocratie semi-directe semblaient faire leur chemin: il faudrait qu’elle fructifient. Rien n’était écrit d’avance. Mais on savait maintenant qu’il fallait TOUJOURS se méfier des politiciens venant chercher nos voix, ne JAMAIS de fier aux beaux discours, au charme des personnes. Il fallait pousser les politiciens dans leur derniers retranchements, leur poser toutes les questions sur leur programme, bref!les emmerder.  C’était un des points clés sur lequel insista beaucoup le gouvernement provisoire pendant la première vraie campagne électorale depuis des années..

L’avenir dirait si les leçons à tirer de l’expérience cuisante récente avait vraiment fécondé un nouvel âge de la citoyenneté, beaucoup active, dans cette «petite île de la Caraïbe». Ou si, comme souvent, la mémoire collective des peuples était une illusion faute d’être en permanence réactivée, fécondée par un travail de mémoire qui ne soit pas un gadget à la mode. La vigilance citoyenne nécesiterait beaucoup d’efforts.

……………………………………………………………………

Renvois.

 

(1) Ex Faubourg Thébaudière.

(2) Optique Martiniquaise Anti-Capitaliste /En Principe.

(3) http://evolutionmartinique.fr/files/2010/01/interviewalfredmariejeanneparismatch.pdf

(4) Rien à voir avec un projet anticapitaliste, où ce seraient les salariés qui détiennent le pouvoir: c’était ce qu’avait fait Mussolini, Hitler,  Pétain, et que propose le FN/RN depuis 2012, et qu’avait mené dans une certaine mesure Charles de Gaulle après 1958. Ce n'est pas du socialisme.

(5) le régime fasciste de Mussolini fonctionna sur ce modèle: aucun droit, aucune possibilité de revendiquer, même pour les travailleurs “nationaux”. Mussolini qualifia son régime d’«Etat corporatif» (titre de son ouvrage éponyme de 1936). Les régimes hitlérien et vichyste (Pétain) s’en étaient inspirés pour mater les travailleurs de façon violente: c’était du terrorisme d’Etat des capitalistes, qui conservaient la propriété privée de leurs capitaux (donc l’opposé du régime stalinien au niveau du type de propriété des capitaux, et a fortiori d'un projet socialiste de gauche radicale).

(6) En 1980 (dans l’hebdomadaire «Le Naïf»), l’homme de droite Raymond Viviès, qui avait un faux air de Mussolini, avait en effet déclaré avoir beaucoup d’admiration pour le Duce. Un peu plus tard, Synamal l’avait caricature avec la légende: «Sosie de Mussolini… en plus con»”. Irremplaçable Synamal!

(7) dixit Leslie Manigat (1930-2014). Citoyen Haïtien, Opposant à F.Duvalier au début des années 1960 après l’avoir soutenu. Homme politique plutôt centriste, Professeur de Relations Internationales à l’Université de Caracas, homme d’une culture politique extraordinaire, et très pédagogue. Il fit en “mission” des cours de “Relations Internationales” passionnants à l’Université Antilles-Guyane dans les années 1970-1980. Fut Président de la République d’Haïti de février à juin 1988, renversé par coup d’Etat. Il apporta énormément à toute une génération d’étudiants, son cours étant centré sur la Caraïbe et dispensé avec humour…

(8) Quelques exemples en Europe et dans la Caraïbe: Giovanni Gentile, D’Annunzio, Malaparte, Marinetti Henri Massis, Léon Degrelle, Heidegger, Jünger, Carl Schmitt, Joaquin Balaguer, Manuel A. Peüa Batlle, Rony Gilot, Ramón Serrano Súñer, J.A. Primo de Rivera, François Duvalier lui-même, Lorimer Denis.

(9) in «Le fascisme: doctrine et institutions», ouvrage de Mussolini, Edition Denoël et Steele, 1934. Evidemment, Mussolini ne disait pas que cela. Et surtout, Leonidass occulte les massacres du régime fasciste, en Italie même contre ses propres nationaux, en Ethiopie (plus de 100.000 morts côté éthiopien), etc.

(10) car une «mobilisation populaire» n’est pas forcément d’origine «démagogique», très loin de là!

(11) Cet homme frustré, né un 20 avril, compensait un «complexe»  lié à sa taille par l’étalage virulent dans ses meetings d’une forte culture générale et politique, d’une insasiable soif de pouvoir, de mégalomanie et du besoin de culte de la personnalité à son profit. Il portait une moustache carrée, mais avait du mal, même en se défrisant, à avoir une mèche pendante… L’acronyme «FAF» signifiait «Francis Alternative à la France».

(12)https://www.clubic.com/technologies-d-avenir/actualite-892123-surveilles-7-suspects-documentaire-arte-absolument.html et https://www.arte.tv/fr/videos/081590-000-A/ihuman-l-intelligence-artificielle-et-nous/

(13) Certains supposaient que c’était l’acronyme de Georges Patient-Tourtet(-Juvénal-Ménil). Nom composé qui ne signifiait pas rien pour la population…Jusqu’à ce jour on se perd en conjectures sur la signification d’un tel pseudonyme collectif. Certains anciens évoquaient des noms comme Georges Patient, le Colonel Tourtet, Juvénal Linval, René Ménil, Jules Monnerot père. Mais quid du chiffre 43?

(14)en vertu d’un texte adopté au début du «nouveau» système statutaire (article 74).

(15) textes ou biographies allant de R.Trujillo à L.Farakhan, en passant par Kémi Séba, B.Mussolini, B.Mégret, Ch.Maurras, François Duvalier et consorts, mais aussi Machiavel, des marxistes dont A.Gramsci,

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