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LA MALADIE MENTALE EXISTE-T-ELLE CHEZ LES HAÏTIENS?

Par Walter Innocent Jr
LA MALADIE MENTALE EXISTE-T-ELLE CHEZ LES HAÏTIENS?

Il y a quelques jours, un ami me racontait comment il est follement amoureux de sa nouvelle copine. Un autre m'avouait qu'il est secrètement fou de sa collègue de travail. Et je suis moi-même un fou du sport. Bref, nous avons tous eu une certaine folie dans la vie. L'auteur brésilien Paulo Coelho croit même qu'un peu de folie est nécessaire pour faire un pas de plus

Le hic, c'est que plusieurs d'entre nous, surtout dans la communauté haïtienne, font deux pas en arrière en ce qui a trait à la santé mentale. Nous nous approprions ces termes émanant des maladies mentales sans toutefois considérer les individus souffrant de celles-ci.

La première fois que j'ai mis les pieds à l'hôpital Louis-H Lafontaine, je devais avoir 15 ans. Ou peut-être 16. À l'époque, je faisais du bénévolat pour le BCHM (Bureau de la Communauté Haïtienne de Montréal). Deux autres personnes adultes et moi accompagnions Jacques, un compatriote qui souffrait de troubles mentaux.

Ma visite à cet hôpital aujourd'hui appelé Institut universitaire en santé mentale de Montréal m'a donné l'impression de voyager dans un autre monde. Un monde méconnu et méprisé.

En nous séparant de Jacques, qui était pris en charge par les professionnels de la santé, la tristesse était palpable sur notre visage. Les images de cette scène ont colonisé ma mémoire dèjà envahie par de regrettables souvenirs des péripéties des Haïtiens à Montréal.

Je commençais à prendre conscience de la société dans laquelle nous vivons. Je constatais que la stigmatisation et la discrimination ne se limitaient pas qu'à la couleur de peau, qu'elles atteignent également ceux qui entendent des voix que d'autres n'entendent pas.

Sans aucun doute, l'infléchissement de ma vision de la maladie mentale a fait grandir en moi ce désir de militer en faveur de la justice sociale.

La maladie mentale ne discrimine pas

Selon l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal, un Québécois sur 5 sera touché par la maladie mentale au cours de sa vie. Mais selon l'Haïtien, seuls les plus faibles et les drogués en sont atteints. <<Les Haïtiens sont immunisés contre ces maladies de Blancs>>, croit-on.

Ah bon?

Pourtant, lorsque nous faisons une rétrospective de notre vie, nous constatons que nous avons tous eu soit un parent, un cousin ou un ami ayant eu une santé mentale moins bonne que la nôtre.

L'an dernier, un ami proche dont le comportement était erratique m'a confessé le diagnostic de sa bipolarité. Son <<coming out>> a en quelque sorte solidifié notre amitié, qui était fragilisée par ses changements d'humeur sans raison apparente.

J'ai encore souvenance de cette ex-copine qui, durant la première année de notre relation, cachait ses médicaments d'anxiété et brouillait les pistes de ses rendez-vous avec son psychiatre.

Ah, nous les Noirs et la peur du jugement!

Je ne dis pas que nous vivons dans un monde fou, fou, fou. Je pense tout simplement que nous sommes fous de nier l'existence des maladies psychiatriques dans notre communauté. Que croire qu'une tante atteinte de la schizophrénie a été la cible de la sorcellerie est de l'ignorance pure et simple.

Qu'il s'agisse de la dépression, de troubles bipolaires ou de la schizophrénie, nous risquons tous un jour d'être l'un de ces fous. L'une de ces statistiques.

La résilience des Haïtiens peut-elle repousser la dépression, qui est une maladie très répandue?

Bien sûr que non.

Malheureusement, un bon nombre d'entre nous dans la communauté haïtienne mènent un combat quotidien contre des ennemis invisibles alliant la tristesse et le sentiment de vide. Ce sont là des signes bien évidents de la dépression.

Qui sait, peut-être qu'à la suite du décès de ma mère, j'ai eu un <<down>> qui était plus long qu'à la normale.

Et vous qui avez eu une perte d'appétit et une insomnie prolongée dues à votre rupture amoureuse, ne pensez-vous pas que la dépression a possiblement frappé à votre porte?

Vous qui avez régulièrement des prises de bec avec votre partenaire et vos enfants, une consultation pourrait sauver votre mariage...

La honte des troubles mentaux

Mais pourquoi nous, les Haïtiens, nous dissocions-nous autant de tout ce qui est relatif aux troubles mentaux?  Parce que nous avons honte.

Honte de quoi ou de qui?

Pour mieux élucider la honte que nous éprouvons pour nos proches ayant une mauvaise santé mentale, analysons un peu le traitement réservé à ceux-là qu'on appelle <<moun fou>> en Haïti.

Rejetés par la société, abandonnés par leur famille, les malades mentaux d'Haïti sont perçus comme un fardeau social. Souvent battus et enfermés par les autorités, il n'est pas rare de voir ces laissés-pour-compte être utilisés comme divertissement par des gens en manque de distraction : on les provoque pour attiser leur colère suscitant la risée générale.

<<On reconnaît une société à la façon dont elle traite ses fous>>, a déjà dit Jean Oury, un célèbre psychiatre.

Personnellement, je ne reconnais pas cette société haïtienne, qui, disons-le, est réputée pour sa sensiblité et sa compassion. Je reconnais plutôt son ignorance souvent exacerbée par des croyances religieuses.

C'est une société qui refuse d'accepter ce qu'elle ne comprend pas. Et il importe de préciser que plusieurs parents haïtiens font tout leur possible dans ces moments difficiles.

Parlant de religion, est-il nécessaire de souligner qu'un pasteur, malgré ses prétentions de polymathie, ne peut remplacer un psychiatre? Et qu'un prêtre vaudou ne peut pas guérir une personne atteinte de schizophrénie?

Finalement, ces quelques lignes ne sont qu'une observation analytique d'un sujet préoccupant de la communauté. Un sujet assez vaste, qui requiert beaucoup plus qu'un texte de 900 mots, j'en conviens.

Briser les tabous

Néanmoins, cette analyse nous permet d'établir l'influence que nos valeurs culturelles et spirituelles ont sur notre perception de la maladie mentale.

Le peuple haïtien est loin d'être bête. Il n'est pas le seul à ignorer les problèmes de santé mentale. Cependant, force est d'admettre qu'il est emprisonné par ses tabous. Par conséquent, nous qui vivons ici, au Québec, devrions profiter des bienfaits de la Révolution tranquille pour affranchir nos esprits des pensées archaïques.

D'ailleurs, je vous propose de suivre un ami qui compte exorciser nos tabous avec des séries d'entrevue via son show  Radio Dyol sur Facebook. Une belle initiative pour la communauté.

Quant à moi, quand je me promène dans les rues du centre-ville, je ne vois pas de fous. Je ne vois que des êtres humains souffrants, qui ont besoin de notre compréhension, notre attention.

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