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Karl Paolo : Mes 6 livres de l'année 2020.

Karl Paolo : Mes 6 livres de l'année 2020.

 Nous avons sollicité nos collaborateurs ainsi qu'un certain nombre d'amoureux des livres pour connaître les 3 ou 4 livres qui ont marqué leur année 2020.

   En ces temps à la fois difficiles pour le livre (fermeture des librairies pendant le confinement, difficulté de faire des conférences de présentation d'ouvrage etc.) et heureux (beaucoup de gens redécouvrent leur bibliothèque personnelle), il est bon de rappeler que le livre, papier ou numérique, est un instrument de culture indispensable en cette époque dans laquelle nous sommes noyés sous un flot continu d'informations de toutes sortes grâce aux nouvelles technologies que sont Facebook, Twitter, Instagram, Whatsap, Netflix, et autre Tik-Tok.   

   Karl Paolo, spécialiste de la formation professionnelle et martiniquais, nous livre sa liste ci-après...

 

***

 

. Traité d'économie hérétique : Pour en finir avec le discours dominant. (Thomas Porcher)

La dette publique est un danger pour les générations futures », « La France n’a pas fait de réformes depuis plus de trente ans », « Notre modèle social est inefficace », « Le Code du travail empêche les entreprises d’embaucher », « Une autre politique économique, c’est finir comme le Venezuela » ; telles sont les affirmations ressassées en boucle depuis plus de trente ans par une petite élite bien à l’abri de ce qu’elle prétend nécessaire d’infliger au reste de la population pour sauver la France.

Ces idées ont tellement pénétré les esprits qu’elles ne semblent plus pouvoir faire l’objet du moindre débat. C’est justement l’objet de ce livre : regagner la bataille des idées, refuser ce qui peut paraître du bon sens, tordre le cou à ces prétendues « vérités économiques ».

Savez-vous qu’il y a eu plus de 165 réformes relatives au marché du travail depuis 2000 en France ? Que nous avons déjà connu une dette publique représentant 200 % du PIB ? Que plus de la moitié de la dépense publique profite au secteur privé ?

Dans ce traité d’économie hérétique, Thomas Porcher nous offre une contre-argumentation précieuse pour ne plus accepter comme une fatalité ce que nous propose le discours dominant.  

 

La part sombre de l'industrie : la relocalisation industrielle à l'heure du capitalisme numérique (Mireille Bruyère)

La crise sanitaire actuelle a mis à jour la forte dépendance industrielle de la France vis-à-vis d'autres pays, en particulier la Chine. La désindustrialisation de l’économie française, mais aussi de toutes les économies occidentales, est un phénomène bien connu et assez ancien puisqu’il démarre dès la fin des années 1970. Entre 1980 et 2007, l’industrie française a perdu 1 913 500 emplois, soit 36 % de ses effectifs ; la part de l’industrie dans la valeur ajoutée est passée de 24 % à 14 %.  Ainsi, l’incapacité de l’industrie française à produire rapidement des masques et des tests à grande échelle a fait prendre conscience de ce que constitue cette désindustrialisation en termes de perte d’autonomie productive.

Malgré la déclaration d’Emmanuel Macron dans son discours du 12 mars 2020 proclamant que « déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres, est une folie », rien de significatif n’a encore été fait pour reprendre un tant soit peu le contrôle sur la production industrielle alors que l’état d’urgence sanitaire autorise le gouvernement à agir vite. La seule usine de fabrication de bouteilles d’oxygène médical LUXFER est restée fermée, bien que cette production soit essentielle et que l’état d’urgence sanitaire autorisait légalement le gouvernement à agir dans le champ de la production industrielle.

À la suite du discours du 12 mars, un débat sur la mondialisation industrielle s’est engagé et de nombreux économistes ont alors évoqué la nécessité d’une relocalisation de certaines productions dites stratégiques, comme les médicaments ou le matériel médical. Sans surprise, Jean Tirole volait au secours de la mondialisation dans une chronique parue dans Les Échos en déclarant que « grâce à la globalisation, en effet, les consommateurs ont accès à de nouveaux biens et services produits dans le monde entier ; et ils peuvent acquérir les biens déjà produits dans le pays à plus bas prix, car ils ne sont plus captifs des monopoles domestiques, et bénéficient de coûts de production plus bas dans des pays exportateurs. ». Il reprend ici un argument tout aussi ancien qu'erroné des défenseurs de la mondialisation, inspiré des « avantages comparatifs » de Ricardo. Selon eux, la mondialisation serait toujours globalement efficiente. Elle se présenterait comme une spécialisation productive des pays tirant partie d’avantages comparatifs territoriaux (compétences, coût du travail, réglementation, infrastructures). Cette plus grande efficience productive de la mondialisation permettrait en bout de course une augmentation globale du pouvoir d’achat des consommateurs et du revenu des travailleurs nouvellement intégrés dans la mondialisation. Le seul point que reconnaissent les libéraux est que les effets sociaux seraient mal pris en compte et mal réparés, mais ils pensent que ceux-ci pourraient l’être.

