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LA PROBLEMATIQUE D’UNE VOIE AFRICAINE EN DIDACTIQUE DES MATHEMATIQUES : VRAIS ET FAUX ENJEUX

Kalifa Traoré et Souleymane Barry www.radisma.info/
LA PROBLEMATIQUE D’UNE VOIE AFRICAINE EN DIDACTIQUE DES MATHEMATIQUES : VRAIS ET FAUX ENJEUX

En partant d’une brève revue historique nous montrons, dans un premier temps, le patrimoine mathématique riche de l’Afrique ainsi que quelques contributions des Africains au développement des mathématiques. Ensuite, nous nous penchons sur les travaux didactiques en ethnomathématique menés sur le continent avec quelques recherches qui mettent en évidence des ressources mathématiques mobilisées dans les pratiques quotidiennes, de telles ressources pouvant servir de base à une meilleure contextualisation de l’enseignement des mathématiques à l’école. Enfin, à la lumière du patrimoine mathématique riche de l’Afrique et en examinant le statut particulier de l’ethnomathématique qui semble s’être tracé une voie originale sous l’impulsion de figures comme le mozambicain Gerdes (1995), nous abordons la question ultime d’une voie africaine en didactique des mathématiques : ses vrais et faux enjeux.

 

Table des matières

Introduction

I. Quelques contributions historiques des Africains au développement des mathématiques

II. Les recherches en ethnomathématique : une porte d’entrée à l’adaptation de l’enseignement des mathématiques aux réalités africaines

III. La problématique d’une voie africaine en didactique des mathématiques : vrais et faux enjeux

IV. Conclusion 

Texte intégral

Introduction

Plusieurs recherches historiques (Diop, 1954; Obenga, 1955; Couchoud, 1993; Lamrabet, 1994; Zaslavsky, 1973; Gerdes, 1995) montrent que l’Égypte ancienne, plus généralement la sphère géographique aujourd’hui dénommée le Maghreb, mais aussi l’Afrique au sud du Sahara ont contribué au développement des mathématiques. Ces recherches aident à restaurer une conscience historique chez les Africains et fournissent un matériau riche pour contextualiser davantage l’enseignement des mathématiques en Afrique, entre autres à travers l’intégration de l’histoire des mathématiques du continent aux programmes d’études.

Depuis des décennies plusieurs personnes travaillent à l’amélioration de l’apprentissage et de l’enseignement des mathématiques en Afrique. Ces dernières sont surtout des enseignants de mathématiques d’expérience, des inspecteurs d’enseignement et autres formateurs œuvrant dans la formation initiale et continue des maîtres, mais aussi des chercheurs didacticiens en très petit nombre. Didacticiens, enseignants d’expérience et formateurs ne peuvent plus, à notre sens, être à la remorque de leurs collègues qui sur d’autres continents (Europe, Amérique, etc.) mènent des recherches didactiques sur des problématiques locales et/ou globales.

Nous tentons dans un premier temps de montrer le patrimoine mathématique riche de l’Afrique ainsi que l’apport pluriséculaire des Africains au développement des mathématiques. Dans un second temps, à travers quelques exemples de recherches en ethnomathématique menées sur le continent, nous soulignons d’une part les contributions d’ordre épistémologiques de chercheurs comme Gerdes et d’autre part, le potentiel mathématique de certaines pratiques sociales d’acteurs illettrés. Enfin, nous abordons la question d’une voie africaine en didactique des mathématiques, autrement dit la problématique d’une didactique «africaine» des mathématiques : ses vrais et faux enjeux.

