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LA MARTINIQUE, UNE SOCIETE BLOQUEE ?

par Nicolas Lamic
LA MARTINIQUE, UNE SOCIETE BLOQUEE ?

En écoutant un journaliste du journal Le Monde, présentant la création d’un nouveau site d’information en ligne, répondre à l’interrogation de son interlocuteur à propos du traitement qu’il entendait faire de la situation aux Antilles en disant qu’il attendait de trouver des spécialistes sur place pour livrer leurs analyses sur la question de la crise actuelle contre « la vie chère », je me suis mis à m’interroger sur l’écho que trouvaient dans la société les travaux publiés par les chercheurs en sciences sociales martiniquais.

Il est vrai que le travail des chercheurs ne se confond pas avec le sensationnalisme du travail journalistique. Cependant, il me semble que les innovations méthodologiques dans le domaine des sciences sociales, notamment celle qui consiste à prendre en compte la propre implication du chercheur dans la recherche, présentent de sérieuses garanties d’objectivité lorsqu’on entreprend d’analyser « à chaud » des situations de crise. C’est à un tel exercice que j’ai essayé de me livrer dans un papier récent, intitulé « Jeter de l’huile sur le feu », que j’ai adressé à certains médias. Je veux poursuivre ce travail à travers ce nouvel article que j’ai pris la décision d’intituler « La Martinique, une société bloquée ?».

Je fais l’hypothèse que c’est le refoulement dont font l’objet un certain nombre de questions dans la société martiniquaise qui est, en partie, à l’origine des difficultés que rencontrent les politiques à saisir toutes les dimensions de la situation actuelle. Ce sont les éléments de ma pratique de l’intervention psychosociologique auprès des organisations, ou en milieu ouvert (opérations de rénovation urbaine) ou encore dans le champ de la formation professionnelle qui me permettent d’avancer cette hypothèse. En effet, j’ai pu développer au fil des années un certain savoir sur le fonctionnement de la société martiniquaise ; et qu’à travers un effort de généralisation sur le plan spéculatif, j’ai essayé d’ouvrir à la compréhension de la situation des autres DFA (Départements Français d’Amérique).

Dans l’un de mes articles, paru en 2007, je présente une analyse de mon expérience d’intervention auprès de deux entreprises martiniquaises. Dans le récit de cette intervention, je montre comment les difficultés que rencontraient l’une de ces entreprises étaient liées à la hiérarchisation raciale des structures de l’organisation. C’est ainsi que la confrontation des données du terrain avec d’autres éléments de réflexion nous a permis de mettre en évidence le fait que le modèle type de l’organisation sociale de l’entreprise privée prend l’allure d’une structure hiérarchique plaçant en position haute les personnes blanches de peau, et en position basse, les personnes noires de peau (représentant la majorité de la population). Ce travail d’investigation nous a conduit à établir une analogie entre le fonctionnement des structures de la société de plantation avec celle de la plupart des entreprises privées martiniquaises.

Une grande partie de cet article est consacré à l’analyse de notre cheminement intellectuel mais aussi aux bouleversements sur le plan personnel et identitaire qu’impliquaient pour nous la prise de conscience de ce phénomène social. Car il apparaissait que la racisation des rapports sociaux, s’étendant bien au-delà des structures de l’entreprise, était une réalité bien connue de tous, mais qu’elle était soigneusement évitée dans l’analyse des dysfonctionnements et du mal-être affectant la société martiniquaise. C’est ainsi que la tendance à voir dans les conflits du travail que des revendications catégorielles, pouvant trouver leur solution dans des compensations d’ordre économique, nous apparaissait comme une manière d’éviter tout travail de remise en cause personnelle pour les acteurs sociaux directement impliqués dans ces conflits. Pour être plus précis, il suffit de voir comment les conflits sur le port de Fort-de-France peinent à trouver une issue par le biais de satisfactions matérielles. Dans le même ordre d’idées, on ne peut pas comprendre pourquoi les initiatives en faveur du « dialogue social » en Martinique rencontrent une telle adhésion de la part du patronat, si on oublie que c’est précisément parce qu’elles évitent d’aborder la question de la racisation des rapports sociaux du travail qu’elles suscitent un pareil engouement. Autrement dit, elles sont acceptées parce que, dans leur démarche, elles ne remettent pas en cause l’ordre établi.

Fort de cette expérience, j’estime que nous pouvons tirer des enseignements de cette analyse pour aider les acteurs sociaux (responsables syndicaux, politiques, salariés, manifestants...) à traiter avec plus d’objectivité la crise actuelle que traversent nos sociétés. C’est un leurre de croire que les sociétés martiniquaise et guadeloupéenne pourront résoudre leurs difficultés au travers du prisme que constitue le slogan « Contre la vie chère ». Car comme j’ai essayé de le montrer, il s’agit souvent de dépasser ces premières manifestations de langage, au travers desquelles les personnes énoncent leurs difficultés, pour trouver les causes réelles de ce qui constitue leur mal-être. Il ne s’agit pas de penser qu’elles se trompent en agissant de la sorte, mais plutôt de considérer que la prise de conscience de ce qui est réellement à l’origine de leurs difficultés peut durablement ébranler l’image qu’elles se font de leur identité. Il faut bien l’admettre, ce travail douloureux sur soi-même, nul n’est enclin spontanément à le faire. Il faut souvent l’aide d’un tiers pour initier ce processus ce changement qui s’annonce souvent comme une aventure dont on a toujours du mal à appréhender l’issue. C’est ainsi que le signe le plus apparent de la nécessité de s’engager dans cette voie est sans doute l’angoisse qui nous étreint face à l’absence de réponses à laquelle nous sommes confrontés en pareille situation.

Aussi, je ne peux pas conclure cet article sans évoquer les propos de ce responsable politique régional, qui lors d’une émission télévisée a dit son étonnement, en dépit des efforts de l’exécutif régional visant à consentir des exonérations de taxes à des entreprises, de voir ces mêmes entreprises en profiter pour augmenter leurs marges bénéficiaires. A l’évidence, il ne semblait pas avoir compris que pour viser les mêmes objectifs, il faut d’abord que les partenaires de la relation se perçoivent comme partageant un projet commun. C’est ce que précisément interdit tout rapport établi sur des bases raciales. Il faut bien comprendre que le préjugé raciste est basé sur des mythes, des éléments d’ordre irrationnels ; enraciné dans l’inconscient, aucun argument rationnel ne peut avoir prise sur lui. Voilà donc à quoi se heurte le fonctionnement des sociétés martiniquaise et guadeloupéenne. Asseoir les protagonistes autour d’une table pour discuter du « prix des marchandises » ne servira à rien, à moins d’y voir là la répétition d’une figure de la scène primitive. La solution de ces difficultés réclament la mise ne place d’un tout autre dispositif. L’exemple de l’Afrique du Sud, à travers la mise en place de « la commission de vérité et réconciliation », nous indique la voie à suivre !

Nous voyons que des solutions existent, à nous de les adapter aux spécificités de nos sociétés ! Le Mouvement social, en cours, nous fournit la matière de ce travail (des positionnements sont identifiés à travers des expressions comme « Nou », « Yo », « Béké-a »), à nous de nous en saisir pour ne pas rester éternellement « esclaves de l’esclavage » !

Nicolas LAMIC

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