 

Le coronavirus précipite la crise, il ne la cause pas ! (Frédéric Boccara)

Le Covid-19 va-t-il engendrer une crise économique mondiale ? C'est ce que prétendent certains commentateurs économiques. Il est fort possible qu’il accélère l’arrivée d’une récession et même qu’éclate une crise financière. Mais il faut distinguer facteur accélérant ou précipitant (le virus) et cause (la suraccumulation financière). Car le ralentissement dans l’OCDE était déjà engagé depuis au moins début 2019. Et pourtant nos dominants, les représentants de l’oligarchie financière, se pressent déjà pour dire : « la cause de nos difficultés est exogène, c’est un virus imprévu. La finance, et ce que nous faisons avec, n’est pas en cause ». C’est à voir…

  

Réformes du marché du travail ! des réformes contre l'emploi (Anne Edoux, Anne Fretel)

Le constat semble être sans appel : face à la mondialisation, la montée des nouvelles technologies et le besoin de compétitivité des entreprises dans un contexte de croissance ralentie, la mise en œuvre de « réformes structurelles », notamment sur le « marché du travail », apparaît inéluctable. Porté initialement par l’OCDE en 1994, puis repris par la Commission européenne dans ses recommandations à partir du milieu des années 2000, ce discours sur les réformes se pose comme le seul horizon possible pour les pays européens pour sortir de la crise. Dans ce contexte, la France serait en retard, manquant de courage pour engager les réformes qui s’imposent à elle alors que ses partenaires européens ont eu la « lucidité » de s’y mettre. Ceci expliquerait la situation durablement dégradée de son indicateur de chômage alors que des pays comme l’Espagne ou l’Italie bénéficient d’un rebond de l’emploi et que l’Allemagne affiche de bonnes performances en la matière. Le débat, en partie avorté, qui a eu lieu lors de la présentation du projet de loi El Khomri, a conduit certains de ses promoteurs à mobiliser « les exemples étrangers » et à imputer leurs succès aux réformes engagées.

Mais quelle est la pertinence des arguments avancés ?

Le terme de « réformes structurelles » s’entend généralement par opposition aux politiques macroéconomiques conjoncturelles. Il s’agit de réformes visant des objectifs de long terme en modifiant les institutions, les cadres légaux ou les cadres conventionnels qui régissent le comportement des agents. Dans la novlangue des institutions internationales, telles que l’OCDE ou l’Union européenne, les réformes structurelles ont trait au renforcement de la concurrence sur le marché des biens et services, à la mise en place d’un système fiscal favorisant les entreprises ou à l’ « amélioration du fonctionnement du marché du travail ». Pour ce dernier groupe de réformes, l’idée implicite est que le niveau de chômage s’explique principalement par un mauvais fonctionnement des institutions du marché du travail – et non par une situation conjoncturelle dégradée – qui empêche des « ajustements spontanés et optimaux » sur ce marché. Le chômage ne baissera que si l’on restaure des « mécanismes de marché », par exemple en supprimant le salaire minimum, en réformant le droit du travail, ou en « incitant » à la reprise d’activité en réduisant les allocations chômage, voire en interdisant les syndicats. Ne riez pas, cela a été mis en œuvre en 1971 au Chili, sous la dictature de Pinochet, dont les politiques économiques s'inspiraient des théories de Milton Friedman, prix nobel d'économie 1976.

Chacun sait que pour les économistes libéraux, reprenant la viel idée des néoclassiques il n'y a de chômage que volontaire

 

L'insurrection de Martinique 1870-1871 (Gilbert Pago)

Une Commune de Paris en terre coloniale ? Les années 1869-1870-1871 sont marquées en France par une grave crise de régime se traduisant par plusieurs crises sociales répétées, par l'affaiblissement politique et enfin par l'effondrement du régime napoléonien suite à la défaite militaire, l'occupation allemande d'une large partie du territoire français et le soulèvement de la Commune de Paris. Cette période chargée a occulté ce qui se passait dans l'empire colonial français des événements qui méritent d'avoir leur place dans la mémoire du combat des opprimés. Décembre 1868 : Le massacre des prolétaires réunionnais, immigrants indous ou cafres devant la mairie de Saint-Denis de la Réunion par les troupes françaises quand en France dans la région des puits de mine du Tarn on procède, cette même année aussi à la tuerie des gueules noires du plateau du Gua. Septembre 1870 : Le préfet du Tarn, responsable de la fusillade des mineurs, est celui qui se retrouve gouverneur de la Martinique en charge de la répression de l'insurrection qui vient d'éclater. Avril 1871 : Insurrection de Kabylie et de la province de Constantine en Algérie, en pleine Commune de Paris et au début du procès des insurgés martiniquais. On retrouvera dans les bagnes de Guyane et de Nouvelle-Calédonie, communards et pétroleuses parisiens, insurgés et « femmes incendiaires » de Martinique ainsi que les rebelles kabyles partageant parfois les mêmes transports maritimes pour rejoindre leurs destinations dans l'enfer vert des bagnes. Ces coïncidences, au demeurant peu essentielles, ne doivent pas conduire à ignorer les dynamiques propres générées par les situations complexes des sociétés coloniales quand bien même les révoltes se sont placées dans le contexte de la chute du régime impérial, de la proclamation de la République et de l'occupation du territoire français. Gilbert Pago nous donne à connaître de l'insurrection paysanne de la Martinique décortique les explosives relations sociales, raciales, coloniales dans un territoire qui émerge à peine du système esclavagiste. Il sert à révéler un pan de l'histoire de la France coloniale au moment de la transition entre la fin du premier empire colonial français et la mise en place de la relance en fin du 19e siècle de la colonisation européenne.

