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Joel Des Rosiers, Métaspora. Essai sur les patries intimes

Jean-François Plamondon
Joel Des Rosiers, Métaspora. Essai sur les patries intimes

Peut-on s’étonner de trouver sous la plume de ce Québécois d’origine haïtienne, diplômé en chirurgie et en psychiatrie de l’Université de Strasbourg, un néologisme de son cru, la métaspora, qui qualifie l’espace de l’entre-deux, de l’hybridité, de l’exil ou de l’errance?

Il semble au contraire que le parcours rapide de sa biographie prédestine l’auteur-médecin à vivre l’expérience humaine comme un carrefour identitaire, un croisement des possibles. On se rappellera que la revue Vice-versa de Montréal misait sur la transculture pour donner la voix et ouvrir la voie aux intellectuels québécois issus de l’immigration. À la lecture du livre de Des Rosiers, il nous a semblé que nous dépassions ce projet utopique pour dégager de l’expérience transculturelle une identité émergeant des interstices de l’expérience. Comme si la transculture avait fait son œuvre et que les transcultivés pouvaient construire dorénavant leur identité au prisme de la métaspora. En fait, peut-être nous hasardons-nous sur un terrain délicat, mais on a l’impression que la transculture fut un processus et que la métaspora devint l’expression culturelle de cette identité médiée. Et au-delà de cette idée transculturelle, se trouve aussi celle des lieux pensés comme des espaces qui créent des relations anthropologiques: «constituée de fragments d’existence plutôt que de narrations linéaires, la métaspora est ce qui mesure la distance entre des êtres intimes et l’intimité inattendue de la distance, qu’elle soit géographique, temporelle ou culturelle» (p. 34). Si d’une certaine manière, on se rapproche des concepts de lieux et non-lieux de Marc Augé, la métaspora amène un élément plutôt novateur en ce que la béance, l’interstice pourrait aussi devenir un lieu anthropologique. L’absence de lieu et l’espace qu’occupe cette absence peut par conséquent devenir pour l’être un espace relationnel et intime d’un parcours subjectif où les strates temporelles du vécu coïncident et offrent à l’auteur sa propre identité. Ainsi, «l’écrivain enrichit son intimité avec les lieux où il vit et où il a vécu dans la mesure où il garde une conscience exquise de sa dignité d’étranger souffrant. Lieux, visages, objets, autant de “patries intimes” qu’il transporte partout avec lui» (p. 35). Comme une identité subjective ne se compose jamais d’une seule personne, l’identité métasporique est aussi l’apanage d’une collectivité en ce sens qu’elle est affaire de mouvance et elle est expérience de l’errance dans un monde qui se transforme par la présence de la différence. L’écrivain de la métaspora est un écrivain qui assume sa construction identitaire à partir de paradigmes comme celui de l’errance, des transits, du fragment parce que la linéarité a été brisée, ce qu’un poète comme Saint-Denys Garneau (pourtant non mentionné par Des Rosiers) exprime très bien dans son «Monde irrémédiable désert». Cela étonne d’ailleurs que Saint-Denys Garneau soit absent des références de Des Rosiers, lui qui se révèle dans cet essai un immense lecteur et consommateur de biens culturels de tous horizons. Il est ainsi question dans cette Métaspora d’Édouard Glissant, d’Anthony Phelps, de Joël Des Rosiers, de Marie N’Diaye, de Lautréamont, de Frantz Fanon, de Maryse Condé, mais aussi de Mad Max et de Wyclef Jean qui expriment tous, chacun à leur manière, le lien métasporique qui les unit. Ce livre de Joël Des Rosiers a été élu meilleur essai québécois 2013 par l’émission de «La Librairie francophone», que l’on peut suivre les samedis sur le réseau des radios francophones (la RTBF en Belgique, France Inter en France, Radio Canada au Québec, Radio Télévision Suisse chez les Helvètes) et a obtenu le prix MLA for Independant Scholar 2014. Il s’agit d’un ouvrage d’une grande qualité tant pour l’érudition dont l’auteur fait preuve que pour l’esthétique de son écriture. On sera aussi ravi de lire l’histoire qu’il fait de la littérature migrante au Québec, lui qui est un des importants piliers de ce souffle littéraire qui a fait plier de nombreuses certitudes. Dans les quelques pages qu’il consacre à ce courant qui a décloisonné la littérature québécoise, on assiste, sur un mode témoignage, à la naissance de cette prise de parole dans le champ et aux réactions qu’elle suscite par les acteurs de l’époque. Des Rosiers est un bon observateur aux analyses fines, qualité aussi importante pour l’écrivain que pour le médecin qu’il est. D’ailleurs, il sait très bien faire le pont entre les deux typologies discursives comme si le passage de l’un à l’autre était une autre manifestation de la métaspora, où l’auteur et le médecin se rencontrent dans une patrie intime qui donne, comme le lieu, l’identité à celui qui l’habite.

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