I. Quelques contributions historiques des Africains au développement des mathématiques

Il ne semble plus aujourd’hui y avoir de doute que l’Afrique est le berceau de l’humanité. Les travaux du chercheur sénégalais Cheikh Anta Diop (1954; 1967) montrent que l’Égypte ancienne était africaine1, et surtout que la Grèce ancienne est venue s’instruire en Égypte. Le développement de la pensée mathématique Grecque doit beaucoup, selon Diop 2(document sonore), au contact avec l’Égypte où plusieurs mathématiciens grecs ont séjourné. Alexandrie, le foyer scientifique et mathématique de la Grèce, était en sol égyptien. C’est en Alexandrie que les mathématiques grecques connaîtront leur apothéose et plusieurs grands mathématiciens dans l’Histoire sont d’Alexandrie : Euclide, Ptolémée, Héron, Diophante, etc. À bien des égards, on peut considérer que des millénaires de travail scientifique en Mésopotamie égyptienne (et probablement dans d’autres régions de l’Afrique) ont jeté les jalons de ce que l’on appelle dans certains ouvrages historiques de vulgarisation le «miracle grec» (Sarton, 1959). Nous voyons donc, rien qu’à considérer le passé de l’Égypte, difficilement justifiable l’idée que les mathématiques soient nées en Grèce au 5e siècle av. J.- C. (Kline, 1953 cité par Lumpkin, 1997). Une activité mathématique véritable existait en Égypte.

Au-delà de l’Égypte, le Maghreb a joué un rôle important dans la transmission des mathématiques arabes à l’Occident chrétien (Djebbar, 2005). Léonard de Pise dit Fibonacci (1170-1250), l’un des mathématiciens européens les plus créatifs de la Renaissance, s’est rendu à Bougie en Algérie, y a étudié les mathématiques sous la direction d’un maître arabe (Lamrabet, 1994) et a voyagé en Égypte et en Syrie. Il est souvent admis que le symbolisme algébrique moderne est né aux environs du 17e siècle en Europe occidentale avec Viète. Cependant, selon Lamrabet (1994 ; p. 235), on trouve une notation algébrique maghrébine commode bien avant Viète. Le symbolisme algébrique au Maghreb remonterait au 12e siècle avec Al-Hassâr chez qui on note l’usage des chiffres et des fractions (Lamrabet, 1994). On trouve au Maghreb les premières manifestations d’un symbolisme vraiment développé chez Ibn Al-Yâsamîn qui reprend les symboles de Al-Hassâr auxquels il adjoint de nouveaux en lien avec les opérations sur les fractions : ce sont les particules illâ (moins), fi (fois), ilâ (jusque), min (ôté de), kam (combien) (Lamrabet, 1994 ; p. 238).

Zaslavsky (1973) est un des pionniers des études sur le passé mathématique des peuples africains au sud du Sahara. Elle s’est penchée sur le comptage dans plusieurs cultures africaines (Yoruba, Kpelle, etc.) et a mis en évidence une multitude de système de numérations. Considérant la controverse autour de l’os d’Ishango (découvert par l’archéologue belge De Heinzelin (1962) en République démocratique du Congo et qui remonte au moins à - 20 000 ans), l’un des plus anciens artéfacts mathématiques, Zaslavsky (1973) penche en faveur de l’explication selon laquelle l’os d’Ishango serait un calendrier lunaire.

Depuis, plusieurs chercheurs à différents endroits du continent s’intéressent à la réhabilitation de l’héritage mathématique de l’Afrique au sud du Sahara : Gerdes (Mozambique), Kane (Sénégal), Lea (Botswana), Njock (Cameroun), Doumbia (Côte d’Ivoire), Mutio (Kenya), Timkumanya (Ouganda), etc. Plusieurs de ces chercheurs font partie du directoire de la commission sur l’histoire des mathématiques en Afrique (AMUCHMA) de l’union mathématiques africaine (UMA). L’UMA regroupe plusieurs chercheurs et enseignants du continent et c’est sous son impulsion qu’AMUCHMA a été crée en 1986 avec pour objectif, entre autres, de promouvoir une coopération active entre les historiens, mathématiciens, archéologues, ethnographes, sociologues, etc., dont les recherches portent sur, ou sont reliés à l’histoire des mathématiques en Afrique3.

