Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

LA "FUSILLADE DU LAMENTIN" ET LES DISEURS D'HISTOIRES

Yves-Léopold Monthieux
LA "FUSILLADE DU LAMENTIN" ET LES DISEURS D'HISTOIRES

   Le quotidien FRANCE-ANTILLES a donné le 24 août dernier une raison supplémentaire de regretter, si elle était confirmée, sa disparition annoncée.

   Ainsi donc, après que la vérité des incidents qui se sont déroulés au centre-ville du Lamentin le 24 mars 1961 a été rapportée par trois témoins oculaires, il est apparu, 8 jours plus tard dans le même journal, l’intégralité du discours dit des Trois Tombes de l’ancien maire Georges GRATIANT. Sans doute fallait-il pour équilibrer le dossier, en mode de droit de réponse, faire contrepoids à ces témoignages qui révèlent la duplicité des diseurs d’histoires martiniquais. Quel intellectuel connu oserait écrire aujourd’hui une prose qui confirme la vérité rapportée par les Lamentinois Charles BARCLAY, Christian BOSTON et Joseph BOUCHO ? Aucun, bien entendu. Les contributions apportées sur la même page du quotidien par l’actuel maire et l’historienne de service n’y ont pas pourvu. D’où le rappel du discours-culte de Georges GRATIANT.

   La Martinique-dans-la-France, gage de jérémiades infinies 

   La fusillade du Lamentin, ainsi nommée par l’histoire, fut le point culminant d’incidents qui se sont déroulés pendant la dernière des grandes grèves de la canne à sucre. Une travailleuse agricole eut le bras coupé au coutelas au cours d’un épisode qui aurait pu donner matière à la célèbre chanson Manman, lagrèv baré mwen, Misié MICHEL pa lé bay dé fran. Rappelons que cette biguine chantée en 1931 par Léona GABRIEL s’inspirait déjà d’incidents qui s’étaient déroulés sur le territoire du Lamentin qui avait connu des épisodes socio-politiques jusqu’au niveau des édiles. Pour preuve le funeste destin de l’ancien maire communiste, Fernand GUILON.

   Bref, en ce vendredi après-midi, des grévistes regroupés au centre-ville s’étaient mépris sur le motif du passage, devant eux, à 2 reprises, au volant de sa jeep, du directeur de l’usine du LAREINTY. Croyant à une provocation de ce « M. MICHEL », et portés par une prompte colère, ils s’en étaient pris à l’imprudent, renversant son véhicule et menaçant son intégrité physique. Ce dernier se réfugia précipitamment chez un particulier, d’où l’intervention des forces de l’ordre qui, pour l’exfiltrer, causèrent la mort de 3 Lamentinois. Aussi, moins de deux ans après les évènements de décembre 1959 à Fort-de-France, cette nouvelle bévue de la police provoquait un traumatisme nouveau. D’où la juste colère du maire du Lamentin et sa talentueuse mais moins juste façon de l’exprimer. 

   Prononcé sur les caveaux des victimes, la harangue n’avait pas manqué de souffle, au point qu’aujourd’hui encore, 70 ans après, le quotidien parle de discours-poème. D’autres vocables pourraient aussi bien rendre compte de la réalité du propos : diatribe, pamphlet voire réquisitoire, contre l’Etat. Bref, l’éloquence du maître du barreau était de la même veine que celle de CESAIRE dans Discours sur le colonialisme. Citons cette envolée syncopée du tribun lamentinois affirmant que, sur ordre de l’Etat, « qui veut du pain aura du plomb, au nom de la loi, au nom de la force, au nom de la France, au nom de la force qui vient de la France ». Le Nègre fondamental avait fait le parallèle entre la colonisation et le nazisme tandis que GRATIANT, plus incisif et plus précis, allait dénoncer la présence à la Martinique « de Français [qui] forment ici une gestapo qui assassine dans le dos ». Des accusations à ce point violentes qu’elles pourraient se conclure par un appel à l’indépendance, mais qui ne furent finalement que jérémiades. En effet, le dogme de la MARTINIQUE-DANS-LA-FRANCE n’a jamais été remis en question par le PCM qui s’était coupé d’une partie de sa jeunesse qui s’y opposait. Laquelle s’est retrouvée dans le mouvement Groupement révolution socialiste (GRS).

   La bavure policière justifiait une condamnation appropriée

  Soyons clair, lorsque la police commet une faute, c’est l’Etat qui est finalement responsable et qu’on met en joue. L’Etat a mal recruté, n’a pas bien formé, n’a pas donné les moyens ou les bonnes consignes, ce sont les reproches qu’on peut lui faire. Mais au-delà de la responsabilité inévitable de l’autorité politique, il y a une réalité : le manque de professionnalisme des policiers et, à tout le moins, leur inaptitude à maîtriser les mouvements de foule. Ne tombons pas non plus dans l’anachronisme, ni la police de l’époque ni les attentes n’étaient celles d’aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il était osé d’affirmer que la bavure commise dans une rue du Lamentin avait été un crime prémédité par le pouvoir, un ‘’crime politique parce qu’il fut organisé’’. Osé, de la part d’un dignitaire du PCM qui était parfaitement renseigné sur le déroulé de l’incident, de reprendre à son compte cette infox et de la propager. Osé, venant d’un dirigeant et d’un parti qui n’ont jamais dénoncé les méthodes du stalinisme et du KGB et qui ont présidé à la substitution de victimes dans le cas Dolor BANIDOL. Osé, pour qui s’est retrouvé avec son parti contre CESAIRE lors de la rupture de ce dernier avec les pratiques dictatoriales du petit père des peuples, puis au cours de ses démêlés avec le poète stalinien Louis ARAGON. Osées, enfin, la désinformation et l’instrumentalisation, à une aussi grande échelle, d’une bavure policière dont l’importance suffisait amplement pour en susciter la condamnation. Une démarche pas tellement osée, finalement, s’il est vrai que l’histoire de la Martinique et les historiens sont aux ordres.

