« Julienne avait le culte de l’amitié, des arts, et de la justice sociale », confie Alain Gili. Elle vient de s’éteindre à Bordeaux, à 86 ans. Elle avait marqué la vie culturelle réunionnaise pendant trois décennies.
J’arrive de la mer et en quel équipage ! [1]
« Mon inspiration se nourrit de la rencontre et des apports de deux archipels, celui de la naissance [la Caraïbe], celui de la résidence [les Mascareignes], et la volonté de vivre ce va et vient sans déchirements ni réduction ».
Julienne Salvat avait construit son chemin de vie comme une arche enjambant le continent africain pour relier la Caraïbe [La Martinique] à la mer indienne [La Réunion].
Née à Fort de France le 12 mai 1932, elle poursuit des études universitaires à Lyon puis rejoint son île natale où elle enseigne en tant que professeur de Lettres Modernes. Elle pose ensuite ses valises en Gironde, à Bordeaux [où elle vient de décéder] puis à La Réunion [1965] où elle vit pendant 27 ans jusqu’à la retraite en 1992.
Tropiques oblitérés et les alizés pour mémoire [2]
L’apport de Julienne Salvat dans la vie culturelle réunionnaise s’est traduite par une implication dans de multiples activités, principalement à travers le théâtre, l’animation d’ateliers, d’émissions radio, d’associations, et surtout l’écriture [poésie, roman].
Elle publie d’ailleurs plusieurs recueils de poésie influencés par cette longue séquence réunionnaise : « Tessons enflammés », 1993, « Chants de veille », 1998, « Fractiles », 2001, [UDIR / Union pour la Défense de l’Identité Réunionnaise], « Feuillesonge », 2006, [Éditions Le Carbet], « Jeux lémuriens », 2012, [Le Chasseur abstrait], etc., et participe à des recueils collectifs.
Elle contribue au mouvement « créolie » et s’investit pour la culture réunionnaise au sein d’associations dont principalement l’UDIR et l’ARCC [Association Réunionnaise Communication et Culture].
7 Lames la Mer
Féminie aux odeurs de sueur fauve, de patchouli, d’huile de ricin. Guillochis de tresses crépues serré dans la pudeur du mouchoir calandré. Mains coupelles, mains calebasses d’où débordent l’eau de café, le fruitage, le matété à la cannelle, tous les parfums de la muscade et de la vanille, des tablettes de coco, du chocolat de communion et du pain au beurre, mains qui n’auront jamais fini de rassasier.
La ravine grand-paternelle, ses goûts affluent à mes lèvres, saveurs rouges des vents chargés de framboise écrasée, d’abricot, de mangue tombée à la pourriture sucrée, de pommes-roses, de pommes d’eau ; saveur molle des écrevisses débusquées à mains nues de sous les roches glissantes et bouffées toutes crues ; saveur verte des tailles de bambous fraîchement abattus pour barrer le courant, retenir bassins et cascades de nos jeux ; saveur vive de nos plongeons à criailler aigu ; et on restait longtemps, pris de tremblade, en chair de poule ; on s’attardait quand même, faisant mine de ne pas entendre Grand-Père : depuis le haut du morne, il nous hélait que le manger était paré.
Enfants de nègres, nourris de la riche terre, grasse de la sueur et du sang de nos ancêtres. Au dessus de nos têtes se succédaient les ciels de carême et d’hivernage.
Extrait de « La Lettre d’Avignon »
Julienne Salvat