Qu’en est-il du vote des jeunes aux Antilles ? Où sont les sondages ou les études concernant cette (importante) catégorie de notre population ? Importante parce qu’en dépit du vieillissement qui affecte celle-ci et de la baisse impressionnante de la natalité, les jeunes Martiniquais et Guadeloupéens sont pour l’heure encore largement majoritaires. Par jeunes, il faut évidemment entendre les moins de 30 ans. Tout d’abord, il faut noter un réel engouement pour Nicolas Sarkozy parmi ceux-ci, notamment parmi les lycéens et les étudiants. En Martinique, le principal syndicat étudiant s’est même transformé en quasi-officine sarkozienne avant le premier tour des élections présidentielles ! En Guadeloupe, les pro-Sarko s’affichent sans complexes à la sortie des lycées ou dans les meetings électoraux. Personne ne craint en tout cas d’afficher son soutien à l’homme de Neuilly sur le plateau de RFO ou au micro de RCI.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment expliquer que notre jeunesse, contrairement à celles qui l’ont précédée, soit devenue un fervent soutien du conservatisme le plus borné et du néo-libéralisme le plus cru ? Dans tous les pays, et la Martinique et la Guadeloupe n’ont pas dérogé à cette règle jusqu’à tout récemment, la jeunesse sait que son âge est le seul moment de la vie où l’on peut rêver à un monde meilleur, où l’on peut croire que le monde peut être transformé. Toute jeunesse est porteuse d’utopie et de générosité à la fois. C’est pourquoi, dans les années 30, la génération d’Aimé Césaire a porté le projet de la Négritude. C’est aussi pourquoi dans les années 60, les jeunes nationalistes du GONG (Guadeloupe) et de l’OJAM (Martinique) ont voulu briser le carcan colonial. C’est encore pourquoi dans les années 80, écologistes, créolistes, altermondialistes et autres ont cherché à secouer les pesanteurs coloniales en arrimant nos pays aux grandes luttes qui se déroulent dans un monde désormais globalisé. Or, cet élan vital, cet élan jeune, semble s’est brisé aujourd’hui. A la sortie de nos lycées, plus personne ne distribue de tracts. Les murs de nos campus sont absolument vierges de tout graffiti pro-Mandela ou pro-Chavez. Le nouveau discours jeune aux Antilles est un discours « raisonnable ». Un discours qui emploie des termes comme « marketing », « mobilité », « start-up » d’un côté et « sport » et « musique » de l’autre. D’un côté, les futurs jeunes cadres cravatés et munis d’attachés-cases ; de l’autre les nouveaux Thuram et Cyrille. Ce qui relie ces deux tendances, apparemment contraires, c’est tout simplement…l’argent. Notre jeunesse veut gagner du fric. Et vite ! Point barre. Elle rêve de stock-options à la City ou bien de contrats professionnels de foot ou de basket à Manchester United ou aux Lakers. Finie l’idéologie ! Les belles idées ! Le désir de changer le monde afin de le rendre plus juste !
Avant de voir en quoi tout cela relève de l’illusion, il convient de chercher à comprendre en quoi nous adultes, nous avons failli. Pourquoi nous avons été incapables de transmettre à nos fils et à nos filles le désir de changer la Martinique et la Guadeloupe ? Pourquoi se jettent-ils aujourd’hui dans le sarkophage de l’UMP ? Ou dans la cellophane du Ségolénisme, ce qui n’est pas mieux. Ces questions doivent être évidemment posées en priorité à ceux qui au cours des deux décennies 60-80 ont tenu haut le pavé de l’Autonomisme et de l’Indépendantisme. A cette époque, presque tous les partis politiques de gauche et d’extrême-gauche disposaient de branches de jeunesse très actives : Bijengwa en Guadeloupe, An lot chimen pou lajénes et jeunesses du PPM en Martinique, pour ne citer que ces seuls exemples. On pouvait alors croire que la relève était assurée. Que s’est-il donc passé pour qu’aujourd’hui plus aucun parti politique antillais de gauche ne soit capable d’avoir une section jeunesse autre que symbolique alors qu’à Droite, la poudre aux yeux, le vèglaj sarkozien marche à fond ? Il y a tout d’abord, le refus de céder la place, le refus de permettre aux jeunes d’accéder aux postes de responsabilité politique, à tel point qu’on est en droit de se demander s’il ne faudra pas en arriver un jour à instaurer la parité « vieux-jeunes » comme on a instauré la parité « hommes-femmes ». En effet, la plupart des politiciens antillais, qu’ils soient des élus ou non, qu’ils dirigent un grand parti ou un groupuscule, n’ont eu de cesse, au cours des trente dernières années, que de s’accrocher à leurs postes comme des brigo à leur rocher. La plupart préfèrent mourir aux commandes de leur parti que de prendre une retraite bien méritée. Seule la maladie ou la crise cardiaque les écartent du « pouvoir ». Ce triste constat est absolument irréfutable quand on compare la moyenne d’âge des politiciens hexagonaux à celle des politiciens antillais. Quadra-quinquagénaires dans l’Hexagone contre sexa-septuagénaires aux Antilles ! Ce n’est pas aux Antilles qu’on verrait un parti mettre à sa tête un jeunot de trente et quelques années comme Olivier Besancenot ! En Guadeloupe, l’extrême-gauche et les indépendantistes ont quasiment disparu du paysage politique à cause de ce « vieillisme » lequel, quoi qu’on en dise, est pire que le « jeunisme ». En Martinique, ils n’ont été sauvés que grâce à un cadeau du ciel : l’existence d’un leader charismatique au talent exceptionnel mais sans lequel son parti n’est rien. Pour preuve : il n’a jamais pu faire élire le moindre candidat hors de son fief de Rivière-Pilote et Sainte-Luce. Une fois ce leader parti ou à la retraite, les indépendantistes martiniquais se retrouveront nus du jour au lendemain, exactement comme en Guadeloupe.
