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KRÉYOL FACTORY : QUE RETIENDRONS-NOUS DE L’ART EN SAISON CRÉOLE ?

De Jocelyn Valton
KRÉYOL FACTORY : QUE RETIENDRONS-NOUS DE L’ART EN SAISON CRÉOLE ?

Que retiendrons-nous de Kréyol Factory, l’exposition qui se sera tenue à la Grande Halle de la Villette d’avril à juillet 2009, le temps d’une ‘‘saison créole’’ ? Voilà une exposition qui rassemble à Paris, dans un lieu jouissant d’un certain prestige, des œuvres d’artistes issus des Grandes et Petites Antilles, anglophones et francophones, Guyane, Réunion, jusqu’aux USA et au Canada. Avec leur nombre important (60 artistes, pour 85 œuvres et 250 photographies), on mesure que l’événement a des allures de première, tant sont rares les occasions de voir dans les grandes capitales occidentales, et singulièrement à Paris, les créations des Caribéens et autres ressortissants des mondes « créoles ».

On s’étonnera d’abord qu’elle se soit tenue à La Villette dans un lieu qui n’est pas dédié à l’art. Car, bien que la Grande Halle ait accueilli une partie de Magiciens de la Terre en 1989, c’est bien Beaubourg qui fut le pôle principal de cette célèbre exposition. Afrika Remix (2005) qui abordait la question de la création contemporaine africaine, avec un commissaire Africain, se tenait aussi au Centre Pompidou. Un lieu n’est pas anodin. Qui l’ignore dans le milieu de l’art ? Il laisse son empreinte ou bien, témoigne-t-il d’une posture de départ. Que Jacques Martial ne s’est-il servi des Armes miraculeuses pour faire souffler sur Beaubourg une tempête créole… Le temps d’une saison ?

Ainsi, marchant au milieu des grandes vagues scénographiées par Raymond Sarti pour accrocher les œuvres des 7 séquences du long parcours, peut-on se questionner sur la nature de l’objet expositionnel qui nous est proposé. Prenant appui sur la pensée du sociologue britannique d’origine jamaïcaine, Stuart Hall, l’exposition fait une place pléthorique aux propos de romanciers : Maryse Condé, Patrick Chamoiseau, Jacques Stephen Alexis, Raphaël Confiant, Daniel Maximin…, pour ne citer qu’eux. Le spectateur est encore plus surpris de ne trouver dans le catalogue de l’exposition que les extraits de leurs textes en lieu et place de tout propos argumenté sur les œuvres.

Le président de la Villette, le Guadeloupéen Jacques Martial est homme de théâtre, d’où son penchant pour les belles Lettres. Mais toute la littérature du monde saurait-elle remplacer le savoir de spécialistes bien choisis ? Or, sans que l’on comprenne le bien fondé de ce malheureux choix stratégique, il n’y a pas un seul texte de critique ou d’historien d’art. Ainsi, par le jeu des vases communicants on se retrouve face à une exposition trop bavarde et un catalogue vidé de toute substance. Entre propos sociologiques, reportages divers et béquilles littéraires, photographie documentaire surreprésentée et arts plastiques, Kréyol Factory a du mal à affirmer son identité. Mal des mondes créoles diront certains, que l’exposition en cela conforte.

Dès l’entrée, un mural de Thierry Alet isolé et mal placé, couleur dorée sous éclairée, se confond avec les murs couleur carton recyclé avaleur de lumière de la scénographie. Mural qui ouvre l’expo avec un texte peint du Cahier d’un retour au pays natal et qui aurait dû, en principe, donner le ton à une manifestation « dédiée à la mémoire d’Aimé Césaire ».

Faux-pas à l’entrée, l’exposition ne sait pas mieux finir. Un autre grand mur, la pièce monumentale (13, 50 mètres de long sur près de 3 mètres) d’Ernest Breleur qui a déserté la peinture tout en gardant sa picturalité. Une série de « portraits » dialoguant en effet miroir, avec une série de textes commandés à plusieurs écrivains. (p. 160-161 du cat.) Avec ces Portraits sans visages dont la chair absente est faite de radiographies, découpées et agrafées d’attaches métalliques accrochant des bribes de lumière, l’exposition aurait pu s’achever là, sur cette pièce du Martiniquais voisinant au mieux avec Acorazado, la pièce de Limber Vilorio (République dominicaine), une carcasse de voiture comme criblée de 210 000 douilles d’une fusillade violente et surréaliste (p. 159 du cat.).

