Jean Ziegler se consacre depuis seize ans aux droits de l’homme dans le cadre des Nations unies. Il le reconnaît volontiers, il a connu de grands succès mais aussi des échecs, dont il raconte les coulisses. Alors que l’Onu est en "déréliction totale", selon lui, la vigueur de la société civile lui donne des raisons d’espérer. Entretien.
Extraits :
Au regard de ce qui se passe en Syrie, n’est-on pas en droit de se demander à quoi sert l’Onu ?
L’Onu est en déréliction totale. Elle a été créée il y a plus de 70 ans pour assurer la sécurité collective sur la planète et bannir la guerre à tout jamais. En Syrie, on assiste à une effroyable boucherie depuis mars 2011 mais il n’y a pas un Casque bleu sur une ligne d’armistice, il n’y a pas de corridor humanitaire pour secourir les populations des villes encerclées où les gens meurent lentement de faim, il n’y a pas d’interdiction de survol (no-fly zone). L’Onu y est totalement absente, à cause du veto russe. Le veto des grandes puissances paralyse l’action des Nations unies. On le voit aussi au Darfour avec le veto chinois, en Palestine avec le veto américain.
Comment en sortir ?
Trois mois avant son départ, en 2006, Kofi Annan a déposé son testament, un plan de réforme du Conseil de sécurité. Le droit de veto deviendrait caduc en cas de crime contre l’humanité. Les cinq membres permanents ont hurlé et enterré la réforme. Mais, aujourd’hui, miraculeusement, le plan ressort des tiroirs, à Paris, à Berlin, à Washington.
Pourquoi ?
Le carnage syrien peut encore durer 20 ans. Or, il a produit des monstres, des djihadistes, qui frappent au cœur des pays détenteurs du droit de veto. Seule la diplomatie multilatérale peut conduire à un armistice en Syrie. Le plan de Kofi Annan permettrait de sortir l’Onu de sa paralysie, de créer un espoir de solution en Syrie, de mettre l’Europe à l’abri des terroristes. Nous sommes à un carrefour ultime. Il est minuit moins cinq pour l’Onu. Si elle n’arrive pas à sortir de la paralysie, elle finira comme la Société des nations qui a duré 25 ans pour se terminer dans la Seconde Guerre mondiale.