Une meilleure connaissance des contributions des Africains au développement des mathématiques aiderait certainement à démystifier les mathématiques auprès des jeunes africains. Cependant, il ne s’agit pas de mythifier le passé mathématique des Africains. Mais, pensons-nous, il s’agit de prendre conscience des contributions passées et présentes de l’Afrique aux mathématiques et dans la foulée, d’explorer les voies et moyens permettant aux Africains d’assumer leur responsabilité actuelle dans l’avancement des mathématiques et l’amélioration de leur enseignement.

II. Les recherches en ethnomathématique : une porte d’entrée à l’adaptation de l’enseignement des mathématiques aux réalités africaines

L’ethnomathématique est un domaine assez récent de la didactique des mathématiques. C’est un vaste programme de recherche transdisciplinaire et transculturelle en histoire et philosophie des mathématiques4. Le terme ethnomathématique, utilisé pour la première fois par D’Ambrosio exprime les relations entre culture et mathématique (D’Ambrosio, 2001). Les auteurs (D’Ambrosio (2005), Gerdes (1995)) s’entendent pour définir l’ethnomathématique comme «The tics of mathêma developed in differents ethnos». Ainsi ce champ de recherche fait référence à trois aspects :

  • ethno qui renvoie à un environnement naturel, social, culturel et créatif, à un groupe socialement et ou culturellement identifiable;
  • mathêma (du grec) qui veut dire «science», c’est-à-dire «toute la connaissance» et renvoie à l’explication, à la compréhension, à l’apprentissage, à la connaissance;
  • tics qui renvoie à l’art, aux techniques, aux modes, aux styles.

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Plusieurs études (Nunes, Schliemann et Carraher, 1993; Lave, 1988) montrent que les démarches de résolution de problèmes élaborées en contexte diffèrent de celles de l’école. Traoré (2005) montre qu’il existe des problèmes aux structures semblables (les mathématiciens parlent de problèmes isomorphes) et dont les solutions diffèrent considérablement selon qu’ils sont posés en contexte scolaire ou en contexte de la vie quotidienne. De même plusieurs études (Kanouté, 2000; Kilani, 2005; Lakramti, 1987) soulèvent des difficultés engendrées par la langue d’apprentissage des mathématiques. En particulier, en ce qui concerne la majorité des enfants africains, les mathématiques sont enseignées dans une langue seconde et il est possible qu’il y ait des conflits dans les schèmes de référence entre premièrement la langue maternelle, deuxièmement celle d’apprentissage et troisièmement le langage mathématique. L’exemple le plus visible nous vient certainement du français et de la langue arabe (écriture de la gauche vers la droite  et écriture de la droite vers la gauche). Un autre exemple est le passage de l’oral à l’écrit pour les enfants qui ont une langue maternelle orale (Avila, à paraître). Tous ces écarts possibles et surtout leur méconnaissance par le système éducatif pourraient être une source de difficultés d’apprentissage des mathématiques à l’école. L’ethnomathématique telle que défini précédemment prend en compte le contexte des apprenants.

Pour Gerdes (1997), un des pionniers de ce champ de recherche, l’enseignement des mathématiques doit prendre appui sur les ressources mathématiques mobilisées dans les pratiques de la vie de tous les jours. Cela est rendu d’autant plus nécessaire qu’un éloignement des mathématiques curriculaires des réalités (contexte culturel, social, linguistique, etc.) que vivent les enfants ne leur permet pas une pleine participation à ces mathématiques. D’Ambrosio soutient aussi cette position : «les mathématiques enseignées dans beaucoup de classes n’ont rien à voir avec le monde expérientiel des enfants» (D’Ambrosio5, 2001, p.308). Il s’agit donc de développer les recherches en ethnomathématique en vue de revoir les curriculums et ce afin de rapprocher les mathématiques enseignées à l’école des réalités vécues par l’enfant dans sa culture.