 

L’affaire Jules Durand (Marc Hédrich)

Dans le passionnant livre-enquête que Marc Hédrich consacre à l’une des plus graves erreurs judiciaires du XXe siècle, tout part d’une ville, Le Havre, ville portuaire, oscillant entre l’aspect d’une villégiature aux nombreux canotiers et le visage industriel des docks dans lesquels se déroule, puis se trame, l’affaire Jules Durand, à laquelle s’est consacré Marc Hédrich, lui-même président de cour d’assises.

Or une erreur judiciaire est avant tout le produit d’un contexte et d’un endroit. L’erreur renvoie à un lieu qui peut en exacerber les tensions et les passions qu’elle suscite. Et ce qui frappe d’emblée, dans l’affaire Jules Durand, c’est la dextérité avec laquelle l’auteur décrit cette importante place portuaire dans laquelle les fils du drame vont se nouer.

Et en 1910, il faut relever les conditions de vie des charbonniers, celles d’« une population ouvrière usée par un travail physique harassant, souvent sans domicile, constituant une corporation très touchée par la précarité, l’alcoolisme et la violence ». Le Havre connaît une forte croissance mais les ouvriers ne sont pas épargnés, de surcroît angoissés par l’arrivée du machinisme qui n’en finit pas de conquérir du terrain. Et effectivement, en lisant Marc Hédrich, on peut très bien s’imaginer « ces maisons aux briques noircies et ce nuage de poussière qui recouvre la ville », dont « le décor fait un peu penser à ces villes minières du Nord. En vérité, seules l’odeur iodée de l’océan et les sirènes des steamers sortant du port rappellent que nous ne nous trouvons pas dans un coron du Pas-de-Calais ».

Au début du mois de septembre 1910, le port est paralysé par une grève dure, menée par la CGT notamment contre la Compagnie générale transatlantique.

Pour briser la grève, le patronat embauche des « jaunes », des briseurs de grève, rémunérés bien au-dessus de ce que percevaient les ouvriers en grève.

Dans la nuit du 9 septembre 1910, une rixe éclate sur le port et un de ces « jaunes » contremaître, décède des suites de ses blessures. Les trois ouvriers ayant matériellement participé à l’acte sont arrêtés mais la justice n’entend pas se limiter à cela. Très vite, le nom de Jules Durand, l’un des leaders du mouvement, est évoqué. L’idée d’un assassinat commandité s’installe. Durand aurait, peu de temps auparavant, prononcé les mots fatidiques. C’est un curieux personnage, ce Durand. Né en 1880, « calme, instruit, buveur d’eau, raisonnable et écouté, Jules Durand apparaît comme un leader syndical charismatique ». Il est proche de sa famille et s’est lancé dans un dur combat contre l’alcool qui fait des ravages chez les ouvriers.

S’ensuit alors le récit d’une incroyable erreur judiciaire, sur près de dix ans, une erreur judiciaire que l’on qualifierait volontiers d’absurde si sa réalité n’avait pas une dimension si tragique et qu’elle n’avait pas conduit Durand à la folie. L’on trouve en effet de tout dans cette imposture de justice : une instruction expéditive, des témoins auditionnés au sein même de la compagnie, un verdict que le jury regrettera à peine quelques minutes après son prononcé, alors qu’il avait immédiatement compris les conséquences de sa décision. Condamné à mort, Durand est emprisonné dans des conditions carcérales très difficiles. Le port s’embrase, la nouvelle se répand. L’affaire est rapidement comparée à ce qu’a vécu le capitaine Dreyfus : Durand devient la victime d’un système parce qu’il est syndicaliste, au terme d’une machination ourdie pour tenter de mettre un terme à la grève. Défendu par le futur président René Coty, le charbonnier finira par être gracié puis, après un long combat mené par Jaurès et le député Meunier, réhabilité et innocenté, le 15 juin 1918, par la Cour de cassation. Mais, « l’interné du matricule 10358 ne saura rien de ce sursaut de justice ». Progressivement, il a sombré dans la folie. Injustement condamné, il ne supportera pas la perspective d’être exécuté. 

Aujourd'hui encore, les ouvriers dockers CGT honorent chaque année sa mémoire!

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