Hélas le visiteur doit encore traverser un espace incertain, difficile à décoder. Est-ce une installation tous ces étranges chevalets avec le sigle d’Air France ? Notre visiteur qui a mis un terme au décryptage des cartels illisibles (trop petits, trop sombres), se met de nouveau en quête de ce qui pourrait malgré tout lui éclaircir la vue. Peine perdue et réflexion faite, il s’agit d’un espace publicitaire. Nul ne mettra en doute la nécessité des sponsors, mais on se demande tous, quel piètre négociateur a accepté de le placer à ce moment crucial du parcours qui se prolonge de diaporamas de Suzanne Meseilas et David Damoison entre autres.

Essaimant les 7 séquences du parcours, la pléthore d’images photographiques. 250 ! Il faut d’abord dire que la plupart d’entre elles ne sont guère avantagées par les options de la scénographie. De qualité trop inégale : on passe des images couleur de l’Américaine Jane Evelyn Atwood, une belle série sur Haïti (p. 77 du cat.), aux photos de Jean-Luc de Laguarigue qui ressemblent à une commande du magazine Géo (p. 95 du cat.), des photographes qui ne jouent pas dans la même cour mais qui ont en commun de ne pas vraiment être à leur place dans une exposition d’art. Aurait-on l’idée d’accrocher Cartier-Bresson dans le même espace que des combines de Rauschenberg ? Or ces photographies voisinent avec des installations, des œuvres inscrites dans le champ des pratiques contemporaines. Bien qu’ayant leurs qualités propres (certains clichés de Nicolas Nabajoth présentent d’indéniables qualités graphiques : cette image de la série Import-Export sur le port de Basse-Terre - p. 104 du cat.), ces photographies documentaires, dont certaines sont mal choisies (réitérant des poncifs de l’imagerie antillaise : le petit Nègre dont on coiffe les cheveux crépus (Daniel Goudrouffe : Cousine - p. 101 du cat.), mal tirées (D. Goudrouffe : Pitt à coq - p. 102 du cat.), présentées dans des cadres bon marché, dans des formats inadaptés et dans leur ensemble mal scénographiées. Il eut mieux valu en mettre moins, choisir des plasticiens ayant élu la photographie comme médium et d’en faire un accrochage plus inspiré.

Mais le tableau n’est pas tout sombre et il y a bien quelques moments heureux dans cette traversée. Ainsi la pièce de Bruno Pédurand. Cet artiste Guadeloupéen montre Vanités, une série de 15 « prélèvements », images hautes en couleurs d’un inquiétant bestiaire, scalps de revues et magazines de mode. Un des temps forts de l’exposition (p. 132 du cat.). Comme la pièce d’Alex Burke, une installation de 47 poupées emmaillotées de tissus multicolores et disposées en gradin, qui imposent leur présence (p. 134 du cat.). Inspiré des ombres chinoises, le théâtre d’ombres vidéo de Kara Walker, l’Afro-Américaine dont le personnage féminin joue de manière perverse à inverser les rapports de domination sexuelle face à des hommes Blancs (pp. 12-13 du cat.). Avec Triptika Jean-Yves Adelo présente une installation vidéo assez réussie en forme de triptyque mêlant notamment des images et des sons puisant dans la tradition du gwoka (musique traditionnelle au tambour de Guadeloupe, tirant ses origines de l’univers plantationnaire).

Battant déjà les pavés de l’esplanade de la Grande Halle en quittant l’exposition, le visiteur se demande pour qui elle fut pensée. L’art en cette saison créole souffre-t-il du fait que les concepteurs de cette Factory aient voulu présenter les mondes créoles aux Français de l’Hexagone supposés les mal connaître. Ce mélange des genres serait-il légitimé par les mélanges opérant dans ces lieux de l’imprévisible ? La stratégie hybride de l’exposition ne contente personne : ni le public averti de l’art, pas plus les néophytes. N’est-il pas déjà venu, le temps de montrer les artistes des Caraïbes et du reste du monde non occidental au même titre que leurs homologues Européens ou Américains ? Enfin, se dire que le propos d’une exposition d’art doit rester centré sur l’art, car tout le reste est tout le reste.

©Jocelyn Valton

Guadeloupe, Mai 2009
_ Critique d'Art - AICA

{A voir, dans la foulée de Kréyol Factory, les « Dessins Cathartiques » de Thierry Alet. Cette série de petits dessins, comme des fantasmes d’enfant terrible aux couleurs acidulées, mêle humour et dérision à la galerie JM ARTS, 36 rue Quincampoix, jusqu’au 23 mai.}

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