Plusieurs chercheurs et des équipes de recherches (Gerdes (Mozambique), Djebbar (Algérie), Kazim (Égypte), Aballagh (Maroc), Souissi (Tunisie), Kane (Sénégal), Lea (Botswana), Njock (Cameroun), Doumbia (Côte d’Ivoire), Mutio (Kenya), Timkumanya (Ouganda), Lakramti (Maroc), etc.) sur le continent africain tentent d’apporter leur contribution à cette problématique.

À titre d’exemple nous citerons les travaux de Gerdes qui est probablement celui qui a le plus écrit sur les mathématiques mobilisées dans les activités de la vie quotidienne en Afrique. Les écrits de Gerdes portent autant sur les fondements épistémologiques, les méthodes, les grandes orientations de l’ethnomathématique que sur la mise en évidence des ressources mathématiques mobilisées en contexte et leur utilisation dans l’enseignement. Les recherches en ethnomathématique apparaissent, pour Gerdes, comme une préparation à la réponse à un défi majeur pour l’enseignement des mathématiques en Afrique, celui de rendre les programmes d’études proches des réalités africaines. Répondre à ce défi c’est en quelque sorte contribuer à mettre fin à la formation «d’extra-terrestres» pour l’Afrique, pour reprendre l’expression de Ki-Zerbo (1990), qualifiant ainsi les sortants de l’école en Afrique. Comment relever ce défi à partir des recherches en ethnomathématique?

Dans le cadre d’une recherche portant sur les pratiques mathématiques développées en contexte par les Siamous6 au Burkina Faso, Traoré (2006) a observé, par exemple, le tracé de rectangle par des paysans illettrés au Burkina Faso à l’aide uniquement de cordes. À partir des ses observations et d’un entretien a posteriori réalisé avec les principaux acteurs, cet auteur met en évidence un «théorème» que les paysans utilisent en acte : les quatre coins d’un quadrilatère sont égaux si et seulement si il a ses côtés opposés égaux deux à deux et a ses diagonales de même longueur. À travers cet exemple, nous voyons un point de convergence entre les ressources mathématiques mobilisées dans le tracé de la base rectangulaire de la case et les mathématiques enseignées à l’école.

Gerdes a fait un constat similaire. Au Mozambique, les paysans construisent aussi des cases rectangulaires. Ils utilisent généralement deux techniques selon Gerdes (1997) pour déterminer la base rectangulaire :

  • 4 bambous (2 de longueur L et 2 autres de longueur l) sont mis bout à bout (ce qui donne 1 parallélogramme) et les diagonales doivent être égales (Cette technique est quasiment la même que celle utilisée par les paysans Siamous);
  • 2 cordes de même longueur se croisent et sont reliées en leur milieu. Les bouts des cordes sont les sommets de la base de la case.

Gerdes souligne qu’il est possible de formuler les connaissances géométriques implicites des techniques de construction en termes de théorèmes formels. La première technique conduit à un théorème du type «si les côtés opposés d’un quadrilatère sont égaux deux à deux et les diagonales sont égales, alors les 4 angles sont droits». La deuxième conduirait à «si les diagonales d’un quadrilatère ont même longueur et se coupent en leur milieu alors les côtés sont égaux et les 4 angles sont droits» (Gerdes, 1997).

Dans une autre étude, Gerdes (1988) montre une utilisation possible de dessins traditionnels angolais dans l’enseignement des mathématiques, notamment dans les relations arithmétiques.

Les exemples précédents mettent en évidence des ressources mathématiques construites en contexte «utilisables» dans les curriculums actuels. Pour nous, il s’agit pour les recherches en ethnomathématique de mettre en évidence, de rendre explicite le potentiel mathématique présent dans les pratiques sociales. À court terme, d’une part les points de convergence entre les mathématiques construites en contexte et celles véhiculées par l’école, pourraient être investi en terme de contextualisation, dans les cours de mathématiques et, d’autre part les points de divergence ou de rupture pourraient aider à comprendre certaines difficultés des élèves. À plus long terme, le potentiel mis en évidence pourrait servir de base pour l’élaboration de curriculums tenant compte des besoins des sociétés africaines.