L’autre raison du refus d’engagement de nos jeunes dans la politique est le triste spectacle de ces intellectuels, par ailleurs membres ou dirigeants de groupes d’extrême-gauche, qui se sont vendus au système en place en occupant des postes d’autorité. Cette dernière expression ne doit pas laisser croire qu’ils disposent d’un réel pouvoir. En fait, s’ils commandent bien à leurs compatriotes antillais, ils sont sous l’entière férule du recteur, du préfet ou du ministre de ceci et de cela, recteur, préfet et ministre dont ils appliquent à la lettre la politique colonialiste !!! Bardés de titres ronflants de directeur de telle structure chargée de former les enseignants ou de telle antenne universitaire, par exemple, ils sont passés maître dans l’art du double langage : zélés convoyeurs, sous des dehors technocratiques, du discours du maître blanc d’un côté ; rabâcheurs, à voie feutrée, de leurs vieux slogans indépendantistes des années 70 qui n’ont plus aucun impact de nos jours. Sans compter tous ceux qui se sont retirés sous leur tente et qui refusent désormais de se salir les mains en militant, en défilant dans les rues ou en participant à des actions sur le terrain. Bref, on est obligé de dresser le constat de faillite de l’intelligentsia antillaise de gauche et d’extrême-gauche, faillite aggravée par l’existence, désormais, d’une catégorie qui tient carrément un discours assimilationniste et pro-colonialiste au nom des « droits de l’homme », oubliant ou feignant d’oublier que le premier des droits de l’homme est celui de pouvoir s’autogouverner. Ces gens-là, le pouvoir français ne les achète pas bien cher : un strapontin dans telle structure hexagonale chargée de lutter contre les inégalités ou de promouvoir la diversité ; quelques billets d’avion et nuits d’hôtel à Paris. Quand notre jeunesse assiste à ce lamentable spectacle, comment voudrait-on qu’elle ne se bouche pas le nez et qu’elle ne se détourne pas avec dégoût du monde dit intellectuel ?
Venons-en à cette jeunesse justement ! Un petit élément, apparemment anodin, nous montrera dans quel confusionnisme elle baigne. On aura sans doute remarqué l’apparition, ces derniers temps, d’autocollants 97-2 en rouge-vert-noir sur les pare-brises arrière de certaines voitures ? 97-2 est le chiffre du « Département Martinique », le symbole de notre ancrage dans le giron français alors qu’à l’inverse les trois couleurs que sont le rouge-vert-noir symbolisent l’Insurrection du Sud en 1870, la première grande révolte antifrançaise qui ait secoué la Martinique et qui faillit d’ailleurs aboutir à l’indépendance du pays. Créer donc un autocollant 97-2 rouge-vert-noir c’est confondre dans un même mouvement assimilationnisme et anti-assimilationnisme. C’est chercher à faire cohabiter l’eau et le feu ! En fait, cela a une explication : le noirisme ou le blackisme. On peut désormais être noir et français sans que cela pose le moindre problème. On peut sortir de la cité Dillon, à Fort-de-France, comme Cyrille ou de Sarcelles, comme Anelka, cela revient au même. Les 7.000kms de distance sont désormais abolis ! 97-2 exprime donc la francité et le rouge-vert-noir la négritude. Et hop, le tour est joué ! Les intellectuels, qui pendant des années ont diffusé l’idéologie noiriste, doivent aujourd’hui constater les dégâts : non seulement le noirisme n’équivaut pas automatiquement à l’indépendantisme, mais il revient même parfois l’ennemi de ce dernier. Comment, en effet, aurons-nous demain des Thuram ou des Cyrille si nous coupons les ponts avec la « mère-patrie » française ? Nos jeunes sont désormais fiers d’être noirs et fiers d’être français tout à la fois ! En fait, ils réalisent la partie la plus perverse du mouvement de la Négritude, mouvement qui par ailleurs comporte des aspects libérateurs.
