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LA FACE CACHEE DE LA GUERRE DE LA BANANE BIO

par Marie Astier
LA FACE CACHEE DE LA GUERRE DE LA BANANE BIO

Les producteurs de bananes des Antilles françaises jettent le discrédit sur les bananes bio, toutes importées. Mais la banane « française » est une monoculture d’exportation très concentrée, révélatrice des luttes sociales en Martinique et en Guadeloupe.

Tout a commencé au Salon de l’agriculture, avec un slogan fièrement brandi par les producteurs de banane de Martinique et Guadeloupe sur leur stand : « La banane française, mieux que BIO, c’est possible ! »

Mieux que bio ? Les bananes bio vendues en France sont importées depuis la République dominicaine principalement, mais aussi depuis l’Équateur ou le Pérou. « Ces bananes sont estampillées bio. Mais le consommateur est abusé. Les producteurs autorisent les épandages aériens et peuvent passer jusqu’à 25 fois avec une huile, le banole, que nous ne pouvons passer que six fois en France, en conventionnel. Par ailleurs, ils peuvent utiliser 14 substances interdites chez nous, sans parler du fait que socialement, on est largement meilleur. Un Haïtien en République dominicaine est payé 5 dollars par jour », explique Sébastien Zanoletti, chargé de l’agriculture durable à l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique (UGPBAN). On nous vendrait donc de « fausses » bananes bio. Il souligne par ailleurs les efforts faits par les producteurs de la filière en Martinique et en Guadeloupe : « On a réduit de 60 % l’utilisation des pesticides. »

Une main-d’œuvre moins chère, une législation moins contraignante, un label valorisant : l’UGPBAN dénonce donc « haut et fort » la « concurrence déloyale » que font ces pays tiers à la banane française, qui subit la baisse des prix depuis la libéralisation du marché.

Ces accusations ont provoqué l’ire des acteurs français du bio. Dès le début du Salon, le Synabio, syndicat des entreprises du bio, a déposé un référé demandant l’arrêt de cette campagne de « détournement du mot bio », explique Charles Pernin, son délégué général. « S’ils sont mieux que bio, c’est qu’ils sont au moins bio. Or, ce n’est pas le cas, les producteurs de Guadeloupe et Martinique utilisent des pesticides de synthèse. Cette campagne jette le discrédit sur une production certifiée, avec une communication déloyale. » Le tribunal leur a donné raison le 1e mars, demandant à l’UGPBAN de retirer cette communication.

« On ne veut pas de dérogation, pas d’équivalence, mais une conformité »

Surtout, « il faut regarder de plus près cette liste de 14 substances non autorisées, poursuit Charles Pernin. Il y a de l’ail fermenté, des extraits de pépins d’agrumes, des pièges à rat… Ces produits ne sont pas autorisés, car personne n’a demandé leur homologation dans l’Union, tout simplement. Mais elles ont été déclarées conformes aux critères du règlement bio européen. » Quant à l’huile incriminée, elle est utilisable en bio.

Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, lors du dernier Salon de l’agriculture, et des bananes « françaises ».

Autre point sensible, le fait que les bananes bio importées répondraient à un cahier des charges moins exigeant. Pour l’UGPBAN, les règles européennes ne s’appliquent pas à tout le monde. Florent Guhl, directeur de l’Agence bio — institution publique de promotion de l’agriculture biologique — met les points sur les i : « Les pays extérieurs à l’Union européenne qui souhaitent y vendre du bio présentent leur cahier des charges pour avoir une équivalence. Si l’Union la donne, c’est que leur façon de produire est bien conforme au règlement. Il n’y a pas moins de contrôles que pour les produits européens. »

Quant à la question de l’épandage aérien, récemment interdit en France, « cela ne dépend pas du cahier des charges bio », rappelle Florent Guhl, mais des législations de chaque pays.

Du côté de l’UGPBAN, Sébastien Zanoletti reconnaît « que la plupart de ces substances sont des extraits de plantes. Mais s’ils sont efficaces, c’est qu’ils contiennent un principe actif. Ils peuvent être dangereux et doivent être évalués par l’Union ». L’UGPBAN demande par ailleurs aux instances européennes de supprimer ce principe d’équivalence : « On ne veut pas de dérogation, pas d’équivalence, mais une conformité. Le règlement bio doit être exactement le même pour tout le monde. D’ailleurs, on ne comprend pas bien pourquoi les acteurs du bio ne nous soutiennent pas. Nous avons juste été maladroits dans notre façon de porter ce combat. »

« Qu’ils produisent des bananes bio en France ! »

« Le label est perfectible, cela fait partie de notre démarche », reconnaît-on chez les défenseurs du bio. Le label ne prévoit notamment rien de concret du point de vue de la protection sociale des travailleurs alors que la main-d’œuvre est importante dans la culture de bananes. Mais la moitié des bananes bio de République dominicaine seraient aussi labellisées commerce équitable.

