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Portrait

KEN BUGUL, TOUT LE MONDE EN VEUT !

Par Valérie Marin La Meslée (www.afrique.lepoint.fr)
KEN BUGUL, TOUT LE MONDE EN VEUT !

Un beau documentaire célèbre le libre parcours de cette grande écrivaine sénégalaise qui vient de publier "Cacophonie" chez Présence africaine.

Son pseudonyme en littérature signifie "personne n'en veut". En wolof, on le donne à une petite fille qui voit le jour après que sa mère a déjà perdu deux enfants mort-nés, comme pour protéger la nouvelle venue puisqu'il faut comprendre : personne n'en veut, même la mort ! Et une fois encore, l'écrivaine sénégalaise Marietou Mbaye montre qu'elle a réussi, face à tous les obstacles, à inverser le sort : Ken Bugul, tout le monde en veut ! Loin des 67 ans qu'elle porte comme un charme, sa présence radieuse et pleine d'humour rayonne et son sens du combat ébaudit aussi bien le public du festival Nio Far, "on est ensemble", dont la deuxième édition s'est tenue à Paris en même temps que celle de la Fête internationale du livre de Saint-Louis du Sénégal dont elle est la marraine cette année.

Le souvenir réveillé de son livre Aller et retour 

Chaussée de superbes bottes pour les froids parisiens, qu'elle a connus lors de sa "période européenne", et de lunettes, quand il le faut seulement, elle s'attable pour vous raconter d'abord comment a surgi son livre Aller et retour paru au Sénégal, inspiré par son retour au pays natal, cinquante ans après les Indépendances : "Les jeunes me parlent beaucoup de ce petit livre, ils me disent qu'ils ne savaient pas tout ça, nos mécènes de l'époque, qui aidaient les artistes dont ils aimaient la compagnie et tant d'autres choses de Dakar de ce temps-là." Et quand elle en parle, on songe à Djibril Diop Mambety, évoqué par sa nièce dans Mille soleils avec ce héros comédien comme exhumé de cette période. Heureusement, Ken Bugul, elle, est toujours là et publie ces jours-ci un nouveau roman, Cacophonie, aux éditions Présence africaine. Au même moment sort en DVD le beau documentaire biographique de la productrice Sylvia Voser intitulé, comme on pouvait s'y attendre Ken Bugul, personne n'en veut.

 

Dans une quête incessante de lieu

C'est un merveilleux pendant au dernier roman de l'écrivaine, que l'on voit ici tel qu'en elle-même, sans "façons", filmée entre le Sénégal natal et le Bénin où Ken Bugul s'est longtemps posée, ce pays de "transit" où elle garde une grande maison, même si elle vit de nouveau aujourd'hui à Dakar. Entre les murs d'une maison semblable à celle de Porto Novo, Sali, l'héroïne de Cacophonie se sent prise au piège, n'ayant pas trouvé dans ce havre béninois le "canari" espéré où se reposer, cet indéfinissable "chez soi" que Toni Morrison a nommé Home. Son monologue, errance de la pensée avec ses retours lancinants sur les mêmes questions tournées et retournées sans solution, rester, partir, pourquoi et pour où, est entrecoupé de scènes de vie et de voisinage, comme Ken Bugul a le don de les faire vivre, il n'y a qu'à ouvrir l'un de ses romans comme Rue Félix Faure pour en avoir une idée.

Cacophonie, un zeste d'autobiographie

Où finira Sali ? En Haïti, cette île qui a tellement marqué Ken Bugul qui y a laissé une part d'elle-même ? D'ailleurs, elle continue d'en parler avec la même passion. La dimension autobiographique de Cacophonie est évidente, et n'a finalement jamais totalement disparu chez l'auteur qui commença à se raconter sans masque en 1982 dans Le Baobab fou, premier volet d'une trilogie refermée avec Riwan ou le chemin de sable, (Grand Prix de littérature d'Afrique noire). L'héroïne y porte aussi un regard sur ce monde dont elle se nourrit par les échos des médias, et l'on y entend la voix meurtrie de celle qui a cru au futur souriant de son "continent clair obscur"... Ce plongeon dans les doutes et les angoisses d'une femme que sa belle-famille a soudain rejetée serait comme l'autre face de la pièce d'une personnalité solaire. La grande qualité du film de Sylvia Voser est d'avoir marié les textes extraits de l'oeuvre et la parole de l'auteur dans un dialogue révélateur.

"Apporter des corrections aux pages de ma vie"

Née dans un village de silence et de lumière, d'un père âgé de 85 ans dont elle pensait qu'il était son grand-père, la petite fille voit sa mère quitter Maleme Hodar quand elle n'a que 5 ans. Il lui en restera cette haine des gares et des trains comme celui qui lui a enlevé sa mère.
La scène de retour au village est un des moments les plus émouvants du film. L'écrivaine raconte comment l'école ensuite lui a fait rêver de ces petites filles blanches des livres... Au "pays des Blancs", elle partira, et prendra la mesure de ses illusions : "Je m'identifiais à eux, et ils ne s'identifiaient pas à moi." Ken Bugul semble avoir tout vécu, la libération de la fin des années soixante, l'amour libre, l'alcool, le LSD. Elle se raconte dans la simplicité crue, tandis que son beau profil se découpe devant la mer. Le retour au Sénégal fin des années 70 est plus que rude, elle y est devenue une étrangère et ne peut redevenir celle que la société voudrait faire d'elle. Ken Bugul prend la tangente vers le Bénin. On l'y voit vivre au quotidien, aimer les matins, comme l'héroïne de Cacophonie, soigner ses arbres et se mettre au travail. Écrire : "Comme si j'apportais des corrections aux pages de ma vie." Écrire ? Ce qu'elle n'aurait jamais pensé faire sérieusement après s'être "soignée" avec ses premiers livres autobiographiques. Le mouvement constant de la vie de l'écrivaine est celui d'un être qui va de la conquête de sa liberté à la note qu'il faut payer pour la vivre. "Je ne me sens à l'aise nulle part sauf en moi-même, j'habite à l'intérieur de moi." 

Ce que sa mère, avec laquelle elle n'a eu que peu de relations, a laissé à Ken Bugul, c'est une pièce, qui, en effet, vaut de l'or*, car elle l'a entourée d'une parole essentielle : le plus important dans la vie, c'est le discernement. Il lui donne les moyens de rebondir au bout de chaque étape et d'en ouvrir une autre avec ce sens du combat dont les lecteurs, et aussi celles et ceux qu'elle a croisés sur sa route, sont les bénéficiaires reconnaissants.

 

*La pièce d'or est le titre d'un roman de Ken Bugul

 

 

Post-scriptum: 
Un documentaire de Silvia Voser est consacré à l'écrivaine Ken Bugul. © DR

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