Les dernières élections législatives à la Martinique auraient révélé, aux dires de nos observateurs politiques et autres journalistes un « nouveau discours de la Droite locale ». Cette dernière serait, en effet, devenue soudain plus soucieuse de notre identité, de la nécessité de réserver les emplois, à diplôme égal, aux autochtones ou encore à favoriser l’accession de ces derniers à la propriété terrienne ou immobilière. Ce discours « révolutionnaire » aurait donc pour porte-flambeau Chantal Maignan, candidate dans la circonscription du centre, dont nos mêmes observateurs se sont empressés de célébrer la « brillante performance » au seul motif que son score de 11% serait formidable pour quelqu’un qui vient d’entrer en politique.
Notons tout d’abord qu’aucun des autres candidats de la Droite, dans les autres circonscriptions, n’a tenu un discours semblable alors même que la dame en question est encartée à l’UMP. Ces déclarations fracassantes auraient donc été plus crédibles s’il s’était agi d’une nouvelle vision et d’un nouveau discours partagés et développés par l’ensemble de la Droite, ce qui n’est absolument pas le cas ! Car, pendant la campagne, nous avons eu droit aux slogans assimilationnistes les plus éculés, notamment de la part d’André Lesueur (circonscription du Sud) et de Turinay (circonscription du Nord-Atlantique). Tout y est passé : les autonomistes qui ne sont que des indépendantistes masqués, les indépendantistes qui ne sont que des apprentis dictateurs qui veulent faire notre pays retomber dans la misère etc…etc…Aucune différence donc avec ce qu’un Emile Maurice ou un Michel Renard disaient il y a 20 ou 30 ans. Comment donc comprendre le soi-disant nouveau discours de Mme Maignan ?
Nous y voyons plusieurs explications parmi lesquelles les plus importantes sont les suivantes :
- l’électorat du Centre est quand même moins réceptif à l’idéologie assimilationniste classique après tout de même 50 ans de césairisme. La candidate Maignan a eu donc l’intelligence de comprendre qu’il lui fallait absolument en ravaler la façade si elle voulait, d’une part, se démarquer de ses prédécesseurs, d’autre part faire un score qui ne soit pas ridicule et qui aurait définitivement plombé sa jeune carrière.
- la revendication « martiniquaniste », à différencier de la revendication « martiniquaise », est dans l’air du temps. Par martiniquaniste, nous voulons signifier un comportement et un discours ultra-localiste qui ne remet absolument pas en cause notre relation de sujétion avec la « mère-patrie » française. Il s’énonce ainsi : nous avons désormais suffisamment de Martiniquais formés pour qu’aujourd’hui, on ne nous impose pas des Hexagonaux à tous les postes de décision. En caricaturant à peine, on pourrait dire que la position de Mme Maignan se résume à faire passer l’UMP de son état d’Union des Mulâtres Prétentieux à celui d’Union des Martiniquais Populistes.
- ce « nouveau discours » est en phase avec l’idéologie communautariste et américano-centrée de Nicolas Sarkozy lequel s’était écrié, au Palais de Madiana, « où sont les Colin Powell et les Condoleeza Rice martiniquais ? ». Si une telle interrogation n’est pas absurde dans un cadre franco-français et si, effectivement, il faudra bien qu’un jour, des personnalités politiques « noires » émergent de Sarcelles ou d’Aubervilliers, les « Noirs français », comme ils se désignent désormais eux-mêmes, devant avoir les mêmes droits que leurs compatriotes gaulois, il est, par contre, parfaitement aberrant dans notre pays. Le discours de Maignan vise, dans la perspective sarkoziste, à faire des Martiniquais l’équivalent des Noirs américains aux Etats-Unis, c’est-à-dire à être considérés comme une minorité nationale de la France. Le seul problème__et il est énorme__c’est que Noirs et Blancs américains vivent dans le même pays, sur le même territoire, alors que Français et Martiniquais vivent sur deux continents différents. Les Martiniquais sont un peuple, un peuple à part entière, alors que les « Noirs français », eux, sont, en effet, une minorité nationale de la France. Confondre sciemment les deux situations revient tout simplement à bafouer la revendication nationale martiniquaise, discours déjà tenu depuis longtemps par les Thuram et consorts que ne fait que reprendre Mme Maignan.