« C’est un débat pour nous aussi : vaut-il mieux des bananes bio produites dans de mauvaises conditions sociales ou des bananes françaises ? » s’interroge François Thierry, producteur bio qui suit le dossier pour la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab). « Mais alors, qu’ils produisent des bananes bio en France ! »

L’attitude de l’UGPBAN face au bio pose question. L’UGPBAN importe elle-même des bananes bio de République dominicaine en France : elle dénigre donc un produit dont elle est vendeuse ! Peut-être a-t-elle eu peur que ce qui devait être un produit de niche prenne la place de son produit phare ?

Par ailleurs, l’organisation semble avoir du mal à croire au bio. Selon elle, faire de la banane bio sous le climat tropical humide des Antilles serait pour l’instant impossible. Les pesticides bio adaptés n’intéresseraient pas les fabricants, les variétés résistantes aux maladies ne sont pas encore au point.

Aux Antilles françaises, la filière de la banane représente 10.000 emplois directs et indirects, environ 600 producteurs, 270.000 tonnes produites chaque année.

« Ce n’est pas vrai, il est tout à fait possible de faire de la banane bio, proteste Claude Ducaclon, secrétaire général du groupement des agriculteurs bio de Martinique. Il existe déjà un producteur en Martinique. Mais il subit sans cesse des pressions. Ses conteneurs ont été bloqués à leur arrivée en France, et il a été exclu des aides publiques, qui sont contrôlées par l’UGPBAN. »

Cette dernière nie toute pression, et indique que les difficultés de ce producteur sont liées au manque de solutions techniques : il s’est lancé « trop tôt ». Il serait parti en République dominicaine afin de constater lui-même les conditions de production des bananes bio. « Je suis désolé de voir la discorde entre l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique », indique-t-il rapidement par courriel à Reporterre.

Le « système béké » 

Alors, l’UGPBAN veut-elle bannir la banane bio de son territoire ? La question se pose. « Ils ont d’abord tenté, via le député européen Manscour, d’affaiblir les règles du label bio, pour l’obtenir plus facilement, raconte Claude Ducaclon. Comme cela n’a pas fonctionné, ils accusent le bio pour limiter la concurrence. Mais ils ne veulent pas vraiment sortir de l’agriculture chimique. »

Le groupement se présente comme une coopérative de producteurs, mais c’est aussi un acteur majeur de l’économie des deux îles : 10.000 emplois directs et indirects, environ 600 producteurs représentant 100 % de la production de bananes, 270.000 tonnes de bananes par an, et la maîtrise de la filière depuis la vente des intrants, jusqu’aux entrepôts de mûrissement à l’arrivée des conteneurs au port de Dunkerque. Il a donc tout intérêt à poursuivre son commerce de pesticides et engrais auprès de ses membres, et à tenter de redorer l’image de la banane française alors que le scandale du chlordécone, un pesticide puissant ayant contaminé sols, eau et hommes, reste dans les mémoires.

Pour le secrétaire général du groupement des agriculteurs bio de Martinique, Claude Ducalcon, l’UGPBAN est en fait une pièce centrale du « système béké ». Les descendants des colonisateurs détiennent encore la majorité de l’économie de l’île : « 10 % des exploitations font 80 % de la production de bananes. Et plus généralement, 1 % de la population détient la majorité des terres, des magasins de la grande distribution — même des boutiques bio —, la filière automobile, etc. »

Face à cela, les quelques producteurs bio des Antilles (principalement des maraîchers) soulignent à quel point ils ont pu être considérés comme des empêcheurs de tourner en rond. Eux proposent le développement d’une agriculture vivrière, apportant une autonomie alimentaire aux Antilles françaises. Si elles étaient appliquées, ces propositions remettraient en cause les intérêts de ce « système béké », qui contrôle tant l’agriculture d’exportation que les importations de produits de la métropole vendus dans leurs grandes surfaces. Mais pour Sébastien Zanoletti, de l’UGPBAN, il ne s’agit là que de « petites guerres internes aux Antilles ».

 

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