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Et voilà une nouvelle aventure de Damida la petite Créole en trois parties

LA MORT CREOLE ET LA VEILLEE CREOLE

Troisième partie
LA MORT CREOLE ET LA VEILLEE CREOLE

{Il nous faut être lucides sur nos tares de néo-colonisés, tout en travaillant à oxygéner nos étouffements par une vision positive de notre être. Ils nous faut nous accepter tels quels, totalement, et nous méfier de cette identité incertaine, encore mue par d´importantes aliénations.}
Éloge de la créolité - in praise of creolness - Jean Barnabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant (Édition bilingue Gallimard )

À l'étage au-dessus, la propriétaire du bar avait un magnifique salon toujours bien rangé avec des vrais fauteuils capitonnés, des tapis de laine tissée et des vases de porcelaine garnis de roses rouges et roses en plastique que Léontine était la seule à épousseter. Dans un coin s'étalait un vieux piano non accordé, derrière laquelle Damida et Léontine jouaient à chaud-caché (cache-cache). Elles y étaient des rares fois autorisées à s'y asseoir pour écouter Casimir Létang, de la musique, le jeu des mille francs, suivie des avis d'obsèques qui s'émanaient de la grosse radio qui leur rappelait l'heure de retourner à l'école à deux heures de l'après-midi.

Un délirium tremens noya subitement la maman de Léontine. Un latin que Damida n'avait jamais entendu à la messe. Elle avait trépassé les yeux écarquillés sur la vie. La veillée était fantastique. Les hommes ont lutté et culbuté. Les tambouyeurs se sont fendus les doigts à fesser leurs barils bien calés entre leurs jambes au son des boulagyèl :

- GGhhmm ! GGhhmm ! HHmmm Hhhmm ! GGhhmm ! GGhhmm ! HHmmm Hhhmm ! GGhhmm ! GGhhmm ! HHmmm Hhhmm ! Un batteur a crevé son tambour pour élever l'âme de la morte au ciel. Les devinettes, les charades, les discours, les jédimo (jeux de mots), les yé-krik et yé-krak ont fusé comme tilili (grande quantité) dans tout le Bas-de-Source.

- Yé krik !

- Yé krak !

-Yé Mistrikrik !

-Yé Mistrikrak !

-Pli-y ka lonji, pli-y ka vin kout ! (Plus elle s'allonge, plus elle s'écourte !)

-Lavi. (La vie.)

- Dlo doubout ! (L'eau verticale !)

- Kann ! (Canne à sucre !)

- Bout wouj, fanm enmé sa. (Le bout est rouge, les femmes aiment cela.)

- Fa a bouch (Rouge à lèvres.)

- Yé krik !

- Yé krak !

- Pli-ou souflé-y, pli-y ka vin kout ! (Plus vous soufflez dessus, plus elle s'écourte.)

- Sigarèt ! (Cigarette !)

- Kouvèti dè lèspri. (Couverture de l'esprit.)

- Pannanma. (Chapeau panama.)

- Je ne suis ni roi ni reine, mais je fais trembler le monde.

- Wonm (Rhum)

Quand aux éloges, ils étaient tout à l'honneur de la dame à rhum. Les conteurs de jeux de mots débordaient d'inspiration.

- Man Baraviré pa janmé ban nou on ti-zing-ti-tak.
Sété boutèy la anlè tab la,
mé avan sa i ka pwan kou a'y.
Sé tradisyon a tan mwen sé tan mwen é ta-w sé ta-w.
Padavwa tan mwen a pa ta-w
é ta-w pa tan mwen,
piskè si sé tan mwen
i pé pa ta-w.
Saki ta-w ta-w.
Sa ki pata-w, pa ta-w.
Pa mété sa ki pa ta-w
anlè ta-w.
An nou menm !
On bon fanm Mésyézédanm.
Krik !

Krak !

Man Baraviré lè-y té chajé,
si-w té anmègdé-y,
i té ka chajé-w.
É kom pawól an bouch pa chaj,
i pa té ka gadé chaj anlè kè a-y.
Yé krik !

Yé krak !

Yé Mistrikrik !

Yé Mistrikrak !
Inè fanm kè nou règréton mésyézédam ?
(Mme Baraviré ne nous servait pas en compte-goutte.
La bouteille était toujours sur la table,
mais d'abord elle se servait.
C'est la tradition de la charité bien ordonnée
commence par soi-même.
Parce que ce qui est à moi
n'est pas à toi
et ce qui est à toi
n'est pas à moi,
puisque si c'est à moi,
il ne peut pas être à toi.
Ce qui t'appartient, est à toi
Ne mets pas ce qui ne t'appartient pas
Sur ce qui est à toi.
Santé !
Une femme d´une bonté Messieurs et Mesdames.
Krik !

Krak !
Mme Baraviré quand elle était saoule,
si vous l'emmerdiez,
elle vous saoulait de paroles
et puisque la parole est du vent,
elle n'hésitait pas à ventiler.
Yé krik !

Yé Mistrikrik !
Yé Mistrikrak !
Une femme que nous regrettons du fond de notre cœur messieurs et dames.)

Bien sûr, Man Baraviré n'échappa pas à la règle de l'hypocrisie humaine sanctifiante après la mort.

- La vie est courte, c'est sa queue qui est longue. Mame Baraviré n’était pas méchante. Elle injuriait pour se dégager, parce qu'il n'est pas sain de se garder des saletés dans le cœur, sanglotait une locataire, en se mouchant bruyamment.

- Elle nous manquera, se plaignait une voisine, en s'essuyant une espèce de larme de son index plié.

Une autre secouait la tête :

- Ah ! La pauvre. Ce n'était pas de sa faute. Personne de sa famille ne lui rendait visite.