Qu’en est-il d’une voie africaine en didactique des mathématiques?

III. La problématique d’une voie africaine en didactique des mathématiques : vrais et faux enjeux

Dans le champ de la didactique des mathématiques, il existe des traditions ou écoles de pensée repérables à des théories ou paradigmes qu’elles ont su proposer à la communauté des didacticiens des mathématiques. Pour la communauté des didacticiens des mathématiques francophones, l’exemple qui vient à l’esprit est celui de la France où une communauté de didacticiens s’est constituée et développée autour des théories élaborées par Brousseau, Vergnaud et Chevallard. De sorte qu’on peut ainsi parler d’une didactique française des mathématiques avec ses propres orientations de recherche, ou pour prendre d’autres exemples que la France, d’une didactique italienne, etc. (Bednarz, 2001). Cette différenciation régionale de certains courants de recherche en didactique des mathématiques traduit des voies que des didacticiens des mathématiques ont pu localement se forger par leur ancrage dans un contexte donné, par leur promotion d’une orientation ou de méthodes de recherches spécifiques. Peut-on, en considérant les travaux de recherche en didactique des mathématiques en Afrique, parler d’une didactique africaine des mathématiques ?

Reprenant certaines des caractéristiques que Bednarz (2001) utilise pour identifier quelques courants européens en didactique des mathématiques, il convient d’examiner la problématique d’une voie africaine en didactique des mathématiques en ayant présent dans la réflexion les questions suivantes : Quels débats épistémologiques ont cours dans la communauté des didacticiens des mathématiques en Afrique ? Dans quelle mesure les dimensions culturelles ainsi queles contraintes institutionnelles propres aux pays africains sont-elles prises en compte dans les travaux des didacticiens des mathématiques du continent? Quels concepts, théories, méthodes transparaissent des travaux des didacticiens sur le continent ? Existe t-il des référents communs aux didacticiens africains ou à propos desquels ils discutent ? Ces questions permettent peut-être de faire la part des choses entre les vrais et faux enjeux de la problématique qui nous occupe.

Considérant les travaux en didactique des mathématiques sur le continent, le cas des recherches en ethnomathématique semble montrer l’existence d’une communauté de recherche réunie principalement autour de deux objets de recherche : l’étude de l’histoire des mathématiques en Afrique et l’étude des ressources mathématiques mobilisées dans les pratiques sociales. Ces recherches répondent à plusieurs des questions posées précédemment. Mais au-delà de ce champ spécifique de recherche, avec des chercheurs comme Gerdes ou l’Algérien Djebbar, existe-il d’autres réseaux constitués de didacticiens avec des objets de recherche différents, des questions de recherche autres que celles des ethnomathématiciens au sens large?

À l’examen, plusieurs problèmes apparaissent et soulèvent les vrais enjeux sur lesquels, pensons nous, les didacticiens africains pourraient se pencher s’ils veulent marquer de leur empreinte le champ de la didactique des mathématiques. Il s’agit de : 1) diversifier les réseaux de recherches sur l’apprentissage et l’enseignement des mathématiques en Afrique; 2) se doter d’infrastructures de recherches pour promouvoir des études théoriques et/ou empiriques sur les réalités de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques dans nos sociétés et écoles; 3) favoriser dans les réseaux constitués des débats épistémologiques et méthodologiques sur les problématiques abordées dans les recherches didactiques menées à différents endroits du continent.