   Ainsi donc, les policiers venaient d’offrir au PCM trois victimes sur un plateau, pourvoir à son à l’argumentaire de ce parti et allonger le martyrologe de la colonisation française. Cependant si dans un moment d’exaspération, des grévistes ont pu croire de bonne foi que leur patron était venu les narguer, l’accusation n’en était pas moins absurde. Sauf la promptitude à la récupération des leaders politiques qui les ont reprises avec gourmandise. Comment croire, en effet, ou faire croire qu’au nom de l’arrogance naturelle des Békés, le sieur AUBERY ait pu être assez stupide pour venir offrir sa personne à la colère des grévistes ? En réalité, l’usinier circulait en toute confiance dans la ville à la recherche de Georges VALBON, maire-adjoint du Lamentin et chef de la délégation syndicale. Les deux hommes avaient rendez-vous pour signer un protocole de fin de conflit, ce que de toute évidence les travailleurs ignoraient. Le témoin Charles BARCLAY ne dit pas autre chose. Cette circonstance qui était connue de tous les officiels du pays, le maire de la ville en premier lieu, n’a jamais figuré dans les cahiers d’histoire, les directeurs de conscience préférant tenir la population dans une détestation réciproque entre les Békés et les autres. 

   Décembre 1959 – Mars 1961 : une période charnière de l’histoire martiniquaise 

  Quoi qu’il en soit, située à une période charnière de l’histoire martiniquaise, la fusillade du Lamentin et les incidents de décembre 1959 présentaient des similitudes. Primo, il y eut 3 morts dans les deux cas, et les victimes étaient quasiment toutes innocentes, circonstance aggravante pour les forces de l’ordre. Deuxio, on a imputé les uns à la compagnie de CRS, les autres, à la gendarmerie nationale, comme pour donner aux évènements une couleur ‘’colonialiste’’ et ‘’raciste’’. Aussi, le témoin Christian BOSTON croit devoir affirmer : « les gendarmes n’ont tué personne, ce sont les policiers que j’ai vu tirer ». Tertio, ces affaires donnèrent lieu à deux grands discours contre l’Etat, celui des Trois-Glorieuses et celui des Trois-Tombes. Le premier, audacieux, d’Alain PLENEL, vice-recteur, osa un rapprochement avec les 3 jours d’émeutes précédant la Monarchie de Juillet. Le haut-fonctionnaire aura-t-il comparé les améliorations obtenues au lendemain de décembre 1959, ce qui fut regardé comme le nouveau départ de la départementalisation, aux assouplissements de la royauté obtenue en 1830. La départementalisation, comme la royauté, n’avait pas été supprimée, mais réorientée. L’historien guadeloupéen SAINTON dira qu’on est passé de « l’assimilation à l’intégration ». 

  On l’a vu, le second discours, également révolutionnaire, a été de Georges GRATIANT. Quarto, aucune condamnation n’a été prononcée dans ces affaires. Mais c’est une constante qui se vérifie également à l’égard des manifestants. Enfin, les deux affaires ont été pareillement instrumentalisées ; Décembre 1959 était regardé comme le début de la révolution. On en est revenu, non sans les réticences de certains historiens. Tandis que Mars 1961 était présenté comme la gestapo en action, le n’importe quoi idéologique.

   Toutefois deux différences essentielles ont été mises en lumière. Une différence d’origine : décembre 1959, à Fort-de-France, avait procédé d’un banal incident, une affaire de « voyous », dira le PPM, ‘’un incident de ville de garnison’’, écrira votre serviteur, autrement dit une affaire dépourvue de signification politique. La part essentielle prise dans cette affaire par les militaires du contingent présents ce soir-là a été totalement ignorée par les historiens. Tandis que la seconde, celle du Lamentin, s’est produite au cours d’un conflit social majeur. La seconde différence est de nature purement politique. Déjà, suite à décembre 1959, le PCM avait pris l’initiative de présenter au conseil général une motion politique votée à l’unanimité. L’Etat s’en était inspiré pour prendre des mesures qui tueront dans l’œuf les velléités d’indépendance (1). Par contre, le PPM n’a pas eu de réaction politique, groggy par l’annonce que l’un des antagonistes de l’accident de la « Savane » était le fils de l’assassin d’André ALIKER, frère du maire-adjoint Pierre ALIKER lequel remplaçait CESAIRE, absent. On l’a vu, le vide politique fut rempli par le vice-recteur, au Morne-Rouge et le PCM, au conseil général.

  Quoi qu’il en soit, cet à-propos du Parti communiste martiniquais avait été le contraire de la modération en mode moratoire du Parti progressiste martiniquais. Il s’était manifesté en plusieurs circonstances, notamment par le biais de la CGTM, dans les rues de Fort-de-France ou à CHALVET. La réactivité politique du PCM a-t-elle pu susciter la méfiance du pouvoir et justifier que des communistes aient été les seules victimes de l’ordonnance de 1960, et qu’aucun « progressiste » n’ait été arrêté ni dans l’épisode de l’OJAM ni en d’autres circonstances ?

  (9 septembre 2019) 

  1. J'ai parlé par ailleurs de la complicité objective du PCM et de la CGT dans la mise en oeuvre de la départementalisation.

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.