Comme toute jeunesse d’une minorité nationale donc, notre jeunesse mise tout naturellement sur les seules portes qu’entrouvrent généralement la majorité à savoir le sport et la musique. L’exemple des Noirs américains est criant à cet égard : 90% des joueurs de basket de la NBA sont noirs tandis que 90% du public des stades est blanc (les plus petits billets d’entrée coûtant 50 dollars). Alors, on s’enthousiasme sur le fait que l’équipe de France de football comporte 9 joueurs antillo-guyanais (en oubliant de mentionner que la plupart d’entre eux sont, en fait, d’origine antillo-guyanaise et ne sont pas du tout de culture créole). Nos jeunes de Capesterre ou du Lorrain rêvent de fouler la pelouse du Stade de France ou d’être recrutés à l’essai par l’OM ou, pourquoi pas, le Real Madrid. Quant à Star Académie et toutes les émissions idiotes du genre, elle fait le reste du boulot : chacun se voit en Cyrille adulé par des millions de téléspectateurs béats et touchant le jackpot d’1 million d’euros. Chacun y va de sa chansonnette pour le prochain concours comme ce jeune vigile de supermarché qui arrête tous ceux qu’il connaît pour leur chantonner son « futur tube » : « Je te nique Ben Laden ! Je te nique Ben Laden ! », cela scandé, plus que chanté, à la manière des rappeurs. Sauf que le nommé Ben Laden ne représente pas un danger pour les Antilles, jusqu’à preuve du contraire, et qu’on se serait plutôt attendu à ce que ce « tube » s’en prenne à un certain G. W. Bush qui n’est qu’à trois heures d’avion de chez nous. Confusionnisme là encore, misère mentale, désarroi idéologique.
Il ne s’agit pas d’accabler notre jeunesse. Répétons-le les premiers responsables ne sont autres que nous-mêmes, les adultes. Car même quand ils refusent la voie du sport et de la musique pour aller faire des études, nous ne faisons strictement rien pour les aider à se réinstaller dans leur pays. Au contraire, certains d’entre nous leur enfoncent la tête sous l’eau. Comme cet écrivain antillais qui à longueur de colonnes, dans le magazine où il sévit, cherche à dédouaner les Békés au nom de la « réconciliation de toutes les composantes de la société martiniquaise ». Il n’y aurait rien de scandaleux à une telle démarche si les patrons békés jouaient le jeu de la martinicanité et si, par exemple, à diplôme égal, ils privilégiaient, dans leurs entreprises, l’embauche de jeunes diplômés martiniquais et guadeloupéens. Or, tel n’est pas du tout le cas et cet écrivain le sait pertinemment ! On ne compte plus, en effet, le nombre de diplômés de grandes écoles, d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, de diplômés d’IUT ou de titulaires de BTS antillais qui, une fois, rentrés au pays, se heurtent à la politique békée d’embauche prioritaire de cadres métros. 80% des entreprises martiniquaises sont dirigées par des cadres venus d’ailleurs et quand un jeune diplômé se présente à un entretien d’embauche qui trouve-t-il face à lui ? Le plus souvent un jeune Métro qui n’a pas plus de diplôme que lui ni davantage d’expérience !!! Est-ce cela la « réconciliation » ? Car il ne suffit pas de se donner bonne conscience en publiant dans la presse un texte reconnaissant que l’esclavage est un crime contre l’humanité, tout en refusant, d’un autre côté, de donner leur chance aux jeunes martiniquais de couleur pourtant dûment diplômés. Là encore, on est dans le double langage et la duplicité.
En réalité, pour un Thuram ou un Cyrille qui arrivent à percer, il y aura toujours des dizaines de milliers de laissés-pour-compte dont certains, immanquablement, vont venir grossir les rangs de ces délinquants, même pas trentenaires, qui s’entretuent quasiment chaque semaine, à l’arme blanche ou à l’arme à feu, en Martinique ou en Guadeloupe, ou qui se « pètent la gueule » en moto. Pour un jeune diplômé miraculeusement embauché, il y en aura des centaines d’autres contraints d’accepter des postes sous-qualifiés pour des salaires de 1.500 euros par mois alors qu’ils ont fait 4 ou 5 ans d’études supérieures, parfois même 6. Alors, dans ces conditions, quoi de plus normal qu’une large fraction de cette jeunesse déboussolée se laisse prendre au piège du discours démagogique de l’homme de Neuilly-sur-Seine ?
Simplement, cela revient à s’enterrer dans un…sarkophage.
{{ La rédaction de Montray Kréyol}}
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