C’est dire donc qu’il n’y a, mis à part le ravalement de façade, absolument rien de nouveau dans le discours de la candidate de la circonscription du Centre. Il s’agit toujours, mais de manière plus subtile et en flattant l’ego martiniquais, de continuer à faire perdurer le système colonial français dans notre pays. Très concrètement, il s’agit aussi d’un discours d’une malhonnêteté intellectuelle crasse car ladite candidate sait pertinemment que tant que nous vivrons dans un tel système, il nous sera impossible de « réserver les emplois aux Martiniquais », la constitution française interdisant toute mesure de ce type. Et cela tant au niveau de l’emploi public que de l’emploi privé.
Quand un Bernard Hayot ouvre un supermarché à Génipa et qu’il embauche 80% de cadres métros, n’importe qui peut constater que le discours de Maignan tombe à plat, que c’est du vent. Les nombreux diplômés de gestion ou de commerce martiniquais inscrits à l’ANPE, eux, le savent en tout cas. Il nous sera aussi de plus en plus difficile, voire impossible, d’accéder à la propriété ou de construire une maison, les terrains constructibles, défiscalisation oblige, étant raflés par des puissances d’argent étrangères à la Martinique, terrains sur lesquels ils construisent des immeubles locatifs ou des villas hors de prix pour un Martiniquais moyen. Face à tout cela, de quel poids pèsent les déclarations soi-disant novatrices de la candidate de l’UMP ?
Alors, on évoquera ses prises de position sur l’identité en faisant remarquer que c’est la première fois qu’un membre de la Droite affirme aussi nettement l’existence de celle-ci. Là encore, le discours de Maignan ne mange pas de pain. Il est très facile d’agiter le mot identité dans tous les sens comme un hochet sans jamais dire précisément à quoi celle-ci correspond et surtout quelles mesures concrètes il conviendrait de prendre pour qu’elle soit à la fois protégée et défendue. A quand une refonte, par exemple, de notre système scolaire pour que notre histoire y soit enseignée, que notre langue, le créole, y occupe la place qu’elle mérite, que des formations adaptées à notre environnement économique soient mises en œuvre ? Car tout commence par là, par l’institution scolaire. Au sortir de l’esclavage, nos pères n’ont eu que l’école pour échapper au Béké et à l’Habitation et il serait mal venu aujourd’hui de le leur reprocher. Il était nécessaire qu’ils apprennent le français, eux à qui le « Code Noir » interdisait l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Il était important qu’ils s’imprègnent des grands auteurs et de l’histoire à la fois européenne et mondiale. C’était là un passage obligé en quelque sorte. Mais aujourd’hui, plus de 150 ans après, devons-nous perdurer dans le mythe d’une école républicaine, ouverte à tous, égalitariste ? Une école jacobine surtout qui n’a que faire de notre culture et de notre identité martiniquaises. D’aucuns évoqueront les changements qui se sont produits au cours des quinze dernières années avec la publication de manuels scolaires traitant de l’histoire et de la géographie de la Martinique et des Antilles, ou encore de la création du CAPES de créole. Sans rejeter d’un revers de mains ces avancées, force est de reconnaître qu’il s’agit d’une amélioration cosmétique. On saupoudre ici un peu d’histoire de la canne à sucre, là un peu de créole, mais l’architecture globale du système scolaire demeure parfaitement inchangée. Il s’agit toujours d’une école faite pour des Français, pas pour des Martiniquais.
Non, décidément, on a beau retourner les beaux discours de Mme Maignan dans tous les sens, il ne s’agit que d’une nouvelle phraséologie assimilationniste, un emballage différent, parfois séduisant certes, pour le même contenu, exactement le même contenu à savoir que nous sommes Français, des Français à part entière et que nous devons tout faire pour obtenir tous les droits attachés à cette distinction.
En fait, Mme Maignan fait mentir le proverbe créole qui dit que {sé adan vié kannari ou ka fè bon soup}. Dans le vieux « canari » assimilationiste, fut-il repeint à neuf, fut-il relooké, on ne saurait faire que de la mauvaise soupe, chère dame.
{{Jean-Laurent Alcide}}
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