Certes, la problématique d’une voie africaine en didactique des mathématiques pose la nécessité pour les didacticiens du continent de se centrer sur les problèmes d’apprentissage et d’enseignement spécifiques à l’Afrique tels les problèmes langagiers dans l’enseignement des mathématiques (Lakramti, 1987; Kanouté, 2000; Kilani, 2005), la contextualisation de l’enseignement des mathématiques à l’école, les questions de curriculums, pour ne citer que ces quelques exemples. Cependant, certains écueils, pensons-nous, sont à éviter. Pour les didacticiens des mathématiques africains, les faux enjeux d’une telle problématique seraient de : 1) procéder à une fausse contextualisation par un habillage des problématiques locales avec des concepts importés tout azimut; 2) s’enfermer dans un provincialisme qui réfuterait des contributions non africaines de courants porteurs en didactique des mathématiques (recherches collaboratives en Amérique du Nord, recherches ethnomathématiques en Amérique du Sud, les recherches ayant pour cadre de référence les théories de la cognition située, etc.).

IV. Conclusion 

Avec les travaux en ethnomathématique, un tout autre rapport aux mathématiques construites en contexte s’installe. Il s’agit de les intégrer de manière critique et avec discernement dans les programmes d’études. Les systèmes éducatifs en général et l’enseignement/apprentissage des mathématiques en Afrique connaissent des difficultés (Ki-Zerbo, 1990). Nous constatons qu’il y a des potentiels mathématiques non exploités. Des pistes de recherche destinées à répondre aux besoins des sociétés africaines sont ouvertes.

La question d’une voie africaine de didactique apparaît comme un vaste chantier ouvert et appelé à se développer dans les années à venir. Dans l’état actuel de nos connaissances sur les travaux en didactique des mathématiques sur le continent, il serait peut-être prématuré de parler d’une voie africaine ou d’une didactique africaine.

Nous avons dans les lignes précédentes beaucoup insisté sur la nécessité de mettre en évidence les ressources mathématiques mobilisées dans les pratiques sociales. Il reste que l’étude de leurs modes d’apprentissage fait partie de ce vaste chantier. À cet égard, les travaux sur l’apprentissage de l’artisanat en Afrique de l’Ouest (Lave, 1991) et sur la notion de participation périphérique légitime dans les communautés de pratiques (Lave, 1991; Lave et Wenger, 1991; Wenger, 2005) nous donnent des pistes intéressantes de réflexion.  

 

Bibliographie

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Notes de bas de page

 

1 Dans cet article, l’adjectif «africain» ou «africaine» a surtout pour nous une connotation géographique et/ou culturelle. Toutefois, la précision est importante, nous n’en faisons aucun usage chauvin voire «ethniciste». Ainsi, nous considérons le Professeur Paulus Gerdes du Mozambique qui n’est ni noir, ni arabe, ni né en Afrique, comme l’un des plus illustres didacticiens africains des mathématiques de par sa prolifique et riche contribution à la valorisation du patrimoine mathématique de l’Afrique australe.

2 CD réalisé grâce aux archives de Radio Nederland, Radio Alger, Radio Sénégal et Radio France International. Cheikh Anta Diop y présente les grandes lignes de sa pensée à travers des entretiens qu'il a accordés et des extraits de conférence qu'il a prononcées. Enregistré entre 1923-1986.

3 AMUCHMA a un projet de recensement de tous les mathématiciens africains docteurs (plus de 1240 recensés en octobre 2005).

4 Pour plus d’informations sur ce domaine de recherche, voir l’«ethnomathématique sur le web» à partir du site du groupe d’études internationales en ethnomathématique (ISGEm) au www.rpi.edu/~eglash/isgem.dir/links.htm

5 Traduction libre.

6 Le Siamou est une des nombreuses ethnies du Burkina Faso.

 

Pour citer cet article

 

Kalifa traoré et Souleymane barry. «La problématique d’une voie africaine en didactique des mathématiques : vrais et faux enjeux». RADISMA, Numéro 2 (2007), 30 mars 2007, http://www.radisma.info/document.php?id=476. ISSN 1990-3219

 

Post-scriptum: 
Kalifa traoré, École Normale Supérieure de l’Université de Koudougou, Burkina Faso, kalifa.traore@univ-ouaga.bf Souleymane barry, Université du Québec à Montréal, Canada, jules_barry@yahoo.

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