- Wonm la mwen ka mandé-w padon ayayay ! (Rhum je te demande pardon ayayay !) entonnaient deux hommes en se déversant un flot de rhum dans des verres d'eau.

Man Baraviré, dont on entendit pour la première fois le prénom, Florence, bien parfumée d'eau de Cologne, vêtue d'une ravissante robe brodée en soie blanche, auréolée de bougies, les traits souriants et reposés dans son lit, semblait être délivrée d'un lourd fardeau. Il émanait d'elle une paix indicible. Dans les règles de la tradition, toutes les pendules et les réveils avait été arrêtés et les miroirs voilés de tissus noirs. Avant le moment crucial qui est la fermeture du cercueil avant la levée du corps, tous firent la queue pour l´embrasser sur le front. C'était la première fois que Damida donnait un baiser à une personne morte. Froide. Elle n'oublia jamais le contact de cet épiderme glacial sur ses lèvres.

Papa Baraviré pour ne pas changer, se confina dans son dialogue intérieur. Les yeux de Léontine se ridèrent d'une tristesse inexprimée, trop occupée qu'elle était à nourrir le troupeau d´individus affamés, d´une soupe aux pattes de cochon, de pâtés de viande, de pâtés de bananes, de petits pains fourrés de saucisson, de petits bouts de saucisses arrosés de vinaigre de piments, de petites tartines de pâté Dolo, de marinades à la morue (pâte frite aussi appelé accras), de boudins épicés, ...

Un enterrement réussie se définissait au grand nombre de personnes présentes même celles qu´on ne connaît pas. Aux funérailles, elles pullulaient. Des quantités de couronnes de fleurs débordaient du corbillard et sont restées à terre. Celle de la cour titrait en lettres dorées : «À notre voisine bien-aimée".

- Votre attention s'il vous plaît ! Kouté mwen pou tann mwen byen ! (Écoutez-moi bien pour bien m'entendre !) Si vous voulez m'offrir des fleurs, faites-le tout de suite ! Au moins que j'en profite. N'attendez pas que je sois morte ! Vous m'avez bien entendu, commenta Man Zoune la vendeuse de bonbons et de pistaches grillées dans des feuilles de papier convolutées en conques devant le cinéma Vazi, cependant qu'elle contemplait nébuleusement toutes ces fleurs flétries dans l´inclémence de la canicule.

- Je suis tout à fait d´accord avec toi, dit Gilda. La pauvre femme n'a jamais reçu un bouquet de fleurs dans sa vie et voilà qu'à sa mort, elle est fleurie comme un flamboyant. Le bon Dieu n'a pas dit ça mais que veux-tu faire ? C´est ainsi et nous n´y changerons rien. C´est la mauvaise conscience.

Au cérémonial à l´église, le frère de Florence, un ancien soldat qui jamais ne lui rendait visite pleurait tellement gros de l´eau, qu´il faillit se noyer dans ses reniflements et alla jusqu´à s´évanouir devantle cercueil. Il a même fallu qu´un cousine aille à la fontaine mouiller un mouchoir pour le lui plaquer sur son front.

- Sé byen apwé lanmò a Térézin ou ka vwè mouvman a Pyè. Apajé hon ! Madanm-la té-la, pon fanmi a-y paté ka mandé-y kay ka vann. Mi konyéla, yo ka pléré. (On n’est jamais sûr de la sincérité de l´autre. Ce n´est pas de la blague ! La dame était là, jamais sa famille ne lui a rendu visite et voilà qu´ils pleurent.) La mort c´est quelque chose, chuchota man Zoune.

Un cortège de presque toute la Belle-Terre suivit le corbillard qui très lentement descendit jusqu´au cimetière bien sûr situé au Bas-de-Source. Un vrai tombeau attendait la dame et pas un monceau de terre entouré de conques de lambi. Papa Baraviré, Léontine, la sœur de Florence, sa maman et son papa s´alignèrent et tous les gens vinrent leur dire comment ils étaient tristes même ceux qui n´étaient pas tristes.

Damida assista pendant neuf jours à la prière "pour elle", seulement pour reluquer Pierre-Aimée Laurent son père inconnu, abonné aux prières pour élever l'âme des morts. Il y assistait bien recueilli les yeux fermés.

"Saint Vincent !" marmonnait une voix.
La réunion répondait en choeur.

"Priez pour elle !"

"Sainte Thérèse !"

"Priez pour elle !"

"Saint François !"

Priez pour elle !

"Sainte Marie-Madeleine !"

"Priez pour elle !"

"Saint Père !"

"Priez pour elle !"
Un priez pour elle qui se transformait en "Pwiyé pwèl" ou "Piépoil ".

Damida pleura longtemps en cachette avec Léontine qui n'avait plus sa mère si jeune, parce que "On manman sé on manman. (Une mère est une mère.)" Damida la surprenait souvent dans un coin à glapir de douleur, un mouchoir entre les dents. En quelques jours elle avait incroyablement mûrit et souffrait d'un mal au ventre d'adulte sans se plaindre.

-C'est la manman de mon ventre (utérus) qui me fait mal, gémissait-elle.

Léontine habita quelque mois avec son père qui ne tarda pas à se remarier à une jeune femme sobre et discrète qui préférait le salon au bar. Passive, elle accepta l'intruse qui profita pour subtilement la déposséder de son héritage et la repousser vers sa tante, la sœur de Papa Baraviré chez qui elle logeait. En échange, elle rapportait son salaire gagné en continuant à récurer, à laver, à repasser, cette fois à la cour "Kyenbérèd" (courage), toujours Labat, avant d´être inspirée par la B.U.D.A.F. (Bureau Unifié pour le Dépeuplement des Antilles Françaises) de partir en France faire bonne.

Maxette Olsson

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